Il arrive, parfois, que l’on se sente naïf pour avoir été honnête, sincère ou simplement bon.
Comme si la bonté était une faute. Comme si la bienveillance était une faiblesse.
Comme si, dans le monde tel qu’il tourne aujourd’hui, celui qui choisit la vérité était nécessairement « l’idiot » de l’histoire.
Cette expérience n’a rien de nouveau.
Fiodor Dostoïevski, l’un des plus grands écrivains de l’âme humaine, l’avait déjà compris au XIXᵉ siècle. Sa vie, marquée par la douleur, l’exil, la maladie et la méditation sur la condition humaine, l’a conduit à écrire L’Idiot, un roman qui interroge exactement cela : que devient la bonté dans une société malade ?
Dostoïevski, l’homme qui a vu l’abîme
Né en 1821 à Moscou, Dostoïevski perd ses deux parents trop tôt, passe par une école militaire, frôle l’exécution pour avoir fréquenté un cercle intellectuel dissident, puis passe des années de bagne en Sibérie, enchaînant travaux forcés et crises d’épilepsie. Il revient transformé, brisé mais lucide, portant une connaissance de l’âme humaine que peu ont atteinte avec autant d’intensité.
Il sait ce qu’est l’humiliation. Il sait ce qu’est la souffrance. Mais surtout, il sait ce qu’est l’espérance, lorsque tout semble perdu.
Le prince Mychkine : la pureté au milieu des masques
Dans L’Idiot, Dostoïevski imagine un homme : le prince Mychkine. Un être bon. Pur. Bienveillant. Lucide sans être cynique.
Pas naïf : innocent.
Et c’est précisément ce qui le condamne.
Dans une société où chacun dissimule ses intentions, où l’on feint, où l’on calcule, où l’on manipule, Mychkine refuse le mensonge. Il ne sait pas jouer. Il ne sait pas tricher. Il voit l’autre, simplement, sincèrement. Et c’est précisément pour cela que l’on le traite d’idiot.
Ce que révèle le roman est brutal : plus la bonté est authentique, plus elle dérange.
Car elle nous rappelle ce que nous avons oublié. Ou renié.

En quoi cela nous concerne-t-il, nous franc-maçons ?
On pourrait croire que la bonne moralité maçonnique ne concerne que la douceur, la charité ou la bienveillance. Mais elle est bien plus profonde : elle consiste à agir selon ce qui est juste, même lorsque cela coûte.
Être franc-maçon, ce n’est pas être « gentil ».
C’est refuser le cynisme.
C’est ne pas céder à la vulgarité du monde.
C’est se tenir debout, même lorsque cela dérange.
Le prince Mychkine représente cette droiture intérieure, cette fidélité à ce que l’on est, même lorsque l’environnement entier pousse à l’opposé. Il incarne le frère qui ne cède ni à l’orgueil ni à la vanité, celui qui travaille son Temple intérieur quand tant d’autres ne travaillent que leur apparence.
La question n’est donc pas : « Être juste fait-il de nous des idiots ? »
La question est :
Sommes-nous capables de rester justes dans un monde qui ne l’est plus ?
La joie dans la fidélité
Ce roman rappelle une vérité essentielle :
la bonté n’est pas faiblesse, mais force.
La sincérité n’est pas naïveté, mais courage.
La compassion n’est pas soumission, mais résistance intérieure.
Ce travail n’est pas spectaculaire. Il est souvent invisible, silencieux, fatigant. Mais il transforme le monde, un être après l’autre.
Dostoïevski écrit : « L’idiot était le plus sain d’esprit parmi les malades. »
Et si c’était cela, la véritable sagesse ?
Ne pas devenir semblable à la corruption que l’on observe.
Ne pas rendre la brutalité.
Ne pas renoncer à la lumière.
Conclusion
Le plus grand combat de notre vie n’est pas contre les autres. Il est contre le monde qui nous pousse à devenir ce que nous ne voulons pas être.
Nous ne sommes pas appelés à paraître intelligents.
Nous sommes appelés à rester humains.
Et parfois, oui, cela fait de nous des « idiots » aux yeux du monde. Mais aux yeux de l’âme, cela fait de nous des bâtisseurs de lumière.




