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Billet du Droit Humain : La Modernité à l’épreuve de la Postmodernité

Le dernier « Billet du Droit Humain » évoque La Modernité à l’épreuve de la Postmodernité Ou contrer le désenchantement du monde : une très belle réflexion sur la tradition en définitive !

Depuis sa fondation, le DROIT HUMAIN, héritier de la philosophie des Lumières, conjugue tradition et modernité. Mais il est aussi question de postmodernité dans le cheminement initiatique des membres de notre Ordre, lesquels mènent sans discontinuer une réflexion sur la validité des connaissances et des pratiques disciplinaires rassemblées dans la gnose maçonnique.

Les concepts de Modernité et de Postmodernité s’éprouvent et se donnent sens à l’appui de notre tradition. La question est de savoir s’il existe un prolongement de l’Histoire voire une fin au sens de Fukuyama, ou bien si l’histoire est une succession de ruptures philosophique et symbolique.

 Notre seule certitude c’est que parler de postmodernité implique qu’il y ait eu d’abord une modernité, et qu’il y ait donc entre elles, des rapports de cause à effet. 

La modernité se confond avec l’émergence de la science, laquelle produit les Lumières, c’est-à-dire un projet de société fondé sur l’éclairage de la raison. Les idées nouvelles de Démocratie et d’Universalité ont eu pour vocation d’édifier un monde meilleur par la compréhension de l’univers. N’est-ce pas là le paradigme et la finalité des Francs Maçons et de tout citoyen du monde ? 

La modernité écarte tout déterminisme et accepte donc, du fait de son acception, la postmodernité dans son sillage puisque «l’existence précède l’essence » comme le disait Sartre. « L’homme n’est rien d’autre que ce qu’il fait », en effet, de ce qu’il fait de la tradition qui lui a été transmise et de la liberté dont il a été doté. Encore faut-il considérer une société qui permette ce dessein, encore faut-il poser un regard critique sur certaines dérives colonialistes des penseurs du XVIIIème siècle, bégayantes devant son berceau d’humanisme.

Sans être l’ennemie de la Modernité, la postmodernité trouve son lot de détracteurs et de débats enflammés parce qu’elle contrevient à la gloire de la modernité des Lumières. D’après Michel Maffesoli, une approche  épistémologique nous fait apparaître leurs différences : 

–  la modernité s’attache, par son essence scientifique, à l’étude des vérités objectives, définies par la raison. De ce fait, la modernité fonde la primauté du pouvoir. Ce dernier est par nature pédagogique et vise à inculquer le bien et à conduire à l’unité.

 –  la postmodernité reconnaît, au contraire, la multiplicité des vérités subjectives, définies par l’expérience, avec pour conséquence un questionnement sur la place de l’autorité. Cette dernière est libertaire et mène à la pluralité de l’être et des cultures. La subjectivité devient alors créatrice et accroît le champ de l’existant, par une forme d’espoir.

Le nihilisme de Nietzsche reprend avantageusement ces valeurs transcendantes, des idéaux supérieurs métaphysiques, religieux bien sûr, mais aussi, laïcs, humanistes ou matérialistes.

Dans un processus de déconstruction, la raison moderne s’est retournée contre elle-même et sa prétention à émanciper l’humanité a pu faire le lit de toutes les barbaries.

Nietzsche, en affirmant queles vérités « éternelles » ne sont que des idées temporaires,sera l’inspirateur de la postmodernité. Tout réside dans la représentation du monde.

Si les modernes encyclopédistes ont naturellement retenu cette hypothèse tant elle est évidente, et ils ont tenté de répertorier l’ensemble du connaissable pour l’enseigner de façon uniforme et relier ces éléments entre eux par des relations de causalité, grâce à la science. Ainsi,  le temps devient lui-même une succession de séquences, à usage pédagogique, dont la modification est un épiphénomène.

A l’inverse, pour les postmodernes, le monde est fondamentalement en devenir, changeant, fragmenté et disparate. Sa compréhension est illusoire sinon impossible. Cette vision correspond à celle de la physique quantique où le monde indéterminé se construit dans l’interaction et l’interdépendance.

