X

WIRTH LES 22 ARCANES MAJEURS DU TAROT

WIRTH Les 22 Arcanes Majeurs du Tarot

(extrait du « Tarot des Imagiers du Moyen Age »)

Aperçus alchimiques, kabbalistiques, franc-maçonniques, astrologiques, mythologiques, religieux et divinatoires.

LE BATELEUR

Comment un escamoteur a-t-il pu être placé en tête du Tarot, marqué du nombre Un qui est celui de la Cause première? Au tome VIII de son Monde Primitif, Court de Gebelin estime le choix de ce personnage essentiellement philosophique. L’Univers visible n’étant que magie et prestige, son Créateur ne serait-il pas l’Illusionniste par excellence, le grand Prestidigitateur qui nous éblouit par ses tours de passe-passe? Le tourbillonnement universel des choses nous empêche de percevoir la réalité : nous sommes le jouet d’apparences produites par le jeu de forces qui nous sont inconnues.
La Cause première est donc un Bateleur ; mais comme elle se répercute en tout ce qui est actif, le personnage initial du Tarot correspond, d’une manière générale, à tout principe d’activité. Dans l’Univers c’est Dieu, envisagé comme le grand suggestionneur de tout ce qui s’accomplit dans le Cosmos ; dans l’homme c’est le foyer de l’initiative individuelle, centre de perception, de conscience et de volonté ; c’est le Moi appelé à créer notre personnalité, car l’individu a mission de se faire lui-même.
Le principe d’autocréation nous est montré sous les traits d’un jeune homme svelte, souple et d’une extrême agilité. On sent que le Bateleur ne peut rester en repos. Il joue avec sa baguette, accapare l’attention des spectateurs et les étourdit par ses jongleries incessantes, ses contorsions, autant que par la mobilité d’expression de son visage. Ses yeux pétillent d’ailleurs d’intelligence et sont bordés de longs cils qui en accentuent le rayonnement. Le chapeau qui les ombrage de ses larges bords dessine un huit couché.
Ce signe, dont les mathématiciens ont fait le symbole de l’infini, se retrouva dans la coiffure de la Force (arc. XI) et dans celle du Sphinx d’Astarté, tel que nous le montre Prisse d’Avennes.

Il est permis de rapporter ce nimbe horizontal à la sphère vivante que constituent les émanations actives de la pensée. Nous portons autour de nous notre ciel mental, domaine où le soleil de la Raison parcourt son écliptique en huit couché dans les étroites limites de ce qui nous est accessible.

Des cheveux blonds et bouclés comme ceux d’Apollon encadrent le visage souriant mais peu ouvert du Bateleur, personnage plein de finesse, fort peu disposé à livrer le fond de sa pensée.

Discret dans son exubérance, ce jouvenceau se démène derrière une table rectangulaire dont trois pieds seulement sont visibles. Ils pourraient être marqués des signes du Soufre, du Sel et du Mercure, car ce sont les trois piliers du monde objectif, supports de la substance élémentaire qui tombe sous nos sens.

Sur ce plateau de la phénoménalité sont posés trois objets : une coupe d’argent, un glaive d’acier et un sicle d’or, dit denier.

C’est sur ce disque, où apparaissent des pentacles, que le Bateleur dirige (index de la main droite), comme pour y concentrer son émanation personnelle active. Mais le denier-amulette ne possédera toute sa vertu que si la baguette magique dirige sur cet accumulateur des effluves puisés dans l’ambiance. Ainsi s’explique le geste de la main gauche du magicien qui tient sa baguette dans la direction exacte du denier afin que le feu du ciel capté par la boule bleue du mystérieux condensateur soit projeté par la boule rouge sur l’objet à aimanter occultement.

