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AU CHEVET D’UN MONDE FIÉVREUX – Episode 1 – Des marionnettes rebelles ?

« Jacques Fontaine ose descendre aux racines naturelles de l’homo sapiens. Il découvre une autre manière de vivre ensemble. »

AU CHEVET D’UN MONDE FIÉVREUX

Des marionnettes rebelles ?

Des désastres ont toujours menacé l’humain et la liste est longue : guerres incessantes, famines endémiques, plus récemment le désastre écologique et l’épidémie virale. Cet article se réclame d’une double filiation : l’écosophie et l’anarchie verte. Son propos est d’aider à prendre du recul, non point pour régler, en un clic, ce que nous vivons. Avec plus de modestie, il pourrait contribuer à prendre mieux en charge, l’angoisse, notre inquiétude et nos effrois. En un mot, à augmenter, quand elle est malmenée, notre joie de vivre.

Introduction

            D’abord prendre le pouls pour observer la santé et, en fonction des résultats, prescrire des remédiations, le cas échéant. Alors précisons : qui donc est celui qui est le centre de notre attention ? Le monde, d’accord mais quelle vastitude ! Alors définissons, en quelques lignes, le sujet que va ausculter le stéthoscope.

            Le monde, on le sait, respire dans un système socio-planétaire universel. La seule différence : des pays sont plus infectés par des symptômes de la maladie ; comme la Chine avec le contrôle au faciès, symbolique de la privation intangible des libertés. Pouvait-on imaginer l’alliance à peine concevable il y a trente ans, de ces mœurs liberticides avec l’hyper-capitalisme occidental ? D’autres pays sont en train de contracter ce virus planétaire telle l’Afrique noire. Prenons alors l’exemple le mieux connu de nous, l’Occident. Il serait à ce jour, avancent beaucoup et de plus en plus les observateurs, en état de fièvre. En bref, quand nous évoquons « le monde », nous sortons de l’astronomie et de la géologie, pour porter notre regard sur ceux qui ont pris possession de notre planète : nous, les Hommes. Maintenant que le sujet est défini, analysons de plus près la réalité d’une telle allégation.

            Six palpations pour une remédiation vont être nécessaires. Les voici : La consommation, les technologies, la prolifération des humains au grand dam de l’écologie, l’anthropocentrisme, les directives inconscientes qui modèlent nos comportements, l’angoisse primordiale, enfin les lois naturelles des animaux de meute que nous sommes et qui entravent notre remise en cause. Je pourrai alors, après ce diagnostic, proposer la remédiation souhaitable et possible, pour affronter l’effondrement plus que probable.

            Ces six tâches accomplies, je serai alors en mesure de qualifier, avec tous les zézaiements d’usage, en quelques mots, l’état de santé du monde. Ces facteurs sont inextricablement mêlés ; l’écosophie[1] l’a révélé il y a déjà quelques décennies. Alors pour plus d’aisance de lecture, j’ai donc construit six parties, en proposant pour chacune d’elles, les moyens de remédiation. En bref, je propose de partir des symptômes les plus évidents de l’état fébrile de la santé mondiale, puis examiner ce terrain si favorable à la pandémie ; pour revenir à la lumière éventuelle de notre avenir.

La consommation

Des marionnettes compulsives et avides

            L’économie financière (et non l’économie réelle d’avant 1939, en gros) est le bubon le plus perceptible de l’hyper-capitalisme. Elle construit, régule nos sociétés et tire la bourre, de plus en plus, au politique. Un exemple sidérant : Blackrock le plus gros investisseur américain du monde  « pèse » (oui il est lourd !) 6515 milliards de dollars d’actifs, soit 2,5 fois le PIB de la France. Mais la frénésie issue de la consommation forcenée s’observe partout. Elle touche au moins 80% des personnes. Pas question de se rebeller mais, bien au contraire, se prosterner devant la quasi-religion de l’Avoir. Elle amène à frôler le bonheur mais se contente de délivrer des certificats temporaires et illusoires de bien-être ; elle suscite, en douce, nos délires frénétiques et nos vides carences. Elle induit un monde de parade, de paraître, dans la grande accusation des médias omnipotents. Cela ragaillardit, encore et encore, le système, on le constate sans mal. Dans ce décor d’opérette où chacun est invité à chantonner, les Droits de l’Homme ont porté des fruits succulents mais désormais arrêtent leur mûrissement ; ils deviennent une vitrine ou un alibi, avec la dénonciation effrayante des « droits de l’hommistes », qui germe dans les nations dites civilisées comme notre douce France.

            Nous plaquons le masque rigolard de la commedia dell’arte : que de progrès depuis le Moyen-Âge. Oui cela semble fondé mais depuis cette époque haïssable, nous apprîmes à nous déguiser, en nous alignant en troupeau, convaincu de la solidité des cultures passagères ; par exemple celles des philosophes dictant nos pensées… bref les modes, de toutes époques même si le mot semble sorti du carquois actuel. Actuellement, « on ajuste son vocabulaire à celui de sa tribu » comme l’écrit Michel Maffesoli : On fait semblant d’être jeune, « in », dans le coup. Jusqu’à satiété, nous nous bassinons de termes en vogue : « communication, pédagogie, initiatique… ». Mais, pour compenser la grisaillerie qu’ils charrient à notre insu, nous compensons  avec des «  magique, résilient ». Le phénomène tribaliste est partout : je vis dans le 9-3, en non dans le 93, et j’entends les gamins lancer des « rebeu, like, ouf, teuf, mecton, daron… ». Son identité fabriquée dans les forges des autres. Mode encore et toujours. En grand désarroi d’une l’outrecuidance personnelle, tant espérée…

            Ce désir fou de l’Avoir : « tout, tout de suite et pour moi », engerme[2] une exigence de jouissance immédiate. Le présent devient la boussole du moment. Prenons l’exemple des températures d’hiver : en février 2020, 13, 14 degrés. Certains jours des jouisseurs s’enquillent dans les forceps des plaisirs immédiats : « Quelle chance ce temps ! », en abandon des lendemains gris, annoncés dans ces bosses chaudes. Tenez : « Ces manières de se tourner vers le passé, de le chercher, l’explorer, le goûter- semblent en panne Au moment où le stockage tend vers l’infini, sa consultation nostalgique tend vers zéro. Le passé n’attire plus [3] ».

            Je précise que beaucoup d’exemples choisis pour ce texte sont emblématiques. Malgré leur modestie, ils emblématisent le propos ; ils en sont des symbole d’une réalité très actuelle.

            Le présent est également adoubé dans les récentes expressions de méditation ; mais il s’agit d’une autre étoffe de jouissance et j’y reviendrai. Tant de facteurs nous précipitent du haut de la falaise : le fric, notre Seigneur et notre dieu, la qualité de nos informations parcellisées, les écrans qui font écran, l’assèchement de la courtoisie, particulièrement dénoncée dans notre beau pays. Et, j’insiste sur un autre facteur, trop souvent négligé (tiens ! Pourquoi ?), la sale renaissance de la division du travail, depuis trois décennies. Les métiers de l’informatique ne fouettent pas plus le sang de leur serviteur que ne le faisait la chaîne. Moins pénible quand même m’objecte-t-on. Oui mais pas plus « épanouissant » mot bienvenu pour rester dans la mode, mais évocateur. FW Taylor revient sur un char victorieux. D’ailleurs, tout comme lui, l’ingénieur, nous encensons les avancées scientifiques, les seules crédibles aux yeux de beaucoup. En outre, notre socio-religion hyper-capitaliste possède ses prêtres, la majorité d’économistes, fervents zélateurs et développeurs du système.

            Car il nous faut, dans cette danse de l’Avoir, du visible, du démontré même si la raison, cette folie cérébrale, nous entre le rationnel et le concret. La vogue scientiste nous avale dans les tourbillons : « Quoiqu’il en soit, le but de la vie, de la vie réussie, c’est une satisfaction sans effort du désir ». Et en jolie redondance : « Vous jetez l’ancre à un endroit, vous la remontez, vous allez ailleurs et vous la jetez à nouveau. Il ne vous arrive rien de fâcheux, juste des aventures[4] ».


[1] Ecosophie – Mouvement initié par Arne Naess (1912-2009). Il invente le concept « d’écologie profonde » (deep ecology) pour désigner un courant de l’écologisme rompant totalement avec une vision anthropocentrique de l’écologie, et qu’il contraste avec l’écologie superficielle (shallow ecology). Alors que celle-ci ne s’attaquerait qu’aux effets de la pollution, agissant en avant de l’industrie, l’écologie profonde critiquerait les valeurs  au fondement même du mode de production impliquant les dégâts environnementaux – source Wikipedia. En France, Michel Maffesoli a fait paraître, en 2017, « Ecocophie, essentiel pour mesurer les enjeux actuels de l’humanité ».

[2] Néologisme pour dire « qui fait naître », « qui fait croître ».

[3] Tiré de M. Atlan et R.P. Droit. Voir biblio.

[4] Deux phrases raccourcies et fortes de Zygman Baumann, cité par M.Atlan et J.P. Droit. Voir biblio.

A.S.: