Il y a des soirs de loge où je me pose la question :
pourquoi continuer à semer ?
Semer du temps, de la bienveillance, un peu de soi… alors que rien ne garantit la moisson.
Le poème le dit bien : on sème le noble, le sublime, l’art véritable, et ce qui frappe ensuite à notre porte peut être un amour immense… ou un désastre complet. Une belle fraternité, ou un conflit absurde. Un succès qui brille, ou une épreuve qui secoue.
En franc-maçonnerie, on nous apprend pourtant à agir sans contrat. On ne vient pas chercher un retour sur investissement spirituel. On vient travailler, se polir, s’attendrir, apprendre à s’étreindre dans ce fameux « Nous » qui dépasse le simple « moi ».
Mais il y a aussi ceux qui, sans semer grand-chose, espèrent quand même une grosse part de la récolte : reconnaissance, statut, image valorisante. Le poème est lucide : eux aussi récolteront quelque chose… parfois l’émerveillement, parfois la dureté. La vie finit toujours par faire la différence entre ce qui est donné et ce qui est seulement exigé.

Alors, à quoi bon ?
Peut-être à ceci : chaque fois que nous semons un geste fraternel, une parole juste, une idée belle, nous ne changeons pas le monde – pas tout de suite – mais nous nous changeons nous-mêmes.
Nous naissons au « Nous » pour nous consacrer au don, à l’apprentissage, au partage. C’est modeste, c’est fragile, mais c’est immense à l’échelle d’une vie.
Au fond, la seule récolte vraiment certaine, c’est cette joie intérieure, discrète, de pouvoir se dire :
« Aujourd’hui, j’ai encore semé. Même si personne ne le voit, même si le monde s’en moque, moi je sais pourquoi je le fais. »
Et c’est peut-être là, dans ce geste têtu, que vit la sublime franc-maçonnerie :
dans la décision silencieuse de continuer à semer…
sans jamais exiger la récolte.




