En 44 av. J.-C., Cicéron rédige son célèbre traité De Officiis (Des Devoirs), destiné à son fils Marcus. Dans ce texte, il ne se contente pas de théoriser sur la morale : il cherche à offrir une philosophie pratique, inspirée du stoïcisme mais adaptée aux réalités de la République romaine en crise. Sa pensée s’articule autour de deux notions essentielles : l’honnête (honestum), ce qui est vertueux et moralement juste en soi, et l’utile (utile), ce qui procure un avantage matériel, social ou politique.
Si les deux dimensions sont importantes, Cicéron affirme qu’en cas de conflit, l’honnêteté doit toujours prévaloir. L’utile ne peut trouver sa véritable valeur qu’éclairé et guidé par la vertu, car seul ce qui est juste et droit assure la dignité et la grandeur de la vie humaine. Cette exigence fait écho au parcours maçonnique. Le franc-maçon est appelé à ordonner son existence de manière à rechercher la lumière, à grandir intérieurement, à agir avec droiture dans ses relations fraternelles et à incarner dans la société un exemple d’intégrité et de charité discrète.

Ainsi, les devoirs maçonniques rejoignent ceux de la philosophie cicéronienne : envers soi-même d’abord, par l’étude et la maîtrise de soi ; envers les Frères ensuite, par la justice et la fidélité ; enfin envers le monde profane, par le témoignage d’une vie honnête et utile à la communauté. Le Maçon n’agit pas seulement pour son propre profit ou son confort immédiat, mais pour inscrire ses actes dans une perspective durable, où la vertu prime toujours sur l’opportunisme.
Cicéron rappelait également l’importance de la clarté et de la définition comme premier pas vers la vérité. « Quand on veut mettre de l’ordre et de la méthode dans une discussion, il faut commencer par définir de quoi on a affaire. » Cette rigueur intellectuelle trouve un parallèle évident dans la démarche initiatique. La Franc-Maçonnerie repose sur un langage symbolique riche et complexe ; sans effort de définition et de clarté, le risque est grand de se perdre dans des interprétations approximatives. Définir, c’est ordonner la pensée, c’est ouvrir l’accès à la lumière.
Dans la vie de la Loge, comme dans la vie intérieure, cet enseignement reste précieux : il faut nommer clairement les sujets de discussion, discerner les devoirs à accomplir, organiser son travail avec méthode et décence. Sans clarté ni rigueur, il n’y a ni harmonie, ni construction véritable. Paul de Tarse, dans la Première épître aux Corinthiens, rappelait d’ailleurs : « Que tout se fasse avec bienséance et avec ordre. » Ce principe rejoint celui de Cicéron et montre que des traditions différentes se rejoignent dans une même exigence : l’ordre comme fondement de la justice et de l’harmonie.
En définitive, l’enseignement de Cicéron demeure d’une étonnante actualité pour le franc-maçon. Agir avec honnêteté, définir clairement ses buts, ordonner sa vie intérieure comme sa vie sociale : autant de pratiques qui rapprochent de la lumière et de la vertu. Le chemin maçonnique, comme la philosophie antique, nous invite à ne jamais sacrifier l’honnête à l’utile, mais à harmoniser les deux dans une quête d’élévation morale et spirituelle.
Référence : Giovanni Angius, MI-33º REAA – ARLS Orvalho do Hérmon n° 21 – Grande Loge maçonnique de l’État d’Espírito Santo (Brésil), Cicéron et le chemin du franc-maçon : entre l’honnête et l’utile, 10/04/2025.




