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CARTE POSTALE DE VACANCES par Pierre Pelle le Croisa

PUBLIÉ EN JUILLET 2015

Voici un billet intitulé « Carte postale de vacances » de Pierre Pelle Le Croisa en guise de clin d’oeil au billet Le Franc-maçon est un Bouddha du XXIème siècle de Franck Fouqueray

C’est affreux, mon cher Franck!

Toi tu vois des Bouddhas partout sur la plage; et moi, ce n’est pas mieux: où que j’aille, j’ai l’impression que les Francs-macs me suivent! Après avoir voyagé toute la journée d’hier, j’arrive enfin à destination: hôtel de l’Étoile… Devine où?

Je te le donne en mille: rue du Temple! C’était prémonitoire, j’aurais dû me méfier! À la réception, une famille attendait devant moi: ils étaient 5. Le père devait avoir 33 ans, et les plus jeunes enfants 3 et 7 ans (voire plus). « Où est-ce qu’on loge? » demande la mère. Tu entend bien, elle a dit: « loge ».

Je n’en croyais pas mes oreilles! « Au midi » lui répond l’hôtelier. « Vous pourrez profiter du soleil. Mais attention! C’est une vraie fournaise à cette heure-là! » Le père reprend: « Je m’en doute! Mais l’eau, elle est loin? – Juste devant vous » rétorque le réceptionniste, en la pointant du doigt. J’étais anéanti : le feu du soleil, l’eau de la mer. Je manquais d’air. J’étais à terre. Les quatre éléments qui se rappellent à moi, tu imagines? « – On peut occuper les lieux? On voudrait pouvoir se mettre en tenue » demande le père.

Il ne pouvait pas être plus explicite: une tenue! Ils voulaient se mettre en tenue! Une tenue d’été, sans doute. L’hôtelier, un peu gêné, reprend: « Désolé, voue êtes arrivés un peu tôt. On n’a pas eu le temps de tout préparer. » Et, de fait, je regarde autour de moi: le décor n’a rien de sacré, on se croirait dans un hôtel normal. « Bon, en attendant nous allons faire un tour » dit le père, conciliant. Et voilà toute la petite famille partie circumambuler. Je reste seul. L’hôtelier ne m’a pas remarqué. Je frappe à la porte. Trois fois. « Qui est là? » interroge-t-il. Me référant à l’ambiance et voulant faire un peu d’humour, j’avance: « – C’est un humble touriste qui demande l’entrée de l’hôtel – Qu’il entre!… Euh, entrez – je veux dire », insiste l’homme, me faisant signe de le rejoindre. Et, me désignant un fauteuil face à lui: « Prenez place. » Je m’assieds. « Vous avez réservé? – Oui. – Votre nom? – Le Croisa. – Pierre Pelle Le Croisa? – Oui, c’est ça. – Vous serez au nord. » Souhaitant prolonger l’esprit de notre entretien, je poursuis par une allusion: « Ce n’est pas grave, j’ai déjà reçu la lumière! »

Le réceptionniste prend l’air pincé: « Tant mieux pour vous, Monsieur. Ici, tout est électrique.

Vous pourrez vous brancher à votre convenance. » J’ai compris: le propriétaire ne veut pas se dévoiler. Je respecte sa réserve. Il me conduit à ma chambre: « – Vous n’avez besoin de rien? Vous avez tout ce qu’il vous faut? – Oui, je n’aspire qu’au repos », ajoutais-je, dans un sourire. « Vous avez bien de la chance! Moi, ça ne sera pas avant minuit! » me coupe-t-il sèchement en claquant la porte. Je pose mon bagage. Je m’allonge sur le lit. Épuisé, je m’endors. Quand je me réveille, il est 18 h. Je décide de sortir. Des ouvriers travaillent sur un chantier, juste à côté de l’hôtel. Je m’approche de l’un d’eux, qui a un truelle à la main. « Vous êtes maçon? » lui demandais-je à brûle-pourpoint. Surpris, il me répond: « Ben, oui. Mon patron m’a embauché comme tel… Pourquoi? Vous avez un chantier à me proposer? » Je m’empresse de réfréner son enthousiasme: « – Non! Non! C’était une simple question. – J’ai compris: c’est un problème de salaire; vous n’êtes pas content. Vous remplacez les ouvriers sur votre chantier. Merci, ce n’est pas pour moi. » Et il tourne les talons. Je n’insiste pas. Visiblement, on ne s’est pas compris. Cela arrive parfois. Même entre Maçons. Je poursuis ma promenade. J’arrive à la plage. Je m’assois dans le sable, les yeux fixés sur l’océan et les bateaux qui sillonnent ses flots, au large. À ma gauche, un jeune couple, allongé sur des serviettes, dessine des motifs dans le sable.

L’homme trace des traits avec ses doigts: je crois y reconnaître des colonnes. Au-dessus, il écrit: « J.B. » Intrigué, d’une voix hésitante, j’interroge: « Jakin et Boaz? » Il me regarde, surpris: « Non. Jacques et Brigitte. Pourquoi? » Je me retire à la hâte et je reviens sur la promenade.

Sur la place principale, les restaurants ne manquent pas. Je choisis une pizzeria, dont le menu bon marché semble en adéquation avec ma bourse. « Prenez place, Monsieur », m’enjoint le serveur. Phrase déjà entendue, qui éveille mon attention. Je ne sais pas pourquoi, je me sens épié. Je me tourne vers mon voisin de droite qui – je le constate – m’observe avec intérêt: « On se connaît » me dit-il avec un clin d’œil appuyé. « Je ne crois pas » contestais-je avec détermination. « Si, moi je vous connais » appuie-t-il. « Moi, pas » renforçais-je. « Ah, ça y est, ça me revient! J’ai vu votre photo sur le net: Vous êtes un blogueur… » Je pâlis. « – Un illustrissime… – Chut! – …blogueur! – Chut, vous dis-je! » Il est content de lui. Je le suis moins: je crains qu’il ne me dévoile. – Chut, s’il vous plait! – Chut, j’ai compris. Vous ne voulez pas que l’on sache que vous êtes Franc-maçon! » conclut-il en élevant la voix, le doigt sur la bouche. « Chut! », confirmais-je, en baissant d’un ton. Le serveur, qui s’impatiente, me demande: « – Que désirez-vous manger? – Une pizza aux quatre fromages. – Donnez à manger de la pâte à pain à celui qui a faim! », insiste lourdement mon voisin de table. « – Et que désirez-vous boire? – Un pichet de vin rouge. – …Et donnez à boire à celui qui a soif! » persiste le frère. Il commence à m’agacer. Il a fait une chaleur à crever toute la journée, et elle me tape sur les nerfs. La nuit tombe, mais la fraîcheur ne vient pas. La lune s’est levée. « – Vous avez vu? – Quoi? » m’exclamais-je en mâchonnant ma pizza.  » – Le ciel? – Eh bien? – Sa voûte, elle est étoilée! », précise-t-il en pouffant de rire. « – Chut! – Chut! Et ce ne sont pas des étoiles à 5 branches! » achéve-t-il en hochant la tête. Je n’en peux plus ! Et puis la chaleur ne baisse toujours pas. J’appelle le patron: « L’addition, s’il vous plaît! – Vous ne voulez plus rien? – Puisqu’il vous dit qu’il a fini ses travaux de bouche, c’est que les agapes son terminées! », intervient pour moi mon voisin. Comment le faire taire? Qu’est-ce qu’on dit en ce cas-là… Ah, oui! « – Il pleut! – Il pleut? Mais vous êtes fou? Vous avez vu le temps qu’il fait?… C’est qu’ils sont fadas, ces deux-là! », peste l’homme qui encaisse en me tendant mon ticket de carte bleue.

« Allez, ouste! Il y a des clients qui attendent pour dîner. Veuillez laisser la place, s’il vous plaît! », maugrée-t-il en essuyant le plateau de ma table. Je me dépêche de rentrer à l’hôtel et je me couche. C’est décidé! Demain, je passe la frontière et je rente en Espagne: peut-être là-bas parviendrais-je à éviter les frangins! Je traverserai les Pyrénées, je prendrai le chemin de Saint Jacques de Compostelle… Non! Pas Compostelle, le « Champ de l’Étoile »!

C’est sans doute la route empruntée par les frères. Tant pis, je ferai un détour…

Pierre Pelle le Croisa


  • Pierre Pelle Le Croisa

Arrivé sur terre en 1947. Études : littéraires et économiques.

Activités professionnelles : Pour moitié Dirigeant de grandes entreprises, pour moitié Dirigeant de « Business Schools » françaises et internationales. Initié au Grand Orient de France en 1981, PPLC est membre actif de la Grande Loge de France depuis plus de 20 ans. Vénérable de plusieurs Loges, il s’est impliqué au Congrès Ile-de-France et au Conseiller Fédéral… Passionné par la recherche dans le domaine des idées (scientifiques, philosophiques, littéraires et initiatiques), écrivain engagé, il a publié une vingtaine d’ouvrages destinés au grand public et aux Francs-maçons. Il écrit aussi dans de nombreuses revues et magazines maçonniques.

Ouvrage de Pierre Pelle Le Croisa : Page Pierre Pelle Le Croisa

A.S.: