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LE DUC DE CHARTRES, GRAND MAÎTRE

MISCELLANÉES MAÇONNIQUES par Guy Chassagnard

En franc-maçon de tradition, attaché à l’histoire de ce qui fut jadis le Métier de la Maçonnerie avant que de devenir la Maçonnerie spéculative des Maçons libres et acceptés, notre frère Guy Chassagnard met en chroniques ce qu’il a appris dans le temple et… dans les textes ; en quarante et quelques années de pratique maçonnique. Ceci selon un principe qui lui est cher : Apprendre en apprenti, comprendre en compagnon, partager en maître.

Chronique 209

1771 – Le duc de Chartres, grand maître

Louis Philippe Joseph d’Orléans (1747-1793), arrière-petit-fils du Régent et, par conséquent, « cousin » du roi, que ce dernier fût Louis XV ou Louis XVI, a été élu grand maître de la Grande Loge de France en 1771, mais n’a pris possession de sa charge au Grand Orient de France qu’en 1773, ceci pour des raisons relevant de la politique royale.

La grande maîtrise du duc de Chartres (duc d’Orléans à la mort de son père, en 1785) devait être marquée par un développement important et rapide de la Franc-Maçonnerie en France, mais aussi par des querelles incessantes entre deux Ordres rivaux, le Grand Orient de France, administrativement structuré, établi sur toute l’étendue du royaume, et une Grande Loge de France maintenue, dite de Clermont, principalement installée à Paris et composée pour partie de vénérables maîtres possédant à vie leur charge. 

À noter que le duc de Chartres ou d’Orléans s’intéressa plus, sa vie durant, à la marine dont il fut un temps lieutenant général, et aux affaires politiques, en opposant déclaré au régime, qu’à la Franc-Maçonnerie et aux francs-maçons. 

À noter encore que tout comme ses pré­décesseurs, le duc d’Antin et le comte de Clermont, il avait pour ancêtre Madame de Montespan. 

Jugement porté par l’adjudant-général Montjoie, aide de camp du général Dumouriez : « Il avait de la timidité dans le caractère, l’esprit paresseux, l’âme indolente, nul goût pour le mouvement, une forte aversion pour tout rôle qui eût pu fixer sur lui les yeux de la Cour et du public. 

« Il préférait au plaisir de la chasse, et en général aux exercices violents, les occupations paisibles qui ne contrariaient point son amour pour le repos. »

1772 – Le renouveau maçonnique

• 5 avril 1772. – Le duc de Luxembourg obtient du duc de Chartres la confirmation de son acceptation des dignités maçonniques ; en d’autres termes, Louis Philippe d’Orléans consent à être le grand maître de l’Ordre maçonnique.

• 18 avril. – La Grande Loge de France installe officiellement dans ses fonctions son nouvel « administrateur général », le duc de Luxembourg, premier baron chrétien. 

• 26 juillet. – Le Souverain Conseil des empereurs d’Orient nomme quatre commissaires, en vue de négocier un « acte d’union » avec la Grande Loge de France.

• 9 août. – La Grande Loge de France, nomme à son tour quatre commissaires, afin de « réorganiser les hauts grades et élaborer des statuts nouveaux ».

• 9 octobre. – Mise en accusation du frère Henri Joseph Brest de La Chaussée, garde des sceaux, pour avoir monnayé la délivrance de constitutions et de diplômes.

• Octobre. – La Grande Loge de France renouvelle les constitutions de la loge Saint-Lazare, à l’orient de Paris. Elle accorde également de nouvelles constitutions à la loge La Parfaite Égalité, de l’orient de Saint-Germain-en-Laye, admettant que celle-ci a été originellement constituée le 25 mars 1688 – ce qui en fait la plus ancienne des loges maçonniques du royaume.

• 24 décembre. – La Grande Loge de France, formée des maî­tres de loges parisiens, mais aussi des représentants des loges de province, rassemblés pour l’installation du duc de Chartres, qui n’a pas eu lieu, se transforme en Grande Loge Nationale.

© Guy Chassagnard – Auteur de  :

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A.S.:

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  • Après l'affaire d'Ouessant, le duc de Chartres a eu la promesse, au moment de son mariage, que son beau-père solliciterait pour lui la survivance de sa charge de grand amiral de France. Il s’y prépare en faisant une carrière d’officier de marine. Après deux campagnes en 1775 et 1776, il est promu lieutenant général des armées navales (contre-amiral) le 27 juillet 1778.
    En 1778, lorsque les hostilités recommencent avec la Grande-Bretagne, dans le cadre de la guerre d’indépendance des Etats Unis d’Amérique, le Roi lui confie le commandement de l’arrière-garde de l’escadre de Brest sur le vaisseau de 80 canons, le Saint-Esprit. Le commandement général est assuré par le comte d'Orvilliers. Le 27 juillet 1778, au large d’Ouessant, la bataille s’engage. Une manœuvre commandée par d’Orvilliers amène les vaisseaux du duc de Chartres sur l’avant ; le prince n’hésite pas à foncer sur les vaisseaux britanniques mais, à la suite d’une mauvaise communication avec le vaisseau amiral, une erreur est commise qui permet aux vaisseaux britanniques de prendre la fuite. La bataille se solde par un demi-échec, attribué par les rumeurs à la conduite inconséquente du duc de Chartres.
    On dépêcha à Brest pour enquêter sur le déroulement de la bataille le comte Jean-François d'Escars, colonel du régiment des dragons-artois. Celui-ci, après avoir interrogé les témoins, conclut que, loin d'avoir démérité, le duc de Chartres avait au contraire spontanément fait signal à son escadre d'abattre « pour séparer les cinq vaisseaux ennemis du reste de leur armée », mais que ses vaisseaux de tête n'avaient pas amorcé le mouvement et que lui-même, lorsqu'il l'avait fait, s'était fait rappeler dans la ligne par le vaisseau amiral. Malgré cette disculpation, des moqueries relayées par la cour circulent dans tout Paris et affectent le duc. C’est le début du « bashing » du Duc de Chartres, qui se prolonge encore aujourd’hui dans la doxa « officielle » de l’histoire de la Franc-Maçonnerie.
    Dans un souci d’apaisement, le duc écrit à Louis XVI pour renoncer à la marine en le sollicitant de créer pour lui un emploi de colonel général des troupes légères (hussards), auquel Louis XVI ne peut que consentir le 22 avril 1779. Mais la méfiance du Roi à l’égard de son cousin reste entière et en 1780, il lui refuse la permission de faire partie du corps expéditionnaire de Rochambeau qui part pour l’Amérique.

    Le conflit entre les 2 "Grandes Loges" remontent à 1762.
    Comme le substitut général, du GM, le banquier Baur, néglige également sa charge et ne convoque plus la Grande Loge, qui devrait selon les règlements de 1743, se réunir tous les trimestres (la « quaterly communication » des Constitutions de 1723), le comte de Clermont nomme en 1756, ou peut être 1758, un substitut particulier le maître à danser Antoine Lacorne , sans doute pour réunir ce qui était en train de s’éparpiller, mais sans désavouer officiellement Baur, comme substitut général.
    Comme souvent, les idées du Comte de Clermont, parties d’un bon sentiment, tournent à la catastrophe. Le substitut particulier et le substitut général, surtout quand Baur sera remplacé en 1761 par Chaillon de Jonville, beaucoup plus impliqué que son prédécesseur, se constituent chacun une clientèle de Vénérables Maîtres, qui aboutira à un schisme de fait.
    Lacorne, pourtant Vénérable Maître de la Loge « La Trinité », est jugé de trop « basse extraction » par un certain nombre de Vénérables Maîtres, surtout parisiens et souvent nommés à vie, Il se rallient à un ancien maçon, Peny, Vénérable de la Loge de Saint-Martin, qui les regroupe dans une Grande Loge des maîtres de Paris dite de France dite aussi nationale. Mais Lacorne ne se laisse pas faire et rassemble à son tour un certain nombre de Vénérables de Loges de province qui vont constituer une 2ème Grande Loge et qu’on appellera par dérision les lacornards.

    En 1762, Lacorne décède et le Comte de Clermont intervient pour essayer de rapprocher les deux parties. Les deux grandes loges semblent se réconcilier en 1763 et votent des statuts communs. Mais cette entente ne dure pas, preuve que les regroupements de vénérables maîtres de Loge d’une part autour de la Grande Loge de Peny, et d’autre part autour de Lacorne n’étaient pas qu’une question de personne, mais aussi de conception et d’ouverture de la Franc-Maçonnerie.
    « Le 19 mai 1760, le vénérable maître Peny, maître de la loge de Saint-Martin, présenta, en assemblée de Saint-Jean, de nouveaux Statuts et règlements de la Grande Loge des Maîtres de Paris, dite de France. » Il est intéressant de noter que dans ces statuts les maîtres de loge étaient partagés en trois classes « jeunes, modernes et anciens ». Au bout de trois années, les maîtres de la classe des « jeunes » passaient dans celle des « modernes » et ceux-ci, au bout de quatre ans, dans la classe des « anciens ». Cette référence explicite à la Grande Loge d’Angleterre des « anciens acceptés » créée en 1751 et concurrente de celle des « modernes » montre, en mettant les « anciens » au-dessus des « modernes », à quel type de Franc-maçonnerie la Grande Loge de Peny entend se rattacher. Les « lacornards », eux, entendent suivre la philosophie des « modernes », appuyée sur Locke et Newton, et mise en œuvre par Desaguliers.
    On peut dire que la querelle des « Anciens » et des « Modernes » trouve ainsi un écho dans le conflit qui oppose la Grande Loge « Nationale » et les « Lacornards. Il n'est donc pas étonnant que la prétendue Grande Loge Nationale ait "trouvé" une Loge en France ayant existé avant 1730, conformément à la doxa des "anciens".
    En 1765, les anciens « lacornards», par un coup monté, sont écartés des postes d’officiers de la Grand Loge dont ils et se retirent en protestant par libelles contre le procédé. L’année suivante ils sont bannis de l’ordre par décret, mais en 1767, à la fête de l’Ordre le 24 juin, les frères bannis font un tel « grabuge » que les travaux de la Grande Loge furent suspendus par l’autorité royale qui certainement ne demandait pas mieux.
    Cependant la suspension, n’avait pas brisé la dynamique des « lacornards ». Ils s’activent et clandestinement continuent leurs travaux au faubourg St-Antoine. Ils ont derrière eux la grande majorité des loges de province qui s’opposent aux loges parisiennes avec leurs maîtres de loge inamovibles. C’est ainsi qu’en 1770, les tentatives de la Grande Loge « nationale » de reprendre les travaux pour contrer ces Frères dissidents échouent devant le refus de la majorité des Loges.
    En 1771, le décès du Comte de Clermont sauve la Grande Loge à l’arrêt depuis 4 ans. Les « lacornards » proposent au duc de Chartres la Grand Maître de la Grande Loge, ce qu’il accepte avec le duc de Montmorency-Luxembourg comme substitut. A l’assemblée de la Grande Loge de nouveau autorisée, ils se présentent avec l’accord du futur duc d’Orléans qu’ils échangent contre leur réintégration et l’annulation des mesures prises contre eux en leur absence.
    Mais devant la situation catastrophique de la Grande Loge, ils demandent la création d’une commission de huit commissaires chargés de faire un rapport pour remédier à la confusion et à l’impuissance dont elle souffre. En attendant, et devant la quantité invraisemblable de patentes et de constitutions délivrées, ils demandent à toutes les loges du royaume de faire renouveler leurs constitutions qui seront examinées au secrétariat de la Grande Loge.
    Fin 1772, la commission, avec le concours du Duc de Luxembourg, prend le parti des frères dissidents et convoquent des assemblées à l’hôtel de Chaulnes. Le 24 décembre, ils déclarent que l’ancienne Grande Loge de France est remplacée par une nouvelle Grande Loge nationale qui fait partie intégrante d’un nouveau corps, le Grand Orient de France.
    Le 5 mars 1773, la première assemblée du Grand Orient de France se tient, confirme la nomination du duc de Chartres comme Grand Maître et du duc de Luxembourg comme administrateur général. L’ancien substitut du comte de Clermont, M. Chaillou de Joinville, se rallie à la nouvelle structure.
    Le 14 juin toutes les constitutions personnelles délivrées à des maîtres de Loge inamovibles sont supprimées et les nouvelles structures Grand Orient de France sont mises en place. Cependant l’ancienne Grande Loge refuse toujours de reconnaître le Grand Orient de France et prend le contrepied de ses arrêts.
    Le match de boxe entre les 2 structures se poursuivra jusqu’à la Révolution avec un net avantage aux points au Grand Orient de France. Les « antilacornards » résisteront jusqu'en mai 1799 en formant une maçonnerie dissidente appelée "Grande Loge de Clermont". Ils refusèrent en fait de se plier à la mise en place d’élections au sein des Loges, craignant de perdre des charges qu'ils avaient achetées, comme cela se pratiquait sous l'Ancien Régime comme « La Paulette ».
    Avec la « terreur », qui fit suspendre les travaux de la Franc-maçonnerie, le match fut suspendu. Mais, le Grand Orient de France, moins monarchiste, passa les années de terreur en conservant une certaine présence, alors que l’ancienne Grande Loge avait cessé toute activité.
    En 1795, le Grand Orient proposa à Roëttiers de Montaleau, comme une récompense de ses services, la dignité de Grand Maître laissée vacante par la mort du duc de Chartres devenu duc d’Orléans. Il la refusa par égard à ce dernier, guillotiné par la terreur en 1793, et se contenta d’accepter le titre de Grand Vénérable
    En 1798, Roettiers de Montaleau entame une négociation pour réunir la Grande Loge de France au Grand Orient de France et faire cesser les divisions qui existaient entre ces deux corps depuis près de trente ans de l’Histoire de la Franche Maçonnerie.
    Thory écrit « Le 21 mai Les Commissaires de la Grande Loge et du GO de France concluent un traité d’union qui a pour base l’abolition de l’inamovibilité des Maîtres de Loges, objet principal des discussions qui existaient depuis si longtemps, et le 22 juin les deux corps se réunissent dans une assemblée solennelle pour n’en plus former qu’un seul. »