La Laïcité.
Ce grand mot qu’on agite comme un drapeau, un gourdin, une excuse ou un talisman, selon les jours et l’utilité politique du moment.
Ce mot que l’on célèbre chaque année comme un rappel à l’ordre républicain… alors qu’il faudrait peut-être commencer par rappeler à l’ordre notre propre intelligence.
Parce qu’il faut bien le dire : la Laïcité, tout le monde en parle ; presque personne ne la comprend.
Pas même ceux qui la brandissent avec la conviction maladroite d’un enfant qui secoue un sabre laser en plastique en se prenant pour un Jedi.
D’un côté, il y a ceux qui rêvent d’en faire une arme pour interdire tout ce qu’ils n’aiment pas.
De l’autre, ceux qui veulent en faire une carpette où l’on poserait toutes les revendications identitaires, tant qu’elles crient très fort.
Entre les deux, il y a la République, debout, stoïque, qui regarde ce cirque et soupire.
Et nous, Maçons, dans tout ça ?
On s’empresse de rappeler dans nos discours que la Laïcité est notre terrain de jeu naturel, notre oxygène symbolique, la condition même de notre travail initiatique.
Très bien. Mais encore ?
La vérité, c’est que la Laïcité n’a jamais été un confort : c’est une discipline.
Une exigence.
Un effort.
Un exercice de tenue intérieure.

Pourtant, hors temple, beaucoup la confondent avec la neutralité molle, la lâcheté courtoise, ou la fameuse tolérance tiède qui consiste à ne rien dire pour ne pas déranger la paix artificielle du dîner de famille.
Laïcité, vraiment ?
Non : paix sociale sous perfusion.
La Laïcité authentique — celle qui a coûté des vies, des combats et quelques bustes de Marianne brûlés au passage — est tout l’inverse :
c’est le courage d’accepter l’altérité sans vouloir la convertir ;
c’est l’audace de penser avec sa propre tête ;
c’est la force de laisser l’autre croire ce qu’il veut, y compris des choses qui nous dérangent profondément.
Et c’est bien là que ça pique.
Parce que la Laïcité oblige chacun à un effort que notre époque déteste par-dessus tout :
grandir.
Dans le Temple, nous répétons volontiers que l’homme se construit par la liberté de conscience.
Bien.
Mais lorsque nous sortons du Temple, combien d’entre nous osent encore défendre cette liberté avec la même exigence, la même vigilance, la même rectitude ?
Soyons honnêtes : la Laïcité n’a pas besoin d’une fête annuelle.
Elle a besoin d’adultes.
Des adultes capables de comprendre qu’on ne brandit pas la Laïcité pour faire taire l’autre, mais pour se donner les moyens de l’écouter.
Des adultes capables d’accepter que l’espace public n’est pas la cour d’un clan mais le lieu où l’on apprend à vivre ensemble.
Des adultes qui ne tremblent pas devant la complexité, parce qu’ils savent que la pensée simple est souvent la pensée fausse.
En vérité, célébrer la Laïcité devrait surtout consister à vérifier si nous sommes toujours dignes d’elle.
Pas sûr que la réponse soit très confortable.
Alors oui, fêtons la Laïcité.
Mais cessons d’en faire un slogan anesthésié.
Qu’elle redevienne ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être :
un appel à la lucidité, un défi à notre paresse mentale, un rappel à la liberté et à l’humilité.
Et si cela provoque, tant mieux.
Parce qu’il n’y a rien de plus provocant aujourd’hui que de demander aux citoyens… d’être libres et responsables à la fois.




