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SI DANS « LE CORPS ON A VIRUS »…RÉFLEXIONS EN CHAMBRE

SI DANS « LE CORPS ON A VIRUS »…

RÉFLEXIONS EN CHAMBRE

« Tout le malheur des Hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre »

 A bien  lire  le philosophe Blaise Pascal, nous pourrions   déduire que ce sont plusieurs semaines de bonheur  qui nous sont prescrites – disons plus justement ordonnées ! – avec le confinement dans notre logis ! Cette sorte d’ « arrêt sur image » du film sociétal et social –   nous offre  en  tout cas  l’opportunité de marquer une pause et de penser la vie.  Et même chacun, chacune,  notre vie,  en ce moment inattendu.

Qu’en est-il de l’être humainen 2020 ? Depuis sa sortie du berceau africain, il y a quelque trois millions d’années,  il poursuit l’écriture de son histoire au fil de l’évolution et de l’expansion démographique. Avec la curiosité comme moteur,  c’est à dire la créativité permanente de son intelligence novatrice, dans tous ses domaines d’activité. Le prodigieux développement des moyens de communication et de déplacement qui a lui-même engendré un système économique mondial,  a fait de la terre aujourd’hui, un village de sept milliards d’habitants.

Ce qu’on appelle « la mondialisation » a produit « l’Homme  unidimensionnel », tel que l’a nommé le philosophe Herbert Marcuse. Et l’instantanéité de l’information procurée par ses objets nomades (téléviseur, ordinateur, smartphone, etc)  lui a donné l’impression de supprimer les distances et l’illusion de la maîtrise de l’espace et du  temps. L’homo numericus se reconnaît dans les accessoires de ses semblables  et trouve son âme dans son véhicule. En schématisant, il se réduit ainsi à l’état de consommateur insatiable et à un mode de vie uniforme ! Image même d’une société à repenser !

L’implantation des firmes multinationales active en permanence  les liaisons marchandes entre gens d’affaires. De leur côté,  le transport aérien à bas coût et les croisières à bord des villes flottantes favorisent sur l’ensemble du globe,  le tourisme de masse. Et avec cet ensemble en connexion s’opèrent tout à la fois les transferts technologiques,  la rencontre des cultures, le divertissement en tous genres…et la circulation virale !  A preuve  ce « Coronavirus » qui, par les transporteurs express que nous sommes, agresse subitement l’humanité entière.

La légendaire Tour de Babel s’est écroulée du fait de la diversité des langues de ses constructeurs.  Aujourd’hui, la « malcommunication » viendrait plutôt d’une seule langue, le « globisch », cette version simplifiée de l’anglais – l’anglais d’aéroport –  répandue précisément par les « globetrotters » modernes, lors de leurs escales. Ils se font comprendre certes, mais ce vocabulaire pauvre, constitué uniquement de mots neutres, ne leur sert qu’aux besoins immédiats. Utilisé par ailleurs dans les jeux vidéos et le cinéma d’animation, sans références culturelles ou historiques, il ne transmet rien et peut faire craindre un appauvrissement de la langue anglaise elle-même.  

Un constat découle de la « magie technologique » et de cette culture du divertissement tous azimuths :  Par l’esquive depuis la dernière guerre –  et les « trente glorieuses » qui ont suivi –  notre civilisation centrée sur le loisir s’ingénie  à nous faire oublier notre statut individuel d’« être provisoire ». C’est à dire de mortel ! Notre hôte  indésirable, tueur en série s’il en est, est en train  de nous le rappeler ! Ce signal est d’autant plus brutal que l’Homme est guidé tout au long de sa vie par le fondamental « principe de plaisir », évoqué ci-dessus. Mais le plaisir ne peut être constant. Rattrapés par le « principe de réalité », en l’occurrence l’actuelle funeste contagion, avions, bateaux, trains et  voitures – nos bottes de sept lieues –   cessent temporairement leur marche locale et intercontinentale, nous condamnant ainsi à l’immobilité.

 Avec qui passons-nous le plus clair de notre temps? Avec nous-même, bien entendu !  Et de fait, ce confinement nous renvoie bel et bien à   notre individualité. Une excellente raison pour nous rencontrer et « auto-dialoguer »! Une bonne occasion de passer ainsi du « Moi social », notre devanture si je puis dire,  au « Soi profond »  notre espace intime, que francs-maçons nous nommons notre « temple intérieur ».  Du Moi au Soi :  c’est au vrai, le passage du « Qui suis-je ? au Que suis-je ? Quelles sont  ma place et mon action en tant qu’être humain inscrit dans un récit, familial, amical, professionnel, associatif. Bref, quel  sens je donne à ma vie ?

Il n’y a pas d’urgence, il n’y a que des gens pressés ! Sauf exception vitale, certes, rien ne nous oblige à l’accélération en toute chose,   signe de notre époque. Nous le remarquons dans les médias et même en loge,  le « parler »  est souvent trop rapide.  Les intervenants ne prennent pas toujours le soin de bien articuler. Ils débitent parfois leur planche,  sans virgules entre les phrases, au dam de celles et ceux dont l’âge durcit l’oreille !  A notre domicile, à l’écart de toute précipitation, nous sommes à même en ce moment de reconquérir avec la patience et le bienfait du silence, la longueur du temps ! Cette pause permet de retrouver la présence à soi en vivant vraiment le présent. Et comme le mot l’indique, le présent est un cadeau !           

Alors que, nourrissons, nous dormions pendant des heures, nous avons vite cherché en grandissant à bien occuper nos heures de veille. Adultes devenus, nous ne cessons de nous activer pour répondre à cette question essentielle : Que faire quand je ne dors pas ? Ce désir de structuration du temps correspond davantage à notre soif éperdue de contacts sociaux – physiques ou par écrans interposés – auxquels nous a habitué la vie moderne ! Même si, paradoxalement, nous communiquons de plus en plus …en nous parlant de moins en moins ! Bien sûr, l’existence de cet agresseur invisible -champion de la transmission ! – est inquiétant. Et l’information continue n’est pas rassurante  en désignant tous les jours ses nouveaux lieux possible d’hébergement. Jusqu’à imprégner l’inconscient collectif angoissé et y inscrire en forme de jeu de maux lacanien, que chacun, chacune, …dans notre « corps on a virus » !

Heureusement, la médecine – avec le dévouement admirable de ses chercheurs, praticiens et praticiennes sur toute la planète – se bat  de toutes ses forces pour vaincre l’intrus. Et sans nul doute, finira par l’éradiquer, comme elle a vaincu les épidémies précédentes.  Dans le même temps, au  long des rues désertes, les croix vertes des pharmaciens continuent de palpiter comme des cœurs. Autant de sentinelles de vie qui oublient la leur pour préserver la nôtre. Autant de héros du quotidien, comme le sont policiers, pompiers, infirmières, caissières, livreurs, commerçants de proximité, vaillant peuple désormais masqué, à son  poste et son office. Pour notre sécurité et subsistance.

 En ce qui nous concerne, également acteurs de la cité, empêchés et confinés dans nos demeures,  – même si ce retrait nous protège voire nous  régénère avant de reprendre contact avec nos familles, amis et activités – nous ressentons maintenant le vif besoin de nous donner un horizon.  Au bout des jours et des nuits qui s’étirent…

…Le clair de lune me fait lever la tête. Puis m’attire à la fenêtre de mon 10ème étage. Je m’étais évadé avec Jules Verne, une bonne manière de faire le tour du monde en chambre. Et de soi! La ville décoiffée de son voile de pollution, les lumières y scintillent à nouveau. Mon œil devient regard et prend de la hauteur. Ô surprise ! Le ciel aussi a rallumé un semis  d’étoiles. Telle une promesse. Je fixe  la plus brillante pour, qui sait  en capter l’énergie!     

         Actuellement, le plus court chemin d’un point à un autre, c’est le rêve. Avec celui d’un premier matin du monde.

                                                                                   Gilbert Garibal

A.S.: