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Entretien Alain Bauer : « Dan Brown a le droit de modifier la réalité »

« L’Express » publie un entretien avec Alain Bauer dans lequel l’ancien Grand Maître du Grand Orient de France revient sur « le Symbole Perdu en évoquant comme toujours avec une certaine lucidité la Franc-Maçonnerie et son actualité.

Rappelons qu’Alain Bauer avec Roger Dachez ont écrit en commun « Le Symbole perdu décodé » au Editions Vega qui sort ce jour…

Source : http://www.lexpress.fr/culture/livre/alain-bauer-dan-brown-a-le-droit-de-modifier-la-realite_831225.html

Après l’Opus Dei, l’auteur de Da Vinci Code met en scène la franc-maçonnerie dans son nouveau thriller, Le Symbole perdu. Alain Bauer, ancien grand maître du Grand Orient, décrypte cette plongée dans l’univers des « frères » d’Amérique.

Dans son roman, Dan Brown laisse-t-il croire que la création des Etats-Unis serait une sorte de complot maçonnique ?

Alain Bauer : complot, je ne crois pas, mais tous les fondateurs majeurs de la République et donc de la Révolution américaine – Washington, Franklin et le Français La Fayette – sont initiés. Les idéaux maçonniques constituent clairement l’inspiration et un puissant moteur de la Révolution… comme en France, mais sans la Terreur. La vision de Dan Brown est plutôt positive, puisque, dans son roman, les bons sont les maçons et le méchant, c’est Mal’Akh, son « héros », un eunuque tatoué des pieds à la tête.

La capitale, Washington, est-elle un rébus sacré bâti sur un plan maçonnique ?

Elle a été dessinée par un architecte français, Pierre Charles L’Enfant, de manière géométrique, avec une dimension maçonnique évidente, des carrés, des triangles et des orientations particulières. Cela se voit de façon éclatante avec le plan d’origine. Depuis, l’évolution urbaine a pris le dessus.

Le Capitole, siège du Parlement américain, repose-t-il sur une pierre maçonnique ?

La première pierre du Capitole a été mise en place par des frères, au terme d’une cérémonie purement maçonnique, avec George Washington, vêtu de son tablier et truelle à la main, ainsi que ses collègues en tenue, au vu et au su de tout le monde. D’ailleurs, beaucoup de bâtiments américains affichent une « première pierre » offerte par une loge maçonnique, comme le célèbre obélisque du Washington Monument.

On a même dit que la pyramide et l’oeil imprimés sur le billet de 1 dollar étaient des symboles maçons…

Il y a débat. Le triangle appartient à toutes les religions préchrétiennes, et le catholicisme s’en est inspiré. Le soleil est utilisé par de nombreuses cultures.

Dans Le Symbole perdu, il est question d’une légende concernant une pyramide. Celle-ci constitue-t-elle un signe maçonnique ?

Dan Brown a utilisé beaucoup de symboles maçonniques. Et, à la fin de son roman, il retrouve non pas le symbole perdu, mais la parole perdue. Car, en maçonnerie, tous les symboles sont des outils pour retrouver la parole, les racines chrétiennes de nos rituels étant indiscutables (« Au commencement était le verbe… »). Dans notre mythologie, les porteurs de la parole disparaissent : le maître Hiram est assassiné par de mauvais compagnons et avec lui disparaît le mot du maçon. Du coup, le titre du livre de Dan Brown ne correspond pas exactement à son contenu. C’est un roman, pas un ouvrage historique. Il a le droit de modifier la réalité. Et il le fait là de manière beaucoup plus habile que dans Da Vinci Code, où il y avait de vraies erreurs. Dans Le Symbole perdu, la maçonnerie s’en sort bien mieux que les Illuminati, les jésuites ou l’Opus Dei dans Da Vinci Code. Il a, en fait, une fascination sympathique vis-à-vis des frères.

Les références de Dan Brown aux « châtiments maçonniques » sont-elles abusives ?

Dans la mise en scène des assassinats perpétrés par Mal’Akh, il puise dans les rituels maçonniques. Il s’agit d’un élément du rite initiatique où l’on garantit les secrets de l’Ordre par la menace d’un châtiment. Sauf qu’il s’agit chez nous de symbole, alors que Mal’Akh inflige un châtiment physique. Dans toute l’histoire de la maçonnerie mondiale, un seul maçon a été assassiné, une affaire qui a bouleversé les grandes loges américaines, au milieu du xixe siècle : le capitaine Morgan, un mormon qui avait quitté la franc-maçonnerie pour la dénoncer, avait disparu sans que l’on retrouve son corps, ce qui provoqua une très violente campagne antimaçonnique.

Contrairement aux français, les francs-maçons américains affichent-ils leur appartenance ?

Oh, que oui ! Même sur leur carte de visite ! C’est la différence entre un pays qui n’a pas été occupé et un autre qui l’a été par les nazis. Les persécutions ont provoqué la pratique du secret dans les pays sous joug hitlérien ou stalinien. Lors de mon premier voyage aux Etats-Unis, le professeur de San Francisco qui m’accueille me fait monter dans sa très belle Ford Camaro à la Starsky & Hutch. Je tombe en arrêt devant son pare-soleil avec l’inscription « Je suis à la grande loge de Californie » et sa plaque d’immatriculation, où je lis : « Vive le rite écossais ! » Un choc pour moi, à qui l’on avait appris qu’il fallait ne le révéler à personne, y compris à sa compagne ou à son compagnon. Il m’a fait visiter son temple, dont la façade gigantesque était ornée d’un néon fluo annonçant sans ambiguïté qu’il s’agissait d’un édifice maçonnique, alors qu’en France ces lieux sont on ne peut plus discrets, dans des ruelles obscures.

Cela se manifeste-t-il aussi dans leurs interventions publiques ?

Depuis la fameuse affaire Morgan, la franc-maçonnerie américaine ne prend plus position sur des questions politiques, économiques et sociales. Elle ne s’occupe que de charité et de débats symboliques. Ces loges très spiritualistes en meurent. On peut difficilement rester maçon pendant des décennies en planchant sur la symbolique du chiffre 3 ou celle des gants blancs. Il y avait 4 millions de frères en 1950, il en reste 400 000, dont sans doute 200 000 actifs. A comparer avec le nombre de maçons en France et en Belgique, deux pays qui totalisent ensemble de 160 000 à 170 000 frères.

Y a-t-il des maçons influents dans les administrations Obama et, auparavant, y en a-t-il eu chez Bush ou Clinton ?

Oui, bien sûr. Dans une proportion importante – ils ne se cachent d’ailleurs pas – même si personne n’en fait le décompte, car cela correspondrait à une logique franco-française.

Les Blancs et les Noirs américains fréquentent-ils les mêmes loges ?

Pas du tout ! La maçonnerie américaine est ségrégationniste. Y compris pour les hispaniques. Dans de très rares loges, en Californie notamment, on peut voir des Blancs et des Hispaniques, rarement des Noirs. Les maçons noirs se regroupent dans l’obédience Prince Hall (du nom de son fondateur), créée en 1791. Rien n’a changé. C’est leur drame. Quant aux femmes, elles sont quasi-absentes du paysage maçonnique, puisqu’on n’en trouve que dans une minuscule obédience mixte.

A.S.: