Il y a des dates dont la mémoire ne s’efface pas, même lorsque les pierres des monuments s’effritent et que les drapeaux se ternissent. Le 11 novembre 1918 est de celles qui ne se commémorent pas seulement avec des discours, mais avec un silence. Un silence lourd, ancien, presque sacré.
Celui qui précède la parole juste.
On dit souvent que la Grande Guerre a « changé le monde ». C’est vrai.
Mais elle a surtout changé les hommes. Ceux qui sont partis, ceux qui ne sont pas revenus, et ceux qui ont vécu avec l’absence — cette présence muette qui prend place à table sans qu’on l’invite.
Dans nos temples, ce jour n’est pas qu’un épisode historique.
Il est un rappel que la Fraternité n’est jamais acquise. Elle doit être construite, encore et encore, contre la peur, contre les haines faciles, contre les murs qui séparent les hommes.
La Franc-maçonnerie, alors, n’était pas à l’écart. Dans les loges, les Frères partaient en uniforme, laissant leur tablier dans l’armoire du Temple, comme on laisse une part de soi en espérance. Beaucoup ne l’ont jamais repris.
Sur les colonnes, leurs noms résonnent encore.

Nous commémorons ce jour-là le vacarme du canon, mais nous célébrons surtout le retour du silence : un silence qui permet de se reconstruire et d’écouter ce qui en nous demeure humain, malgré tout.
Aujourd’hui, alors que les tensions, les frontières, les identités s’aiguisent à nouveau, il est tentant d’oublier.
D’oublier que l’autre n’est jamais l’ennemi, mais le miroir incompris.
D’oublier que la paix ne naît pas de la victoire, mais du renoncement à vaincre.
Le 11 novembre nous regarde et nous interroge :
Sommes-nous capables d’être frères lorsque le monde ne nous y oblige plus ?
Commemorer n’est pas se tourner vers le passé.
C’est se rappeler ce que nous devons encore accomplir.
Dans la lumière fragile de nos loges, nous perpétuons ce vœu silencieux :
Que la fraternité reste vivante.
Qu’elle soit œuvre.
Qu’elle soit réalité.
Ce n’est pas un souvenir.
C’est un chantier.




