Le 14 juillet, fête nationale, évoque pour le profane la prise de la Bastille en 1789 ou la Fête de la Fédération en 1790. Pour nous, Francs-Maçons, cette date résonne bien au-delà de l’événement historique : elle symbolise la rupture des chaînes, l’élévation de l’homme et la marche collective vers la lumière. C’est le reflet, dans la société, de ce que nous opérons dans le Temple : une œuvre de libération, de transformation, de régénération.
La Révolution française fut, en surface, un bouleversement politique. En profondeur, elle fut le fruit d’un long travail souterrain des idées — un travail où la Franc-Maçonnerie joua un rôle discret mais décisif. Car bien avant 1789, les loges étaient déjà les creusets où s’élaboraient les notions de souveraineté populaire, de tolérance, de justice sociale, de contrat entre les hommes libres.

Parmi les frères maçons engagés dans ce mouvement, citons :
- Honoré Gabriel Riqueti, comte de Mirabeau, membre de la loge « Les Neuf Sœurs » à Paris, orateur du Tiers-État, artisan de la réunion des États généraux et défenseur acharné des libertés.
- Gilbert du Motier, marquis de La Fayette, initié en 1775 à la loge « La Candeur », héros des deux mondes, qui joua un rôle central dans la Fête de la Fédération et rédigea avec Jefferson la Déclaration des droits de l’homme.
- Joseph-Ignace Guillotin, également des « Neuf Sœurs », qui milita pour l’égalité devant la justice et la fin des tortures — son nom reste paradoxalement lié à l’instrument qu’il espérait rendre « plus humain ».
- Jean-Baptiste Greuze, Volney, Chamfort, tous membres des loges parisiennes, furent des vecteurs de diffusion des idéaux des Lumières.
La loge « Les Neuf Sœurs », fondée en 1776 sous les auspices de la Grande Loge de France, fut l’une des plus influentes. Elle rassembla de nombreux savants, philosophes, artistes et penseurs : Benjamin Franklin y fut reçu, tout comme Condorcet, Lalande, Le Monnier ou encore l’abbé Grégoire. Cette loge travaillait sous l’égide du Rite Français et portait en elle une volonté clairement affirmée de réformer la société à la lumière de la raison.
La logique maçonnique de progrès, fondée sur l’élévation individuelle en vue d’une élévation collective, irrigua lentement les consciences. Si toutes les loges ne furent pas révolutionnaires, beaucoup furent réformatrices, animées par un souffle nouveau : celui de la liberté intérieure conduisant à la liberté civique.
La prise de la Bastille, forteresse et symbole de l’arbitraire royal, peut être lue comme la destruction d’un égrégore ancien. Le peuple de Paris, dans un geste instinctif, brisa non seulement des murs mais une forme d’obscurantisme. Pour le maçon, c’est là une allégorie de l’initiation : franchir le seuil, vaincre la peur, dissiper les ténèbres de l’ignorance.
La Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, incarna quant à elle la construction : une arche fraternelle entre tous les peuples de France, réunis sur le Champ-de-Mars. Le rituel en plein air, les serments échangés, les mains tendues entre provinces et autorités… autant d’actes profondément symboliques, proches de nos tenues.
Mais l’histoire maçonnique ne saurait être idéalisée : la Révolution ne fut pas exempte de drames, de trahisons, de douleurs. Des loges furent dissoutes, des frères persécutés. Philippe Égalité, duc d’Orléans et Grand Maître du Grand Orient de France, vota la mort de Louis XVI mais fut lui-même guillotiné en 1793. L’idéal maçonnique, pris dans le tourbillon des extrêmes, fut parfois trahi par les siens.
Et pourtant, malgré la Terreur et l’interdiction temporaire des loges, l’esprit maçonnique survécut. Il anima le Code civil, les écoles laïques, la séparation des pouvoirs, l’abolition des privilèges. Il fonda les bases de ce que nous appelons encore aujourd’hui la République.
Conclusion
Le 14 juillet n’est pas un simple souvenir. C’est un appel. Il nous rappelle que la Liberté n’est jamais donnée, toujours conquise ; que l’Égalité n’est pas un état, mais un combat ; que la Fraternité n’est pas un mot, mais un devoir.
En tant que Francs-Maçons, gardiens d’une tradition qui transcende les siècles, il nous appartient de continuer à œuvrer — à visage couvert ou découvert — pour que l’idéal républicain demeure vivant. Car le chantier de la République, comme celui du Temple, reste inachevé.
En célébrant le 14 juillet, nous honorons non seulement une date historique – la prise de la Bastille ou la Fête de la Fédération – mais aussi un projet de civilisation dont la Maçonnerie fut l’un des laboratoires les plus féconds. Il n’est pas anodin que tant de révolutionnaires, de penseurs, d’hommes de loi et d’artisans de la République aient été des frères, parfois actifs dans nos loges, souvent inspirés par nos idéaux.
Mais si le passé glorieux éclaire notre route, il ne doit pas nous aveugler. Le 14 juillet n’est pas seulement une commémoration : c’est un appel à renouveler notre engagement. En tant que maçons, nous avons la responsabilité d’incarner au quotidien les valeurs républicaines, de défendre la dignité humaine, de lutter contre toutes les formes d’obscurantisme et de division.
Le Temple de la République, comme celui de Salomon, reste inachevé. Il appartient à chacun de nous d’y apporter sa pierre.
Ainsi, en ce 14 juillet, souvenons-nous que la Maçonnerie n’est pas en dehors de l’histoire. Elle y participe. Mieux encore, elle l’éclaire.
Le 14 juillet est notre miroir : celui d’un peuple qui, à l’image de l’initié, osa un jour briser ses chaînes pour marcher vers la lumière.




