Il suffit parfois de trois figurines en argile pour révéler l’état d’un pays. Non pas son état spirituel. Son état nerveux.
Je viens de lire un papier qui raille ces « anticrèches » qui, chaque mois de décembre, dégainent recours, indignations et communiqués comme on brandit un glaive au nom d’une laïcité devenue suspicieuse de tout, y compris d’un âne, d’un bœuf et d’un ravi.
- Voir article NLTO : Qui sont les croisés (euh non…) anticrèches qui s’indignent pour 3 santons dans une mairie ?
Et là, ma sensibilité de franc-maçon se met à grincer. Parce que dans ce débat, on confond tout : le droit, le symbole, la mémoire collective, l’intention… et l’ego.

LA LAÏCITÉ N’EST PAS UN MARTEAU POUR ÉCRASER LES SYMBOLS
En loge, on apprend vite une chose : un symbole n’est pas une preuve, et une présence n’est pas une agression. Une crèche dans une mairie peut être, selon le contexte, un marqueur religieux… ou un élément de folklore, une mise en scène culturelle, une habitude locale. La République n’est pas fragile au point de vaciller devant un décor.
D’ailleurs, le droit français n’est pas binaire. Le Conseil d’État a précisément encadré les crèches installées par des personnes publiques : il faut apprécier le contexte, l’absence de prosélytisme, les conditions d’installation, l’existence d’usages locaux, et le lieu.
On est donc très loin du grand concours d’hystérie : crèche = complot clérical.
L’ERREUR DES « PURISTES » : PRENDRE LA NEUTRALITÉ POUR UNE RELIGION
Oui, l’État doit être neutre. Oui, l’espace public appartient à tous. Mais quand la neutralité devient une foi punitive, on ne protège plus la liberté de conscience : on fabrique une police des signes.
La loi de 1905 interdit d’apposer des emblèmes religieux sur les monuments publics et emplacements publics, avec des exceptions (lieux de culte, cimetières, musées/expositions…).
Ce texte vise une idée simple : l’État ne doit pas afficher une préférence religieuse. Mais il n’a jamais été écrit pour transformer le pays en salle blanche aseptisée, où le moindre héritage culturel serait traité comme une contamination.
L’ERREUR DES « ANTI-ANTICRÈCHES » : RÉGLER LE COMPTE DES GENS AU LIEU DE RÉGLER LE SUJET
À l’inverse, l’article que tu cites s’emporte, caricature, distribue des étiquettes, et finit par viser des organisations et même une « franc-maçonnerie tendance GODF » comme si toute une tradition initiatique pouvait être réduite à une posture de prétoire. NLTO
Et là aussi, c’est problématique.
Parce qu’en franc-maçonnerie, on devrait savoir faire la différence entre :
- défendre un principe (la neutralité de l’État),
- et jouir du principe (le brandir pour humilier l’adversaire).
Des deux côtés, on voit trop souvent la même maladie : l’addiction à la bataille symbolique, celle qui permet de se sentir vertueux à peu de frais.
EN LOGE, ON NE CHASSE PAS LES SANTONS : ON CHASSE LE DOGME
Ce qui menace la République, ce n’est pas un petit décor de Noël.
Ce qui la menace, c’est notre capacité à transformer n’importe quoi en procès d’intention.
Le vrai combat maçonnique, ce n’est pas “pour ou contre la crèche”.
Le vrai combat, c’est :
- contre la paresse de la pensée,
- contre la jouissance de l’indignation,
- contre les certitudes qui ne cherchent plus la vérité.
Car une laïcité adulte ne tremble pas devant un symbole : elle le situe, elle l’interprète, elle l’encadre si nécessaire — et elle garde la tête froide.
ALORS, ON FAIT QUOI ?
On redescend d’un cran.
- Si la crèche est un affichage confessionnel, dans un lieu et un contexte qui marquent une préférence religieuse : on la retire. Point. (Le droit sait le faire.)
- Si la crèche est un élément culturel/festif, inscrit dans un contexte local, sans prosélytisme : on arrête d’y voir un “coup d’État liturgique”.
- Et surtout : on cesse d’utiliser la laïcité comme une matraque identitaire, ou comme une provocation permanente.
Parce qu’au final, le scandale n’est pas dans la mairie.
Il est dans nos têtes : dans cette incapacité grandissante à supporter que le monde soit nuancé.
Trois santons, et certains veulent une guerre.
Frère, si tu cherches un ennemi, regarde plutôt du côté de ce qui durcit ton cœur. C’est là que commencent les véritables profanations.




