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L Étoile des six vanités (1) – Jacques Fontaine

Jacques Fontaine poursuit sa contribution avec un texte sur les « vanités maçonniques«  dans sa  rubrique « Le Compas Pique » de Les illustrissimes blogueurs : « Les empêcheurs de maçonner en rond  .

Voici la première partie….

L’Étoile des six vanités – partie 1

            L’Ordre est en train de faire sa mue. De manière discrète, c’est sûr, mais elle n’en est pas moins effective. A preuve, des évolutions qui apparaissent dans des Loges de ci de là. Tenez, par exemple, un deuxième degré qui se muscle. Ou bien un regain pour le symbolisme, même dans les Loges sociétales. Parce que, maintenant, tenir le discours d’une Voie maçonnique spirituelle est de plus en plus audible et accepté par ces Loges. L’inverse est vrai : les Loges symboliques commencent à s’engager sur le forum, elles-mêmes ou par leur obédience. Bref nous allons, à mon sens, vers l’affirmation d’une Franc-maçonnerie de style français, qui pourrait répondre à la devise une spiritualité pour agir. Bon, sur ce coup, on aura réussi à réunir ce qui est épars.

            Sans compter les réseaux de Loges qui s’étoffent régulièrement et qui proposent une autre organisation que celle des obédiences. Sais-tu qu’il en existe déjà au moins quatre ? Avantage de la formule : bien plus de souplesse et d’inventivité pour les Loges qui commencent à tendre vers l’aphorisme un maçon libre dans une loge libre. Moi, je suis trop ancien pour voir combien notre Maçonnerie aura changé dans une vingtaine d’années, mais je pense aux jeunes maillons actuels et futurs.

            Au titre des changements, on peut compter sur une rénovation axiologique. Un mot bien savant mot pour dire que les valeurs qui nous sont chères seront repeintes de fraîches couleurs. Oh, le credo humaniste ne bougera pas : il est la référence, à travers la Déclaration universelle des droits de l’Homme, de plusieurs pays. Sauf révolutions les valeurs que nous soutenons et pour lesquelles certain(e)s d’entre nous se battent, tiendront bon dans les tempêtes éventuelles. Mais d’autres valeurs se profilent qui vont s’ajouter dans notre carquois altruiste.

            D’ailleurs je suis bien certain que toi-même tu en es porteur et que tu t’es rendu compte que le discours ne s’arrêtait plus à la tolérance, la justice, la bienfaisance, la démocratie, le respect, la dignité…Voici quelques-unes d’entre elles qui me semblent prendre racine dans notre « catéchisme ». Je pense d’abord au doute , qui a été lancé si on peut dire par un Grand Maître, il y a environ une dizaine d’années. Intéressant parce qu’il bouscule en nous enlevant des certitudes, (ce qui est bien fait pour nous !) mais aussi des convictions, ce qui est un risque de s’endormir comme des loirs pendant les tenues. Je passe et je vous présente la petite sœur du doute, j’ai nommé la relativité. Pas celle d’Einstein, mais celle des choses. Un seul point de vue, serait-il très humaniste, ne peut plus prétendre à la vérité. Toute situation demande à être remise dans un contexte dont les éléments font varier les points de vue. Je pourrais gloser sur l’empathie, l’engagement individuel et concret, le meurtre tant attendu (par moi, au moins !) du dualisme au profit de la proportion. Mais je vais mettre en exergue une valeur-qualité qui fait que je m’interroge. A toi de voir si tu es d’accord. Je te présente l’humilité. Attention ! pas l’humiliation qui est un manque de respect de l’autre, fort condamnable et qui ne danse pas avec nous. Non ! il s’agit de cette attitude qu’ont spontanément ceux et celles qui ne se la racontent pas, qui disent les choses mais sans forfanterie ; que l’on aime souvent bien parce qu’ils, elles n’en imposent pas avec les métaux de l’avoir, du pouvoir et du paraître. Bon, en deux mots, cette humilité qui amène à revenir régulièrement dans le cabinet de réflexion et à franchir de nouveau la porte basse.

            L’humilité vivrait sa vie sans histoire, sans bruit si elle n’avait une ennemie qui a juré sa perte, la vanité. Nous ne pouvons la laisser se défendre toute seule, elle risquerait d’y laisser sa peau, parce que la vanité est puissante ; elle trône même parfois à côté du pouvoir et, de ce fait, elle est très difficile à déloger. Trois de ses escadrons nous infiltrent. Je te propose de les passer en revue et tu te décideras ensuite.

            Commençons par la vanité la plus visible. De fait, elle l’est puisqu’il s’agit de nos tabliers et de nos cordons. J’en possède un, dans un des rites que je pratique, le rite opératif de Salomon, celui de Maître installé. Bordures aux lacs d’amour, bleu profond qui fait ressortir une broderie dorée et argentée qui empile le triangle, la chaîne d’union, l’équerre, le compas et le maillet. Tout cela rayonnant de fils de cuivre. Et, pendantes, des deux côtés, les pampilles (les chaînettes dorées) qui indiquent que je fus Vénérable. La bavette et le cordon sont tout aussi pompeux et surchargés. Je crois avoir observé que cette inflation de décorations n’est pas réservé au seul rite que j’ai cité. Les rites anglo-saxons font parfois aussi des merveilles et je n’évoque pas les rites exotiques qui ont parfois des trouvailles qui tombent dans le ridicule, pour moi. Mais qui glorifient leur quête pour les porteurs.. On peut trouver ça beau et c’est mon cas, je trouve que ça a de la gueule. Oui, mais ! Cherchons ce qui se cache sous cette vanité. J’imagine, en me remémorant, ce que j’ai pu ressentir (ce qui m’a poussé à simplifier tablier et cordon)). En imposer aux maîtres ordinaires, passer pour un ancien qui démontre ainsi qu’il a su mener sa quête et qu’il est digne d’admiration. Et montrer à tous, à toutes que l’on est beau, fort, puissant. A partir de là, tout est joué. Le port d’un beau tablier fait croire à son propriétaire qu’il (elle) est effectivement beau, fort et puissant. Tiens un jour qu’un de tes Frères a oublié son tablier de Maître, ne manque pas l’occasion, propose-lui un tablier d’Apprenti. Je te laisse déguster la réaction !

            Plaisir de s’étaler, de jouis sans reproche du regard supposé admiratif des autres. Narcisse, bien sûr, est dans les parages. Et sa manifestation exhibitionniste. Peut être connais-tu des Sœurs, des Frères qui collectionne les degrés comme on collectionne, chez certains fétichistes, les chaussures ou les gants. Se sentir beau, sous les yeux attendris des parents dits archaïques, ceux qui choyaient l’enfant de moins de trois ans. Se revêtir d’un tablier qui diffère selon le degré, c’est comme passer la chasuble pour un prêtre. Un rite prétendument justifié par un objet extérieur, le service de Dieu ou l’obéissance au rituel. Et les deux qui peuvent se cumuler sont tellement acceptés par le milieu social, qu’il en devient presque nécessaire de se conformer aux indications vestimentaires du degré.

Tu connais le drôle de nom dont est affublée cette légère faiblesse, la « cordonnite ». Légère certes mais parfois ombrageuse. Gare à toi si tu déboules en tenue de Maître secret avec ton tablier de Royal Arch !

            Il reste une question :Comment se fait-il que l’excès de décors soit recommandé dans les normes de la Franc-maçonnerie ? Parce qu’il va à l’encontre même d’un symbole qui nous tient à cœur, le dépouillement des métaux . Et les décors sont des métaux, je n’en doute pas. Hypothèse à vérifier dans un autre article peut-être car nous irions trop loin. Alors quel antidote, quelle lessive pour nettoyer cette tache de vanité ? Il va de soi : enlever les métaux. Imagine la scène au moment où l’on ceint le (la) récipiendaire de son premier tablier. Imagine alors qu’il(elle) soit alors revêtu(e) du tablier d’un Maître installé, un ancien Vénérable, le plus rutilant possible. Avec des lacs d’amour brodé, l’équerre et le compas dorés, les pampilles grelottantes de joie, le cordon moiré avec les symboles ajustés à de hautes fonctions.. Tout l’attirail clinquant en usage. Supposons que notre hypothèse soit fondée, alors nous dirons, en toute logique et dans l’assassinat discret de nos usages centenaires, que le(la) récipiendaire, notre nouveau Frère (Sœur) est affublé des symboles de l’avoir et du paraître dans lesquels il aime se confondre. On ne peut pas le laisser ainsi et il s’agit de lui faire comprendre que, jusqu’alors, il a pris des vessies pour des lanternes. Nous lui devons un geste fort et non ambigu. Voici ce que je te propose : Au moment de la chaîne d’union de clôture, le Grand Expert dit bien haut quelque chose comme : « Vénérable Maître, un maillon impur s’est glissé dans notre chaîne » et le Vénérable de répondre : « Mon Frère, ma Sœur, remplissez votre office ». Et là, devant les Frères, les Sœurs en rond, le Grand Expert va vers le nouveau, et lui arrache, d’un coup sec, les pampilles (à peine fixées par un fil) et annonce : « V.M. notre nouveau Frère, Sœur a effectué son premier travail de purification » ou, si tu préfères : V.M. Il (elle) a commencé à tailler sa pierre. » ou encore ce que tu veux qui frappe bien les esprits. Crois-moi, les adeptes présents n’ont pas besoin de discours pour comprendre ce qu’ « enlever les métaux » peut vouloir dire. Tu te rends compte ! Ce ne sont pas les portefeuille, bague, gourmette…qui sont ainsi enlevés mais ce qui incruste certain(e)s d’entre nous dans cette parade de décors clinquants. Bref le geste et le symbole de l’arrachage de symboles maçonniques. Un symbolisme au carré, en quelque sorte.

            Sur une aussi bonne voie, allons plus loin : Je recommande l’arrachage successif de motifs du le tablier et du cordon. Quand on passe Compagnon puis à l’élévation. Ce qui serait bien, ce serait d’arriver à un tablier de Maître réduit à sa plus simple expression comme on le voit au Rite moderne français de 1785-6, le plus ancien du monde, en activité : un liseré bleu. Et rien que lui. Point.

                                                                      A suivre

Jacques Fontaine


  • Jacques Fontaine

Jacques Fontaine est né au Grand Orient de France en 1969.Il se consacre à diffuser, par ses conférences, par un séminaire, l’Atelier des Trois Maillets et par une trentaine d’ouvrages, une Franc-maçonnerie de style français qui devient de plus en plus, chaque jour, « une spiritualité pour agir ». Il s’appuie sur les récentes découvertes en psychologie pour caractériser la voie maçonnique et pour proposer  les moyens concrets de sa mise en œuvre.

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