MISCELLANÉES MAÇONNIQUES
par Guy Chassagnard
Chronique 455
1899 – À moi les Enfants de la Veuve !

L’incident, ou plutôt l’événement se déroule en juin 1899.
Pierre Waldeck-Rousseau (1846-1904), qui vient d’être nommé chef du Gouvernement par le président de la République, Félix Faure, s’efforce d’obtenir la confiance des députés. L’inquiétude règne au sein de l’assemblée.
Mais laissons un journaliste du journal La Croix nous conter la suite :
« Tout le monde, à la Chambre, a été frappé du revirement subit que l’intervention de M. [Henri] Brisson a produit dans les dispositions d’un grand nombre de députés radicaux et socialistes.
Que s’est-il donc passé ? M. Brisson a fait, à plusieurs reprises, le signe de détresse maçonnique, et tous les députés maçons ont obéi. »
Voici, d’ailleurs, la déclaration qu’un député républicain, très estimé dans son parti, a fait à un rédacteur de L’Événement :
« Au lendemain du jour où parut la liste du Cabinet Waldeck-Gallifet-Millerand, il ne se serait pas trouvé cent voix à la Chambre des députés pour lui accorder une confiance quelconque.
« Les membres de l’extrême-gauche, radicaux-socialistes, socialistes purs et révolutionnaires, étaient les plus exaltés contre l’étrange mixture qui représentait le gouvernement. »
Cette impression se prolongea du commencement de la séance jusqu’à la dernière demi-heure des débats.
« M. Mirman, dans son éloquent discours, avait écrasé le ministère et M. Waldeck-Rousseau n’avait pu prendre le dessus avec sa harangue glacée de pasteur anglican.
« Mais voici que le parti radical donne à fond. M. Brisson monte à la tribune. Alors un spectacle curieux est offert à ceux qui savent le comprendre.
« M. Brisson adjure avec véhémence ses collègues radicaux de soutenir le Cabinet et cinq fois (on les a comptées) il fait le signal d’appel maçonnique qui n’est permis qu’aux grands chefs et dans les occasions les plus graves.
« L’effet est produit : tous les radicaux dissidents se rallient. Pelletan, Decker-David, Zévnès, qui s’étaient montrés, quelques heures auparavant, si ardents contre le Cabinet, déclarent qu’ils s’abstiendronto; les autres radicaux et socialistes accordent leur confiance. »
Ainsi, le 26 juin 1899, Pierre Waldeck-Rousseau reçoit-il l’investiture de la Chambre des députés. Son cabinet, le plus long de la IIIe République, durera trois ans ; marquant les esprits et l’avenir de la France par son Exposition universelle, la loi sur le travail des femmes et des enfants, la loi sur les associations, et une réforme radicale de l’enseignement public.
On peut donc conclure qu’en ce 26 juin 1899, le signe de détresse des francs-maçons a fourni la preuve de son utilité – et de son efficacité.
Mais l’incident du gouvernement Waldeck-Rousseau, entraînant l’usage du signe de détresse, n’est pas unique dans l’histoire maçonnique.
On raconte volontiers que « à la bataille d’Austerlitz, un officier français, renversé par les Russes et menacé de vingt baïonnettes, ayant fait le signe de détresse, fut arraché à la mort par un officier ennemi qui eut pour lui les procédés les plus généreux. »
Rappelons, pour mémoire, que le signe de détresse, jadis appelé signe de secours, se fait dans une position déterminée des doigts entrelacés ; il est toujours accompagné de l’exclamation : « À moi, les Enfants de la Veuve ! ».
Guy Chassagnard, franc-maçon de tradition, attaché à l’histoire de ce qui fut jadis le Métier de la Maçonnerie avant de devenir la Maçonnerie spéculative des Maçons libres et acceptés, met en chroniques ce qu’il a appris dans le temple et dans les textes au fil de quarante années de pratique. Selon son principe : Apprendre en apprenti, comprendre en compagnon, partager en maître.
© Guy Chassagnard — Auteur de :
- Le Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie (Segnat, 2016)
- La Franc-Maçonnerie en Question (Dervy, 2017)
- Les Constitutions d’Anderson (1723) & la Maçonnerie disséquée (1730) (Dervy, 2018)
- La Chronologie de la Franc-Maçonnerie (Segnat, 2019)
- Les Annales de la Franc-Maçonnerie (Segnat, 2019)




