Le 9 avril 2025, 24 Notícias / SAPO24 publiait un article intitulé « Lisboa Maçónica. Uma instituição que se confunde com a história da cidade », qui sert de base à ce portrait enrichi de la Franc-Maçonnerie lisboète. 24 Notícias
La Franc-Maçonnerie est, sans doute, l’une des institutions les plus mystérieuses et les plus controversées de l’histoire moderne. Depuis son apparition, elle a été tour à tour admirée et critiquée, persécutée et réhabilitée, interdite et célébrée. Oscillant entre des périodes d’ombre et de clandestinité et des moments d’éclat et d’influence, elle a accompagné de près les évolutions politiques, sociales et culturelles de nombreux pays.
À Lisbonne, son histoire est indissociable de celle du Portugal. De l’Inquisition à la Révolution des Œillets, en passant par les guerres libérales et la dictature de Salazar, la Franc-Maçonnerie lisboète a toujours été présente, souvent en première ligne, parfois en retrait, mais jamais absente.
C’est cette trajectoire riche et complexe que nous propose de découvrir Sérgio Luís de Carvalho dans son ouvrage « Lisboa Maçónica », publié chez Parsifal le 9 avril 2025. Véritable guide historique et patrimonial, ce livre révèle les racines profondes de la présence maçonnique dans la capitale portugaise.

Un récit balisé par deux dates fondatrices
L’auteur structure son étude entre deux bornes chronologiques :
- 1727, année du premier document attestant l’existence d’une loge maçonnique à Lisbonne, connue sous le nom de Loge des Marchands Hérétiques ;
- 1974, date de la Révolution des Œillets qui met fin à près de 40 années de dictature et permet à la Franc-Maçonnerie portugaise de renaître à la lumière.
Entre ces deux dates, près de deux siècles et demi d’histoire marqués par des luttes, des répressions, mais aussi des triomphes et des moments d’influence culturelle et politique.
Quatre grandes périodes de l’histoire maçonnique lisboète
1. Des débuts au triomphe libéral (1727-1834)
La première loge lisboète est créée en 1727 au Beco dos Açúcares, près du Tage. Fondée par l’Écossais William Dugood, bijoutier et espion à la biographie romanesque, elle est vite surveillée par l’Inquisition, qui lui donne le nom de « Loge des Marchands Hérétiques ».
Cette époque est dominée par l’absolutisme royal et le contrôle ecclésiastique. L’Inquisition considère immédiatement la Franc-Maçonnerie comme une menace pour l’ordre religieux et politique. La clandestinité devient la règle, et les archives de l’Inquisition constituent aujourd’hui nos principales sources sur cette période.
2. Du libéralisme à la dictature militaire (1834-1926)
La victoire libérale de 1834 marque un tournant : les loges se multiplient et la Franc-Maçonnerie gagne en visibilité. Elle devient un lieu de sociabilité intellectuelle et politique, souvent fréquenté par les élites.
Mais cette popularité a son revers : divisions internes, querelles d’obédience et rivalités politiques se reflètent à l’intérieur même des loges. Malgré tout, la Maçonnerie contribue à diffuser les idéaux républicains et à nourrir la vie culturelle portugaise.
3. Les années noires de l’Estado Novo (1926-1974)
Le coup d’État militaire de 1926 et l’instauration de l’Estado Novo par Salazar plongent la Franc-Maçonnerie dans une nouvelle ère de répression. Dès 1935, elle est officiellement interdite.
Les maçons deviennent des cibles privilégiées de la police politique (PIDE). Certains s’exilent, d’autres poursuivent leurs activités en secret. Plusieurs s’engagent dans la lutte antifasciste, participant activement à la résistance.
L’ouvrage revient aussi sur un épisode marquant : la controverse de 1935 impliquant Fernando Pessoa, qui publia alors des écrits ambigus sur la Maçonnerie, utilisés par les antimaçons pour justifier leur combat. Cet épisode illustre bien la lutte idéologique entre obscurantisme et liberté intellectuelle qui traverse le Portugal du XXe siècle.
4. Patrimoine et géographie maçonnique de Lisbonne
Au-delà de l’histoire politique, l’auteur propose un parcours dans Lisbonne, à la recherche des lieux où l’empreinte maçonnique est visible : symboles discrets sur des bâtiments, toponymie, lieux de réunion ou d’anciens conventicules.
Cette approche patrimoniale permet de comprendre comment la Franc-Maçonnerie a façonné, parfois de manière invisible, le paysage urbain et culturel de la capitale.
Un ouvrage accessible mais rigoureux
« Lisboa Maçónica » n’est pas un traité universitaire. L’auteur adopte une écriture claire, sans appareil critique lourd, afin de toucher un large public. Pas de notes de bas de page, mais une bibliographie solide qui permet d’approfondir.
Sérgio Luís de Carvalho s’appuie notamment sur les travaux de deux grandes figures de l’historiographie portugaise : António Ventura et A.H. de Oliveira Marques, son regretté mentor.
Ce choix d’accessibilité n’enlève rien à la rigueur : chaque affirmation repose sur des recherches solides, confrontées aux sources disponibles.
Lisbonne 1727 : la Loge des Marchands Hérétiques
Le récit s’attarde particulièrement sur la première loge lisboète, fondée en 1727 par William Dugood, personnage mystérieux, à la fois bijoutier, agent double et aventurier.
À cette époque, Lisbonne vit sous le règne fastueux de Jean V, marqué par l’afflux d’or du Brésil, mais aussi par la misère d’une grande partie de la population et la toute-puissance de l’Inquisition.
La Loge des Marchands Hérétiques, fréquentée principalement par des commerçants britanniques, est régularisée en 1735 par la Grande Loge de Londres. Elle sera bientôt la cible de l’Église, qui multiplie condamnations et persécutions.
L’encyclique In eminenti apostolatus specula du pape Clément XII (1738) condamne formellement la Franc-Maçonnerie. L’influence de ce texte sera déterminante : la persécution s’intensifie, l’excommunication frappe les maçons, et Lisbonne devient un terrain d’observation privilégié des affrontements entre autorité ecclésiastique et liberté de pensée.
Une plongée dans l’histoire vivante de Lisbonne
En retraçant trois siècles de présence maçonnique, Sérgio Luís de Carvalho nous montre combien la Franc-Maçonnerie est intimement liée au destin de la capitale portugaise. Entre clandestinité, résistance, influence politique et empreinte culturelle, elle a façonné une partie de l’identité de Lisbonne.
« Lisboa Maçónica » est donc bien plus qu’un livre d’histoire : c’est une invitation à regarder la ville autrement, à lire ses rues, ses bâtiments et son patrimoine comme autant de témoins silencieux d’une histoire longtemps cachée.




