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PLANCHE MAÇONNIQUE : LA BEAUTÉ

Voici une planche maçonnique sur « La Beauté » qui nous est offerte par Eric.

« Est-il possible de trouver la beauté dans les difficultés et face aux horreurs.

Vénérable Maître et vous tous mes frères en vos grades et qualités,

Lors de mon passage sous le bandeau, il m’a été posé une question riche. Malheureusement je n’ai pas pris le temps d’y répondre longuement et je souhaitais pallier à ce manque.

Je pourrais donner comme exemple la beauté de la réaction de mon grand-père qui, après 5 années passées dans des camps de prisonniers en Allemagne, a toujours souhaité parler des allemands généreux qu’il a rencontré pendant cette période difficile à son petit-fils plutôt que de mettre en exergue les atrocités vécues. Je pourrais vous parler de la beauté du geste de ma Marraine et de mon Oncle qui m’ont accueilli et élevé dès l’âge de 4 ans alors que j’avais été abandonné par mes parents. La vie a été généreuse avec moi, à chaque moment difficile j’ai eu la preuve que la beauté, la générosité et l’Amour existent même dans les moments les plus inhumains.

Cependant, j’ai eu encore plus de chance lorsque j’ai eu la possibilité il y a plusieurs années de m’impliquer dans le travail humanitaire et c’est là que les leçons les plus intenses allaient s’offrir à moi.

J’ai effectué mon premier voyage en Haïti en Novembre 2004. Peu courageux par nature, je n’imaginais pas une seule seconde que je trouverais les ressources nécessaires pour faire face à la réalité de ce pays en proie à l’époque à une véritable guerre civile. La situation était plus grave que ce que je pouvais imaginer, c’était l’enfer malgré la présence de casques bleus. Les rues étaient couvertes de détritus, de carcasses de voitures (brûlées) et des impacts de balles étaient visibles dans certains quartiers. Les égouts ouverts étaient encombrés de cadavres animaux mais également de corps humains que les porcs « nettoyaient ». La tension était palpable, la population était prête à exploser et j’ai parfois ressenti une certaine animosité. Certaines routes étaient barrées. J’étais hébergé dans un hôpital, endroit relativement sûr malgré une centaine de gens armés et attendant l’autorisation d’attaquer les Chimères. Le gouvernement ne le souhaitait pas de crainte de déclencher une guerre civile mais elle était déjà commencée…

Ce pays n’en est plus un, on a l’impression que la seule solution serait d’évacuer la population pour laisser le temps à la nature pendant un siècle de tout nettoyer avant de reconstruire…

Arrivé un soir dans l’orphelinat de l’ONG que je dirigeais, je suis passé dans la maison des petits. Johnny, 1.5 ans, ne dormait pas, il m’a tendu les bras pour un câlin. Impossible de résister à cet appel et comment ne pas penser à ces enfants que j’avais vus dans la rue, sales et mal nourris qui ont besoin de soins et d’attention ?

Pour nos visites, nous avons négocié notre passage à plusieurs barrages de Chimères. Ces gens étaient devenus imprévisibles, n’avaient plus rien à perdre, se droguaient pour ne pas avoir peur… Il y avait des camions brûlés, des pneus en feu, des tirs dans certains quartiers.

Nous sommes arrivés ensuite au dispensaire des Missionnaires de la Charité en pleine zone rouge. Ce centre soigne les victimes du HIV et de la tuberculose. J’ai été recruté pour faire des radios de thorax et des tests de dépistage HIV. 50% des personnes testées sont positives. On ne leur dit rien pour éviter un drame mais ils seront soignés jusqu’à la fin. Je me suis retrouvé face à Tamara, une jeune fille trisomique, séropositive et ayant déclaré la tuberculose. La seule possibilité qu’elle ait été contaminée est qu’elle ait été abusée.

Nous sommes ensuite partis célébrer une cérémonie du souvenir sur un terrain ou les corps sont déposés sans funérailles. Le choc fut dur, des crânes, des os qui dépassent du sol sans oublier une odeur pestilentielle que je ne pouvais pas imaginer. Pensez à ces gens qui n’ont même pas reçu un enterrement décent après avoir vécu dans la misère. Le soir même, en écrivant à ma famille et mes amis, j’ai pensé que si « l’enfer » avait une ambassade, elle serait située en Haïti.

Se retrouver face au non-droit, à la violence la plus bestiale quand une femme est enlevée, violée puis démembrée avant d’être rendue à son fils qui a payé une rançon, est une expérience insoutenable. Comment l’être qui a construit autant au cours des millénaires, tant en termes de Civilisations qu’en termes de Démocratie, de respect de l’autre et de Philosophie peut-il générer autant d’atrocités, et surtout comment survivre intellectuellement et émotionnellement à ces visions d’horreurs ?

D’autres choses coexistent avec ces atrocités : un enfant partage ses bonbons reçus pour son anniversaire, d’autres portent un enfant handicapé pour lui permettre de participer à leurs jeux…

J’ai visité d’autres pays en difficultés et à chaque fois, les mêmes souffrances, les mêmes horreurs, de nouvelles histoires difficiles à entendre. J’aurai touché de près le désespoir et la bêtise humaine mais j’ai surtout vécu le plus important : la joie de vivre de ces enfants et de ces peuples, l’espérance en de jours meilleurs pour ces gens qui souffrent de la pauvreté et de la violence.

Mes aventures en Haïti et ailleurs continuent, ma société me permet de continuer à me battre et j’ai décidé de lancer un projet, tout d’abord en Haïti, qui sera générateur d’emplois et de « mise en lumière » du formidable potentiel de ces pays soi-disant pauvres. Certes ils le sont économiquement mais ils sont riches de tellement d’autres choses et au vu du quotidien mondial en termes économiques, je pense qu’il est grandement temps que nous réalisions que la richesse qui compte est celle qui ne dort pas dans des comptes virtuels…

Je ne veux pas vous emmener vers des lieux communs mais oui la beauté existe même au sein de l’horreur : le sourire d’une enfant trisomique pour laquelle vous prenez un peu de temps, avec laquelle vous partagez un regard et dans ses yeux luisent la flamme de l’espoir, celui d’être enfin bien traitée, d’être soignée et, peut-être, d’être aimée.

La beauté est aussi dans le courage de ces peuples qui malgré leur quotidien et leur « damnation », terme trop porteur de condamnation que j’évite d’utiliser en règle générale mais qui est tellement parlant, continuent à espérer, continue à croire qu’il est possible de vivre mieux. La beauté peut être trouvée dans l’engagement de ces hommes et femmes qui ont décidé de se battre pour que ces fléaux disparaissent, de travailler à enfin régler la dette de nos ancêtres.

La beauté coexiste aussi avec des lieux dévastés, à peu de distance des bidonvilles on trouve des endroits paradisiaques qui laissent envisager ce que pourraient devenir à nouveau ces lieux corrompus. La beauté d’un paysage vierge, d’une faune respectée à quelques kilomètres de bidonvilles nauséabonds, ou la violence et la maltraitance règne.

La beauté peut être trouvée dans l’horreur tout simplement parce que la lumière n’est visible qu’au sein des ténèbres, sans le négatif, comment voir le positif ? L’expression commune « voir le bout du tunnel » fait référence à l’espoir et le courage que donne la lumière qui filtre alors que nous sommes au sein d’un boyau sombre…

Je crois aussi que la beauté est dans la capacité que nous gardons à pleurer après une « surdose » d’horreurs, de notre capacité à ne pas devenir indifférent, à rire en fin de journée quand elle a été passée à entasser des corps d’adultes, enfants et bébés dans un camion pour leur offrir une sépulture digne. Elle est aussi dans notre capacité à nous lever chaque matin, et à nous dire : ce n’est pas fini il y a toujours des choses à faire pour changer.

Cette capacité à percevoir la beauté est aussi un moteur, en particulier quand l’aide à l’autre est rendue difficile par des règles administratives et fiscales dont certaines, je l’avoue, peuvent être perçues comme insensées ou fallacieuses.

Depuis longtemps, j’essaye de comprendre les messages des différents courants philosophiques de notre Histoire, le symbole qui peut exprimer le mieux ce que je pense avoir appris de ces expériences est celui du Ying et du Yang. Dans tout côté clair il y a un zone d’ombre et dans tout côté obscur il y a une lueur d’espoir. Cette dualité, elle nous parle deux fois par mois lorsque nous foulons le sol de notre Temple, par contre, je m’interroge sur notre capacité à percevoir l’espoir et l’Amour dans toute situation, vécu négatifs alors que nous voyons si facilement la noirceur dans une situation lumineuse.

Une des leçons que j’ai tirées de cette vie riche d’expériences fortes est que quoi qu’il advienne, il reste toujours une infime clarté, une étoile qui semble lointaine mais qui peut guider nos pas vers la construction, le partage et sur la plus belle expression de ce dont l’Homme est capable : Aimer du plus profond de son cœur. Ces expériences auraient pu être destructrices mais elles m’ont au contraire renforcé et elles m’ont aidé à ne pas laisser partir ce qui permet à un adulte de continuer à espérer : le regard de l’enfant qui reste ouvert à tout ce qui est beau, aussi insignifiant soit l’objet… Cet Amour étant le seul liant qui peut résister à toutes les attaques, celles du temps, de la violence et de l’usure…

J’ai choisi de me battre au quotidien pour mettre en valeur la beauté, l’espoir et l’Amour que nous pouvons partager même au sein de l’horreur la plus profonde. Et n’oublions pas un auteur qui a tellement marqué qui nous a enseigné que : « L’essentiel est invisible pour les yeux »…

J’ai dit, Vénérable Maître. »


A.S.:

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