L’initiative Fonjallaz : Quand la Suisse voulut interdire la franc-maçonnerie

Introduction
L’histoire de la franc-maçonnerie en Suisse est marquée par un événement politique exceptionnel et unique au monde : la mise au vote populaire, en 1937, d’une initiative visant à interdire les sociétés franc-maçonniques. Portée par des figures d’extrême droite, cette initiative proposait une révision de la Constitution fédérale pour dissoudre toute organisation maçonnique ou apparentée. Cet épisode, aujourd’hui méconnu, met en lumière les tensions entre libertés individuelles, mouvements autoritaires et résilience démocratique dans l’entre-deux-guerres.
Une initiative venue de l’extrême droite – Genèse de l’initiative : peur, propagande et fascination pour l’ordre
Le 31 octobre 1934, un groupe politique nationaliste dépose une initiative populaire fédérale intitulée :
« Interdiction des sociétés franc-maçonniques, des loges maçonniques, de la société des Odd Fellows, de la société Union et d’organisations analogues. »
Son principal instigateur, le colonel Arthur Fonjallaz, ancien officier général, est un fervent admirateur de Mussolini et du fascisme italien. Il considère la franc-maçonnerie comme une menace pour l’État, y voyant une organisation secrète exerçant une influence nocive sur les affaires publiques.
Appuyé par d’autres figures comme Georges Oltramare, antisémite notoire et journaliste d’extrême droite, le mouvement recueille plus de 56 000 signatures valables, seuil suffisant pour organiser une votation.
Le processus d’initiative

- Dépôt officiel : 31 octobre 1934
- Signatures valables déposées : 56 137
- Soutien politique : groupuscules d’extrême droite, notamment le mouvement « Action nationale » de Fonjallaz
- Opposition officielle : Conseil fédéral, Parlement, partis modérés, Grande Loge Suisse Alpina
L’initiative proposait une modification de la Constitution fédérale, touchant à l’article 56, portant ainsi atteinte à un droit fondamental : la liberté d’association.
La votation fédérale du 28 novembre 1937
Face à la montée de la menace, la Grande Loge Suisse Alpina (GLSA) entra publiquement en scène, fait exceptionnel pour l’époque, en menant une campagne d’information nationale. Elle mobilisa des intellectuels, publia des tracts et fit imprimer une affiche devenue célèbre.
Les résultats :
- NON à l’initiative : 68,7 % (515 327 voix)
- OUI : 31,3 % (234 980 voix)
- Participation : 65,9 %
- Cantons favorables : 1 seul (Fribourg)
- Cantons opposés : 22 sur 23
Le rejet massif de l’initiative fut un signal fort : la majorité du peuple suisse refusa de céder aux sirènes de l’intolérance et choisit de protéger les droits civiques.
Un contexte européen lourd de menaces

Cette votation s’est déroulée dans un climat international tendu : en Allemagne, la franc-maçonnerie avait déjà été interdite par le régime nazi. En Italie fasciste, les loges avaient été dissoutes. Dans ce climat, la Suisse fut le seul pays au monde à faire voter démocratiquement ses citoyens sur l’avenir de la franc-maçonnerie.
Le rejet de l’initiative témoigne d’une résilience démocratique exceptionnelle, alors même que de nombreuses loges perdirent des membres, frappées par la peur et la stigmatisation.
La mobilisation maçonnique : sortir de la réserve
Face à cette menace sans précédent, la Grande Loge Suisse Alpina (GLSA) décide de rompre avec sa traditionnelle discrétion. Elle lance une campagne d’information publique, fait imprimer des tracts et des affiches, organise des conférences.
Une affiche de campagne restée célèbre montrait un marteau brisant le compas et léquerre, sur fond de slogan provocateur : « Interdire la franc-maçonnerie ? NON ! »
La presse, les partis politiques et les universités prennent position. Un front républicain se constitue autour de la défense des droits fondamentaux.
Héritage et exposition mémorielle
Près d’un siècle plus tard, l’initiative Fonjallaz fait l’objet d’un travail historique rigoureux. En 2024, le Musée Maçonnique Suisse à Berne a inauguré une exposition inédite intitulée « FONJALLAZ », retraçant l’histoire de cette tentative d’interdiction.
À découvrir :
- Affiches et tracts originaux de 1937
- Archives de presse, lettres, brochures officielles
- Conférences bilingues (français/allemand)
- Témoignages et chronologie politique détaillée
Cette exposition est accessible jusqu’en janvier 2025. Elle permet de comprendre la force symbolique et historique de cette votation, qui demeure un rempart contre toute forme de persécution idéologique.
Enjeux maçonniques et philosophiques
Cette initiative fut bien plus qu’un épisode politique : elle posa la question du rôle de la franc-maçonnerie dans la cité. Face aux régimes totalitaires, la franc-maçonnerie suisse choisit de sortir de sa réserve, de défendre ses valeurs — tolérance, liberté, humanisme — et de les faire connaître au grand public.
Elle démontra ainsi qu’elle n’était pas seulement une organisation initiatique, mais aussi un acteur de la démocratie vivante, capable de résister aux attaques, de convaincre par la raison, et de réaffirmer sa place dans la société.
Un tournant pour la franc-maçonnerie suisse
Malgré la victoire, le choc est profond. Entre 1935 et 1945, la franc-maçonnerie suisse perd près de la moitié de ses membres. La peur, la stigmatisation, les départs vers l’étranger affaiblissent les loges.
Mais l’épisode Fonjallaz donne aussi un nouvel élan à la réflexion sur le rôle social de la franc-maçonnerie. Elle prend conscience qu’elle ne peut rester silencieuse face aux menaces contre les libertés. Elle s’affirme alors non seulement comme un ordre initiatique, mais aussi comme une force morale engagée dans la défense de la démocratie.
L’initiative Fonjallaz constitue un cas unique dans l’histoire politique mondiale : un peuple appelé à se prononcer sur l’existence même de la franc-maçonnerie. En rejetant massivement cette tentative d’interdiction, le peuple suisse a réaffirmé son attachement aux principes de liberté, de tolérance et de pluralisme.
C’est un rappel pour tous les maçons : la Lumière ne triomphe que si elle est défendue avec courage, conviction et engagement.





Un grand bravo pour l’intelligence des citoyens suisses qui ont su voir le piège.(D’abord les FM ensuite qui?)
Merci pour cet article qui remet en mémoire un épisode important pour la FM et pour les Suisses. Isis, Sœur du DHF et veuve de JMC, de la GLSA pendant de longues années