Il y a des anniversaires qui devraient apaiser. Et pourtant, les 120 ans de la loi de 1905 ressemblent, en France, à une nouvelle foire d’empoigne. La République commémore, colloque, “semaine de la laïcité”, grands discours, dossiers officiels…
Et dans le même temps, dans la vraie vie, la laïcité devient trop souvent un mot qu’on brandit — moins pour protéger la liberté de conscience que pour se donner raison.
De mon point de vue maçonnique, c’est là le nœud : la laïcité n’est pas une identité, c’est une méthode de paix civile. Un cadre. Un compas. Pas un gourdin.
1905 : une loi faite pour faire baisser la fièvre, pas pour la rallumer
Qu’on le rappelle sans trembler : la loi de 1905, c’est d’abord un compromis historique qui vise à permettre la coexistence, en garantissant la neutralité de l’État et la liberté de conscience. Elle n’a pas été pensée pour humilier les croyants, encore moins pour traquer les signes, les prénoms ou les silhouettes.
Que des institutions de la République publient ces jours-ci dossiers, repères, jurisprudence et évènements commémoratifs, c’est utile — parce que le principe est fragile quand on le caricature.
Mais voilà : plus on “célèbre” la laïcité, plus on semble la confondre avec une police des mœurs.

Un “Défenseur de la laïcité” : pansement ou nouvelle bataille ?
Dans ce climat, une proposition de loi constitutionnelle a été déposée à l’Assemblée nationale pour créer un « Défenseur de la laïcité ».
L’idée peut séduire : qui refuserait, sur le papier, de “défendre” un principe républicain ?
Sauf qu’une question simple se pose : défendre quoi, exactement — et contre qui ?
Quand on ajoute une nouvelle figure “protectrice”, on risque d’ajouter surtout un nouvel espace de conflictualité : chacun voudra son arbitre, son interprétation, son “vrai” catéchisme… de la laïcité. D’ailleurs, le débat parlementaire lui-même a déjà montré que le sujet divise jusque sur l’utilité et la clarté de l’objet.
En loge, on apprend à se méfier des solutions qui flattent l’esprit mais chauffent les passions. Une institution de plus ne remplace jamais l’essentiel : de la pédagogie, de la cohérence, et un État neutre qui n’humilie personne.
Quand la laïcité s’égare dans le rituel : l’exemple des cérémonies
Le plus ironique, c’est que la République, qui se veut sobre, adore parfois le cérémonial. Et le cérémonial, mal pensé, finit vite en exclusion.
Le Défenseur des droits a rendu le 20 novembre 2025 une décision concernant le refus opposé par une préfecture à une femme portant le voile de participer à une cérémonie d’accueil dans la nationalité française, concluant à une atteinte à la liberté religieuse et à une discrimination.
Je ne cite pas ce cas pour transformer la laïcité en permission générale de tout et n’importe quoi. Je le cite parce qu’il révèle une dérive : la laïcité instrumentalisée comme un test de conformité.
Or la laïcité n’a jamais été un examen de “bonne intégration” fondé sur l’apparence. Elle est un principe d’organisation de l’État, pas une injonction à l’invisibilité totale des consciences.
À l’école : transmettre un esprit, pas réciter une formule
Le terrain scolaire est celui où tout se cristallise, parce qu’il touche à l’enfance, à la transmission, au futur. Des travaux récents rappellent d’ailleurs que la laïcité à l’école se vit aujourd’hui dans un climat plus complexe : élèves plus informés, mais aussi plus critiques, et des tensions qui se déplacent selon les milieux et les sujets.
Mais là encore, attention au piège : si la laïcité devient un slogan punitif, elle perd sa dignité.
Ce qu’on devrait enseigner, ce n’est pas “la religion est un problème”, mais : l’État protège tout le monde en restant neutre, et personne ne doit imposer sa croyance à autrui — ni par domination, ni par intimidation, ni par pression communautaire.
Notre devoir n’est pas d’ajouter du bruit
Alors, que peut dire un franc-maçon (ou une loge) sans se prendre pour un ministère bis ?
- Refuser la paresse intellectuelle.
Laïcité ne veut pas dire “anti-religion”. Laïcité veut dire : liberté de croire, de ne pas croire, de changer d’avis — et neutralité de l’État. - Refuser l’hystérie identitaire.
On voit trop de discours où la laïcité sert de paravent à une anxiété : peur de l’autre, peur du changement, peur de perdre “chez soi”. Là, on n’est plus dans le droit : on est dans l’affect. - Tenir la boussole de la fraternité.
La fraternité n’est pas une décoration au fronton : c’est une discipline. Elle oblige à parler à celui qu’on caricature. À écouter avant de juger. À distinguer l’atteinte réelle à l’ordre public du simple déplaisir personnel. - Rappeler que la laïcité se défigure quand elle discrimine.
Ce n’est pas une opinion : c’est précisément ce que montrent les alertes et analyses sur les discriminations fondées sur la religion — et l’exigence de protéger réellement les libertés, pas seulement de les proclamer.
1905 n’est pas un drapeau à agiter, c’est un plan de chantier
En loge, on sait que les mots sont des outils. Et qu’un outil mal tenu blesse.
La laïcité, en 2025, a besoin qu’on la manie avec précision : moins d’incantations, plus de justice ; moins de soupçons, plus de neutralité ; moins de posture, plus de paix civile.
C’est peut-être ça, le vrai travail maçonnique dans l’actualité : raboter les excès, éclairer les confusions, et refuser de transformer un principe de liberté en machine à exclure.




