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SILENCE ! ON INITIE..


Le silence est l’un des thèmes favoris de réflexion et de « planches » parmi les Maçons. On peut le comprendre. Et pourtant, le silence ne signifie pas toujours la même chose, entre autres dans l’espace initiatique de la loge.

Une nouvelle contribution de la Grande Loge Indépendante de France (GLIF) : SILENCE ! ON INITIE…

Conformément à notre habitude, quand il s’agit de réfléchir sur un sujet maçonnique, quel qu’il soit, il est recommandé de remonter à la source opérative, que le temps passant et passé, nous fait apercevoir seulement dans le lointain, et encore, quand nous pensons à tourner nos regards vers elle. Nous verrons que silence et connaissance sont en fait intimement liés.

Premier niveau d’exigence de silence : la perception de la réalité par les sens.

Qu’appelle-t-on « réalité » ? Nous n’en savons au fond rien. Le réel est ce que chacun de nous peut percevoir d’un événement, d’un environnement, d’une relation. C’est à la fois peu et subjectif. Ma propre prise de réalité par mes sens n’est pas la même que celle d’un autre par les siens. Dans un cas comme dans l’autre, elle commence par l’exigence de silence sans lequel nos cinq sens ne peuvent fonctionner ni capter le réel : silence pour entendre ce que l’on nous dit sans être dérangé par le bruit, silence pour voir sans être tenté de regarder ailleurs d’où vient le bruit, silence pour apprécier pleinement un goût, une odeur, un toucher. Il est clair, si l’on peut utiliser ce mot, que le silence, même s’il est une condition nécessaire à la ténébreuse prise de connaissance du réel, la rend néanmoins fort peu convaincante.
Il s’agit, à ce premier niveau de silence, de créer les conditions minimales pour percevoir un peu du réel ; et en loge, pour que le rite puisse être transmis sans bruits « parasites » et que la puissance initiatique puisse se propager sans être arrêtée par le bavardage ou le désordre.

Deuxième niveau d’exigence de silence : la rationalité.

Le silence ici est d’un degré plus élevé que le précédent. Ce mode de connaissance du réel peut nous induire en erreur. Un supplément de clarté sur le réel peut être acquis par le raisonnement. Il permet d’évaluer la validité de notre connaissance obtenue à partir ce que l’on vient de voir, d’entendre, ou autre prise au moyen des autres sens. Mais peut-on valablement mettre en action un  raisonnement dans le bruit et le tumulte ? On raconte (je ne me souviens pas de la référence) que le philosophe Kant pestait contre le bruit quand il élaborait une idée, jusqu’à le mettre en rage, et même, que le compositeur Gustav Mahler disposait d’un fusil, quand il travaillait dans sa cabane isolée pour être tranquille, pour chasser les oiseaux … bruit contre bruit ! Imagine-t-on un mathématicien ou autre scientifique, penché sur un sujet difficile, environné de bruit et perturbé dans son raisonnement ? Certes un fond musical, casque sur les oreilles, peut aider à se concentrer … ou plutôt à chasser ou éloigner le bruit ambiant. Mais imagine-t-on cela en loge, sauf à la transformer en salon de musique, et donc distraire les Frères de l’essentiel, comme cela se voit (ou plutôt s’entend quelquefois) alors que le silence fait partie des matériaux initiatiques ?
Le raisonnement, en tout état de cause, n’est pas compatible avec le bruit. Le silence « augmenté » est le remède « incontournable » et absolument nécessaire dans ce deuxième cas de prise de connaissance pour la fonder plus solidement. Et en Maçonnerie, ce deuxième niveau de silence est nécessaire pour recevoir et comprendre les instructions, exhortations, explications et mots du rituel et donc accueillir l’esprit de l’initiation.

Troisième niveau d’exigence de silence : l’écoute intérieure.

Au-delà du raisonnement organisé qui permet de pénétrer dans un niveau de réalité supérieur à celui des sens, et donc de connaissance, il y a des domaines qui, en plus de la rationalité, nécessitent intuition [1] ou émotion intime. C’est ce que l’on peut qualifier « d’illumination du cœur ». Qu’il s’agisse de réfléchir sur le sens caché des Saintes Écritures, sur la difficulté d’un texte philosophique, sur l’effet provoqué par la beauté d’une musique, d’un tableau, d’une étoffe précieuse, d’un plat gastronomique, d’un vin délicieux, etc., le degré de silence exigé est ici encore plus élevé que le précédent.
Car si dans le cas de la rationalité, le silence permettait la mise en ordre de l’esprit et l’organisation des idées, dans les cas cités ici, c’est l’abondance des pensées qui vagabondent et leur choc les unes contre les autres dans notre cerveau, qui nous encombre, qui crée des affects dans notre âme, et donc un bruit intérieur. Il convient de réprimer l’agitation que provoque ce « bruit silencieux », pour sentir les effets produits, avancer la recherche de ce qui ne se peut se prouver par le seul raisonnement, afin de recueillir la joie intérieure qui nait de la découverte du sens caché.
C’est cela le véritable résultat de la démarche initiatique. Heureux le Maçon chez qui surgit cette illumination issue de l’écoute intérieure.

Le quatrième niveau d’exigence de silence : le lâcher prise.

C’est le silence le plus difficile à réaliser. Il constitue le degré le plus élevé de la maîtrise de soi et de son être intérieur. Que ce soit dans le monde profane ou en Maçonnerie, nous sommes sans cesse encombrés par les pensées ; les insomniaques en savent quelque chose… C’est pourquoi ce n’est pas en loge que ce niveau de silence peut être atteint, mais par les bienfaits de la loge.
Ce type ultime de silence nécessite un environnement approprié : paysage, marche solitaire, isolement physique, etc. À chacun correspond ses conditions particulières à rassembler. Quand se produit ce moment de bonheur, souvent fugitif, mais parfois en instants plus ou moins prolongés, il reste au fond durablement dans sa mémoire et imprègne notre âme. Tout s’arrête, seul vit l’être détaché de tout.
Il y a silence à ce niveau parce qu’il n’y pas plus de place, en ces moments-là, pour la moindre pensée. Le lâcher-prise est total, l’être est vidé de pensées, d’idées, d’affects et sensibilité extérieure. La place est libre pour le vide intérieur, qui n’est même pas méditation, mais mise à disposition spirituelle, profane ou religieuse, par lustration intérieure de son être. De l’illumination du cœur, on est passé à l’illumination complète de l’être. Si tous les hommes et les Maçons ne sont pas des saints, tant s’en faut, certains cependant peuvent atteindre, par une ascèse de silence absolu, ce niveau d’intériorité exceptionnelle et privilégiée.
C’est tout le bonheur que l’on peut leur souhaiter … en silence.

A.S.: