On l’entend souvent : « La franc-maçonnerie n’est plus ce qu’elle était. »
Comme si l’Ordre avait faibli. Comme si ses symboles s’étaient érodés. Comme si la tradition avait perdu sa force.
La vérité est tout autre. Ce n’est pas l’Ordre qui s’affaiblit : ce sont les maçons qui se contentent de l’effleurer.
Aujourd’hui, trop de Frères traversent le rituel comme on traverse un musée fermé : on regarde, on passe, on oublie. On accumule des tabliers comme on collectionne des titres. On célèbre des idées qu’on ne prend plus la peine de comprendre. On parle de lumière sans jamais allumer la moindre étincelle intérieure.
La franc-maçonnerie n’est pas décevante.
Elle déçoit quand ceux qui la composent sont devenus spectateurs de leur propre initiation.
Il n’y a pourtant rien de plus provocant, rien de plus exigeant, rien de plus dangereux — au sens noble — que le travail maçonnique authentique : penser contre soi-même, polir ce qui résiste, lire ce qui dérange, écouter ce qui contredit, se confronter à ses angles morts et à ses évidences.
Mais tout cela suppose un mot que l’on prononce rarement, et que beaucoup aimeraient rayer du vocabulaire initiatique : effort.
L’effort de chercher.
L’effort de comprendre.
L’effort de devenir différent de la veille.
L’effort de ne pas se réfugier derrière les grands noms du passé pour masquer sa propre paresse.
Si la franc-maçonnerie déçoit, c’est parce qu’il est devenu socialement acceptable — parfois même élégant — d’y être sans y travailler.
On est fier d’en faire partie, mais on oublie d’en être digne.
On aime l’idée, mais pas la discipline.
On porte l’habit, mais on évite l’exigence.
Pourtant, l’Ordre n’a pas changé. C’est nous qui avons cessé de faire ce pour quoi il existe : nous transformer.
La question n’est donc pas : « Que devient la franc-maçonnerie ? »
La question est : Que faisons-nous de la franc-maçonnerie ?
Car un rite ne se vide pas tout seul.
Une loge ne s’éteint pas toute seule.
Une tradition ne s’affadit pas toute seule.
Ce sont les silences inutiles, les soirs d’absence intérieure, les esprits absents sous le bandeau, les réflexions bâclées, les livres jamais ouverts, les symboles jamais étudiés, les planches jamais terminées qui la rendent fade.
L’Ordre demeure puissant.
Mais il ne nourrit que ceux qui ont faim.
Et il n’éclaire que ceux qui acceptent de marcher vers la lumière plutôt que de poser leur chaise à côté.
Si la franc-maçonnerie déçoit parfois, c’est parce qu’elle exige encore de nous quelque chose que notre époque déteste :
la rigueur de se dépasser.
Réapprenons à travailler, à chercher, à douter, à questionner, à affûter notre jugement et notre âme.
Réapprenons à mériter ce que nous portons.
Réapprenons à mettre de la profondeur là où la facilité s’installe.
Et peut-être, alors, découvrirons-nous que la franc-maçonnerie n’a jamais déçu.
Elle attendait simplement que nous la prenions au sérieux.
Thomas W.Jackson




