Nicolas Penin, ancien responsable d’Unsa-Education, à la tête de la principale organisation de la franc-maçonnerie en France, était récemment à Reims. Il sera dans les Ardennes ce week-end.

Source : Le Journal L’Union
Quel était le sens de votre visite à Reims ?
Notre démarche est républicaine. Nous avons ainsi lancé une opération, «La République des maires», pour mettre à l’honneur les élus de proximité qui font que le lien entre représentants et représentés tienne. Ce sont des soldats utiles à la République et nous voulons échanger avec eux. Quelques-uns démissionnent avant la fin de leur mandat, cela doit donc être parfois ingrat…
Quel est aujourd’hui le rôle du Grand Orient de France (GODF) ?
Votre engagement maçonnique est personnel. C’est votre chemin initiatique, spirituel, propre à ce que vous souhaitez en termes d’engagements pour vous, ce qui vous entoure, le monde. « D’où je viens et où je vais », pourrait-on dire. Et cet engagement est lié au GODF car nous avons un engagement humaniste, universaliste, très lié à l’histoire de la cité, la République et l’engagement social. Certains des nôtres sont des acteurs publics – dans les associations, les syndicats, les partis – et nous les invitons à continuer à être dans la cité. C’est cela notre rôle. Ce chemin maçonnique a pour continuité naturelle d’être des opératifs dans le monde d’aujourd’hui.
Est-ce exact que de plus en plus de francs-maçons n’ont pas à être cooptés ?
Oui. Le grand mode de recrutement en maçonnerie reste d’être coopté – quelqu’un vient vous voir et vous dit : on partage les mêmes valeurs et les mêmes principes, etc. Mais depuis quatre ans, la proportion de personnes non cooptées est passée de 3 à 13 %. Ce chiffre a vocation à croître, il n’a ni plafond de verre, ni d’objectif à atteindre. C’est seulement un ordre naturel des choses à partir du moment où on fait des conférences publiques, de la communication sur les réseaux sociaux…
«La moyenne d’âge est de 64 ans (au sein du GODF)«
Quelle est la pyramide des âges au sein GODF ?
La moyenne d’âge est de 64 ans. La pyramide du GODF est à peu près identique à celle du pays, et elle est certainement identique à celle des associations, syndicats, conseils municipaux. Quand on est dans les études ou qu’on commence son travail, on ne songe pas forcément à s’engager dans la franc-maçonnerie (sourires). Il y a la nécessité d’avoir du recul, de l’expérience, de la maturité.
Comment, concrètement, y rentre-t-on ?
Vous écrivez un courrier de candidature. Le vénérable maître qui préside l’association locale vient vous rencontrer, questionne vos motivations. Il présente votre candidature en loge. Si elle est jugée intéressante, trois de ses membres vont vous rencontrer, faire des entretiens autour de votre vie personnelle, votre engagement dans la cité… Vous venez, on lit les enquêtes, vous «passez sous bandeau» – on vous bande les yeux – et il y a un vote. Si vous êtes reçu, vous serez initié la fois suivante. Voilà, c’est un peu compliqué (sourires).Et pour en partir ?
Vous faites un courrier. Là, il y a 100 % de réussite… si votre cotisation est à jour (rires) !
Quelle est place des femmes au sein du GODF ?
Il y a 6.600 sœurs (sur 55.000 membres). C’est un chiffre qui croît. Historiquement, le GODF, créé en 1773, était une obédience masculine et cette évolution est aussi liée à l’émancipation de la femme. Depuis une quinzaine d’années, nous avons officiellement la possibilité d’initier et affilier des sœurs. Et il existe également des obédiences qui sont strictement féminines.
Comment jugez-vous le climat politique en France ?
Il est celui de l’incertitude, donc de la peur. Ces vieux ressorts politiques, sur lesquels certains s’appuient pour leur petite boutique, font florès. On a l’impression qu’il nous faut absolument trouver un coupable qui serait responsable de tous nos maux. Le climat actuel est à la fois celui d’une forte inquiétude, mais aussi, peut-être, celui d’une forme de ressaisissement.
«Nous avons un éloge de la nuance»
Mais comment expliquer la progression de l’extrême droite et de ses idées ?
Elles sont performantes en matière de communication, de normalisation, mais d’autres ne sont peut-être pas à la hauteur ou n’affrontent pas les choses telles qu’elles devraient l’être.
À qui faites-vous allusion ?
À tous ceux qui exercent ou ont exercé des responsabilités politiques et n’ont pas répondu aux satisfactions d’une part croissante de la population. Pourquoi l’extrême droite arrive-t-elle au pouvoir ? Pour répondre à des besoins quotidiens, concrets du citoyen, un sentiment de sécurité, de justice car lui se lève pour aller travailler et a l’impression que d’autres ne jouent pas le jeu.
Beaucoup, aussi, tournent le dos aux politiques… Est-ce la faute des politiques ? Des médias ?
Et aussi des citoyens… Quand on est franc-maçon, nous avons un éloge de la nuance car le responsable n’est pas uniquement le personnel politique ou des groupes économiques puissants ou les réseaux sociaux ou le citoyen. Le personnel politique est aussi celui que nous méritons. C’est à tous les échelons… Quand je dis aux membres de mon obédience qu’un franc-maçon du GODF est quelqu’un qui est dans la cité, ce n’est pas pour prendre un pouvoir ou mettre en œuvre un plan secret que j’ai dans ma malette en permanence. C’est pour dire : il faut y être car sinon, ce sont les autres, dont les valeurs et les principes sont parfois contraires à ce qu’un républicain doit être.
«Depuis que je contrôle le monde, ça va beaucoup mieux (rires)»
Quand vous voyez des Unes du type « La franc-maçonnerie : quels sont leurs réseaux ? Leurs projets ? », qu’est-ce que cela vous inspire ?
Écoutez, depuis que je contrôle le monde, ça va beaucoup mieux (rires) ! Les francs-maçons ont des réseaux, mais comme, peut-être, les élus, les journalistes… Qu’entend-on par réseau ? Et pourquoi en faire ? Quand je vais en territoire d’outre-mer, on ne dit pas que la maçonnerie est composée d’affairistes et de réseaux mais de satanistes… Et si le GODF compte 55 000 membres, il y a 300 ou 400 obédiences maçonniques en France !
Mais cette image de secret, des fantasmes qu’il charrie, cela vous amuse ? Vous désespère ?
Oui, cela peut nous amuser car nous ne sommes pas là pour ça. D’ailleurs, le meilleur moyen de lutter contre ce type de propos est justement de s’extérioriser, d’organiser des réunions publiques.