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1er janvier 1863 : émancipation des esclaves par Lincoln

 

« Am I not a man and a brother ? »,

Il y a des dates qu’on ne devrait pas oublier et ce 1er janvier 1863, voilà 150 ans, le Président Abraham Lincoln décrétait  l’émancipation des esclaves . Cette  journée particulière est depuis connu sous le nom de « nuit de la liberté ».

Merci à Claude Ribbes sur son site de nous avoir rafraîchi la mémoire.

Proclamation du président Lincoln décrétant  l’émancipation des esclaves dans les États révoltés.

(1er janvier 1863)

    La proclamation du président Lincoln concernant l’abolition de l’esclavage le 1er janvier 1863 marque la rupture avec la politique de strict respect de la Constitution suivie par le président depuis son élection, et qui tendait, tout en utilisant la force pour maintenir l’Union, à proposer un compromis aux rebelles afin de rétablir la paix. Le président Lincoln, dans son message du 6 mars 1862, se prononçait en effet en faveur d’une émancipation graduelle et compensée, le Gouvernement fédéral incitant les États par des subventions à racheter les esclaves pour les émanciper, et l’esclavage n’étant définitivement aboli qu’en 1900. Le président avait encore consacré l’essentiel de son message sur l’état de l’Union de décembre 1862 à la défense de son projet dont il croyait alors qu’il pourrait ramener la paix.
La proclamation de Lincoln est justement célèbre, pourtant il ne s’agit pas d’une mesure d’abolition générale, mais d’une mesure de guerre, annoncée comme telle, dans une proclamation du 22 septembre précédent, par laquelle le président menaçait les propriétaires des États sécessionnistes, s’ils ne mettaient pas fin à la sécession dans les cent jours, d’affranchir leurs esclaves. La mesure ne concerne donc que les esclaves des États sécessionnistes, soit, il est vrai, près de 80 % d’entre eux, mais qui échappent en fait à l’autorité du Gouvernement fédéral, alors que les esclaves soumis réellement à son autorité ne sont pas émancipés. C’est pourquoi elle fut à l’époque vivement critiquée par les partisans de l’abolition, notamment en Europe. L’émancipation devint effective à l’occasion de la progression des armées du Nord. C’est finalement la radicalisation de l’opinion et surtout de la Chambre des représentants qui permit le 31 janvier 1865, après un échec le 15 juin précédent, le vote du XIIIe amendement, rapidement ratifié le 18 décembre 1865, qui supprime définitivement et immédiatement l’esclavage aux États-Unis.

    Pour apprécier la portée de la proclamation, on notera que, selon le recensement de 1860 (US Census Bureau, consulté le 13 septembre 2002), la population des États-Unis comptait 31.443.321 habitants, dont 26.922.537 blancs, 4.441.830 noirs, 44.021 indiens, et 34.933 asiatiques. Parmi les noirs, 488.070 étaient libres et 3.953.760 esclaves. Mais ces 4 millions d’esclaves étaient concentrés dans 15 États, peuplés de 8 millions de blancs. La propriété était pourtant moins concentrée que la possession de serfs en Russie au même moment : moins de 5% de ces blancs (385.000) avaient des esclaves et seules 10.000 personnes possédaient plus de 50 esclaves. Curiosité : un peu plus de 7000 esclaves appartenaient à quatre tribus indiennes ; un indien Creek possédait 227 esclaves. Les États qui ont fait sécession comptaient 7.224.481 habitants dont 3.112.914 esclaves. Cinq États esclavagistes étaient restés fidèles à l’Union : Delaware, Kentucky, Maryland, Missouri, Tennessee, ainsi qu’une partie de la Virginie et la Basse-Louisiane ; ils comptaient 838.066 esclaves, qui, paradoxalement, ne bénéficiaient pas de l’abolition (voir le tableau).

Texte de la proclamation : projet Avalon de l’université Yale. Traduction française tirée des Archives diplomatiques d’Amyot, 1863, I, p. 438.


Attendu que, le vingt-deuxième jour de septembre de l’an de Notre-Seigneur mil huit cent soixante-deux, une proclamation, publiée par le président des États-Unis, contenait, entre autres dispositions, ce qui suit : 

« Que le premier janvier de l’an de Notre-Seigneur mil huit cent soixante-trois, toutes personnes possédées comme esclaves, dans un État ou dans une partie désignée d’un État, dont la population se trouvera en rébellion contre les États-Unis, seront, à partir de ce moment, et pour toujours, libres ;

« Que le gouvernement exécutif des États-Unis, y compris les autorités de terre et de mer, devront reconnaître et protéger la liberté de ces personnes, et ne devront mettre obstacle, en aucune manière, aux efforts qu’elles pourraient faire, pour obtenir leur liberté effective ;

« Que ledit premier janvier, le pouvoir exécutif désignera, par une proclamation, les États ou partie d’États, s’il en est encore, dans lesquels la population sera en rébellion contre les États-Unis ; que le fait qu’un État ou sa population sera, ce jour-là, représenté de bonne foi au congrès des États-Unis par des membres choisis à des élections auxquelles aura participé la majorité des électeurs légaux, sera, à défaut de preuves puissantes établissant le contraire, considéré comme un témoignage concluant que cet État n’est pas en hostilité contre les États-Unis. »

En conséquence, moi, Abraham Lincoln, président des États-Unis, en vertu des pouvoirs dont je suis investi, de commandant en chef des armées de terre et de mer des États-Unis, et comme mesure de guerre convenable et nécessaire, pour la suppression de ladite rébellion, aujourd’hui premier jour de janvier de l’an de Notre-Seigneur 1863, conformément à ce que je me suis proposé de faire après la période de cent jours pleinement écoulée depuis la date de l’ordre ci-dessus mentionné, je proclame publiquement et je désigne, comme États ou parties d’États dont les populations respectives sont aujourd’hui en rébellion contre les États-Unis, les suivants, savoir : 

L’Arkansas, le Texas, la Louisiane, (excepté les paroisses de Saint-Bernard, Plaquemine, Jefferson, Saint-Jean-Baptiste, Saint-Charles, Saint-Jacques, Ascension, Assomption, Terre-Bonne, Lafourche, Sainte-Marie, Saint-Martin et Orléans, y compris la ville de la Nouvelle-Orléans) ; le Mississipi, l’Alabama, la Floride, la Georgie, la Caroline du Sud, la Caroline du Nord, la Virginie (excepté les quarante-huit comtés désignés sous le nom de Virginie-Occidentale, ainsi que les comtés de Berkeley, Accomac, Northampton, Élisabeth-City, York, Princesse-Anne et Norfolk, y compris les villes de Norfolk et de Portsmouth) ; les parties d’État exceptées resteront, pour le présent, comme si cette proclamation n’avait pas été publiée. Et, en vertu du pouvoir, et dans le but ci-dessus indiqué, j’ordonne et je déclare que toutes personnes retenues comme esclaves dans les États ou parties d’États désignés sont libres à partir de ce jour, et que le gouvernement exécutif de États-Unis, comprenant les autorités militaires et navales, reconnaissent et maintiennent la liberté des dites personnes.

J’enjoins aux personnes ainsi déclarées libres de s’abstenir de toute violence, excepté dans le cas de légitime défense, et je leur recommande de travailler loyalement, autant qu’elles le pourront, moyennant des salaires raisonnables.

Je déclare, de plus, et je fais connaître, que ces personnes, si elles sont dans les conditions convenables, seront acceptées dans le service de l’armée des États-Unis, pour former les garnisons des forts, pour garder les positions, les postes et autre places, ainsi que pour servir à bord des navires de guerre de toutes sortes.

En agissant ainsi, je crois sincèrement accomplir un acte de justice, rester dans les prescriptions de la Constitution, obéir aux nécessités militaires, et j’invoque le jugement réfléchi de l’humanité et la grâce favorable du Tout-Puissant.

En foi de quoi, je signe la présente de ma main, et j’y fais apposer le sceau des États-Unis.

Fait en la ville de Washington, le premier jour de janvier de l’an de Notre-Seigneur mil huit cent soixante-trois, et le quatre-vingt-septième de l’indépendance des États-Unis d’Amérique. »

Abraham Lincoln.


A.S.: