Découvrez la signification de la Loge-mère en Franc-Maçonnerie : entre transmission initiatique, fraternité, tolérance et le regard poétique de Kipling.
La complexité de la notion de Loge-mère
La notion de Loge-mère est assez complexe en Franc-Maçonnerie.
Au sens strict, elle est liée à la transmission initiatique : c’est la première Loge maçonnique, ou celle qui a initié, dans une région ou une culture, une lignée de Loges et d’initiations.
Ainsi, lorsqu’on évoque la Loge-mère, on parle avant tout de la validité de la transmission initiatique.
La Loge-mère selon Kipling : un lieu maternel

Avec Rudyard Kipling, la notion prend une dimension nouvelle. Chez le poète, la Loge-mère devient un lieu existentiel, presque maternel, un sein accueillant.
Ma Loge-mère – ou celle de tout autre franc-maçon – est celle qui nous a accueillis, qui a été notre famille initiatique, celle qui nous a vus naître à la Maçonnerie.
La Loge-mère comme lieu de naissance
Tout comme dans une famille biologique, où l’on ne choisit pas ses parents, la Loge-mère est un lieu de naissance initiatique.
On peut connaître une ou deux personnes au moment de son initiation, mais on ne choisit pas les membres : ils étaient déjà là.
Au fil de la vie maçonnique, il est possible de changer de Loge pour plus de confort, mais celle où l’on est né maçon reste unique et immuable. Sans connaître ses membres, on est invité à les reconnaître immédiatement comme des Frères.
La Fraternité comme laboratoire de tolérance
La Fraternité vécue dans la Loge-mère est le laboratoire de tolérance le plus parfait.
Dans le poème de Kipling, cette diversité est éloquente :
- Juifs, Musulmans, Sikhs et Catholiques y travaillent ensemble ;
- on y parle de Mahomet, de Dieu et de Shiva ;
- il y a des Frères noirs, métis, blancs et indiens ;
- certains sont végétariens, d’autres non : il n’y a donc pas d’agapes communes, par respect des différences.
Cette Loge, loin de la peur de la différence, incarne l’essence même de la fraternité maçonnique.
La critique des Loges contemporaines
Face à cette Loge-mère idéalisée, Kipling met en lumière la réalité de nombreuses Loges contemporaines : souvent monotones, uniformisées, confortables.
Elles ne reflètent plus la société dans sa diversité et cessent d’être des lieux de rencontre avec l’altérité.
La Franc-Maçonnerie cesse alors d’être une école de tolérance et risque de devenir un simple club social.
Le danger de l’uniformité
Lorsque tous les membres d’une Loge partagent les mêmes croyances, les mêmes professions ou les mêmes visions du monde, le rituel perd sa puissance.
La différence et le conflit disparaissent, et avec eux le moteur de croissance initiatique.
La Maçonnerie ne peut remplir sa mission que si elle reste un lieu où l’on apprend à « creuser les cachots du préjugé » et à dépasser l’intolérance.
Conclusion : la véritable Loge-mère
Loin d’être seulement la première Loge où nous avons été initiés, la Loge-mère est, à l’image de Kipling, un idéal maçonnique : celui d’un espace de rencontre, de tolérance et de fraternité universelle.
Lorsqu’elle renonce à cette mission, elle cesse d’être la Maçonnerie pour devenir un cercle d’amitiés convenues.
La véritable Loge-mère est celle qui nous met à l’épreuve de la différence et nous pousse à dépasser nos préjugés.
Auteur : Paulo Mendes Pinto
(Publié à l’origine sur le profil Facebook du Quatuor Coronati Correspondence Circle)
LA LOGE MERE de R. KIPLING
Dehors : Sergent ! Monsieur ! Attention ! Salam !
À l’intérieur : « Frère ! » et là il n’y avait rien de mal
Nous nous sommes retrouvés sur un niveau et sommes partis en carré
Il y avait le Second Diacre de ma Loge Mère
Il y avait Bola Nath, le comptable
, Saul, le Juif d’Aden
, et Din Mohammed, le dessinateur
du bureau de cartographie.
Il y avait Babu Chuckerbutty
, et Amir Singh, le Sikh
, et Castro, de l’
atelier de couture catholique romain !
[…]
Il n’y avait pas d’« infidèle »,
à moins que, peut-être, nous-mêmes
Mois après mois, après le travail,
quand nous nous asseyions pour fumer
(et nous ne faisions pas d’agapes
pour ne pas exclure la foi de nos frères),
nous parlions
de religion et de tout le reste.
Et chacun parlait
du Dieu qu’il connaissait le mieux.
La conversation continua ainsi
Et aucun frère ne s’excita
Jusqu’au matin, illuminant la cour
Les perroquets se réveillèrent
Ainsi que les maudits coucous.
Et nous rentrâmes à la maison, au lit
Avec Mahomet, Dieu et Shiva
Marchant dans nos souvenirs
[…]
J’aimerais te revoir
Mes frères noirs et mulâtres
L’agréable arôme des cigarettes
Et le briquet de main en main
Le gardien de la Loge ronfle déjà
Sur le sol du garde-manger
Comme un Maître régulier
Dans ma Loge Mère, une fois de plus”




