X

LA PIERRE NON POLIE


L’apprenti avait récemment suivi sa première leçon sur la pierre brute et polie. On lui expliqua la base, l’essence, le point de départ de la signification de ces symboles, qu’il allait ensuite intérioriser et développer pour lui-même. Il a alors appris que la pierre est chacun de nous ; que notre travail consiste à « tailler » nos aspérités pour atteindre un état de plus grande perfection – ou polissage – pour qu’enfin, ensemble, nous formions cette construction sublime, ce temple suprême que l’Homme bâtit, de lui-même, à la Gloire de son Créateur.

Plusieurs nuits de suite, l’apprenti s’endormit à ce sujet et rêva de pierres de toutes formes. Il rêvait d’énormes rochers anciens recouverts de mousse ancienne ; il rêvait de sable fin, autrefois partie d’imposantes falaises et aujourd’hui réduit en poussière ; Il rêvait de meules, de pierres sur les murs des villages de son enfance, de trottoirs de ville, de coins d’immeubles, de graviers, de cailloux qu’il jetait en creusant un trou dans la cour et dont la forme a trahi un long parcours fluvial et des crues automnales.

Dans l’un de ses rêves, son regard tombait sur un galet presque rugueux, à moitié enfoui, avec un côté plus plat – celui le plus endommagé par les intempéries – et le reste, ayant passé la plupart de son temps caché sous terre, encore plein d’aspérités et de imperfections. Quelque chose de familier avait attiré son attention sur cette pierre, alors il la regarda attentivement. Il se réveilla bientôt, mais ce caillou, plus rugueux d’un côté, plus lisse de l’autre, ne voulait pas sortir de sa tête.

Quelques jours plus tard seulement, en faisant une introspection sur ses faiblesses et ses forces, il se reconnut, non sans un certain embarras, dans la pierre dont il avait rêvé. Son côté le plus poli – celui, après tout, dans lequel il avait investi le plus de temps, et qui était celui qui mettait du pain sur sa table – était néanmoins ici craquelé et criblé de rainures, mais là encore il y avait des signes de peu de traces. un travail et peu de persévérance qui trahissaient la rudesse originelle. Le reste ne valait même pas la peine d’en parler ; J’avais besoin de tout.

Il prit une profonde inspiration et faillit abandonner ; La tâche était ardue et je ne savais même pas par où commencer. Il s’est alors rendu compte qu’il ne savait même pas où il voulait aller, donc cela ne servait à rien de prendre la route avant. Que faire de cette pierre qu’était lui-même ?


Agité, il demanda conseil à l’un de ses Maîtres quant à ce qu’il devait faire. Celui-ci, en guise de réponse, lui montra deux murs également solides et compacts : l’un, formé de pierres parallélépipédiques, chacune avec ses 6 faces laborieusement taillées ; une autre, formée de pierres irrégulières mais solidement assemblées, dont seulement une ou deux faces – les extérieures – avaient été polies, mais celles-là, oh ! comme elles brillaient !

Encore plus confus, il demanda au Maître de quelle pierre il s’agissait et ce qu’il devait faire pour l’atteindre. Dois-je tailler les plus grosses aspérités sur les différentes faces, en espérant qu’après de nombreux passages, la forme se rejoigne ? Ou devriez-vous investir dans un ou deux côtés et ignorer le reste ? Ou, au contraire, faut-il travailler sur chacun d’eux, mais en donnant une forte prépondérance à un ou deux, et en se limitant à atteindre le minimum dans les autres ?


Le Maître répondit qu’il n’avait aucune réponse à lui donner. Que chacun prépare sa pierre de la manière qu’il croit la plus parfaite, et que le Grand Architecte sache l’utiliser, quelle qu’elle soit, dans la construction du Temple. Certaines, plus grossières, serviraient de remplissage, sans lesquels les murs n’auraient pas la force de se soutenir ; d’autres, plus ornés, seraient placés à un endroit bien en vue, mais seraient finalement plus fragiles ; D’autres encore, robustes et solides, taillées au millimètre près mais sans aucun ornement, deviendront les pierres qui soutiendront les travées et les voûtes. Certaines pierres, de par leur nature même, ne pourraient jamais servir à certaines fins ; mais ils parviendraient tous à devenir utiles à quelque chose, et d’autant plus utiles qu’on y aurait consacré plus de travail.

L’Apprenti regarda alors longuement sa pierre, inspecta soigneusement la face la plus polie – mais imparfaite – ainsi que les autres, rugueuses et rugueuses, et se mit au travail.

.·.

Des années plus tard, l’Apprenti était déjà devenu Maître, ayant l’occasion d’apprécier le travail des Apprentis et des Compagnons de sa Loge, et combien ils étaient différents les uns des autres. Tandis que certains s’efforçaient de répartir leur effort sur plusieurs visages – obtenant de belles pièces géométriques formant un tout harmonieux, sans qu’aucun visage ne se démarque des autres – d’autres s’obstinaient à travailler le même visage jusqu’à ce qu’il brille comme un miroir, masquant les imperfections. il restait à y travailler dans les autres, et cela pouvait même être considéré comme une promesse d’amélioration future. Dans chacun d’eux, le Maître a eu l’occasion d’apprendre quelque chose de nouveau. Et il se rendit alors compte que son Maître avait raison, puisqu’il pouvait dire avec certitude qu’aucun d’eux n’était meilleur que les autres.

Paulo M.

A.S.: