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LES 77 MOTS DE LA VOIE MACONNIQUE – LEXIQUE (PART.2)

Une contribution de Jean Favry … LA SUITE DE LA PARTIE 1

BESOINS PSYCHIQUES. La psychologie humaniste est un mouvement qui naît dans le début des années 40 avec des psychologues tels que Carl Rogers (1902 – 1987)  et Abraham Maslow (1908 -1970). Le premier est convaincu que l’Homme est mu, au fond de lui, vers une orientation positive qui l’incite à être attentif aux autres . Il affirme : « Le seul savoir qui influence vraiment le comportement , c’est celui qu’on a découvert et qu’on s’est approprié soi-même ». Pas étonnant qu’il ait été l’auteur de Le développement de la personne et le promoteur infatigable de l’EMPATHIE et de la non-directivité, deux qualités qui ne peuvent nous laisser indifférents, nous les Francs-maçons et qui nous aident à évaluer nos propres conduites fraternelles . A fortiori si on est Vénérable ou Surveillant.

            Le second , dans les années 40, mit au point un modèle des besoins psychiques de l’Homme, indépendamment du temps et du lieu. Ses disciples les imagèrent par une pyramide. Cette pyramide des cinq besoins a fait le tour du monde . En voici la lecture : les  cinq besoins apparaissent progressivement. C’est au fur et à mesure que les besoins sont remplis que la personne passe au besoin suivant. Ce sont, tout en bas, les besoins de survie, faim soif, toit…puis les besoins de sécurité. Ils débouchent sur le besoin d’appartenance : amour, amitié et, bien entendu , fraternité. le suivant et quatrième, est le besoin d’estime de soi auquel le rituel de la prise de parole apporte un réponse. Enfin , en haut de la pyramide, en cinquième,  le besoin de se réaliser soi-même, de s’accomplir à travers une œuvre, une action qui donne sens à sa vie. La Voie maçonnique répond à ces cinq besoins et c’est un des traits de son génie. La pyramide d’A. Maslow nous conforte.

             Elle ne doit pas faire oublier une autre approche qui ne dit pas exactement la même chose. Il s’agit de  la logothérapie de V.E. Frankl, qui prétend, sur pièces, que l’altruisme, en ses multiples formes reste vivace quand tous les autres besoins ne sont pas satisfaits. que le sens de sa vie peut être premier. En fonction de leur conviction, le Vénérable, les Surveillants agiront, dans leurs relations fraternelles, différemment. Ce sont des savoir-faire qui peuvent être explorés dans l’Atelier des 3 Maillets, un des trois séminaire du CONSEIL DES ANCIENS ;

BONHEUR. Réussir sa vie sur terre passe, selon les études de psychologie, par deux facteurs. Le premier est de vivre des moments de bien-être, mais à une condition : celle d’en être expressément conscient ; Le second est de pouvoir lier ses valeurs, ses attitudes, ses comportements, ses actions…à un but clair et assumé dans sa vie. La Voie maçonnique, avec son cortège de valeurs humanistes assure largement ce dernier facteur, pour ceux et celles qui s’y reconnaissent. Mais le premier, la conscience de moments de bien-être, est souvent présent, grâce au plaisir de vivre des relations fraternelles, en tenue et en dehors. En fait, la fraternité à elle seule répond aux deux exigences. Elle est, en effet, par excellence, ce que les psychologues de l’intelligence émotionnelle appellent une « TRANSCENDANCE de soi ».

            Encore faut-il préciser ce que l’on attend par « bien-être ». Depuis les philosophes grecs, la distinction est claire entre les instants de bonheur dits hédoniques, souvent liés à l’Avoir , au Pouvoir et au Paraître et les moments dits eudémoniques. Ceux-ci dépassent les gratifications immédiates et procurent un sens à l’existence. Les neurosciences observent que les bien-être eudémoniques sont plus liés à l’activation des gènes anti-stress que les moments hédoniques.

            On démontre aujourd’hui  que la quête spirituelle a tendance à augmenter la longévité. Comme l’intensité et la qualité des relations sociales. Sur tous ces points, la Voie maçonnique qui est en cours de fin de croissance, est bien présente. C’est un gage de sa réussite et de son évolution prodigieuse.

BOUQUET DE CANAUX  Notre voyage maçonnique est en train d’accoucher d’une Voie initiatique de première grandeur. Je la résume dans mes ouvrages à l’apohtegme : Une spiritualité pour agir. Si l’idée est simple, si elle est l’aboutissement d’une sensibilité quasi centenaire, la mise en pratique, loin des bavardages convenus ou spécieux, n’est pas automatique. Elle demande à la Sœur, au Frère du temps, de la patience, une grande écoute des autres et de soi-même, bref des efforts pour dégager les éclats de la pierre.brute. Une question récurrente surgit alors : « Dans quelle mesure, ces enseignements sont-ils bien transmis ? » Il se pourrait bien que l’évolution de notre voyage n’ait pas été prise en compte et que l’on pense que la transmission , cela va de soi. Ce n’est pas tout : cette transmission, en supposant qu’elle fasse de nous de bons bagagistes, convient-elle à tout le monde. Des recherches datant de quelques trente ans nous aident considérablement, en général mais surtout pour les groupes pour lesquels la transmission est vitale. Ce qui est notre cas. Que sait-on aujourd’hui ?

            Nous n’apprenons  pas tous de la même manière : telle explication  conviendra à la  logique de tel Frère mais pas à l’intuition de la Sœur Florence.  Un autre se sentira à l’aise avec les métaphores, les analogies et la pensée inductive. Mais la Sœur Ariane, elle, en tient pour l’exposé des faits, puis la déduction et une synthèse. Enfin, chacun apprend avec midi à sa porte. Pas de raison pour que les Maçons fassent exception à cette loi de la répartition des canaux d’apprentissage comme les appellent les pédagogues.

            La Franc-maçonnerie n’est pas très ancienne ; trois cents ans, ce n’est pas grand-chose pour un mouvement de pensée comme elle. Mais certainement trop ancienne pour avoir intégré l’éventail des canaux d’apprentissage. C’est bien ce que je pensais avant de me pencher sérieusement sur la question. Et là, je n’en suis pas revenu : quand on passe au peigne fin, la méthode de transmission de la Voie maçonnique, la réalité éclate. Nos Anciens eurent l’intuition géniale de la différenciation des canaux, pour répondre au maximum de profils. Une nouvelle fois, le voyage se révèle d’une incroyable justesse. En visant en particulier le point aveugle de l’apohtegme Une spiritualité pour agir, à savoir la préposition  « pour ». Comment en effet, la Voie nous amène-t-elle à changer de registre , du développement spirituel à sa traduction en engagement citoyen ? Problème bien plus rude qu’il n’y paraît. La réponse, tu vas la lire, nous engage à continuer dans la même direction.

            Comment , en effet, transmettre aux Sœurs et aux Frères l’envie de mettre en œuvre les comportements engagés sur le forum, qui sont la traduction de leur changement spirituel, notamment acquis pendant les tenues ? La Franc-maçonnerie, de style français, devrait de plus en plus, en effet, susciter l’engagement individuel des initié(e)s. A condition toutefois qu’ils y soient poussé(e)s par les Anciens de leur Loge, en particulier par les trois Maillets, le Vénérable et les Surveillant(e)s. Les dispositions rituelles n’y suffisent plus et nous avons l’impérieuse nécessité de revoir nos pratiques, en répondant à deux questions : Comment traduire ses avancées spirituelles en actions dans le monde profane ? Et comment les Anciens peuvent-ils motiver les Frères et Sœurs de leur Loge à s’engager comme citoyens ? Cette seconde interrogation, celle de la méthode, fait l’objet de ce texte. Passons en revue les cinq possibilités que nous avons à notre disposition et faisons brièvement le point, pour chacune, sur nos pratiques actuelles.

                                    1) L’injonction consiste à donner un ordre, par exemple : « Soyez tolérants ! ». Elle est de mise, cette injonction, dès l’initiation, avec le serment où l’impétrant(e) promet de respecter notre corpus axiologique. C’est, sur le plan émotionnel, accepter la soumission au nom de valeurs altruistes. N’en rajoutons pas car cette manière a deux inconvénients : celui d’être peu suivie d’effets réels, autre que dans le discours et celui de la domination que l’autre. Cette relation entre celui qui sait et celui qui ne sait pas , serait ce dans le cas le plus noble, met celui qui apprend en situation inférieure par rapport au maître, dans tous les sens du terme. Trop d’injonctions ne fait pas très bonne figure dans notre humanisme qui veut que nous soyons tous égaux en dignité. Recevoir des ordres infériorise pour quelques secondes ou pour toute une vie.

                                    2) L’imitation est facile à comprendre puisque, dès notre plus jeune âge, on nous a désigné les personnes qui peuvent « servir d’exemples ». Il se fait que la toute récente PSYCHOLOGIE MIMÉTIQUE  observe que dans une relation , l’autre, s’il fait sens pour nous, peut revêtir, à nos yeux, trois rôles : celui d’un rival, celui d’un obstacle et celui d’un modèle. Cette dernière fonction nous interroge particulièrement. La répartition du pouvoir, dans le groupe-loge pousse les plus jeunes à imiter des Anciens. On voit vite la limite : les Anciens seront imités dans la mesure où eux-mêmes sont concrètement engagés et le font savoir sans éclat. Je crois que nous pouvons affiner, en tenue et ailleurs, cette relation mimétique.

                                    3) La persuasion quand, par exemple, le Vénérable commence une tirade sur les bienfaits que chacun(e) ressentira dans l’engagement sur le forum. Par exemple la satisfaction du devoir accompli, ; le sentiment de communier avec ses Frères, ses Sœurs ; la mise en cohérence de ce que l’on dit et ce que l’on  fait…Les arguments ne manquent pas mais la méthode est limitée. Ne ressemble-t-elle pas parfois à une sorte d’argumentaire commercial, un peu dérangeant, dans notre univers. Pour autant ne jamais pratiquer la persuasion, dans les limites de la probité, est regrettable. Certain(e)s d’entre nous pourraient bien s’y exercer.

                                    4) L’introspection qui prend un tout autre chemin. On fait l’hypothèse qu’un(e) initié(e) qui descend assez profondément en lui(elle)-même balaie les justifications  faciles pour ne pas agir et retrouve l’empathie que la psychologie moderne répute être naturelle. Le combat peut être rude : les bonnes raisons sont des  mauvaises herbes qui ne s’arrachent pas facilement. L’introspection mène inévitablement à se débarrasser des métaux de la rationalisation facile. J’ai rencontré quelques Frères qui prétendaient que l’introspection n’était pas essentielle ; en tout état de cause, « Je me connais bien ! » disent-ils. Pour cacher ou ne pa s’avouer les mille et une petites ruses qui permettent de présenter une personnalité sociiale  bien intégrée à la culture du moment.

            Voici mon hypothèse : Descendre en soi déclenche l’envie d aider l’autre. C’eqt ce que me souffle mon expérience professionnelle. Mais cette assertion, n’est nullement établie, autant que je le sache, par la recherche. Mais si je ne me trompe pas et si tu trouves que ma proposition tient la route, alors tu peux te poser la question : « L’introspection est-elle de bonne qualité dans ma Loge ? ». De ta réponse dépendra la force de l’engagement dans le monde extérieur.

`                                  5) L’engagement, voici le levier le indiqué et fort puissant pour amener l’autre à changer. Là les expériences[1] vérifient cet énoncé. Ces nouvelles connaissances, sont précieuses pour les Anciens qui ont du poids dans la loge : il leur appartient de faire changer le désir affiché d’être solidaire dans le monde profane en actions concrètes au bénéfice de l’autre. Là nous nous trouvons devant une méthode pointue testée plusieurs fois avec succès aux États-unis puis ici.. La psychologie de l’engagement, bien acclimatée désormais, révèle comment on peut amener les gens à faire librement ce que l’on attend d’eux. Sans que ce soit une manipulation. J’estime que la plupart d’entre nous, avons tout à apprendre de cette découverte pour les l’acclimater à notre spécificité maçonnique. Et au bout du compte, à honorer la seconde partie de la Voie qui arrive à maturité : Une spiritualité pour agir.

CATABASE. Autant l’ANABASE est une « montée » dit notre imagination et notre intuition, autant la catabase est une descente en soi. Comprendre que le Maçon monte vers le delta et descend le long de la perpendiculaire. En horizontale, les Apprentis sont réputés, dès le XVIIIème siècle, aller vers l’Orient et les Maîtres retourner vers l’Occident.

            Pour mieux appréhender notre travail de catabase, je te propose une lecture simplifiée à l’extrême de notre psychisme mais facile à manier. La voici : Quatre STRATES, de la plus en surface à la plus profonde, s’empilent dans notre psychisme : les comportements, les scénarios, les trames et les empreintes, ces dernières forgées dès le ventre de la mère.        Cette descente peut être lue de deux façons, en vertical et en horizontal.

            En vertical, c’est une invitation à reconnaître et à explorer ses profondeurs, là où palpitent les pulsions avec les désirs et les peurs. Le Ça , en langage freudien. Et qui est remis en question par plusieurs d’entre nous qui pensent que nous n’avons pas de cloaque, d’égout, de cul de bas de fosse. Et, si nous en avons un, qu’il n’est vraiment pas nécessaire de se complaire en cet endroit  nauséabond . C’est à toi de te prononcer. La psychanalyse, elle, descend en ces profondeurs ; elle dispose que l’analysant doit trouver les mots pour le dire. La Voie maçonnique a moins besoin de mots que de conscience .  Celle  des émotions suscitées par la rencontre et la méditation sur les arcanes, les symboles, mythes et ritèmes.

             Une autre lecture que la psychanalyse et qui en est issue, est la PSYCHOSYNTHÈSE de R. Assagioli. Elle est bien pratique pour rendre compte de notre vie psychique. Elle suppose trois inconscients, ceux d’en-haut, du milieu et d’en-bas. Conjuguée à la PSYCHOLOGIE POSITIVE, elle offre, à mon sens, une lecture opportune et utilisable de notre Voie. Elle qui  termine sa croissance.

            En bas, les trames lourdes, que nous possédons toutes et tous, à l’état latent ou manifesté dans les névroses, par exemple. Il s’agit des structures de l’angoisse, de l’agressivité, de la culpabilité, de la dépression, de la CRATOPHILIE, de la manie… et j’y ajoute l’ennui. Or ces trames sur lesquelles se règlent nos scénarios comportementaux ne sont pas nécessairement néfastes. Elles ont toutes, en effet, un rôle à jouer. Je prends la dépression ; il est avéré qu’elle favorise l’introspection ; quand l’angoisse  nous incite à la prudence et la culpabilité, à la gratitude. Les trames de l’inconscient d’en-haut sont communément bien admises. Je songe à la recherche de la vérité, de la liberté, à la formulation d’une transcendance, au sens donné à la vie…Pour agréables qu’elles soient, elles peuvent, aussi devenir néfastes. Quand elles débordent et occupent trop l’esprit. La quête de la transcendance, quand elle devient lancinante, peut mener à l’occultisme. C’est le risque d’addiction.

            Mais quelle que soit la position, je rappelle que la Voie maçonnique peut être une thérapie du lien pour certain(e)s mais qu’elle n’est, en aucune façon, une sorte de psychanalyse. Pour autant, sa lecture relève évidemment du fonctionnement du psychisme., donc des PSYCHOLOGIES. Et c’est dans les récentes découvertes que nous pouvons désormais, nous les Anciens de la Loge, optimiser la quête spirituelle.

            Ce que l’on sait, entre autres, c’est que le QI est moins puissant, dès qu’il s’agit de passer à l’acte, que le QE, le quotient émotionnel. L’individu progresse et connaît le bonheur non pas des décisions dites mûrement réfléchies mais par l’éventail des émotions qu’il (elle) a à sa disposition. Pile poil ! C’est un de nos secrets : nous travaillons avec nos pensées certes mais surtout avec nos émotions, sans aller là où, sans doute, nos pulsions tonitruent. Celui(celle) qui est sur le divan, parle et les mots éveillent  ce qui est caché, enfoui. Celui qui est en tenue délivre des idées –il n’en faut pas trop- et des  sensations, des émotions. Elles proviennent –c’est bien sûr ! – des zones interdites par la conscience mais le propre des rites, des mythes et des symboles est de faire ressentir sans nommer. On laisse les désirs et les peurs dans le silence des profondeurs. Il suffit de les vivre, ces émotions, en toute tranquillité, grâce à la mémoire vive ou sur le moment En effet ce qui  est enfoui est mis en scène dans le rituel. Encore faut-il savoir le lire, plutôt l’habiter. Pour cela quelques années d’assiduité. La tenue nous apporte les conditions indispensables pour que les émotions puissent nous faire vibrer.. Et c’est bien ainsi !

            La seconde lecture de la catabase se fait sur le plan horizontal. Je propose que la Franc-maçonnerie LIBÉRATIVE ait pour devise une spiritualité pour agir. Les progrès spirituels obtenus en loge, se traduisent en actions dans le monde profane. Je me rallie à l’opinion, somme toute assez courante que la tenue ne fait que la moitié d’un(e) initié(e).
De même ne se consacrer qu’à des thèmes sociétaux fait la seule autre moitié. Il y faut les deux. La charnière entre anabase et catabase , c’est la conscience, cachée sous la préposition «pour »qui relie les deux. Voilà un mystère réel , peu expliqué aujourd’hui.. Avoir conscience  de ses choix personnels, des valeurs adoptées et du sens de sa vie, entre autres, ferait le pont avec l’action dans le monde profane. Entre Orient et Occident. Là où veille le Couvreur qui contrôle les passages. Son épée pourrait bien s’appeler « Pour »

CHERCHANT. On a l’habitude qui semble aller de soi, de distinguer les bien-portants des malades tant physiques et psychiques. Depuis la naissance de la psychanalyse, on sait que cette distinction est une commodité dualiste qui ne correspond guère à la réalité. Entre ces deux extrêmes, toute la gamme de ceux et de celles qui sont plus ou moins adapté(e)s à la société occidentale et française en particulier. Les expatriés, quand ils s’en vont, savent bien qu’il leur faudra s’adapter à de nouvelles, normes, valeurs, usages…au risque s’ils ne le font pas d’être considérés comme des personnes souffrant de troubles. C’est pourquoi je me rallie au consensus de la communauté des psychologues : La majeure partie de la population pourrait bien naviguer entre les deux pôles. Les usages sociaux servent de maquillage.

            Or les initié(e)s qui se reconnaissent dans la Franc-maçonnerie LIBERATIVE souhaitent se développer spirituellement pour mieux agir. Ils ne le peuvent que dans la mesure de la souplesse de leur personnalité. Ceux et celles qui sont persuadé(e)s qu’ils (elles) sont vraiment très normaux et se sentent , à cause de cela, en bonne santé psychique risquent d’être figés dans leur « normose ». Je ne pense pas qu’une quête spirituelle leur soit accessible, à tout le moins profitable. Les personnes très satisfaites de leur vie en société laissent peu d’interstices dans leur représentation du monde. L’entre deux est la position de celles et ceux qui estiment ou ressentent que le perfectionnement individuel et collectif n’est possible qu’à mesure des questions sans réponses, qui laisse des brèches. C’est la raison pour laquelle je propose d’appeler le troisième état psychique, celui de la malléabilité, du nom de CHERCHANT, terme emprunté au Rite écossais rectifié.

(LE) CONSEIL DES ANCIENS. Trois journées distinctes de travail en commun pour décider de l’amélioration des pratiques, dans les offices de Vénérable et de Surveillants. Chaque journée est bâtie sur le même scénario de réflexion et de décision. Il pose le postulat suivant : Si on fournit aux Frères, aux Sœurs participants, des expériences démontrées sur les comportements humains et si ceux-ci peuvent être mis en rapport avec le déroulement d’une tenue et le vécu maçonnique, alors ils parviendront à décider de la manière de pratiquer dans des situations identifiées. Le Conseil des Anciens n’est pas de la formation mais bien, comme son nom l’indique trois journées d’analyse et de décisions pratiques. Il ne touche pas aux rituels et s’appuie sur l’expérience de chacun(e). Enfin les trois journées sont indépendantes l’une de l’autre.

            Une journée porte sur les relations que l’officier entretient avec ses Frères, ses Sœurs pendant et hors de la tenue. Cette journée s’appelle L’Atelier des 3 MailletsÓ. Une autre pousse à la prise de conscience des rôles que l’on joue, sans trop s’en rendre compte. Il s’agit du Jardin des Vénérables. Chaque participant(e) en ressort avec un profil clair, le sien qui est le fruit de l’image qu’il a de lui-même et de la nature des actions qu’il(elle) mène ainsi que des valeurs qu’il affiche ou croit afficher. La troisième journée a pour ambition de mettre à jour les relations entre les membres, en quantité et en qualité, la vie et le fonctionnement du groupe. Je la nomme Le Portique de la Loge.

            Trois temps, à chaque fois, fondés sur les valeurs de fraternité et de reesponsabilité. Dans un premier temps, les futurs participants choisissent individuellement les savoir-faire qu’ils (elles) aimeraient posséder et envoient leurs choix à l’animateur ; celui-ci en tire le programme. Exemple, le savoir-faire favoriser la concentration sur un symbole .a été jugé important pour neuf Sœurs, Frères. Le savoir-faire figurera au programme.  Deuxième temps : La journée de regroupement (6 à 12 personnes) est consacrée aux choix des moyens à mettre en œuvre pour chaque savoir-faire :quels comportements et quels types de phrases. Ce qui pourrait donner, en suivant l’exemple : « Énoncer, en tenue, une fois par an, les bénéfices possible tirés de la réflexion sur ce symbole. Et ainsi de suite pour les autres savoir-faire. Mais tous n’ont pas été traités dans cette journée. Le travail de décision sur les autres savoir-faire qui n’ont pas été traités, occupe le troisième temps, celui du réseau fraternel : chacun(e) a deux tâches à mener. D’abord, l’envoi au responsable de tel savoir-faire (qui s’est porté candidat à la fin de la journée), ses choix de moyens, comportement ou/et phrases et mots. Ensuite, en tant que responsable d’un savoir-faire, il reçoit et synthétise les apports envoyés par les participants. Par exemple, le Frère Marc est responsable du savoir-faire « remercier sans féliciter ». Chacun(e) lui envoie son choix de moyens Et il en fait la synthèse.

            Au bout du compte, toutes les synthèses sont réunies dans le Grand  Tracé de l’Atelier, du Jardin ou du Portique 

CRATOPHILIE. Néologisme forgé par Daniel Béresniak pour signifier cet « amour du pouvoir » qui est nécessaire pour conduire et contrôler tous les rouages de la société. Cet auteur dénonce sans cesse la cratophilie, à côté du « PRÊT-A-PENSER », une autre de ses créations . Car chez certain(e)s, elle est dévorante et parfois pathologique Nous avons en tête des politiques, des artistes, des chefs d’entreprise imbus de leur pouvoir. Mais elle sévit aussi, observe notre Frère, dans la Franc-maçonnerie. Avec d’autant plus d’acuité qu’il est réputé que nous laissons nos métaux à la porte de la loge.

            L’affichage vaniteux des degrés qui suivent ceux de la loge bleue, crée un foyer de cratophilie : chaque nouveau degré est alors vécu comme une distinction, un paraître dont la prétention n’a d’égale que les dénominations ronflantes. On sait qu’il existe un rite qui compte presque cent degrés, aveu pathétique de la course aux cordons et des titres qui ronflent bruyamment. J’ai l’impression que pour beaucoup de Frères, le travail personnel sur sa cratophilie est un des premiers chantiers, tellement cette envie est fort. Des Sœurs m’ont affirmé qu’il en était de même chez elles. Autant de Sœurs concernées ? Je n’ai pas l’impression mais ce n’est qu’une impression.

            Il est apparemment facile de condamner cette enflure de l’envie de pouvoir. Oui mais…ce serait sans compter que les Hommes désirent, pour la majorité, être commandés. C’est rassurant, en effet ! Et la cratophilie ne règne que dans la mesure où les sujets (dans les deux sens du mot) manifestent leur « ARQUÉPHILIE » ce désir d’avoir un chef. Jean de La Fontaine la brocardée dans la fable :Les grenouilles qui voulaient un roi.

            Oui, dans l’Ordre, l’habit fait parfois le moine, chez ceux et celles qui se parent de décors voyants mais aussi chez ceux et celles qui guignent avec des yeux avides les dorures, les pampilles, les liserés frangés, les voûtes d’acier, les maillets battants…C’est à cause de cet accord muet que la cratophilie trouve ses justifications les plus torves. La spiritualité et sa parèdre la fraternité sont, à ces « hauts » degrés dont il ne reste souvent que l’apparat, d’autant plus affirmées qu’elles sont absentes des têtes et des cœurs. Dans la tromperie d’un Pouvoir factice et de son étalage dans un Paraître affiché.

CULTURE. Voir aussi STRUCTURE. Quels que soient l’obédience, le réseau ou le rite, chaque loge a ses spécificités. Dans son égrégore et sa manière de travailler ; dans les valeurs et leur poids respectifs ; dans tel ou tel choix rituel ; dans l’invention même [2]de ses particularités dans la vie spirituelle commune. Ces marges de liberté, c’est bien ainsi. Car la Maçonnerie de GRAND-PAPA a vécu ; elle est même moribonde chez les Anglo-Saxons. La vie d’une loge, ses orientations, ses choix et ses conditionnements, tout cela tient à la culture particulière de la loge, enchâssé dans la culture maçonnique de style français. Un exemple : le tableau au centre de la loge et la circumambulation qui en découle sont des traits culturels de notre maçonnerie. Démarrer du pied droit ou du pied gauche est affaire de rite, donc de culture. Parfois, plus souvent que l’on croit, les conditionnements culturels sont des blocages, à tout le moins des ratés, dans l’évolution de nos mœurs initiatiques. Parce qu’il nous donnent l’impression d’être des vérités alors qu’ils ne sont, en fait , que des conditionnements que nous ne remettons pas en cause. Des exemples ? La notion de « régularité », assez grotesque quand on songe que ce détail peut enflammer des obédiences. Culture historique, diraient les « Réguliers » qui vont jusqu’à maquiller l’indigence sous les termes éminemment culturels, de Tradition[3].

Une des tâches les plus élevée pour faire vivre une loge libre est de se débarrasser des conditionnements historiques qui ne sont qu’une suite de phénomènes culturels et, à ce titre, parfaitement passagers et sans grande utilité réelle pour viser les buts de l’Ordre. On ne citera jamais assez Joannis Corneloup qui déclara : « La tradition, ce n’est pas la conservation des cendres, c’est la transmission de la flamme ». Comment être plus clair ? D’un côté les errements qui alimentent à foison conférences et livres autour de la question lancinante des origines et de l’histoire de la Maçonnerie. Assorti d’un « pas touche au rituel », purement culturel, qui bloque toute évolution comme on le voit en Angleterre et aux États-Unis. De l’autre, une démarche heuristique qui ne reste pas coincée dans les apparences et les conditionnements culturels, comme en France, par exemple. (STYLE FRANÇAIS). Ma thèse est claire, après tant d’années de maçonnerie et tant d’étude sur le sujet : Le voyage initiatique actuel est en train d’accomplir sa dernière métamorphose : devenir la Voie superbe, annoncée dès la fin du XIXe siècle[4].Dans cette brillante orchestration dont nous sommes, toi, moi et les autres, les musiciens, quelques fausses notes. Par exemple la certitude que la connaissance de notre HISTOIRE est centrale dans l’évolution de l’initié(e). Ce n’est que la partition du triangle.  Qui passe, aux yeux de la quasi-totalité des Frères, des Sœurs, pour le piano ou le premier violon[5]. Aux tiens, c’est fort probable.

            Pendant ce temps, heureusement, tout ce qui est profond, universel , en un mot tout ce qui touche à la STRUCTURE psychique humaine, avance avec résolution. Un exemple : Entrer en loge du pied droit ou du pied gauche est un choix culturel. Ce qui est de l’ordre de la structure, c’est pénétrer avec précaution dans un endroit sacré. Voilà qui est universel. Autre exemple : l’œil dans le delta rayonnant est une figuration chrétienne, jésuite plus précisément. Cette représentation est d’ordre culturel mais les éléments, eux, sont enracinés : un œil, de la lumière rayonnante, un nombre 3…se retrouvent dans beaucoup de traditions. Plutôt qu’un œil, la mode pourrait inventer un autre habillage : le soleil rayonnant avec dessous un personnage de style égyptien faisant une offrande à une transcendance. Dans son plateau trois boules de pain.

            Elle avance, cette Voie. Sans grand bruit, certes, mais rien n’arrête l’Homme en recherche du sens de sa vie et du sens de la vie. Celui d’« Une spiritualité pour agir ».

            J’entends d’ici, les cris d’indignation : « On va faire n’importe quoi ! Les rites et rituels remontent à une époque primordiale ; pas question de les toucher ! » Aveu de confusion entre ce qui passe (la culture) et ce qui demeure (la structure). Des innovations estimées douteuses ? Elles disparaîtront en fonction de l’évolution de la société si elles ne sont qu’un habillage culturel. Elles s’inscriront dans les rituels durablement si elles s’enracinent dans le terreau psychique humain. Un bel exemple : l’évolution actuelle de ce

DEGRÉS. Les trois degrés de la loge bleue sont toute la Voie maçonnique. Opinion qui ne choque pas nos Frères anglo-saxons. Les degrés dits supérieurs ne font que répéter les  neuf séquences du rite de passage et le GABARIT des degrés bleus, à savoir les éléments invariables comme la voûte, les colonnes, l’ouverture et la fermeture des travaux, les signes, les mots….Ils sont à ce titre, une excellente révision du message une spiritualité pour agir. Ceci vaut pour tous les rites, du 5ème Ordre aux 95 degrés.

            Les trois degrés s’appuient, comme toute œuvre humaine, sur des fondations psychiques. La psychanalyse est, à ce jour, le seul outil complet pour l’exploration de nos soubassements. Je discerne, pour ma part, sous les rituels et les arcanes, des désirs fréquents et ordinaires pour les explorateurs de l’âme humaine : le parricide, l’inceste, l’homosexualité, la régression utérine pour citer les principaux qui sont mis en scène par le truchement des rituels et des mythes. C’est à mes yeux, une preuve du génie de la Franc-maçonnerie que d’enraciner la quête au plus profond de l’Homme.

Mais que l’on ne s’y trompe surtout pas ! Il n’y a aucune indication dans le voyage maçonnique qu’il faille descendre en soi jusqu’à ces empreintes profondes. Y aller ne ferait que désenchanter nos mystères. Et, par surcroît, ne rend pas plus heureux, selon mon expérience. Vivre intensément les sensations et les émotions qui nous viennent d’en haut et d’en bas, voilà, selon moi, le génie de l’Art royal. Grâce au rite de passage (initiation et élévation), au parcours de sagesse et à l’engagement citoyen. Chaque degré se concentre sur quelques messages essentiels pour cheminer spirituellement. C’est pourquoi, je crois qu’une des évolutions de la Voie maçonnique, sera de mieux spécifier le type de tenue pour chaque degré. Dans les mots, c’est déjà le cas avec la Chambre du milieu. Les tenues de Compagnons sont appelées « chantier » dans le rite français de 1786 et « cayenne » au Rite opératif de Salomon. Il sera judicieux d’aller plus loin dans la caractérisation. Et de faire un effort tant les messages de ce degré sont esquissés dans notre pratique : le voyage, le partage, le Trait et le chef d’Œuvre. C’est, je le parie, une des évolutions majeures qui mène à la Voie.

             J’ai l’expérience d’un second degré réhabilité dans le Rite opératif de Salomon . Le résultat est tout à fait digne d’intérêt. Voici en quoi : Le deuxième degré fonctionne selon quatre axes traditionnels que j’ai listés :le voyage, le partage, la géométrie et le chef d’œuvre. Ce qui est original et passionnant, c’est la façon dont chacun de ces axes est réellement, concrètement mis en œuvre. D’abord le voyage. Il est demandé d’effectuer au moins cinq visites à d’autres loges, sans égard pour leur étiquette obédientielle puis d’en faire un compte-rendu détaillé devant les Frères, les Sœurs : les points de ressemblance, ceux de différence, les bonnes idées enfin. Ensuite le partage. Là les Compagnons de la loge se retrouvent entre eux pour réfléchir à une question d’ordre initiatique et spirituel et se répartir le travail de présentation de la planche commune. Puis la géométrie. A travers l’art du Trait, elle occupe une place éminente. A chacun(e) de tracer différentes figures géométriques avec compas et règle (l’équerre n’est plus requise). Au jour dit, les Compagnons effectuent au tableau devant la cayenne, des tracés qu’ils commentent. Enfin le chef d’œuvre n’est pas la planche de fin de compagnonnage, comme on le voit classiquement. Non, là il s’agit de la fabrication réelle d’un objet de leur choix, pourvu qu’il soit en rapport avec la loge. C’est ainsi que j’ai vu des niveaux, des phénix, des étoiles à cinq branches, des marches…entièrement fabriqués par les Compagnons, quelle que soit, au départ, leur habileté manuelle. L’essentiel, pendant la présentation du chef d’œuvre, est aussi ailleurs, dans l’exposé des sentiments et des émotions qui ont accompagné sa fabrication. Ce serait si bien pour les autres rites de se moderniser en ce sens pour donner enfin un peu de poids et d’intérêt pour ce deuxième degré qui est,, je le répète souvent, d’une pauvreté alarmante.

            La Chambre du milieu est également un lieu où notre créativité peut se libérer. Allons plus loin Je considère que la Franc-maçonnerie LIBÉRATIVE pourrait alterner les quatre types de tenue en usage, ci et là ; Les tenues de loge, les tenues de table ou agapes, les tenues d’instruction qui concernent les Maîtres aussi car dès l’élévation ils sont abandonnés dans leur essais et leurs errances ; les tenues de comité, sans rituel sauf pour la prise de parole sur les actions que la loge ou ses Maîtres mènent dans le monde profane. Tout sauf le débat d’idées, peut être à la mode mais qui est une catastrophe en Maçonnerie. C’est si souvent un lieu de bavardages, sans retombées effectives dans la vie citoyenne et qui, de surcroît donne bonne conscience, dans le genre : Chacun(e) a pu faire part de ses idées…On n’est pas tous d’accord mais c’est bien…On est allés au fond des choses…cette planche m’a beaucoup appris… » et autre calembredaines qui faisaient dire à Mircea Eliade que les Francs-maçons sont « d’incorrigibles bavards ! » Faisons-le mentir et, pour chaque degré, chacun dans sa spécificité, ne craignons pas l’innovation dans le respect du rite. Je fais confiance aux jeunes générations d’initié(e)s qui, sur ces points, seront sans doute plus exigeants que, nous,  les anciens.

DOUBLE LIEN. Je suis frappé par le statut de la parole, dans notre rituel maçonnique : le silence fait loi et la prise de parole aussi. Comme si on disait : « tu te tais en parlant ». Les Francs-maçons seraient-ils des victimes (très) consentantes de ce que l’on appelle le double lien ou l’injonction paradoxale. Ce phénomène, au demeurant commun, repose sur l’impossibilité , pour un individu,  d’acquiescer et d’obéir aux deux ordres d’une alternative. Pa exemple : « sois spontané(e) » ou « je vous interdis d’obéir ! ». Le concept de double lien fut théorisé par Gregory Bateson, de l’école de Palo Alto, en 1956. Dans des situations de double lien, les personnes peuvent rester bloquées, ébahies et se réfugier dans une autre peau, bref devenir schizophrènes. L’autre possibilité de s’en sortir est de prendre la situation au second degré, en prenant du recul. Par quels moyens ? En dénonçant le double lien, ce qu’on appelle la méta-communication ; ou en la prenant avec humour. Je me rappelle mon maître Daniel Béresniak  affirmait que l’humour est indispensable dans la quête spirituelle. La métaphore qui se déploie dans nos mythes est un moyen pour accepter le double lien. Pense au mythe de la construction-démolition qui, enjoignant les contraires, se transforme positivement dans le symbole du cycle.

            Revenons, à la lumière du double lien, à notre rituel. Celui-ci est un symptôme d’une structure obsessionnelle, admettent les freudiens. Qu’elle soit une trame  (STRATE) ou , dans les cas plutôt graves, une névrose. Or ce symptôme, le rituel, a pour fonction, parce qu’il est toujours le même et répétitif, d’empêcher les émotions de monter à la conscience. Dans nos loges, plus le rite est pointilleusement observé, plus il protège contre les désirs inavouables. En bref, à l’ouverture des travaux, on proclame muettement : « Le rite vous protège ; soyez en paix ! ». mais, dans la maçonnerie de STYLE FRANÇAIS, on privilégie les planches, portées par  la conviction que nous avons tous des avis différents qu’il est bon de confronter pour arriver à une synthèse ; croyance qui fonde un des aspects du génie français. D’aucuns vous parleraient du village gaulois. Or qu’est une planche, quel que soit le thème ? Une possibilité de parler, je devrais dire une nécessité de parler. Nous sommes donc en face d’un double lien : « Tais-toi et parle » avec l’impossibilité de se défiler ; on ne quitte pas impunément une tenue sans y mettre les formes rituelles. Tous les ingrédients sont réunis pour faire de la situation d’une tenue, une situation intolérable et schizoïde. Deux conséquences : la première est le soin avec lequel il devient possible, en tenue, de prendre la parole après la couverture chaude du rituel. Passer du « tais-toi » au « parle » est minutieusement au point dans nos usages. C’est la méthode de prise de parole que tant d’auteurs maçonniques admirent, « pour sa sagesse ».  Cette méthode que vous avez en tête est le pont périlleux du silence à la parole ; il prouve, par son existence même que le passage est solennel, qu’il y faut des formes codifiées.

            Tant que la planche reste au niveau des faits et des opinions afférentes, pas trop de danger à prendre la parole, surtout si la planche est lue. Le meilleur moyen pour ne laisser filtrer aucune émotion spontanée. Voilà la parade la plus commune dans nos usages. Mais nous savons qu’une voie de sagesse, comme la Maçonnerie, passe par une meilleure connaissance de soi. Et que celle-ci, pour être effective, doit délaisser les idées abstraites au profit des ÉMOTIONS, les véritables passeurs de l’authenticité du Frère, de la Sœur. Surtout si ce passage s’effectue en MIROIR. En bref Nous sommes bien en présence d’un double lien : le rituel intime le silence alors qu’il faudrait livrer spontanément ses émotions lors d’une planche ou lors des interventions.

            Mais la Voie maçonnique est merveilleuse : elle prévoit un moyen de dépasser l’obstacle du double lien qu’elle institue. Nous avons vu plus haut que la métaphore est, en général, un moyen spontané de franchir l’obstacle du double lien. Or les mythes, les ritèmes (éléments du rite) et, au premier chef, les symboles appartiennent à la même famille que les métaphores, celle de l’analogie. Je fais l’hypothèse qu’ils ont tous la même vertu : celle de pouvoir nous autoriser à parler et dire les émotions sans trop s’aventurer, sans prendre de risques., dans des pays inconscients que le Maçon n’explore que dans la mesure où ils peuvent être conscientisés. Puisque le propre du symbole c’est de dire sans dire. Par exemple, l’équerre, c’est la droiture (niveau des idées) mais, pour moi, l’équerre, c’est aussi la rigidité qui me déplaît. C’est parce que je m’approprie ce symbole que j’arrive à l’ÉMOTION qu’il me procure. Ce montage du voiler/dévoiler, permet donc d’exprimer ses émotions, quand on fait une intervention. Alors je peux laisser filtrer, mine de rien, mes ÉMOTIONS que je transmets aux Sœurs, aux Frères pour qu’il s’y mirent et s’interrogent sur eux-mêmes.

Mais la lecture d’une planche ? Elle ne permet pas, sinon de manière artificielle, de transmettre ses émotions, la matière première de la Voie maçonnique. Donc pas de lecture. La planche est présentée oralement avec, tout, au plus des notes pour se repérer. Il y aura des hésitations, des silences, du bafouillage, des répétitions…Très bien, nous ne sommes pas à l’université ! Dût le goût français pour la relation magistrale, en pâtir. Bien plus, tous ces petits phénomènes sont précieux car ils laissent passer les ÉMOTIONS. N’est-ce pas ce que nous cherchons ?

DUALISME. L’assassin des nuits noires des spiritualités figées et racornies. Non point qu’il n’existe de pôles de référence dont le concours commun rend compte du flux incessant de la vie. Mais dualisme n’est pas dualité. Des générations d’Apprentis tombent ainsi dans le panneau du systématisme et de la simplification dualiste. Et mènent leur introspection avec, en bandoulière, deux flèches, croient-ils, celle du Bien et celle du Mal par lesquels ils se visent. Souvent les religions poussent à se convertir aux dogmes qui relèvent d’une telle pensée. Il est tellement plus commode de fonder deux camps, pour se ranger dans l’ « axe du Bien » et y fourbir ses armes, celles du rejet des autres, apostats ou/et rénégats. Sur cette pente glissante quoique séduisante, se méfier du terrorisme mental du « tout-masculin » et du « tout-FÉMININ.

ÉMOTION. Les recherches sur les émotions sont récentes, le début des années 90, aux Etats-Unis. Les hypothèses, en cours de test aujourd’hui, de Daniel Goleman dans L’intelligence émotionnelle de 1995 se prêtent bien à une compréhension de la Voie maçonnique. Son modèle distingue quatre compétences relationnelles qui ne peuvent laisser indifférent le Maçon d’aujourd’hui et de demain. Les voici, brièvement résumées :

            – La conscience de soi, celle de ses émotions et la capacité à les formuler, à les utiliser sciemment pour décider.

            – La maîtrise de soi qui consiste à contrôler ses émotions et à les faire évoluer selon les changements de situations.

            – La conscience sociale qui permet de détecter les émotions d’autrui et d’y réagir.

            Ces trois capacités ne sont pas innées. Nous en avons tous le potentiel et nous pouvons les apprendre.             Quelles conséquences en tirer pour la Voie maçonnique ? Pas grand chose dans les loges sociétales mais beaucoup dans les loges initiatiques. Si le miroir que nous tendent les autres est un des moyens puissants du « connais-toi toi-même », alors la perception claire de ses émotions et de celles des SS⸫ et FF⸫ devient la pierre de fondation de la première phase du parcours de sagesse. A nous tous d’exprimer nos émotions simplement et le plus clairement possible. Les autres ne doivent-ils pas comparer leurs émotions aux nôtres ?

            On distingue désormais l’intelligence cognitive, bien connue par le QI et l’intelligence émotionnelle, observée avec le quotient émotionnel (QE). Je pose la FRATERNITÉ, comme tout à la fois, la cause, le moyen et le but de la Voie maçonnique. Manifestement elle relève surtout de l’intelligence émotionnelle.

            Conclusion, en cours de démonstration par les psychologues : l’intelligence émotionnelle est le meilleur prédicteur de la qualité des relations aux autres. La fraternité au premier plan. Le QI, dans notre cas, est sans doute moins important. Conséquence : efforçons-nous pour que nos tenues de loge soient des creusets d’émotions délivrées à tous,  en toute confiance et en toute transparence. Les échanges, les débats d’idées sociétaux sont plus requis dans les TENUES de comité, sans rituel., telles qu’elles existent au Grand Orient de France. Autre conséquence : ceux et celles qui parlent bien, les intellectuels débrouillés sont peut être handicapés dans la transmission de leurs émotions. Ne les recouvrent-ils pas parfois de belles paroles, de raisonnements aux logiques imparables, d’abstractions chatoyantes, comme les aiment souvent les Français ? Une étude sur les profils sociaux des Francs-maçons fait vite apparaître ce côté tristement élitiste alors qu’à la différence de l’intelligence cognitive,  l’intelligence émotionnelle n’est pas liée au statut social. Les jeunes générations auront intérêt à coopter des profanes peu embarrassés par le bien-parler. Et qui vouent aux gémonies le modèle universitaire traditionnel.

EMPATHIE. La première mention date de 1873, en Allemagne et de 1907, en France. C’est « se mettre à la place de l’autre » mais comme si on était l’autre, en sachant qu’on ne l’est pas. : deviner ses émotions, ses perceptions et, dans plusieurs cas, ses pensées. C’est le psychologue humaniste Carl Rogers (1902 – 1987) qui promut, à partir des années 50, dans le monde entier cette attitude qui vise à comprendre l’autre et à lui prouver qu’on l’a compris. La notion est proche de concepts tels la non directivité, l’écoute et la reformulation. Elias Porter (1914 – 1987), le disciple de C.Rogers en fit, dans son modèle des six attitudes de relation interpersonnelle celle qui permet effectivement de témoigner à l’autre de la compréhension que l’on a de lui (d’elle).Les autres attitudes sont le jugement, la décision, l’interprétation, le soutien et l’enquête.

            L’empathie est une composante de la fraternité. En effet pour que cette dernière se développe, la sympathie ne suffit pas, qui consiste à vivre, sans recul, la même émotion que l’autre. Le plus beau cadeau que l’on puisse lui faire est de lui montrer qu’on l’a bien compris(e).

            L’empathie se travaille comme le savent bien des générations de managers qui s’y sont entraînés. Aujourd’hui, les chercheurs ont établi que l’empathie est une disposition naturelle qui apparaît dès le plus jeune âge. Peut-être faut-il recouper cette observation avec l’imitation , développée dans la PSYCHOLOGIE MIMÉTIQUE. En tant que Maçons, nous devrions tous nous perfectionner dans cette capacité à être empathiques. Car la FRATERNITÉ en sortira renforcée. N’est-ce pas une nécessité pour que nous puissions mener notre quête ? La recherche de notre identité ne passe-t-elle pas, entre autres, par le miroir tendu par son Frère, sa Sœur?

ESPRIT. Pourrait-il désigner les régions ressenties comme « supérieures » du psychisme? Les écoles de psychologie varient : L’inconscient d’en-haut de la psychosynthèse ; le lieu psychique appelé  surconscient par Paul Diel et le SURMOI de S. Freud. Selon ce dernier, Il est composé de trois instances classiques : le contrôle moral (tremplin de la formulation de ses valeurs) ;  l’auto-observation (l’introspection  de notre parcours de sagesse) et  l’altruisme (la fraternité en est la concrétisation )

            La quête maçonnique nous emmène dans ces trois contrées « élevées » par rapport aux ténèbres, aux grottes profondes et obscures, aux désirs impurs et aux peurs ligotées qui sourdent et rampent en nos profondeurs. La lecture que nous pouvons faire du Ça de Sigmund Freud. Mais, les études, les expériences nous apprennent aujourd’hui que même l’inconscient d’en-bas a un rôle positif à jouer pour maintenir notre équilibre.

             La Voie nous incite, sinon à tirer au jour ces contenus jugés effrayants, du moins, grâce à l’action de la perpendiculaire, à les approcher émotionnellement, en sachant que ces contenus ont aussi leur raison d’être ; Par exemple, l’agressivité n’est pas que la destructivité ; c’est aussi l’énergie pour bâtir l’Œuvre, le Temple.. C’est pourquoi la psychosynthèse loge l’esprit dans les deux inconscients. La Voie nous entraîne, avec la même énergie, vers eux, vers le Surmoi, la voûte étoilée. Quelle que soit notre sensibilité, il reste une leçon : aujourd’hui, la psychologie positive affirme qu’il n’est pas de contenu psychique inutile. Tous ont leur raison d’être.

            Pas question, dans notre voyage maçonnique, d’identifier et de nommer les contenus de nos inconscients, d’en-haut et d’en-bas. Notre si belle Voie nous demande déjà d’être avant toute chose sensibles, suffisamment pour capter nos émotions d’où qu’elles viennent et celles de nos Frères et Sœurs. Voilà la nourriture de l’esprit.


[1] Sur le thème de l’engagement concret, lire, entre autres Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens…de Beauvois et Joule.

2Tradition, avec une majuscule. Ce n’est pas la filiation historique qui est purement culturelle. Mais la transmission de structures psychiques plus profondes qui n’ont que faire de l’histoire contingente de l’Ordre ; et qui fonctionne comme un alibi pour légitimer son pouvoir. La Grande Loge Unie d’Angleterre est victime de cette cécité grave qui fait confondre le transitoire, le temporaire avec le permanent, l’universel.

[4] Annoncée ? Notamment, en 1894, par Oswald Wirth, dans son guide pour l’Apprenti. Suivi par quelques autres qui ont semé les cailloux blancs qui mènent au modelage de la Voie maçonnique « Une spiritualité pour agir ».

[5] La bonne question est de se demander : « Je considère que l’histoire de la Franc-maçonnerie est cruciale dans mon évolution initiatique. Pourquoi ? » La réponse est donnée depuis longtemps par des psy et la voici : « La quête de son origine est une question universelle, logée dans la structure psychique humaine ». Le vêtement culturel de cette question profonde est, fort souvent, l’attrait pour l’histoire. La réponse, bien sûr, n’est jamais satisfaisante : on ne cesse de lire et d’écouter les recensions historiques.

A.S.: