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NI VU, NI VÊTU ? par Jacques Fontaine

Jacques Fontaine , l’un de nos illustrissimes blogueurs : « Les empêcheurs de maçonner en rond , a décidé de réagir en apprenant la consternante décision d’une obédience maçonnique française  en ce qui concerne la préparation du candidat à l’initiation.

Quand les mœurs bourgeoises étouffent le rite de passage ; quand la sensation est écrasée au profit d’un simple savoir.  Bref, Jacques Fontaine n’est pas très content de cette évolution !

NI NU, NI VÊTU ?

Une grande obédience française aurait demandé à ses loges, de ne plus pratiquer pendant la cérémonie d’initiation, l’usage du « ni nu(e) ni vêtu(e) »…

Ce rite existe depuis, au moins 17856 puisqu’il est attesté dans le Rite moderne français de cette date, le plus ancien rite en activité puisqu’il est la reprise du rituel des Modernes de 1717 .Il en est sans doute un reflet passablement remanié par nos ancêtres du jour où il toucha le sol de l’hexagone.. De là il a migré dans les autres rites. Il est temps de le remettre en cause comme l’ont fait les obédiences en question. Voici donc les motifs de la suppression de cet usage rituel et dépassé.

            D’abord doit-on céder à un usage sous les deux prétextes que tu devines en filigrane peut être ? Le premier c’est celui de l’ancienneté et par là, parée de l’argument de la pureté de la tradition. Le second consiste à dire : l’usage n’est pas confidentiel ; il est très répandu, partout même. Je sais que ces deux arguments peuvent pousser au maintien rétrograde d’une disposition du rituel. Et certainement les Sœurs, les Frères qui bloqueraient une évolution quelconque seraient bien mal avisé(e)s de défendre le statu quo, elles et eux qui trouvent des délices historiennes à guetter le moindre changement dans nos pratiques maçonniques. Vouloir ne rien changer, c’est se fermer à toute évolution ; c’est céder à l’appel dogmatique ; c’est enfin prôner une soi-disant « pureté » qui n’est que l’aveu fallacieux et déguisé de la peur du changement.

           Nous sommes au XXIème siècle, tout de même ! L’Homme post-moderne qui se construit et s’invente sous nos yeux dans les brouillons des réseaux et de l’intelligence artificielle, n’a que faire de ces oripeaux du passé. Il n’est pas souhaitable que nous, Francs-maçons restions dans la queue de la comète de l’évolution, qui file et passe. Franchement à quoi cela rime-t-il de mettre à nu une épaule, et un mollet à une époque qui pose ouvertement la question de la remise en cause d système économico-social capitaliste ? Restons dans le coup et pour cela, ne craignons pas de faire évoluer le rituel de réception. Nous avons évolué depuis le XVIIème siècle.

            Plus de décence est bienvenu et en accord avec nos valeurs. Comment peut-on humilier un(e) candidat(e) à une époque qui se veut respectueuse de l’autre ? A tout le moins restons cohérents avec nos valeurs maçonniques : l’empathie ne passe pas par une sorte de bizutage archaïque. Supprimons le « ni nu(e) ni vêtu(e) » sans regret. Si vraiment des Frères, des Sœurs, un peu attardé(e)s, sont gêné(e)s par cette suppression , écoutons-les : contentons-nous, en tenue d’instruction des Apprenti(e)s, d’évoquer cette coutume bizarre et désuète. Elle peut plaire encore à certain(e)s. Et après tout, ils ,elles ont le droit de penser différemment. Soyons fraternels !

            Et bien non ! Dussè-je être stigmatisé pour mon éventuel côté réactionnaire, pour le défenseur d’une « pureté des origines », que je ne crois pas être. Je suis d’accord, cet usage doit être revu. Mais peut être pas dans le sens frileux et petit-bourgeois d’un effroi devant une épaule nue, dévoilée en bonne compagnie. Et que l’on couvre, en rougissant !Je souhaite te faire part, maintenant , de mon point de vue. Je discerne deux argumentaires qui plaideraient pour un maintien possible.