La raison de Kant donne une représentation du monde où l’Être doté de sens critique est pourvu d’une identité stable tandis que les postmodernes relèvent une fragilisation de l‘identité, à travers ses interactions avec autrui.

Car, en effet, à force de rationalité, la modernité n’a-t-elle pas désenchanté le monde ?

En voulant se rendre, maître et possesseur de la nature, l’homme a engagé un processus qui a conduit la science à éradiquer les mystères de la nature et de ses forces invisibles.

Quand un phénomène devient scientifiquement explicable, le discours rationnel vient se substituer aux énoncés traditionnels, produits par les mythes et l’imagination des hommes. L’homme a besoin de rêver pour exister.
Le paradoxe, c’est que le progrès attendu de la science ne s’accompagne pas forcément d’un progrès parallèle de la connaissance. Ici encore, la tradition maçonnique de connaissance des outils, la réflexion autour de leur signification symbolique semble être une résistance à ce désenchantement.
Le mode d’emploi de la nature provoque une crise de la culture.

N’est-ce pas un nouveau coup porté aux idéaux des Lumières ? : son projet initial d’émancipation de l’humanité, s’éclipse devant lerendement, du gain, de la productivité, et de l’efficacité…  C’est ainsi qu’on glisse de la modernité des Lumières à la mondialisation de la deuxième modernité.
La critique apportée par la postmodernité est bien celle là : la modernité a été incapable de percevoir les conséquences de la dérive technoscientifique, d’autant que celle-ci, au quotidien, améliore notre existence.

Mais en réalité, la technoscience inexorablement, subordonne le savoir au pouvoir, la science à l’économie ; ayant oublié que la finalité est la liberté et le bonheur de l’homme, elle se développe indifférente à l’existence humaine. Un slogan dit qu’ « on n’arrête pas le progrès », mais personne n’est en mesure de dire où nous mène ce progrès.
Le grand risque de la modernité contemporaine est bien celui de cultiver ce désenchantement, et de nous placer devant un nihilisme où les idéaux, les valeurs, ne valent plus rien, seuls restant en lice, la consommation, l’enrichissement, le repli sur le bonheur privé, et en politique, la démagogie et le populisme.

Pour parer la crise des valeurs, il faudrait réenchanter le monde ! (Maffesoli), en s’appuyant sur de nouveaux paradigmes : diversité, multiplicité, métissage, égalité, pluralité et surtout contextualisation. L’idée centrale étant que c’est l’interaction humaine qui permet d’acquérir par l’expérience existentielle du vrai et du bien, un sens des valeurs, un désir de reliance, une révolution de l’amour universel et pluriel.
La méthode maçonnique apporte cela. Elle range au respect absolu de l’Autre, dans sa diversité, et ses différences. La fraternité, qui nous rend humains égaux, doit nous permettre de prendre en compte l’irrationnel, l’émotionnel. Nos cérémonies si anciennes renvoient à un jeu sur les archétypes, l’archaïque et une forme d’inconscient. Traditionnels, nous sommes, mais aussi postmodernes avant l’heure, prenant en compte la complexité des individus et leur permettant une voie de perfectionnement. Si nous en  avons la force, si nous évoluons avec prudence, si nous restons juste, si nos actions à l’intérieur et dans la société sont modérées et respectueuses.

Glisser de la modernité à la postmodernité, c’est quitter la verticalité pédagogue pour l’horizontalité créative et onirique de bon heur par l’élan, l’effort et le désir.
Dans une optique postmoderne, ce qui est juste n’est ni une loi, ni un code, ni une règle immuable, mais plutôt une dimension toujours en mouvement, au sens d’Héraclite, c’est-à-dire toujours renouvelée mais jamais achevée, laissant une place essentielle à l’imaginaire.
Loin de la querelle qui autrefois opposait les anciens et les modernes, contredire La Bruyère en ce que, décidément non, tout n’est pas dit.
Tout se renouvelle et c’est là que se place l’espoir, le seul progrès de l’humanité.

Jacques SAMOUELIAN, Président


A.S.: