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L Étoile des six vanités (2) – Jacques Fontaine

Voici la seconde partie sur les « vanités maçonniques«   de Jacques Fontaine dans sa  rubrique « Le Compas Pique » de Les illustrissimes blogueurs : « Les empêcheurs de maçonner en rond  .

 – L’Étoile des six vanités – partie 1

L’Étoile des six vanités – partie 2

Dans une précédente livraison, nous avons dénoncé la première vanité, celle de la cordonnite. La deuxième vanité ne va pas beaucoup te dépayser car, elle aussi, est bien visible. Elle se dégage, en partie avec le tablier et le cordon mais dans un autre sens que celui de l’humilité retournée. Maintenant ils traduisent le pouvoir détenu par son porteur ; dans le genre : plus c’est tape à l’œil, plus je suis puissant. Et pour que nul(le) ne s’y trompe, la vanité du tablier et du cordon est rehaussée par une autre vanité, celle de la dénomination des degrés. Plus on est élévé(e), grâce à l’ancienneté, plus le titre est pompeux et ampoulé. Et plus il semble dire : « Regardez comme mon ramage est à l’unisson de mon plumage, beau et précieux ! »

            L’origine est vissée dans le fantasme de toute puissance du nourrisson. Tout à l’heure, nous avons guetté la faiblesse exhibitionniste, maintenant il s’agit d’un autre travers, l’amour du pouvoir et le désir de le montrer. Daniel Beresniak qui fut mon maître, a forgé un néologisme qui a du succès, la cratophilie, soit l’amour du pouvoir, en grec ancien. C’est fou ce que le virus de la cratophilie infecte des Sœurs et des Frères, dès qu’ils ont un pouvoir quelconque, réglementaire ou rituel ou un degré « élevé ».

            Je ne songe pas aux seuls officiers de la Loge, car, dans la majorité des cas que j’ai approchés, les cordons restent de discrets indicateurs de la fonction confiée à leur porteur. Quand même, j’ai vu des cordons de Vénérables éclatants et aussi m’as-tu-vu que ceux qui exercent des fonctions exécutives au niveau de l’obédience. J’entends par là les Inspecteurs de région, quelle que soit la dénomination exacte qui varie selon les rites et les obédiences. Encore au dessus, ceux et celles qui veillent à l’exécutif de l’obédience souvent appelés modestement « Conseil… » Ce n’est pas tout. Tu songes peut être aussi aux Sœurs, aux Frères des autres Conseils mais « Suprêmes » ceux-là. Conservatoires du rite et des Hauts (sic) grades. L’adjectif veut, à lui seul, tout dire. J’ai vu des tenues délirantes dans les degrés « supérieurs » (re-sic) de rites qui ne sont pas tous exotiques et que l’on sait tels.

            Cette cratophilie délivre un double message pour ceux et celles qui en sont harnaché(e)s. Car ce pouvoir, d’apparence bruyante, laisse en entendre deux lectures. La première « Voyez comme je suis puissant. Je donne des ordres et l’on m’obéit » est peut être le reliquat de l’époque, avant 1773, où la charge de Vénérable, entre autres, était ad vitam. La démocratie est passée, la vanité est restée. La deuxième lecture est, pour moi, beaucoup plus grave, dans la course à la fatuité. Tablier et cordon (quand il ne s’agit pas de manchettes, de tricornes…) semblent attester du degré de sagesse atteint. Cette illusion démarre très tôt. C’est l’attitude du Maître qui répond à un(e) Apprenti(e) un peut trop curieux à son goût : ‘Je ne peux rien te dire ; tu verras ça plus tard » ou ce genre de phrase, grotesque à une époque où les rituels s’obtiennent d’un clic gourmand ! Alors que penser du niveau éthéré, spiritualissime de ceux qui collectionnent les degrés par dizaines, jusqu’à plus soif de cratophilie. Et nous nous étonnons parfois que tel Vénérable ait du mal à descendre de charge, que des Apprenti(e)s et des Compagnon(ne)s soient déçus par les Maîtres de l’Atelier !

            Le coup de grâce est l’appellation dont ces gardiens patentés du rite sont affublés. Ce sont, tu le sais bien, des « dignitaires » ? Auxquels nous rendons « les honneurs qui leur sont dus ». Avec, et dans toutes les obédiences si je ne me trompe, des entrées fracassantes, voûte d’acier et maillets battants. On dit que les Français, dans leur inconscient, sont toujours monarchistes. De tels vestiges sentent, en effet, bien fort l’Ancien Régime.

            Penses-tu que nous devons garder ces tabliers glorieux et écrasants pour les autres, et qui, dans la majorité des cas, ne reflètent que les banalités de l’ordinaire maçonnique ? Si tu es toi-même un Grand quelques chose, tu ressens peut être ce genre d’émotion que délivre la cratophilie. J’en fus, quant à moi, victime assez longtemps et ne suis pas certain de m’en être débarrassé. Je repense à ces moments, où, à mon adresse et à celle de quelques-uns siégeant comme moi à l’Orient, un adepte se lève et demande la parole avec cet aveu : « Dignitaires qui décorez l’Orient, Vénérable… et qualités ». Le ridicule qui gonfle le terme « décorez » est achevé !

            On a envie de remettre les pendules à une heure plus simple et plus lisible .La question se pose en effet, de nettoyer notre splendide Voie maçonnique de ce genre d’oripeaux. Et bien ! Je n’ai guère de réponse si ce n’est l’arrachage des bagatelles brodées dont j’ai parlé plus haut. Je connais un seul exemple de rite qui s’inspire de telles remarques. C’est le Rite opératif de Salomon : les membres du Suprême Conseil portent un tablier semblable à celui d’Apprenti. On pourra alors objecter, je l’ai entendu, que c’est de la fausse-modestie, encore plus puante que la cratophilie simple. Oui, c’est difficile de changer. Et d’autant plus qu’il n’est pas du tout certain qu’une majorité de Maçons souhaitent ce dépouillement. Peut être toi-même et d’autres, au demeurant de bonne volonté et eux-mêmes humbles. Que se passe-t-il donc pour que la rutilance des décors soit si bien accueillie ?Ce n’est pas seulement parce que plusieurs guignent le beau tablier pimpant et glorieux. Je crois qu’il y a autre chose.

            Un petit rappel d’anthropologie, si tu me permets. Les Homo sapiens sont des humanimaux, terme qui est aussi de Daniel Beresniak . En tant que tels, ils sont profondément, par nature, des mammifères qui vivent en bande comme tant d’autres de la même classe. Seuls, de très rares ermites parviennent à renoncer au destin de l’espèce. La Loge est une petite bande. Et si l’on veut pouvoir se défendre , se nourrir, se reproduire et construire, il faut absolument que l’on soit très organisés. Et toute organisation est liée à une répartition du pouvoir la plus claire possible. Jusqu’à aujourd’hui, la réponse est claire : il faut un chef, mâle ou femelle. Chez nous, nous l’appelons Vénérable, dignitaire, Souverain Grand…Illustre…Cette demande des membres des groupes humains est logée dans nos gènes, dans l’espèce. Je te propose, en concert avec mon maître Daniel, de l’appeler arquéphilie, pour signifier « qui aime être commandé(e) ». Et c’est pour cela que c’est mission impossible, j’en ai peur. Je connais des Loges qui respirent l’air libertaire qui se dégage d’une certaine lecture de la Voie. Ils prônent d’autres formes d’organisation que la pyramide quasi-universelle. Des anarchistes comme Charles Fourier, ou un humoriste comme Léo Campion qui m’expliquait son impertinence souriante et fraternelle. Pourtant j’ai l’impression que, sur ce chapitre, je vois poindre l’aube. Je songe aux réseaux de Loges qui se constituent actuellement. Mais aussi aux quelques centaines de Fraternelles, très décriées par les obédiences qui n’apprécient pas que le pouvoir semble leur échapper. Je ne sais pas si je verrai cette évolution possible mais je le souhaite pour mes descendants en fraternité : qu’ils aient le choix entre la pyramide et la réseau.

                                                          A suivre

Jacques Fontaine


  • Jacques Fontaine

Jacques Fontaine est né au Grand Orient de France en 1969.Il se consacre à diffuser, par ses conférences, par un séminaire, l’Atelier des Trois Maillets et par une trentaine d’ouvrages, une Franc-maçonnerie de style français qui devient de plus en plus, chaque jour, « une spiritualité pour agir ». Il s’appuie sur les récentes découvertes en psychologie pour caractériser la voie maçonnique et pour proposer  les moyens concrets de sa mise en œuvre.

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