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L’AFFAIRE MORGAN…AFFAIRE D’ÉTAT ET DE SOCIÉTÉ

MISCELLANÉES MAÇONNIQUES par Guy Chassagnard

En franc-maçon de tradition, attaché à l’histoire de ce qui fut jadis le Métier de la Maçonnerie avant que de devenir la Maçonnerie spéculative des Maçons libres et acceptés, notre frère Guy Chassagnard met en chroniques ce qu’il a appris dans le temple et… dans les textes ; en quarante et quelques années de pratique maçonnique. Ceci selon un principe qui lui est cher : Apprendre en apprenti, comprendre en compagnon, partager en maître. 

Chronique 368

1826 – L’Affaire Morgan

Cela aurait pu n’être qu’un banal fait divers, comme il s’en produit souvent dans notre bas monde : la disparition inexpliquée d’un homme ou son assassinat non élucidé. Ce fut pourtant une « Affaire » d’État et de société.

Avant. – Au commencement , il y a le Capitaine William Morgan, âgé d’une cinquantaine d’années, qui exerce à Batavia (New York) la profession de Maçon opératif – cela ne s’invente pas – et se dit Franc-Maçon spéculatif. 

Se voyant refuser l’accès dans un chapitre de Royal Arch, il fait savoir qu’il va publier un livre de révélations maçonniques. 

Le 10 septembre 1826, des inconnus tentent de mettre le feu à l’imprimerie de son éditeur, tandis qu’il est lui-même arrêté pour le vol d’une chemise et d’une cravate.

Pendant. – Le 11 septembre, William Morgan est transféré à Canandaigua, localité située à 80 km de Batavia, où il est emprisonné. C’est là qu’il a un jour emprunté une chemise et une cravate à un aubergiste, mais oublié à son départ de rendre ses emprunts. 

Relâché pour manque de preuves, Morgan est de nouveau arrêté pour avoir omis de rembourser une dette de quelques dollars à son prêteur, et de nouveau emprisonné.

Le 13 septembre, trois hommes – tous francs-maçons – se présentent à la prison de Canandaigua pour payer la caution assurant sa mise en liberté. On voit alors Morgan monter, de force semble-t-il, dans une voiture à cheval ; mais nul ne le verra jamais en descendre, ni à Canandai­gua, ni ailleurs.

Sa disparition donne lieu, comme il se doit, à une enquête officielle qui permet de reconstituer l’itinéraire suivi par les ravisseurs et leur « présumé » prisonnier : mais William Morgan, mort ou vivant, ne sera jamais retrouvé.

Suite. – Selon les trois compagnons de route de William Morgan, iden­tifiés et condamnés à des peines légères pour enlèvement, celui-ci s’est vu remettre une somme de 500 dollars et un cheval pour quitter le pays et se faire oublier au Canada. 

La rumeur fait, quant à elle, état d’un véritable assassinat : Morgan aurait été mené sur une barque au milieu du Niagara et jeté, enchaîné, dans ses eaux. Morgan disparu ou mort, sa veuve, de 27 ans sa cadette, épousera un homme de 20 ans son aîné ; avant, dit-on, de devenir l’une des épou­ses de John Smith, le fondateur de l’Église mormone.

Après. – Quoi qu’il en soit, la disparition de William Morgan n’empêche pas la parution de son livre, intitulé Illustrations de la Maçonnerie, par un membre de la Fraternité qui a consacré trente années à son sujet. 

Celui-ci con­naît un énorme succès de librairie et se vend à des milliers d’exemplaires aux États-Unis, donnant naissance à une campagne antimaçonnique des plus virulentes. L’auteur devient alors, à titre posthume, le symbole du défenseur du bon droit et de la liberté d’expression… 

Les sentiments antimaçonniques se propagent rapidement à travers le pays. Tandis que se multiplient les réunions hostiles et que se constitue un Parti antimaçonnique (Anti-Masonic Party), qui présentera un candidat aux élections pré­sidentielles de 1832, les francs-maçons ne peuvent que faire profil bas. 

Les loges se vident et ferment leurs portes ; la Grande Loge de l’État de New York perd en quel­ques mois 405 de ses 480 loges, celle du Massachusetts n’administre bientôt plus que 52 loges sur les 107 inscrites sur ses rôles. 

Il faudra plus de dix années pour que les États-Unis (13 millions d’habitants) oublient l’affaire Morgan.

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© Guy Chassagnard – Auteur de  :

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A.S.: