Un petit billet d’humeur maçonnique en ce dimanche : Le smartphone au Temple : profane 2.0 ou nouvel outil d’atelier ?
Il y a des soirs où le vrai maillet n’est plus en bois : c’est un rectangle noir qui vibre au fond des poches. On l’entend à peine, mais on le sent partout. Un souffle, une LED qui clignote, et déjà les regards dérapent de la Colonne à la petite luciole bleue. Nous voudrions croire que la Tenue est un sanctuaire, mais notre époque a glissé un hôte discret sous les gants : le smartphone.

On me dira : « Ce n’est qu’un outil ». Je veux bien. L’équerre et le compas aussi sont des outils — mais nous avons jugé bon de leur donner un sens, une place, un temps. Or le smartphone n’a ni mesure ni frontière par défaut : il déboule avec sa cohorte de notifications, ses urgences imaginaires, son marché vacillant de l’attention. Il convoque le monde profane au cœur du Temple, au moment même où nous tentons de le laisser à la porte.
Quand l’écran vole le silence
Le silence n’est pas l’absence de sons ; c’est l’espace d’un autre type d’écoute. Un téléphone posé face cachée continue de parler : à nous, par l’appel du geste ; aux autres, par le soupçon d’une disponibilité parallèle. L’attention partagée est une attention amputée. Et qu’est-ce qu’un rituel sinon une dramaturgie de la présence ? À quoi bon peaufiner les enchaînements si, au mitan d’une planche, la salle bascule dans le réflexe pavlovien du « je vérifie vite » ?
L’illusion de l’archive totale
Je connais la tentation : photographier le tableau de loge, capturer la citation, stocker « pour plus tard ». Mais l’initiation n’est pas un Google Drive. La mémoire qui transforme n’est pas celle des octets ; c’est celle qu’on grave en soi en y revenant, sans prothèse. À force d’empiler des clichés, on finit par ne plus regarder ; à force d’enregistrer, on oublie d’entendre.
Et pourtant… l’outil peut servir
Ne jetons pas le bébé numérique avec l’eau lustrale. Un téléphone peut dépanner une absence de maillet (métronome), sauver une planche (téléprompteur en mode avion), aider un Frère malvoyant (polices agrandies), sécuriser l’accueil (appel d’urgence). L’outil n’est pas coupable : c’est notre paresse de réglage qui l’est.
Vers une sobriété numérique rituelle
Plutôt que des interdictions morales, adoptons une liturgie de l’usage :
- Bascule rituelle : à l’ouverture des travaux, passage collectif en mode avion (montres connectées comprises).
- Coffret des regards : une corbeille dédiée à l’entrée pour qui veut se libérer totalement — non par contrainte, par choix.
- Tolérance cadrée : seules dérogations annoncées par le VM (astreintes, urgences médicales).
- Éthique de la discrétion : pas de photos en Tenue ; les moments partagés se vivent, ils ne se postent pas.
- Après Tenue : un temps profane assumé, café et messages — la coupure redevient pont.
Mon petit « J’accuse » (amical)
J’accuse nos notifications d’avoir plus de coffre que nos marteaux.
J’accuse notre besoin d’être joints de nous avoir rendus absents à nous-mêmes.
J’accuse la facilité d’avoir grignoté le sacré par les bords.
Et je nous absous sur-le-champ… si nous reprenons la main. Non par nostalgie, mais par fidélité à ce que nous venons chercher ici : du relief, du temps long, du regard entier. La modernité ne nous oblige pas à l’ivresse des écrans ; elle nous invite à choisir nos ivresses. Tenons le smartphone comme nous tenons l’équerre : utile, exact, à sa juste place.
Que la prochaine vibration attende dehors : nous avons mieux à entendre dedans.




