On raconte qu’un jour, au sein de la chaîne d’union universelle, une épidémie frappa les loges avec une violence telle que même les colonnes en tremblèrent. Le mal était sournois, rampant, contagieux : la Cordonite.
Un fléau si terrible qu’il fit disparaître d’un coup les planches sérieuses, les rituels vécus, les travaux féconds. Les tablettes devinrent vides comme les discours des ambitieux, et les agapes se changèrent en réceptions de haute cour vêtues de velours et d’argent.
◼ Quand la Loge devient Fashion Week
Sous l’emprise du mal, les Frères n’avaient plus d’autre souci que de choisir le bon sautoir, le bon cordon, la bonne breloque — bref, l’accessoire adéquat pour briller plus fort que Sirius au firmament symbolique.
Les colonnes bruissaient moins de sagesse que de chuchotements :
— « Regarde celui-là, il a rejetoné le cordon bleu alors qu’il est passé pourpre ! »
— « Et l’autre, là-bas, il porte du brodé or… or il n’est même pas adjoint suppléant honoraire »
— « Quelle honte ! Quelle décadence ! Quel… manque de goût ! »
Le rituel ? Un vague prétexte.
L’initiation ? Un brouillard.
Le travail intérieur ? Une décoration parmi d’autres.
La Loge n’était plus qu’un showroom de la vanité.
◼ Conseil Fédéral : séance de purification… ou de parade ?
Réuni en urgence, le Conseil Fédéral déclara qu’il fallait trouver le responsable du cataclysme.
Chacun alors, dans un élan de fausse humilité — exercice maçonnique très bien maîtrisé — s’accusa à demi-mot :
— « J’avoue avoir porté mon sautoir au marché pour qu’on me reconnaisse… »
— « J’avoue avoir accepté trop de médailles… malgré ma nature si simple »
— « J’avoue être passé dans trois degrés supérieurs en six mois… par pure abnégation »
Les applaudissements nourris couvrirent presque les tintements des métaux qu’ils secouaient en parlant.
À l’issue des débats, personne ne fut déclaré coupable.
Les Grands Officiers furent blanchis plus vite qu’un tablier en coton neuf.
Même les Maîtres, bardés de rubans et d’excuses, furent absous.
Le pouvoir, voyez-vous, fatigue surtout ceux qui ne l’ont pas.

◼ Le Sacrifié : l’Apprenti
Restait le plus faible, le plus petit, le plus craintif :
l’Apprenti.
Le malheureux avoua — naïvement — avoir un jour porté un cordon qui n’était pas de son grade. Une faute ? Un détail !
Mais dans un monde où la broderie fait loi, le détail devient crime capital.
Il fut donc déclaré :
— Paria du Temple
— Incarnation de la dégénérescence symbolique
— Responsable de l’Apocalypse cordonière
On le condamna rituellement, moralement, symboliquement — et presque physiquement — pour apaiser la fièvre de ceux qui tremblaient non de sagesse, mais de perdre leurs galons.
◼ Morale (très) maçonnique
Selon que vous serez Membre Éminent ou Petit Initié,
Le Temple et ses rubans vous jugeront blanc… ou noir.
La tradition dit : « Sur le pavé mosaïque, tout est équilibre. »
La pratique répond :
« Sur le pavé mosaïque, certains t’écrasent plus volontiers que d’autres. »
Mais après tout, ne dit-on pas que la Maçonnerie enseigne l’humilité ?
— Oui, mais seulement quand elle peut se porter en sautoir.
- Billet d’humeur basé sur l’article : La peste cordiniteuse




