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CONTE – CHASSEZ LE NATUREL

CONTE – CHASSEZ LE NATUREL

Le lièvre et le singe discutaient avec enthousiasme. Et, tout en conversant, chacun d’eux laissait libre cours à son tic familier. De temps à autre, le singe se grattait avec de brefs coups de patte tandis que le lièvre, qui redoutait sans cesse d’être surpris par quelque ennemi de son espèce, ne pouvait s’empêcher à tout instant de tourner la tête tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Les deux animaux ne pouvaient se tenir en repos.

« Il est extraordinaire, vraiment, fit observer le lièvre au singe, que tu ne puisses laisser passer une minute sans te gratter !
– Ce n’est pas plus étonnant que de te voir sans arrêt tourner la tête dans toutes les directions ! riposta le singe.
– Oh, protesta le lièvre, je saurais bien m’en empêcher, si j’y tenais absolument !
– Eh bien, voyons si tu pourras y parvenir. Tâchons, toi et moi, de rester immobiles. Celui qui bougera le premier aura perdu son pari.
– Entendu ! » dit le lièvre.
Et tous deux s’efforcèrent de ne plus faire le moindre mouvement.

L‘immobilité ne tarda guère à leur sembler insupportable. Le singe avait des démangeaisons comme jamais auparavant. Quant au lièvre, il éprouvait de vives angoisses concernant sa sécurité, depuis qu’il ne pouvait plus lancer à tout instant des coups d’œil furtifs vers chacun des points de l’horizon.
À la fin, n’y tenant plus :
« Au fait ! dit-il, notre pari ne nous interdit pas de nous raconter quelque histoire pour rendre le temps moins long, n’est-il pas vrai, frère singe ?
– Assurément ! » répondit celui-ci, qui se doutait de quelque stratagème de son compère, et comptait bien en faire son profit en s’inspirant de l’exemple qu’allait lui donner le lièvre.
« Eh bien, je commence, dit ce dernier. Figure-toi qu’un jour de saison sèche, me trouvant dans une vaste plaine, je courus le plus grand des dangers…
– Tiens, s’exclama le singe, il m’est arrivé la même chose !
– Oui ! poursuivit le lièvre, je vis des chiens accourir vers moi en aboyant. Il en venait de tous côtés  à droite !… à gauche !… devant moi !… derrière moi !… Je me tournais de ce côté… j’en entendais par là et puis par là… et par là encore ! »
Et tout en parlant, sire lièvre, comme entraîné par son récit, mimait ses inquiétudes en cette fâcheuse situation et regardait dans toutes les directions auxquelles il faisait allusion.
Le singe, aussitôt l’histoire du lièvre terminée, commença son récit :
« Un jour, dit-il, je fus assailli par une troupe d’enfants qui me pourchassèrent à coups de pierres. J’en recevais ici (il se grattait le flanc droit pour désigner la place où le coup avait porté), là !… (au flanc gauche), sur les reins, à la cuisse, à la nuque. » Et il indiquait chaque partie du corps qu’il nommait ainsi d’un geste précipité qui faisait cesser l’impérieuse démangeaison.
Le lièvre ne pouvait plus contenir son envie de rire. Il éclata ! Et le singe, en le voyant pouffer, rit aussi de tout son cœur. « Vois-tu, nous aurons beau dire et beau faire, jamais nous ne changerons notre naturel. La preuve en est faite et bien faite. Tenons-nous-en là. Aucun de nous n’a gagné le pari, mais aucun ne l’a perdu. »

Collectif, Contes d’Afrique, ill. Thomas Tessier, rue des enfants

A.S.: