Il y a des soirs où, en quittant le Temple, je me demande si nous ne sommes pas en train de rater quelque chose. On dit que la Franc-maçonnerie rend meilleur, qu’elle est un chemin, un travail, une expérience. Très bien. Mais encore faudrait-il s’y mettre.
On croise des Frères et Sœurs d’une délicatesse rare, habités, sincères, lumineux, et puis d’autres qui viennent « faire de la Maçonnerie » comme on fait du yoga ou un club de lecture. Sans y mettre ni souffle, ni discipline, ni transformation.
Et pourtant, dehors, le monde brûle — au sens propre comme au figuré — pendant que nous débattons encore de virgules dans les procès-verbaux.
La franc-maçonnerie n’a pas besoin de décorums supplémentaires. Elle a besoin de courage.
Le courage de dire à un Frère que son comportement est indigne de l’Atelier.
Le courage de rappeler qu’un serment, ce n’est pas un folklore.
Le courage d’admettre que travailler sur soi, c’est difficile, douloureux, parfois humiliant… mais profondément nécessaire.
Trop souvent, nous confondons tolérance avec laxisme, fraternité avec complaisance, humilité avec effacement.
La Maçonnerie, la vraie, n’est pas un cocon douillet. C’est un miroir. Et un miroir, ça renvoie l’image telle qu’elle est, pas telle qu’on la rêve.
Nous ne manquons pas de rites, nous manquons d’élan.
On s’épuise parfois en procédures, alors que nos Loges devraient être des laboratoires d’humanité, pas des salles d’attente administratives.
On oublie que l’Initiation est un mouvement, pas un statut.
Qu’être Apprenti, Compagnon ou Maître n’a rien à voir avec une médaille.

À force d’oublier le sens, on finit par confondre la Lumière avec l’éclairage.
Frères, Sœurs : arrêtons d’être de simples consommateurs de symboles.
La Maçonnerie n’a pas besoin que nous la récitions.
Elle a besoin que nous l’incarnions.
Pas demain.
Pas après la prochaine planche.
Pas quand on aura « un peu plus de temps dans nos vies ».
Maintenant.
Parce que la fraternité n’est jamais acquise.
Parce que le monde n’attendra pas que nous ayons fini nos agapes.
Parce que si nous ne servons à rien, alors la Franc-maçonnerie est elle aussi condamnée à devenir un beau musée — avec de jolies colonnes, mais sans colonne vertébrale.
Cessons de jouer à la Maçonnerie. Faisons-la vivre.
C’est peut-être ça, finalement, le vrai travail :
oser être ce que nous prétendons chercher à devenir.




