De nombreuses loges maçonniques disposent aujourd’hui d’un groupe de discussion sur WhatsApp, Messenger ou Telegram.
Ces outils sont formidables pour diffuser rapidement une information, rappeler une tenue, ou maintenir un lien fraternel au quotidien.
Mais derrière cette commodité moderne se cache parfois un effet pervers : un phénomène en chaîne qui mine la cohésion, affaiblit la fréquentation des tenues et, insidieusement, altère la culture de l’engagement maçonnique.
L’« EFFET CASCADE » DES EXCUSES
Tout commence par un message anodin :
« Frères, je présente mes excuses, je ne pourrai pas être présent ce soir. »
Ce message paraît inoffensif, fraternel même. Pourtant, il agit comme un détonateur psychologique.
Un autre frère, hésitant à venir après une longue journée de travail, lit cette excuse et se dit : « Bah, si lui ne vient pas, moi non plus. »
Puis un autre enchaîne, et les excuses se multiplient.
C’est ce que la psychologie sociale appelle la preuve sociale : nous nous autorisons à faire ce que d’autres ont fait avant nous.
Résultat : un flot d’excuses, une tenue moins fréquentée, et un moral collectif en berne.
POURQUOI C’EST DÉVASTATEUR POUR LA LOGE
L’impact de cette « cascade d’excuses » va bien au-delà d’une simple baisse de participation.
- Les frères présents se découragent.
Ils ont organisé leur temps, parfois au détriment de leur famille ou de leurs loisirs.
Voir une succession de désistements dans le groupe peut susciter un sentiment de solitude ou de désillusion. - La fréquentation chute mécaniquement.
Ce qui aurait pu être un « peut-être » devient un « non » catégorique dès que le groupe semble se vider. - La culture de la loge se dégrade.
L’assiduité devient optionnelle, la loge cesse d’être une priorité.
L’esprit d’engagement se dilue dans la facilité du message instantané.
LE VÉRITABLE PROBLÈME : COMMODITÉ OU ENGAGEMENT ?
Être franc-maçon, c’est accepter une discipline intérieure.
Nos tenues, nos travaux, nos réunions de préparation ne sont pas des options sociales : ce sont des rendez-vous sacrés avec soi-même et avec les autres.
Certes, les imprévus existent. Mais l’usage trop facile du message d’excuse traduit une dérive :
la loge n’est plus un engagement, mais une activité que l’on maintient « s’il n’y a rien de mieux ».
Cette attitude affaiblit le ciment symbolique de notre fraternité.
Rappelons-nous : chaque frère apporte sa pierre.
Une pierre absente, c’est un pan du temple qui manque à l’édifice.

CE QUE NOUS CONSTRUISONS VÉRITABLEMENT
Une loge n’est pas un club, mais un chantier symbolique.
Nous y bâtissons un Temple éternel, pierre après pierre, génération après génération.
Et lorsque nous manquons à nos travaux, nous laissons nos frères porter seuls le poids de la construction.
L’absence n’est pas anodine : elle déséquilibre la chaîne d’union, elle affaiblit l’énergie collective.
LA SOLUTION : RETROUVER LE RITUEL DE L’EXCUSE
La clé n’est pas d’interdire les excuses, mais de réhabiliter la manière de les présenter.
Appeler, ne pas écrire.
Envoyer un message, c’est simple, mais c’est impersonnel.
Un appel téléphonique, en revanche, rétablit la dimension humaine et responsable de l’absence.
Lorsque vous dites à voix haute :
« Je ne viendrai pas ce soir parce que je suis fatigué »
vous entendez la portée réelle de vos mots.
Parfois, cela suffit à reconsidérer votre décision.
L’appel crée un moment de fraternité authentique :
– le frère que vous appelez peut s’inquiéter pour vous,
– il peut vous encourager,
– il peut comprendre les vraies raisons de votre absence.
C’est ainsi que naît la véritable solidarité maçonnique, bien au-delà des émojis et des « à la prochaine ».
PROTOCOLE D’EXCUSES RECOMMANDÉ
Darren Allatt propose de rétablir un protocole clair et respectueux :
- Pour les officiers ou frères en charge d’un travail :
- Appeler directement le Premier Surveillant pour signaler l’absence.
- Trouver un remplaçant et le lui indiquer.
- Appeler ensuite le Second Surveillant pour ajuster le couvert du repas.
- Pour les membres non officiers :
- Appeler le Frère chargé des effectifs ou de l’assiduité (et non le secrétaire).
En un mot : toujours parler à un frère, jamais à un écran.
LA TRANSPARENCE SE FAIT EN LOGE
Certains objecteront : « Mais si les excuses ne passent plus par le groupe, comment savoir qui ne vient pas ? »
La réponse est simple : à l’ancienne.
Lors de la tenue, le Vénérable Maître demande les excuses, et le Surveillant les lit.
Les motifs peuvent être partagés avec bienveillance :
« Le Frère Martin est auprès de son épouse malade »,
« Le Frère Dupont fête la naissance de sa fille. »
Ainsi, chacun sait, comprend, et peut agir :
envoyer un message de soutien, passer un coup de fil, rendre visite.
C’est cela, la fraternité vécue, pas celle des notifications.
RETROUVER L’ESPRIT DU LIEN VIVANT
Un groupe de discussion reste utile : pour annoncer une planche, partager un souvenir, transmettre une photo de tenue ou un texte symbolique.
Mais il ne doit pas devenir le miroir de la désaffection.
La véritable force d’une loge repose sur la présence réelle, le regard échangé, la poignée de main, la parole donnée.
Chaque excuse devrait être un acte réfléchi, non un réflexe digital.
Car la Franc-Maçonnerie ne se vit pas par messages interposés — elle se construit ensemble, pierre après pierre, parole après parole, regard après regard.
En conclusion
La « cascade d’excuses » tue les loges lentement, un message à la fois.
À l’inverse, la parole directe rétablit la chaleur humaine et la responsabilité fraternelle.
Alors, avant de taper « désolé, pas dispo ce soir », demandez-vous :
« Quelle pierre suis-je en train de retirer du Temple ? »
« Une loge, ce n’est pas un groupe WhatsApp : c’est un chantier spirituel où chaque présence compte. »
Par Darren Allatt — adaptation française pour GADLU.INFO




