Je n’échangerais jamais mes amis incroyables, mes frères et sœurs maçonniques bien-aimés, ma loge vivante, ma famille fraternelle contre un tablier plus immaculé ou un rituel exécuté sans fausse note.
Avec le temps, j’ai appris à être plus indulgent envers moi-même comme envers mes Frères. J’ai cessé de chercher la perfection des gestes pour savourer la beauté des intentions. J’ai compris qu’en loge aussi, il est permis d’être imparfait.
Je ne me reproche pas d’avoir trébuché sur une planche, d’avoir oublié un mot dans le rituel, ou d’avoir acheté une médaille maçonnique totalement kitsch, mais qui me fait sourire à chaque fois que je la regarde. Oui, j’ai le droit d’être parfois cérémonieux, parfois fantasque.
J’ai vu partir trop tôt des Frères que j’aimais profondément, avant même qu’ils n’aient eu le temps de goûter pleinement la liberté intérieure que l’initiation nous promet. Leur absence me rappelle chaque jour que le temps en loge, comme en vie, est un trésor.

Qui viendra me juger si je décide de rester éveillé à méditer sur un symbole jusqu’à trois heures du matin, ou si je préfère danser après les agapes, un verre à la main, en fredonnant des chansons qui n’ont rien de rituel ? Je le ferai, parce que l’essentiel n’est pas d’être conforme mais d’être vrai.
Je me tiendrai debout en loge, peut-être avec mes cheveux gris et ma mémoire parfois hésitante, mais avec l’envie intacte de chercher la Lumière. Et si l’on voit dans mon regard plus de fatigue que d’éclat, qu’importe : derrière les rides, il y a la joie d’avoir cheminé.
Bien sûr, la vie m’a brisé le cœur. J’ai pleuré des pertes, j’ai accompagné des Frères dans l’épreuve. Mais c’est aussi cela qui rend la fraternité précieuse : partager la douleur comme on partage la lumière. Un cœur qui n’a jamais souffert n’a pas appris à aimer.
Je rends grâce d’avoir vécu assez longtemps pour que mes cheveux deviennent argentés et que les éclats de rire des tenues fraternelles soient gravés à jamais sur mon visage. Beaucoup n’ont jamais connu ce bonheur, beaucoup sont partis trop tôt.
Vieillir en maçonnerie, c’est aussi gagner une liberté nouvelle : celle de ne plus craindre le regard des autres, de se dire qu’un oubli ou un faux pas ne sont rien comparés à la sincérité du geste. J’ai gagné le droit de me tromper et le devoir de continuer à chercher.
Alors, oui : j’aime vieillir dans la fraternité. J’aime la personne que la franc-maçonnerie m’a aidé à devenir. Je ne vivrai pas éternellement, mais tant que j’aurai un souffle, je ne perdrai pas de temps à regretter les colonnes que je n’ai pas franchies, ni à craindre celles qui viendront.
Et si un soir je veux lever mon verre aux agapes, fumer un cigare en discutant symbolisme, ou croquer un morceau de pain en toute simplicité, je le ferai avec gratitude.
Que cette amitié – entre moi et moi-même, entre moi et mes Frères – ne soit jamais rompue, car elle vient directement du cœur.




