Voici la contribution de Pierre Audureau à notre nouvelle rubrique « loge libre et insoumise » :
PAMPHLET EXPLICITE SUR LE JUGEMENT DE LA LOGE ANGLAISE 204
Un rêve passe….
Je fais depuis quelques semaines un cauchemar : sur la place de l’Étoile, à Paris, un grand bûcher est dressé, au-dessus de la flamme du Soldat Inconnu. Des livres brûlent. On distingue, pour ceux qui ne sont pas encore consumés, les noms de leurs auteurs, des Maçons, des partisans de la liberté de penser : Barat, Bauer, Pozarnik, Trébuchet, Dachez, Fontaine, Garibal, Fouqueray, Moreau, Jissey-Carletto, Pelle Le Croisa, Subrebost, Audureau… Le fronton de l’Arc de Triomphe est noirci par la suie du brasier. Les mots Liberté, Egalité, Fraternité, sont presque effacés.
Sur les Champs, un quarteron ayatollesque défile, en criant « Lisez le rituel, rien que le rituel ! Tout est dans le rituel ». Ils brandissent un petit livre rouge. Ce ne sont pas les pensées de Mao-Tsé-Toung, il y a écrit « Rituel » sur la couverture. Ils sont tous habillés d’une grande robe noire, ils ont une grande barbe qui descend jusqu’à la poitrine et portent un grand chapeau sur la tête. Décidément les péripéties de ma Loge bleue hantent mon esprit.
Quand le rêve devient réalité…
Il arrive parfois que des querelles de ménage fusent dans les Loges. La Vénérable Loge Anglaise 204 (Bordeaux, GLDF) n’y fait pas exception. Riche à ce jour de deux 33èmes membres du très fermé Suprême Conseil de France, riche de deux 30èmes qui tendent à aligner leur comportement sur leurs aînés, cette loge souffre actuellement de sinistrose. Une chape de plomb s’est répandue sur l’Atelier. Quelques Frères essaient, avec difficulté, de ramer à contre-courant. Mais les très hauts gradés, ne l’entendent pas de cette oreille. La chape de plomb leur convient parfaitement.
Justement trois Frères qui se considèrent comme des esprits libres, ont fondé une loge de recherche indépendante, qui n’initie pas et qui travaille seulement avec des Sœurs et des Frères au grade de Maître. Mal leur en a pris. Parmi les deux gradés sommitaux, l’un d’eux leur a foncé dessus comme un aigle fond sur sa proie. Les contrevenants ont été traînés vers un semblant de tribunal de la Loge. Celui-ci, ne respectant aucune des dispositions de la procédure maçonnique, a conclu à leur culpabilité, ne reconnaissant par là ni la liberté d’adhérer à une association 1901, ni le fait qu’ils prolongeaient ainsi au-dehors l’œuvre d’éducation entreprise dans le Temple, ni l’existence de loges semblables qui, elles, ne sont pas poursuivies. Bref lors d’une espèce de procès kafkaïen, les trois pestiférés ont dû, contraints et forcés, la mort dans l’âme, accepter de démissionner de leur œuvre extérieure, c’est-à-dire de la loge de recherche. Ils avaient le choix entre être exclus de la GLDF ou s’incliner. Ils ont préféré s’incliner. Condamnés pour ne pas avoir respecté un article des Règlements Généraux, par un tribunal qui a foulé trois autres articles à ses pieds.
Cet incident est fréquent dans les Loges. Alors qu’y a-t-il d’exceptionnel dans ce cas précis ? Rien, il y a eu de semblables situations dans d’autres temps et dans toutes les obédiences. Mais il arrive un jour où la coupe est pleine. Et ce temps est probablement arrivé. Les réseaux sociaux ont accéléré et densifié le mouvement de refus de ces déplorables abus de pouvoir.
C’est que, au-delà d’une caricature de procès inique, qui ressemble plus à une querelle de gamins dans un bac à sable, se pose un problème important, celui de l’indépendance des Loges bleues, et dans le cas précis qui nous occupe, de la GLDF par rapport au SCDF. Tout Frère de la GLDF le sait bien : se manifester en Loge bleue contre la volonté d’un cacique du SCDF, c’est s’exposer éventuellement à des mesures de rétorsion dans le cadre des Ateliers sous la juridiction du SCDF. Qu’un degré supérieur au vôtre vous déteste pour des raisons parfois anodines, et vous avez des chances de vous morfondre dans le marigot.
Il serait temps de réfléchir à ce phénomène du « souchage », où une Obédience confie la plupart de ses membres au Suprême Conseil qui la prolonge. Cela a pour conséquence, comme dans ce cas précis, de pourrir la vie des loges bleues où certains hauts grades, pas tous heureusement, abusent de leur pouvoir de nuisance pour imposer leurs diktats. Il serait temps aussi que des Frères réfléchissent à cette servitude volontaire qu’ils s’imposent, car ils ont frappé à la porte du Temple pour devenir des hommes libres dans une loge libre. Mais par la suite, ils acceptent tout le contraire, reniant ainsi les beaux principes auxquels ils ont souscrit lors de leur entrée dans l’Ordre maçonnique. Ces Frères devraient se pénétrer de la superbe phrase d’Etienne de la Boétie, « ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ». Et en tirer les conséquences.
Pierre Audureau




