« Loge de l’Espoir » : du secret maçonnique à la préservation de la faune au Pakistan
Sur la trépidante Strachan Road de Karachi, où l’histoire se confond souvent avec le bruit de la circulation, un imposant bâtiment néoclassique attire le regard. Connu autrefois sous le nom de « Loge de l’Espoir », il fut le siège principal de la franc-maçonnerie à Karachi, avant de changer de destin en 1972, lorsque le gouvernement pakistanais décida d’interdire l’ordre maçonnique et de confisquer ses édifices.
De la fraternité maçonnique à la suspicion politique
Érigée vers 1914 après qu’une tempête eut détruit une loge plus ancienne près du Sindh Club, la Loge de l’Espoir accueillait une fraternité cosmopolite composée de musulmans, hindous, parsis et chrétiens. On y pratiquait des rituels symboliques hérités des tailleurs de pierre médiévaux européens, dans un esprit de fraternité, d’amélioration morale et de charité.

Mais à mesure que les années passaient, le secret qui entourait la franc-maçonnerie nourrissait des théories de complot et un climat de méfiance. La population locale surnommait même le bâtiment jadu ka ghar, la « maison de la magie ».
En 1972, dans un contexte politique tendu et sur fond d’accusations d’espionnage et de trafic d’armes, le Premier ministre Zulfikar Ali Bhutto prit une décision radicale : interdire la franc-maçonnerie au Pakistan. Les loges furent dissoutes et leurs biens confisqués. Le bâtiment de Karachi, comme celui de Lahore, perdit alors son rôle initiatique.
Une renaissance inattendue
Après quelques années d’abandon et une brève occupation par les services de presse, l’édifice trouva une nouvelle vocation en 1982 : il devint le siège du Sindh Wildlife Department.
Aujourd’hui, ses hautes colonnes grecques abritent :
- un musée d’histoire naturelle exposant des spécimens de léopards, d’oiseaux et de reptiles,
- une bibliothèque de plus de 9 000 ouvrages rares,
- et les bureaux de la conservation de la faune.
« Cet endroit est devenu une lueur d’espoir pour la faune », explique Javed Ahmed Mahar, conservateur du département. « Nous avons travaillé à sa restauration et à son embellissement. »
Héritage architectural et symbolique
Le bâtiment reste un précieux témoin du passé colonial et maçonnique de Karachi. Son architecture néoclassique, inspirée des temples grecs, associe grandeur symbolique et détails édouardiens.
S’il ne résonne plus des rituels initiatiques qui autrefois cherchaient à éveiller l’Œil intérieur des francs-maçons, il demeure porteur d’un symbolisme paradoxal : un lieu jadis perçu comme une « maison du secret » est aujourd’hui devenu un espace de connaissance et de protection de la vie.
En ce sens, la Loge de l’Espoir porte bien son nom : elle illustre la capacité des symboles et des pierres à se réinventer. Là où la fraternité maçonnique cherchait autrefois la Lumière spirituelle, c’est désormais la Lumière de la nature qui est préservée.
Entre mémoire et avenir
La franc-maçonnerie reste interdite au Pakistan depuis 1972, et beaucoup de ses symboles demeurent méconnus ou entourés de suspicion. Mais le destin de la Loge de l’Espoir rappelle que les édifices, comme les idées, peuvent survivre aux interdictions et se transformer.
De la fraternité initiatique à la préservation de la biodiversité, ce bâtiment raconte une histoire de continuité et de métamorphose, où le patrimoine maçonnique et l’engagement écologique se rejoignent autour d’un même principe : préserver ce qui élève l’homme et protège le vivant.
Source originale : Arab News – Loge de l’Espoir, Karachi




