La figure de George Washington, premier président des États-Unis et symbole fondateur de la nation américaine, reste entourée de mythes, de projections idéologiques et de débats contemporains. Entre ceux qui le présentent comme un pur produit du « nationalisme chrétien » et ceux qui soulignent son appartenance maçonnique comme une preuve supposée d’irréligion, l’image du « Père de la Patrie » oscille au gré des interprétations.
L’historienne Susan Hanssen propose ici un éclairage nuancé, débarrassé des caricatures.
- Susan Hanssen, « The Christian Character of George Washington », Crisis Magazine, 7 novembre 2025. [En ligne] Disponible à : https://crisismagazine.com/opinion/the-christian-character-of-george-washington
UN DÉBAT MODERNE AUX RACINES ANCIENNES
À l’heure où les jeunes conservateurs américains s’affrontent sur la question de la « fondation chrétienne » des États-Unis, une interrogation revient sans cesse :
Washington était-il avant tout chrétien ou franc-maçon ?
L’Église catholique, au XIXᵉ siècle, a longtemps alimenté l’idée d’un Washington anti-catholique, déiste ou détaché du christianisme. À l’inverse, certains auteurs catholiques irlandais d’Amérique ont entretenu des récits hagiographiques : conversion secrète sur son lit de mort, apparition mariale à Valley Forge… des légendes qui traduisent surtout une admiration sincère.
Ce contraste révèle une vérité simple :
chacun a voulu faire de Washington le reflet de sa propre vision de l’Amérique.

LE PORTRAIT SIMPLISTE : UN CHRÉTIEN TIÈDE ET UN FRANC-MAÇON ACTIF
L’historien Paul Johnson, dans sa biographie de 2005, brosse un tableau sévère : Washington serait un chrétien sans ferveur, assidu « par convenance », peu lecteur de textes religieux, et plus engagé en franc-maçonnerie qu’en religion.
Selon Johnson, Washington aurait :
- rarement évoqué le Christ ou Jésus,
- prêté serment sur une Bible maçonnique,
- participé aux rituels maçonniques marquants (première pierre du Capitole, funérailles maçonniques).
Une lecture qui repose sur une vision très moderne — donc anachronique — de la foi du XVIIIᵉ siècle.
RELIGION AU XVIIIᵉ SIÈCLE : ENTRE DÉCORUM ET RÉSERVE SACRÉE
Hanssen rappelle que l’interprétation de Johnson méconnaît trois points essentiels :
1. Le “décorum” n’est pas un manque de foi
Le XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècle anglo-protestant valorisait une religiosité digne, rationnelle, liturgique, loin de l’enthousiasme émotionnel des évangéliques.
Ne pas s’exalter ne signifie pas ne pas croire.
2. La rare mention du nom de Jésus n’est pas suspecte
La retenue langagière s’explique par une révérence sacrée. Les croyants parlaient par périphrases (« Auteur divin de notre religion »), jugées plus respectueuses.
3. Washington lisait bel et bien des ouvrages religieux
Sa bibliothèque contenait sermons, prières, écrits moraux, Bible, Livre de la prière commune.
La « Providence », mot que Washington emploie abondamment, n’est pas un terme déiste mais profondément chrétien, soulignant l’action de Dieu dans l’histoire.
WASHINGTON FRANC-MAÇON : UN FAIT, MAIS PAS UNE DOCTRINE
Il est historiquement incontestable que Washington fut initié franc-maçon en 1752, et que certaines cérémonies publiques furent marquées par la présence de loges.
Mais :
- il fréquenta très peu sa loge,
- son assiduité était faible,
- rien ne prouve qu’il ait adhéré à un anticatholicisme maçonnique.
Au contraire, plusieurs faits importants montrent une ouverture rare dans l’Amérique protestante de son époque :
- Il interdit les célébrations anti-catholiques de Guy Fawkes dans l’armée continentale.
- Sa maison de Mount Vernon abritait des images de la Vierge Marie et de Saint Jean, fait exceptionnel.
- Il soutint la création de Georgetown, première université catholique américaine.
Washington incarne donc davantage un tolérant éclairé qu’un anticatholique militant.
LE TEST DÉFINITIF : L’ESCLAVAGE ET LA CONSCIENCE MORALE
Si l’on juge un homme moins à ses affiliations qu’à ses actes, alors le geste le plus révélateur de Washington est clair :
il est le seul Père fondateur esclavagiste à avoir affranchi tous ses esclaves.
Et il ne s’agit pas d’une décision symbolique :
- affranchissement total prévu par testament,
- interdiction de séparer les familles,
- rente versée à chaque ancien esclave,
- formation professionnelle offerte.
Un effort titanesque dans une Virginie où les planteurs étaient souvent piégés dans un cycle de dettes perpétuelles.
Là où Jefferson et Madison échouèrent sous le poids des créanciers, Washington réussit en combinant discipline économique, conviction morale et volonté spirituelle.
UN PORTRAIT NUANCÉ ET JUSTE
Washington ne fut ni un rationaliste froid, ni un dévot exalté, ni un maçon anti-catholique.
Il fut un homme du XVIIIᵉ siècle :
- profondément croyant,
- respectueux de la Providence,
- tolérant dans une époque peu tolérante,
- marqué par l’esprit civique,
- déterminé à agir selon sa conscience.
Ses actes — plus que les mythes qui l’entourent — témoignent de la force d’un caractère animé par des convictions morales authentiques.
CONCLUSION : FIN DU MYTHE, PLACE À L’HISTOIRE
Susan Hanssen invite à sortir des lectures idéologiques simplistes.
Washington n’appartient ni aux nationalistes chrétiens, ni aux détracteurs antimaçonniques, ni aux mythologues catholiques.
Il appartient à l’histoire.
Et cette histoire montre un homme qui, malgré ses limites, chercha sincèrement à unir foi, raison, vertu civique et justice — jusqu’à affranchir ceux que sa naissance l’avait placé au-dessus.
Un héritage qui dépasse largement les querelles contemporaines.




