Il y a des jours où l’on se demande si, en Franc-Maçonnerie, nous bâtissons encore quoi que ce soit — visible ou invisible. À force d’entendre parler de « Lumière », de « symbolisme », de « tradition », on finirait presque par croire que nous avons oublié l’essentiel : construire. Pas des discours. Pas des commémorations. Pas des titres ronflants. Non : bâtir.
Alors quand une conférence publique annonce fièrement « Bâtir pour l’invisible », j’avoue : un sourire ironique m’a échappé.
L’invisible ? Vraiment ?
Déjà que le visible, souvent, repose sur des échafaudages branlants…
Ne nous mentons pas.
Dans nos loges comme dans nos temples intérieurs, on croise parfois plus de décorateurs que de bâtisseurs, plus de consommateurs de symboles que de chercheurs de sens. Certains accumulent les décors comme d’autres collectionnent les points de fidélité au supermarché. Et que dire de ceux qui parlent de spiritualité comme d’un accessoire à la mode, un parfum discret qu’on vaporise juste avant d’entrer en tenue…

Pourtant, l’idée est belle : bâtir pour l’invisible, c’est reconnaître que ce qui compte le plus ne se voit pas. Ni sur les tabliers, ni sur les cordons, ni sur les discours qu’on relit pour la quinzième fois.
Ce qui compte se joue dans le travail, dans la transformation lente, presque ingrate, qui ne laisse aucune médaille, seulement une cicatrice ou deux, et peut-être un début de lucidité.
Alors oui, cette conférence tombe à point nommé.
Parce que nous oublions trop souvent que les bâtisseurs d’hier — les vrais — vivaient dans la poussière, pas dans les salons. Qu’ils risquaient leur peau sur des échafaudages pour ériger des cathédrales dont ils ne verraient jamais l’achèvement.
Et nous, que faisons-nous ?
Nous débattons pour savoir si l’on doit dire « Vénérable Maître » ou « Présidente de loge », si la colonne du Nord respire suffisamment, ou si la tenue durera plus d’1h30 parce que « demain, je travaille ».
Bâtir pour l’invisible… ce serait peut-être commencer par faire tomber ce qui encombre le visible : l’ego, le confort, les certitudes.
Ce serait retourner à l’essentiel : apprendre, chercher, douter, écouter.
Et surtout : travailler.
Alors oui, allons à cette conférence.
Écoutons parler de la tour de Babel, de Notre-Dame, des sanctuaires anciens.
Mais surtout, souvenons-nous que l’ouvrage que nous avons juré de bâtir n’a pas de pierres et ne possède aucune façade. Il ne se photographie pas, il ne s’orne pas, il ne se parade pas.
Parce que le vrai chantier — le seul qui vaille — se trouve derrière nos propres yeux.
Invisible.
Et terriblement exigeant.




