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LUXEMBOURG : DES FRANCS-MACONS PAS SI FRANCS !

Voici 2 articles du quotidien luxembourgeois « Le Quotidien »

Résumé :

Un père et ses fils sont suspectés du détournement de la majorité du capital d’une société immobilière à la Grande Loge de Luxembourg. Après neuf ans d’enquête et de procédures, l’affaire est portée face aux juges.

Merci à notre lecteur Athanase pour l’info

Un père et ses fils sont suspectés du détournement de la majorité du capital d’une société immobilière à la Grande Loge de Luxembourg. Après neuf ans d’enquête et de procédures, l’affaire est portée face aux juges.

Six audiences sont prévues, tant l’affaire s’annonce complexe. L’enjeu est important. Jean, un franc-maçon, aurait détourné les titres aux porteurs de la société Sacec, société immobilière de la Grande Loge de Luxembourg et du Suprême conseil du rite écossais ancien et accepté pour le Grand-Duché de Luxembourg (Sucol). Les deux associations ont porté plainte contre le père, Jean, et ses deux fils, Luc et Tom, le 17 février 2012.

Neuf années se sont écoulées pendant lesquelles divers actes de procédures demandés par les parties civiles ont succédé à l’instruction judiciaire. Un laps de temps suffisamment long pour permettre à Me Hoffeld, avocat de la défense, d’invoquer mardi, à la barre de la 12e chambre correctionnelle du tribunal de Luxembourg, le délai raisonnable, un moyen de procédure pour obtenir l’irrecevabilité des poursuites contre ses clients. Moyen qui n’a pas été retenu par les juges.

Le procès a pu enfin débuter. Sans le principal suspect. Âge de 80 ans et cardiaque, il n’assistera pas à toutes les audiences. Pourtant, après cette première matinée, il ressort qu’un témoignage de sa part serait capital pour dénouer ce dossier complexe. Franc-maçon, il fonde en 1990 avec Prosper Schroeder, grand-maître de la Loge maçonnique à l’époque, et un autre frère qui occupait une position élevée au sein de la loge, la fondation Junck – du nom du philanthrope et grand-maître, Joseph Junck – au Liechtenstein à laquelle ils transfèrent une partie des titres aux porteurs. Il avait été convenu avec que si la fondation venait à être dissoute, les actions seraient réparties à part égales entre les deux loges.

«L’engagement de mon père était crédible»

En 2011, un conflit serait apparu au sein du conseil d’administration de la Sacec, exclusivement composé de membres de loges. Jean aurait voulu y faire entrer son aîné Luc. Or raconte Me Victor Gillen, ami de Jean et ancien président du conseil d’administration de la société, Luc ne pouvait intégrer le conseil d’administration de la société sans appartenir à la confrérie. À la suite de ce conflit, la fondation aurait été dissoute. Mais juste avant, Jean et ses fils auraient modifié les statuts pour que les titres leur reviennent. Il s’agirait de deux fois 120 actions dont les deux loges revendiquent la propriété pour la Sacec et de 750 dont la propriété est contestée par la partie civile.

La Sacec a été créée par le père de Jean, Cecil, dans le but de financer des bonnes œuvres et de promouvoir la crémation et l’incinération de défunts au Luxembourg au côté de l’ASBL Flamme, explique Tom à la barre. L’État finance le premier crématorium et la société continue sur sa lancée jusqu’à, explique le jeune homme, que son père se rende compte que

«la fondation ne recevait plus de revenus des dividendes de la Sacec». Jean aurait alors, selon son fils, pensé que les loges profitaient des revenus de la société et en aurait retiré son capital et ses actions, ainsi que demandé la démission de Victor Gillen. «La loge est un enfer, ma mère nous avait prévenu de ne pas y rentrer», conclut le jeune homme qui a promis de faire éclater la vérité, «Pour moi, l’engagement de mon père était crédible. Il nous a présenté des pièces qui corroboraient son récit.»

Les deux frères ont nié les faits qui leur sont reprochés et leur avocate a indiqué plaider l’acquittement. Une ordonnance de non-lieu avait été rendue par le juge d’instruction en

faveur des deux frères lors de l’instruction. Les deux parties jouent gros. Des millions seraient en jeu. Mille deux cents actions auraient été émises par la Sacec. Cent dix-sept auraient appartenu à Jean et ne seraient pas contestées par les parties civiles qui réclament la confiscation des 240 actions de la Sacec et des 750 dont la propriété est contestée, ainsi que 227 146 euros de frais d’avocats à la date de mardi et l’euro symbolique en guise de dommage moral pour les deux loges.

Une tentative d’accord avait été proposée par les parties civiles. Ses termes stipulaient, selon nos sources, que les trois prévenus auraient dû renoncer au capital social de la Sacec en échange de l’abandon des poursuites pénales et civiles à leur encontre, que Jean aurait dû céder ses 117 actions contre une certaine somme d’argent aux loges et qu’il aurait dû recevoir une somme transactionnelle forfaitaire de 100 000 euros. Le parquet l’aurait refusé pour ne pas perdre son droit de poursuites et éviter de faire croire en son instrumentalisation après six ans d’enquête. Les prévenus auraient été tentés dans un premier temps, puis plus par la suite.

Reste à déterminer à qui appartiennent les différents titres. Selon le commissaire de police en charge de l’enquête : «À la fin, nous ne sommes pas parvenus à découvrir qui était le vrai propriétaire des titres aux porteurs.» Pour Victor Gillen, par contre, «jusqu’en 2011, il n’a jamais été question que les parts appartiennent à la famille». Jean aurait géré les avoirs de la société avec la confiance des loges. La suite des débats est prévue ce mercredi après-midi au tribunal d’arrondissement de Luxembourg.

2eme article

Loges maçonniques : «hold-up» ou «putsch»

«crapuleux»

Mercredi, c’était au tour des parties civiles de rentrer dans l’arène. Les trois avocats n’ont pas été tendres avec les prévenus suspectés du détournement de la majorité du capital d’une société immobilière de deux loges maçonniques.

Le linge sale se lave en famille. Pourtant, pour récupérer un patrimoine dont l’origine est contestée alors que personne n’est en mesure de l’attester formellement, les traditionnellement plutôt discrètes loges maçonniques n’ont pas hésité à rendre l’affaire publique. Un de leurs anciens frères et ses deux fils auraient mis la main sur des titres au porteur dont les deux camps clament la propriété.

En ce cinquième et avant-dernier jour de procès, les prévenus ont encaissé les coups assénés par les parties civiles qui n’ont cessé de rappeler le pedigree de leurs frères maçons et ont balayé avec ironie les accusations à peine voilées de «complot». «C’est ridicule !» Les prévenus se voient comme des David face à un Goliath disposant d’un puissant réseau. En matière d’analogies, les parties civiles ne sont pas en reste non plus puisqu’un de leurs avocats et membre de la loge a comparé Jean à Judas. Il aurait profité de la confiance de ses frères pour les abuser. Il est également accusé par

Me Lutgen d’avoir volé les archives de la grande loge et de s’en servir contre ses frères lors de ce procès.

Les parties civiles ont crié au «hold-up». Jean et ses fils se seraient approprié le patrimoine de la Sacec, société créée en faveur de la construction d’un crématoire au début du siècle dernier. Pour Luc, l’aîné des deux fils de Jean, les loges tenteraient à

tout prix de récupérer les actions parce qu’elles seraient en manque d’argent. Un document signé en 2005 par Jean pourrait cependant faire office de juge de paix s’il n’était pas contesté par les prévenus. Il stipule que les deux loges maçonniques (la grande loge et le Suprême conseil du rite écossais ancien et accepté pour le Grand-

Duché de Luxembourg) seraient les bénéficiaires des actions de la Sacec, si la fondation qui en bénéficiait venait à être dissoute. Pour les deux frères, il s’agirait d’un faux. Leur père aurait signé un document vierge qui aurait été rempli à l’avantage des loges par la suite sans son accord.

Luc et Tom coauteurs ?

«Ce que Tom nous a raconté hier était marrant. C’était une belle histoire», a affirmé Me Lutgen. Le quarantenaire avait, à l’aide de documents rassemblés dans une

présentation de 130 pages, donné la vérité de sa famille quant à l’origine des actions et évoqué les causes humanitaires qui auraient poussé son père, son grand-père et le père de ce dernier à s’engager en faveur de la Sacec et de faire prospérer la société pour prouver que les actions revenaient à leur famille. Les parties civiles s’interrogent : pourquoi aucun témoin – sauf un – ne corrobore leur version et pourquoi Jean aurait-il régulièrement informé le grand maître de la loge si les actions appartenaient à sa famille

? Elles vont même plus loin en avançant une théorie en laquelle elles disent ne pas croire

: si les actions appartenaient bien à Jean, dans ce cas, il aurait fait «rouler» gratuitement des frères pour faire fructifier sa fortune et «la cacher au Liechtenstein». Ce qui ferait de Jean «une superbe crapule».

Une longueur dont l’avocat serait lui-même à blâmer, selon l’avocate de la défense, Me Hoffeld. Il se serait «acharné» à faire condamner les prévenus au pénal malgré un premier non-lieu du parquet et du juge d’instruction confirmé par la chambre du conseil. Celui qui a condamné les «tours de passe-passe» de Jean, aurait lui-même rusé pour arriver à ses fins. Elle a invoqué le dépassement du délai raisonnable et l’irrecevabilité des poursuites. Selon elle, plus le temps passe, plus les souvenirs des témoins sont flous et certains, âgés, risqueraient de décéder si l’affaire venait à se prolonger en appel, par exemple.

L’avocate dénonce également une procédure inhabituelle qui n’aurait pas permis à la défense de se préparer correctement. Elle aurait eu trois semaines entre l’inculpation des prévenus et la clôture du dossier d’instruction. Elle invoque un article de la Convention internationale des droits de l’homme sur les droits de la défense avant d’être interrompue par le temps. Suite et fin du procès vendredi.

Sophie Kieffer

A.S.: