Au sein du Grand Orient de France, les inquiétudes reviennent régulièrement : ses membres seraient trop riches, trop âgés, trop blancs, trop masculins.
Les critiques varient selon les sensibilités :
- la vieille gauche déplore le manque d’ouvriers et d’employés,
- la post-gauche s’indigne du déficit de jeunes, de femmes et de minorités visibles,
- la droite moderne regrette l’absence d’entrepreneurs porteurs d’énergie innovante.
Derrière ces constats, une question se pose avec gravité : faut-il que les loges maçonniques reflètent la société dans sa diversité sociologique, jusqu’à recourir à des quotas et à la parité imposée ?
Représentation sociologique ou réflexion initiatique ?
L’interrogation n’est pas nouvelle. Le philosophe Alain rappelait avec ironie :
« Je n’ai pas l’espoir de voir le paysan au pouvoir, ou bien le terrassier ; dès qu’il aurait le pouvoir, il ne serait plus paysan ni terrassier. »
Autrement dit, le représentant du peuple n’a pas besoin de lui ressembler pour servir son intérêt. La représentation politique ne dépend pas d’une stricte reproduction sociologique. Au contraire, l’obsession de refléter la société mène, selon Jean-Claude Milner, à une extinction de la vie intellectuelle.
Appliqué à la franc-maçonnerie, ce principe invite à la prudence : vouloir une obédience miroir de la société risque d’aboutir à la ruine de la maçonnerie spéculative, dont la vocation est précisément de penser le monde, et non de l’imiter.

L’entre-soi et la séparation maçonnique
Bien sûr, l’entre-soi est un danger pour toute Loge : il conduit à la sclérose et au repli. De même, il est essentiel que la capitation ne soit pas un obstacle à l’initiation, afin que l’Ordre reste ouvert à toutes les classes sociales.
Mais la franc-maçonnerie ne peut se réduire à un échantillon sociologique. Sa mission n’est pas de refléter la société, mais de réfléchir sur elle. Et elle ne peut le faire qu’en s’en séparant, du moins temporairement, à travers le rituel.
C’est bien là le sens du port du tablier et des gants : laisser à la porte du Temple les appartenances profanes – qu’elles soient sociales, ethniques, politiques ou religieuses. Dans la Loge, on n’entre pas en tant que femme ou homme, ouvrier ou sénateur, croyant ou athée, mais en tant que Franc-Maçon.
Grandir en humanité
En suspendant temporairement les distinctions extérieures, la franc-maçonnerie crée l’espace nécessaire à une véritable rencontre initiatique. Cette mise à distance du monde profane n’est pas une fuite : elle permet au contraire d’élever l’homme en lui-même, pour ensuite agir dans la société avec plus de clarté, de fraternité et d’humanité.
Le Grand Orient de France ne doit donc pas chercher à se fondre dans les catégories du monde profane, mais à cultiver ce travail de séparation symbolique, grâce auquel il peut mieux penser, et mieux servir, la société.
Référence : Samuël Tomei, « Réfléchir », Humanisme 2015/3 (N°308), mis en ligne sur Cairn.info le 01/02/2021. DOI : 10.3917/huma.308.0001.





L’évolution ne peut qu’être désormais spirituelle en se détachant de tout dogme religieux ou societal. Ce qui à très vite été abandonné dès 1717.