On s’habitue à tout, même à l’inacceptable. À force de voir des tracteurs sur les routes, on finit par croire que c’est “normal”. Non : c’est un signal d’alarme. La crise agricole n’est pas une humeur, c’est une fracture. Et elle nous oblige à regarder la réalité en face : un pays peut-il encore se dire solide quand ceux qui le nourrissent peinent à vivre de leur travail ?
En loge, la pierre brute n’est pas un concept abstrait : c’est le réel, rugueux, exigeant, qu’on ne polit pas avec des slogans. Le champ, lui aussi, est pierre brute. Il ne se plie ni aux effets d’annonce, ni aux tableaux Excel. On ne négocie pas avec le gel, on ne débat pas avec la sécheresse, on ne “rattrape” pas une saison perdue par décret. Pourtant, c’est bien ce qu’on attend trop souvent : produire plus propre, plus vite, plus sûr… et toujours moins cher.

Nous demandons aux agriculteurs du bon, du sain, du traçable, du durable. Puis nous acceptons un système qui compresse les prix, brouille les marges, et met en concurrence le travail du vivant avec des importations qui ne jouent pas toujours avec les mêmes règles. Résultat : la chaîne se tend entre le champ et la table, jusqu’à casser. Et quand le lien casse, il ne reste plus que la colère pour être entendu.
Le pire, c’est l’hypocrisie tranquille : applaudir “nos agriculteurs” tout en organisant leur épuisement. Exiger la transition sans donner les moyens. Réclamer la qualité, puis célébrer la promotion qui écrase le producteur. Il y a là une contradiction morale. La Franc-Maçonnerie parle de Justice et de Mesure : on ne peut pas demander l’excellence et payer l’indignité.
Alors, que faire — sans grands discours ?
- Dire la vérité : la qualité a un coût, la transition aussi.
- Exiger la justice : un prix juste n’est pas un luxe, c’est la base.
- Pratiquer la fraternité : retisser le lien, localement, concrètement, durablement.
Car un pays qui laisse tomber ceux qui le nourrissent prépare sa propre faim — pas seulement de pain, mais de sens.




