L’APPRENTI, CE TYPE QU’ON MET AU FOND
Dans une loge, tout le monde a sa place.
L’Apprenti, lui, a la place : tout au fond, côté Nord.
Là où on ne risque pas de le confondre avec quelqu’un qui sait encore ce qu’il fait.
Il arrive, on lui dit :
— Assieds-toi ici. Observe. Écoute. Ne parle pas.
Et il obéit. Parce qu’à ce moment-là, il est encore persuadé que tout le monde ici sait exactement ce qu’il doit faire.
Le silence ? Il découvre.
La frustration ? Aussi.
Parce que, soyons honnêtes : dans la vraie vie, personne ne se tait jamais.
On commente, on opine, on sur-joue.
Ici, non.
Ici, on avale ses mots comme on ravale son ego : calmement… ou pas.

Depuis sa chaise au fond, il voit tout.
Et très vite, il comprend une chose :
la loge n’est pas composée de maîtres zen en lévitation.
Il y a les pressés de briller, les collectionneurs de titres, les grands mystiques de comptoir — et puis les sincères, les discrets, ceux qui sont venus pour travailler vraiment.
Lui, il regarde.
Parce que c’est tout ce qu’il a le droit de faire.
Mais c’est déjà beaucoup.
Il remarque que certains parlent beaucoup mais ne disent rien.
Que certains se taisent et construisent.
Que la fraternité se voit moins dans les discours que dans les gestes mineurs :
tenir une porte, laisser une place, accueillir un silence sans le remplir.
Petit à petit, il comprend :
sa place “au fond” n’est pas une punition.
C’est une mise à distance du théâtre.
Une zone tampon, pour apprendre à respirer avant de s’y mêler.
On ne le protège pas du Soleil.
On le protège du spectacle.
Et, étrangement, ça fait du bien.
Un jour, il parlera.
Quand il aura quelque chose à dire.
Pas avant.
Et ça, dans un monde qui confond parler avec exister, c’est presque révolutionnaire.