            C’est une confusion , d’abord, qui peut amener à la suppression. Dans tout corpus initiatique, je distingue quatre niveaux d’interprétation. Le premier, c’est celui de la nature ; de cet humanimal , comme le forgea mon maître Daniel Béresniak. Celui que nous sommes en tant que vivant et qui prédispose dans notre psychisme les premières empreintes comme la lumière et les ténèbres, la peur terrible et le plaisir extrême, le mouvement et le repos… Puis, au dessus, les grandes trames psychiques particulière à notre espèce ; j’ai nommé la structure. Carl Gustav Jung nous a montré la voie, en qualifiant l’inconscient collectif. Là sont incrustés les sens profonds (je reviendrai sur cette notion de « profond » tout à l’heure.) des mythes, des symboles et des « ritèmes », le éléments d’un rituel. Il repris à son compte le concept d’archétype . Les arcanes que je viens de citer empruntent le moule des archétypes. Les rites de passage, partout, se déroulent de manière similaire parce qu’à cette profondeur ils sont assez efficaces pour que l’initié(e) ait l’impression de changer d’identité. Notre Voie est un rite de passage. Au dessus encore, la culture, c’est à dire l’habillage temporaire de ces mythes, symboles et ritèmes. La Franc-maçonnerie, aves ses mystères et ses rites, est l’habillage du rite de passage occidental, depuis trois siècles ; et, je le crois, pour plusieurs décennies encore, du moins pour la Maçonnerie de style français. Enfin, le niveau de la lecture que tel Frère, telle Sœur fait du matériau et matériel ésotériques qui leur sont transmis et confiés. Descendons, si tu le veux bien , les niveaux du « ni nu(e),ni vêtu(e) « .

            Tu peux lire dans ce symbole ce que tu veux ; tu changes d’avis quand cela te chante. Descendons : tu te réfères, ce faisant, à la culture maçonnique : les loges, les tenues, les degrés, la quête…La culture peut évoluer ; ce qui est le cas de notre Franc-maçonnerie et pas de celle des Anglo-Saxons, gélifiée en 1813. Descendons encore et interrogeons-nous ; le fait d’être dénudé, dans un rite de passage, est-il simplement un effet de la culture ? point du tout ! La nudité est un classique des rites de passage, quels que soient les temps et les lieux. Je me permets de te renvoyer à mon ouvrage sur les rites de passage. Cette nudité est dans l’inconscient collectif : nous ne la choisissons pas ; elle prend parfois sens lors d’une initiation. Tout en bas le niveau de nature : la nudité est l’état naturel de l’humanimal, quand il vient au monde. Première conclusion : enlever l’usage du dénudement, c’est supprimer un des sens structurels de la Voie maçonnique, celui par lequel elle acquiert force et efficacité. Ce n’est pas une simple histoire de culture, que l’on peut, par la volonté collective, faire évoluer. Non, pas du tout ! Cet usage prend sa source dans les niveaux structurels humains , et naturels en tant que vivant. C’est là précisément qu’ il acquiert un sens intangible : l’Aborigène d’Australie qui, dans ses rites, pratique le dénudement converse avec le candidat dont on dévoile l’épaule. Dans les deux cas, une impression profonde, indélogeable et merveilleuse de sens.

            Profondeur , vraiment ? Oui et pour une seconde raison, qui touche à l’efficacité de la transmission rituelle. Les psychopédagogues de métier et d’expérience te le disent : « Plus un apprentissage s’ancre dans l’émotionnel, plus il est efficace. » Mais ce n’est pas tout, ils continuent : « Plus une émotion est ancrée dans le physique, plus elle est puissante. Veux-tu, par l’initiation, amener l’impétrant à changer et à se poser les premières questions de la quête ? Oui ? Alors que le rite de passage, notre cérémonie d’initiation soit ancré le plus possible dans le corps, les sensations. Nous tombons pile sur cette exigence avec le « ni nu, ni vêtu ». C’est d’abord, tout au fond, une sensation physique ; puis une émotion, celle parfois de l’humilité et pourquoi pas, d’une humiliation légère. Un bon terreau pour ensuite, semer le premier questionnement : « Pourquoi, ai-je ressenti cela ? ».

            Pour deux raisons, le niveau structurel d’une part et la nécessité de l’ancrage physique d’autre part, le « ni nu(e) ni vêtu(e) » n’est pas un effet de mode, mais une nécessité. Mais je souhaite t’emmener, si tu le veux bien, un peu plus loin. Cette expression, en effet, consacrée par notre usage , est en elle-même riche dès lors que nous la regardons d’un peu plus près.

            La timidité de l’expression saute aux yeux : on ne déshabille pas complètement, comme dans certains rites de passage, le profane mais, tout de même !, la pression structurelle demande qu’on ne le laisse pas avec ses habits. On sent bien que ce serait louper quelques chose d’essentiel. Au fond, nos ancêtres du Siècle des Lumières étaient déjà fort précautionneux et désiraient respecter les usages de la bienséance de l’époque. Timidité sociale qui sauvait quand même le message, mais de manière amoindrie. Pour cette raison, je trouve que ce ritème devrait évoluer et redescendre beaucoup plus franchement au niveau de la structure, et en prenant racine dans le physique. Au diable, le ni, ni ! Vivons à pleins poumons. L’idéal ? Je vais te choquer mais j’ose : ce serait la nudité complète, telle que la nature nous a faits. Bien sûr, c’est inimaginable. Alors restons au mollet et à l’épaule dénudés. C’est bien le minimum que nous pouvons faire si nous voulons que l’initiation soit autre chose que des mots, des mots, des mots… Mais je propose d’aller plus loin dans l’expression même.

            Nous venons de voir que le double ni-ni pudibond et précautionneux n’évoque surtout qu’un trait culturel, la décence et les mœurs. Je milite pour que cette expression, un peu cauteleuse, saute. A nous d’en trouver une autre, plus authentique et plus universelle. Le franchissement de la porte basse est souvent vécue dans la nostalgie du franchissement du col, à la naissance. Voilà une interprétation qui s’enracine dans la structure et dans la nature : son universalité est patente. Alors pourquoi ne pas remplacer le précieux « ni nu(e), ni vêtu(e) par une expression qui éveille cette nostalgie et l’arrivée de la vie ? Chance, nous avons, dans notre langue -je suppose que cela existe ailleurs- une expression franche, modeste et triomphante : Le (la profane est « nu(e) comme l’enfant qui naît ».

            C’est ainsi que nous délaisserons une formule superficielle et entortillée. Et nous parviendrons ainsi à descendre dans les cavernes obscures et sonores de l’humanité, la mienne, la tienne !

Jacques Fontaine


  • Jacques Fontaine

Jacques Fontaine est né au Grand Orient de France en 1969.Il se consacre à diffuser, par ses conférences, par un séminaire, l’Atelier des Trois Maillets et par une trentaine d’ouvrages, une Franc-maçonnerie de style français qui devient de plus en plus, chaque jour, « une spiritualité pour agir ». Il s’appuie sur les récentes découvertes en psychologie pour caractériser la voie maçonnique et pour proposer  les moyens concrets de sa mise en œuvre.

Ouvrages de Jacques Fontaine :Page Jacques Fontaine


Jacques Fontaine:

View Comments (10)

  • @ Jacob le GODF n'a pas abandonné le GADLU: il a rompu avec l'interprétation qu'en fit la GL des anciens en l'assimilant au "Dieu révélé des saintes écritures" Il faut revenir au vrai GADLU: celui de Newton et Desaguliers comme le disait Hawking dans "Y a t-il un Grand Architecte dans l'Univers"

  • "Ipswich journal " numéro du 12 décembre 1728
    « Vendredi soir dernier, dans une certaine taverne, non loin du Royal Exchange , se tenait une loge de Francs-maçons pour procéder à la réception de quelques nouveaux membres, quand un malheureux accident faillit faire découvrir le « Grand Secret » ; Un des impétrants fut si surpris quand on lui a retiré son chapeau et sa perruque, déboutonné son col et ses manches, enlevé ses chaussures à boucles et dépouillé de sa chemise, qu’il pensa qu’on allait le castrer ou le circoncire et craignant de devenir eunuque ou juif, il saisit l’opportunité de s’enfuir en voyant la porte de sortie à moitié ouverte et courut dans la rue, à la grande terreur des marchandes d’huîtres. Il fut poursuivi par les membres de la Loge qui le persuadèrent, avec quelques bonnes paroles, de revenir à la loge et de terminer la procédure de réception. »

    extrait de "1717-1747 les 30 glorieuses de la Grande Loge des "Modernes" vues par la presse de l'époque." (édition Numérilivre)

  • Il est logique qu'ils abandonnent le ni nu ni vêtu puisqu'ils ont déjà abandonné le Créateur du ciel et de la terre comme Dieu ou GADL'U.
    le ni nu ni vêtu à des explications controversées: 1 L'entrevue de Moise sur le mont Horeb.
    Le combat de Jacob contre "l'ange". Les deux apportent une image "ressemblante".
    Mais sans GADL'U qui rencontrer sur le mont Horeb, avec qui se battre pour mieux se définir, quitter le vieil homme, si dieu n'existe pas.
    Qualifier de retrograde celui qui suit la tradition et la comprend pour mieux l'adapter à sa vie du 21ème siècle est une preuve,
    d'incompréhension, comme celle Adam qui écoutant son orgueil, ne sut choisir le chemin du bonheur et mangea du fruit.
    On connait la suite...

  • Le fait que la poitrine soit nue quand on y pointe le compas lors de l'engagement, et que le genou soit nu lui aussi quand le candidat le pose sur le coussin avec l'équerre lors du même engagement ne sont pas anodins, ni "rétrogrades". L'initié est ainsi à ce moment important de la cérémonie en contact avec le ciel et la terre sans l'obstacle d'un vêtement.
    Maintenant, l'obédience qui propose de supprimer ce passage du rituel n'utilise peut-être plus non plus de compas parce que ça pique et ne met plus les candidats à genoux parce que ça fait mal... Ils ont de toute façon perdu tout le sens de ce qu'ils parodient sous le nom de la Maçonnerie.

  • L'épaule à nu, c'est pour vérifier que l'impétrent n'a pas été condamné (fleur de lys sur l'épaule). Le jarret à nu, c'est pour vérifier qu'il n'a pas de marques de fers des esclaves. Typiquement les préceptes de Anderson : "libre et de bonnes moeurs"

  • Le déploiement d'une savante justification ethnologique paraît un peu cocasse si l'on se rappelle quelle est en fait l'origine historique véritable de l'habitude de dévêtir la poitrine : dans "la Réception d’un Frey-maçon", divulgation de 1737, on lit tout simplement : "on lui découvre la gorge, pour voir s’il n’est point du sexe"

  • Mi-nu, mi-vêtu serait une bonne expression car si l'impétrant doit abandonner le vieil homme, il n'en reste pas moins lui-même, non pas comme un nourrisson, mais comme une conscience organisée par sa vie profane, avec ce qui fait de lui une personne unique et le constitue comme Autre. Mi-nu pour pouvoir se revêtir d'une nouvelle manière d'être et participer d'un nouveau mythème, mi-vêtu pour être pierre solide pour aider à la construction du temple

  • Mi-nu, mi-vêtu serait une bonne expression car si l'impétrant doit abandonner le vieil homme, il n'en reste pas moins lui-même, non pas comme un nourrison, mais comme ine conscience organisée par sa vie profane, avec ce qui fait de lui ine personne unique et le constitue comme Autre. Mi-nu pour pouvoir se revêtir d'un nouveau mythème, mi-vêtu pour être pierre solide pour aider à la construction du temple