Il y a, dans la vie d’une loge, des sujets qui font l’unanimité… et d’autres qui, tel un pavé oublié sous le tapis, reviennent toujours au moment le plus solennel. Les cotisations, par exemple. Ah, les cotisations ! Ce mot qui, prononcé à voix basse, a le pouvoir étrange de faire tousser les colonnes, d’assécher les gosiers et de réveiller subitement chez certains une passion tardive pour la “rigueur budgétaire”.
On parle volontiers de Lumière, de symboles, d’élévation, de silence et de fraternité. Mais dès qu’il s’agit de régler sa part, le profane intérieur se redresse, sort sa calculette, et demande, l’air grave :
« Oui, d’accord… mais ça sert à quoi, concrètement ? »
Et là, toute la magie du Temple se frotte à une évidence très terrestre : le papier toilette n’est pas symbolique, la facture d’assurance n’est pas initiatique, et le chauffage du local ne se paie pas en belles intentions.
LE GRAND MALENTENDU : “JE PAIE POUR QUOI, EXACTEMENT ?”
Soyons honnêtes : la cotisation est souvent perçue comme un droit d’entrée, un ticket pour avoir une place assise, un décorum correct et une collation décente. Certains l’imaginent presque comme un abonnement : “j’ai payé, j’ai droit”.
Sauf que la loge n’est pas un service, ni une salle de sport, ni une plateforme de streaming. Personne ne “consomme” la maçonnerie. On la travaille. On la porte. Et, oui, on la finance aussi, parce que la fraternité a parfois besoin… d’agrafeuses, de bougies et d’enveloppes.
La cotisation, au fond, n’achète rien. Elle permet.
LA COTISATION : CE PETIT MIROIR QUI RÉVÈLE BEAUCOUP
Ce sujet a quelque chose de cruel : il met en face de nous nos contradictions.
- On proclame la solidarité, mais on soupire quand il faut contribuer.
- On prône la justice, mais on oublie que tous n’ont pas les mêmes moyens.
- On demande de la transparence… tout en préférant ne pas regarder la ligne “dépenses”.
Et surtout : la cotisation a ce talent irritant de nous rappeler que la loge est un corps vivant. Un corps qui a besoin de soins, de temps, de moyens et d’une organisation. Autrement dit, de l’inverse de l’improvisation.
L’ARGENT N’EST PAS SALE… MAIS LE SILENCE AUTOUR PEUT L’ÊTRE
Ce qui rend les cotisations pénibles, ce n’est pas tant le montant. C’est souvent l’opacité ou la gêne.
On parle d’argent comme si c’était un sujet honteux. Résultat : personne n’ose expliquer clairement, et ceux qui ne comprennent pas imaginent. Et quand on imagine, on exagère.
Un billet d’humeur, c’est aussi une proposition simple : une loge qui assume ses cotisations sans gêne est une loge qui grandit. Expliquer calmement :
- ce que couvre la cotisation (fonctionnement, obédience, assurances, local, œuvres, décors, etc.),
- ce qui est variable et pourquoi,
- comment la loge décide (vote, budget annuel, bilan),
c’est déjà faire œuvre de pédagogie… et de paix sociale.
LA VRAIE QUESTION : “COMBIEN VAUT NOTRE FRATERNITÉ ?”
Oui, c’est un peu frontal. Mais c’est ça, le fond.
La cotisation n’est pas seulement une somme. C’est un engagement.
C’est dire : “Je participe à la maison commune. Je prends ma part. Je ne laisse pas les mêmes porter tout le poids.”
Parce qu’il y a une réalité que tout le monde connaît : dans beaucoup de loges, ce sont toujours les mêmes qui font, organisent, avancent, réparent, impriment, achètent. Et si la cotisation n’est plus perçue comme une contribution fraternelle, elle devient un impôt injuste, et l’ambiance s’alourdit.
ET CEUX QUI PEINENT À PAYER ? FRATERNITÉ OU FORMALITÉ ?
Il y a là un test grandeur nature. Une loge digne de ce nom sait que la vie secoue : chômage, séparation, maladie, dettes, coups durs. Et l’initié, lui aussi, peut trébucher.
Alors, que fait-on ? On “radie” vite et propre ? Ou bien on se souvient que la fraternité n’est pas un décor, mais une pratique ?
Une loge intelligente a toujours des solutions :
- échéancier discret,
- réduction temporaire,
- caisse de solidarité,
- prise en charge partielle,
- décision en sagesse plutôt qu’en automatisme.
Parce qu’entre l’exigence et la dureté, il y a un monde. Et ce monde s’appelle : humanité.
LE PETIT DÉTAIL QUI CHANGE TOUT : LA COTISATION, C’EST AUSSI “JE M’IMPLIQUE”
Il y a une phrase qu’on entend parfois, perfide comme un sourire en coin :
« Il n’a pas payé, mais il vient quand même. »
Derrière, il y a deux risques :
- réduire le Frère à un portefeuille,
- réduire la loge à une comptabilité.
Or la cotisation, pour être juste, devrait aller de pair avec autre chose : la participation. Une loge tient par l’argent, oui, mais surtout par la présence, l’attention, la construction collective. Parfois, un Frère “fauché” est riche en disponibilité, en chaleur humaine, en service. Et parfois, un Frère “à jour” est absent comme une chaise vide.
La cotisation ne doit pas devenir un certificat de vertu.
PAYONS, MAIS N’OUBLIONS PAS POURQUOI
Alors oui : les cotisations sont nécessaires.
Oui : il faut un budget, de la rigueur, de la clarté.
Oui : une loge qui ne sait pas gérer finit par se diviser.
Mais une loge qui ne sait pas expliquer finit par suspecter.
Une loge qui ne sait pas adapter finit par exclure.
Une loge qui ne sait pas fraterniser finit par se transformer en club.
Et ce serait un comble : chercher la Lumière… et trébucher sur une facture.
Au fond, la cotisation devrait être un geste simple, presque serein :
“Je mets ma pierre. Je soutiens la maison. Je participe à l’œuvre.”
Sans grand discours. Sans malaise. Sans procès d’intention.
Et si vraiment le sujet chauffe, rappelons une vérité très maçonnique :
la paix dans le Temple commence souvent… par un budget clair.
