Alors que le président de la République se rendra lundi, pour la première fois, devant la Grande Loge de France, Challenges revient sur les liens parfois tumultueux entre Emmanuel Macron et les « frères trois points ».
Source : Site de Challenges.fr du 4 mai 2025 – Article « Macron devant les francs-maçons : des relations houleuses et parfois orageuses avec les « frères »«
C’est un événement de portée historique. Le président Emmanuel Macron se déplacera lundi à la Grande Loge de France pour prononcer un discours sur la laïcité à quelques mois du 120e anniversaire de loi de séparation des Églises et de l’État, adoptée le 9 décembre 1905. Ce sera la toute première fois qu’un président de la République se rend devant la Grande Loge de France, deuxième obédience maçonnique en France après le Grand Orient de France. Elle compte 32 000 membres, contre 55 000 pour le Grand Orient. L’occasion de revenir sur les relations, parfois tumultueuses, du président de la République avec les francs-maçons.
La pyramide du Louvre
Tout avait si bien commencé… Avec sa campagne de 2017, ni de droite ni de gauche, qui cherchait à « réunir ce qui est épars », un dogme de la loi maçonnique, Emmanuel Macron avait séduit les « frères ». Et sa tenue blanche fermée [sorte de conférence ouverte à un invité non initié] au grand temple de la rue Cadet (Grand Orient) avait été appréciée. Les maçons avaient été charmés par sa jeunesse et la promesse d’un « pacte girondin », d’une décentralisation heureuse, d’une décrispation générale. Et ils avaient appelé à voter en masse pour lui contre Marine Le Pen. La victoire acquise, de nombreux frères, assistant à l’intronisation du nouveau président devant la pyramide du Louvre, avaient même cru, à tort qu’il était des leurs, tant l’allusion était évidente et les mots du nouveau président évocateurs : « en vos grades et qualités », caractéristiques du vocabulaire maçonnique…
En réalité, ces interprétations étaient hautement fantaisistes. La pyramide ? « Pas maçonnique, en tout cas pas celle de Pei », tranche Emmanuel Pierrat, avocat, écrivain et fin connaisseur de la franc-maçonnerie. Quant à l’expression « en vos grades et qualités », « il a pu l’entendre dans n’importe quel banquet républicain », assure Alain Bauer, criminologue et ancien grand maître du Grand Orient de France (GODF). Les « frères » étaient toutefois confortés, après l’élection, par la formation d’un gouvernement très maçon-compatible, avec des frères revendiqués, comme Gérard Collomb, Jean-Yves Le Drian ou Jacques Mézard (nommé depuis au Conseil constitutionnel) ou des personnalités à la proximité assumée avec les maçons, comme Jean-Michel Blanquer qui, invité au dîner annuel de la Grande Loge de France, avait souligné ses « convergences avec les valeurs maçonniques ».
Une désillusion brutale
La désillusion n’en fut que plus brutale pour de nombreux maçons, choqués par les choix verticaux du chef de l’Etat au cours de la première année de son mandat et par son cléricalisme supposé. La rupture s’était approfondie au printemps 2018 quand Macron avait prononcé son discours devant le Collège des Bernardins dans lequel il avait assuré vouloir « réparer » le lien « abîmé » entre l’Eglise et l’Etat. Bronca générale des maçons laïcards. « On attend un président, on entend un sous-curé », avait alors commenté Jean-Luc Mélenchon, lui-même « frère » dans les années 1980. Le toilettage programmé de la loi de 1905, évoqué alors par le président, ne fait qu’ajouter aux inquiétudes des frères de toutes obédiences, qui demeurent opposées à l’idée de toucher à ce texte symbolique.
La révolte des « gilets jaunes » à l’hiver 2018 va permettre à Emmanuel Macron de retisser ses liens avec les francs-maçons. En obligeant le président de la République à changer de politique et reprendre langue avec les corps intermédiaires, la crise des ronds points le voit renouer avec les francs-maçons, du Grand Orient comme de la Grande loge nationale de France. Le chef de l’Etat se réconcilie même avec son ancien ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, qui avait quitté le gouvernement quelques mois plus tôt en regrettant « la place faite au pouvoir central pendant les dix-huit premiers mois du mandat, alors que la campagne promettait une France girondine et décentralisée ». Les francs-maçons retrouvent alors l’oreille du président.