La baguette complète le quaternaire des instruments du Mage qui correspondent aux quatre verbes : SAVOIR (Coupe), OSER (Épée), VOULOIR (Baguette ou Bâton), SE TAIRE (Denier). Le tableau ci-dessous fait ressortir les rapports analogiques de la Tétrade qui gouverne surtout les arcanes mineurs du Tarot, c’est-à-dire le jeu de 56 cartes rattaché aux compositions symboliques dont s’occupe le présent ouvrage.

Pour entrer en possession de ces instruments mystiques il faut avoir subi l’épreuve des Éléments.

La victoire remportée sur la Terre confère le Denier, c’est-à-dire le point d’appui concret nécessaire à toute action.

En affrontant l’Air avec audace, le chevalier du Vrai obtient d’être armé du Glaive, symbole du Verbe, qui met en fuite les fantômes de l’erreur.

Triompher de l’Eau, c’est conquérir le saint Graal, la Coupe où se boit la Sagesse.

Éprouvé par le Feu, l’Initié obtient enfin l’insigne du suprême commandement, le Bâton, sceptre du roi qui règne par sa volonté confondue avec le souverain Vouloir.

Comme s’il avait subi pareilles épreuves en une Loge de Francs-Maçons, le Bateleur pose ses pieds à angle droit l’un par rapport à l’autre. Leur direction dessine une équerre avec la tulipe non encore éclose qui semble surgir du sol sous les pas de l’habile escamoteur. Cette fleur donne à entendre que l’initiation est encore à ses débuts, car nous la retrouverons épanouie devant l’Empereur (arc. IV), inclinée près de la Tempérance (arc. XIV) mais restée vivace devant le Fou (arc. XXII).

Le costume du Bateleur est multicolore, mais le rouge y domine en signe d’activité. Cinq boutons ferment son justaucorps, sans doute pour faire allusion à la quintessence dont le corps est le vêtement.

Par le mouvement des bras et l’inclinaison du torse, le personnage de l’arcane I esquisse la lettre Aleph de l’hébreu carré. II est à remarquer qu’il devrait se rattacher à l’Aleph primitif u si le Tarot était contemporain de l’alphabet sémitique.

Rien ne reproduit plus exactement, au surplus, la silhouette de l’Aleph que celle d’Orion, le géant qui poursuit les Pléiades aux abords du Taureau céleste. C’est parmi les constellations celle qui se rapporte le mieux au Bateleur. Celui-ci devient un savetier dans le Tarot italien.

Interprétations divinatoires

ÉTHER, la Couronne de l’Arbre des Séphiroth. Le commencement de toutes choses : Cause première, Unité Principe, Esprit pur, Sujet pensant unique et universel, se réfractant dans le Moi de toute créature intelligente.

Initiative, centre d’action, spontanéité d’intelligence, acuité de discernement et de compréhension, présence d’esprit, possession de soi, autonomie, rejet de toute suggestion étrangère, émancipation de tout préjugé.

Dextérité, habileté, finesse diplomatique. Hableur persuasif, avocat: ruse, astuce, agitation. Absence de scrupules, arriviste, intrigant, menteur, coquin, escroc, charlatan, exploiteur de la candeur humaine. Influence de Mercure en bien comme en mal.

LA PAPESSE

Personnification de la cause initiale de toute action, le Bateleur (arc. I) se trémousse et ne peut rester en repos, aussi est-il représenté debout, à l’encontre de la Papesse (arc. II) qui est assise dans une immobilité calme, silencieuse, impénétrable et hiératique. Elle est la prêtresse du mystère, Isis, la déesse de la nuit profonde que l’esprit humain ne saurait pénétrer sans son secours.

Sa droite entrouvre le livre des secrets que nul ne peut surprendre si la Papesse ne lui confie les clefs qu’elle tient en sa main gauche. De ces clefs qui ouvrent l’intérieur des choses (Ésotérisme), l’une est d’or et se rapporte au Soleil (Verbe, Raison) et l’autre d’argent, donc en affinité avec la Lune (Imagination, lucidité intuitive). Cela signifie qu’il faut allier une sévère logique à une exquise impressionnabilité si l’on aspire à deviner les choses cachées, celles dont la Nature dérobe la connaissance au grand nombre.

La divination qu’inspire la Papesse s’applique au discernement de la réalité qui se dissimule derrière le rideau des apparences sensibles. Pour l’intuitif, favori d’Isis, les phénomènes sont une façade révélatrice qui, en arrêtant la vue physiologique, provoque la vision de l’esprit.

Au sortir de l’Unité où tout se confond (arc. I), nous abordons le domaine du Binaire ou de la distinction; c’est le parvis du Temple de Salomon où se dressent les deux colonnes Jakin et Bohaz entre lesquelles trône la Papesse, devant un voile aux nuances chatoyantes qui masque l’entrée du sanctuaire.

Des deux colonnes, l’une est rouge et l’autre bleue. La première correspond au Feu (Ardeur vitale dévorante, activité mâle, Soufre des Alchimistes) ; la seconde se rapporte à l’Air (souffle qui alimente la vie, sensibilité féminine, Mercure des Sages). Toute la création découle de cette dualité fondamentale : Père, Mère – Sujet, Objet – Créateur, Création – Dieu, Nature – Osiris, Isis – etc.

La façade orgueilleuse du Temple symbolise dans son ensemble toute la révélation phénoménale, l’objectivité dans ses infinies variations d’aspect, ce que chacun est admis à contempler. Quant au rideau qu’il faut soulever pour pénétrer dans l’enceinte sacrée, c’est l’écran sur lequel se projettent les images vivantes de la pensée. Nous les percevons dans le miroitement d’un tissu aux mille nuances, dont la brise fait ondoyer les plis, si bien que nous ne parvenons pas à saisir les contours de broderies sans cesse mouvantes.

Ces images fascinent le visionnaire qui s’attache à lire dans la lumière astrale à l’instar des pythonisses.

[Cette lumière astrale, par laquelle jurent les occultistes, est comparable au brouillard phosphorescent qui envelopperait la planète et illuminerait l’imagination des sujets lucides. Elle a été symbolisée par le serpent Python qu’Apollon (Raison) transperce de ses flèches]

Le véritable Initié ne s’arrête pas à ces menues distractions du seuil, qui ne sont pour lui que « bagatelles de la porte ». S’il s’en montre digne, la grande prêtresse écartera en sa faveur un second voile, pour lui permettre de lire dans son visage et surtout dans ses yeux. Le confident de la déesse ne sera dupe d’aucun mirage, car il possédera le secret des choses, par le fait qu’il se sera exercé à imaginer juste.

L’enseignement de la Papesse se fonde en effet sur l’imagination, comme nous l’apprend le croissant qui surmonte sa tiare d’argent. Celle-ci est encerclée par deux diadèmes enrichis de pierres précieuses. Celui qui touche au front fait allusion à la Philosophie occulte et aux doctrines subtiles de l’Hermétisme; l’autre, plus étroit et placé plus haut, est l’emblème de la Gnose, foi savante, fruit des plus sublimes spéculations.

La prêtresse du mystère est vêtue de bleu foncé, mais une lumineuse étole blanche se croise obliquement sur sa poitrine. Il en résulte une croix dont chaque branche est marquée d’une petite croix secondaire. Cet ensemble évoque les interférences révélatrices qui rendent l’occulte manifeste grâce à la lumière que fait jaillir le conflit de deux inconnues.

[La croix oblique x (croisement d’épées) symbolise une rencontre hostile, un choc d’où peuvent résulter des étincelles, par opposition à la croix droite +, indicative de conjonction féconde, mariage ou combinaison]

Éternellement à l’affût de ce qui peut l’aider à scruter l’énigme des choses, l’esprit humain bénéficie de tous les éclairs qui sillonnent la nuit du mystère. Il en arrive ainsi à voir la Papesse enveloppée dans un ample manteau de pourpre largement bordé d’or et doublé de vert. Cette dernière couleur est celle de la vitalité que possèdent intérieurement les idées qui traduisent à notre usage des vérités transcendantes. Ce sont les idées vivantes qui hantent l’imagination des mortels, sans parvenir à y prendre forme. Elles nourrissent nos aspirations les plus élevées (pourpre) et engendrent les religions (bordure dorée) qui ne se plient que trop rapidement à la grossièreté de nos conceptions. La Papesse n’est pas responsable de la matérialisation abusive de son enseignement, qui s’adresse non aux croyants aveugles, mais aux penseurs, artisans d’une constante régénération religieuse. Elle s’appuie sur le Sphinx qui pose éternellement les trois questions: D’où venons-nous ? Que sommes-nous? Où allons-nous? Autour d’elle, un pavé aux dalles alternativement blanches et noires donne à entendre que toutes nos perceptions subissent la loi des contrastes. La lumière ne se conçoit que par opposition aux ténèbres ; le bien nous serait inconnu sans le mal; nous ne saurions apprécier le bonheur sans avoir souffert, etc.

Le pied droit de la Papesse repose sur un coussin représentant l’infime bagage des notions positives que nous pouvons acquérir dans le domaine du mystérieux. Cet accessoire qui est parfois négligé figure sur un Tarot publié à Paris en 1500. Il a son importance, car il semble emprunté à Cassiopée, la reine d’Éthiopie de la sphère céleste, souveraine noire mais belle comme la Bien-Aimée du Cantique des cantiques, et qui correspond à l’arcane II du Tarot astronomique.

Les imagiers du Moyen âge ne s’étaient fait aucun scrupule de représenter une papesse, en dépit de l’orthodoxie. A Besançon, il fut jugé opportun de substituer plus tard Jupiter et Junon au Pape et à la Papesse du Tarot. Cela nous valut deux compositions mythologiques d’intérêt médiocre. Junon a cependant le mérite de montrer d’une main le ciel et de l’autre la terre, comme pour dire, avec la Table d’Émeraude d’Hermès Trismégiste : ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. Or le visible érigé en symbole de l’invisible, c’est le point de départ de la méthode analogique sur laquelle se fonde toute la science de la Papesse. Deux paons, oiseaux de Maya, déesse de l’illusion, accompagnent Junon, qui personnifie en réalité l’espace éthéré, Anou en chaldéen, d’où Anna, notre sainte Anne, mère de la Vierge. Ce rapprochement contribue à préciser le sens des arcanes II et III.

Interprétations divinatoires

GEBURAH, rigueur, sévérité; PEC’HAD, punition, crainte; DIN, jugement, volonté qui retient ou gouverne la Vie donnée. Conscience, devoir, Loi morale, inhibition, restriction, car il faut s’abstenir de mal faire, avant de se consacrer activement aux oeuvres du bien.

Sacerdoce, science religieuse, métaphysique, Kabbale, enseignement, Savoir (opposé au Pouvoir), autorité, certitude, assurance, absence de doute, influence suggestive exercée sur le sentiment et la pensée d’autrui. Affabilité, bienveillance, bonté, générosité judicieuse.

Un directeur de conscience, médecin de l’âme, conseils moraux, personnage sentencieux. Pontife absolu dans ses opinions. Fonction conférant du prestige. Influence jupitérienne en bien et en mal.

Pris en mauvaise part : immoralité, car les défauts se substituent aux qualités quand un arcane devient négatif.

L’IMPERATRICE

L’Unité nécessaire et fondamentale des choses (arc. I) s’impose à notre esprit sans se rendre intelligible. Nous ne pouvons nous représenter ce qui est illimité, infini, indéterminé, si ce n’est en évoquant l’image d’une nuit aux insondables profondeurs, domaine d’Isis, la déesse du Mystère, dont la Papesse (arc. II) est la grande prêtresse. Mais notre pensée s’efforce en vain de plonger dans l’Abîme sans fond des cosmogonies (Apsou des Chaldéens) ; elle n’y perçoit qu’un chaos mental devant lequel nous restons effarés, saisis de terreur religieuse et condamnés au mutisme. Pour tirer notre esprit de la confusion, il lui faut l’aide de l’Impératrice du Tarot.

Cette souveraine resplendissante de clarté figure l’Intelligence créatrice, mère des formes, des images et des idées. C’est la Vierge immaculée des chrétiens, en qui les Grecs auraient reconnu leur Vénus-Uranie née radieuse des sombres flots de l’Océan chaotique.

Reine du ciel, elle plane dans les plus sublimes hauteurs de l’idéalité, au-dessus de toute contingence objective, comme l’indique le pied qu’elle pose sur un croissant aux pointes tournées vers le bas.

Ainsi est affirmée la domination sur le monde sublunaire où tout n’est que mobilité, perpétuel changement et transformation incessante. Par contraste avec ce domaine inférieur sur lequel la Lune (arc. XVIII) ne répand qu’une clarté indécise et fallacieuse, la sphère de l’Impératrice correspond aux Eaux supérieures, océan lumineux où réside la suprême Sagesse. Tout y est fixe et immuable, puisque nécessairement parfait : c’est la région de l’archétype, c’est-à-dire des formes idéales ou des idées pures selon lesquelles tout se crée.

Pour exprimer l’immuabilité des choses soustraites à toute altération, l’Impératrice se montre exactement de face, dans une attitude empreinte d’une certaine rigidité hiératique. Une sérénité souriante n’en anime pas moins son visage qu’encadre gracieusement une souple chevelure blonde ; une couronne légère semble à peine peser sur sa tête, autour de laquelle gravitent douze étoiles, dont neuf sont visibles. Ces chiffres rappellent le zodiaque, cadran céleste sur lequel se règlent les productions naturelles d’ici-bas, et la période gestative imposée à la génération.

De même que la Vierge zodiacale, l’Impératrice est ailée, mais ses attributs ne sont ni l’épi de blé des moissons terrestres, ni le rameau d’olivier exhortant les hommes à la paix. La Reine du Ciel tient le sceptre d’une irrésistible et universelle domination, car l’idéal s’impose, l’idée commande et les types déterminent toute production. Comme blason, elle porte de pourpre à une aigle d’argent, emblème de l’âme sublimée au sein de la spiritualité ; quant au lys qui s’épanouit à gauche de l’Impératrice, il symbolise le charme exercé par la pureté, la douceur et la beauté.

Impératrice et Papesse sont vêtues l’une et l’autre de bleu et de pourpre ; mais le bleu de la robe sacerdotale de la grande prêtresse est foncé, pour rappeler les profondeurs où la pensée se perd, alors que le manteau de l’Impératrice est d’un azur lumineux. Sa tunique, en revanche, est rouge pour exprimer l’activité intérieure d’où naît l’intelligence ou la compréhension, en opposition au vêtement extérieur bleu, allusion à la placidité réceptive qui recueille fidèlement les impressions reçues du dehors. De son intérieur bleu sombre, la Papesse tire la substance de l’idée, qu’elle extériorise en une agitation spirituelle mystique et diffuse que figure son manteau de pourpre enrichi d’or. L’Impératrice s’enveloppe de bleu azur pour capter la pensée vivante dont elle arrête le rayonnement afin de le rendre perceptible. Elle manifeste l’Occulte, que la Papesse met en vibration, sans lui donner corps, même spirituellement. Avec Un, Tout est dans Tout, confondu sans possibilité de distinction; avec Deux, Agent et Patient se conçoivent, mais l’action s’exerce dans l’infini et rien ne se perçoit l’Occulte ne se révèle que mystiquement (Papesse). Il faut arriver à Trois pour que la lumière se fasse dans l’esprit, miroir frappé par la vibration imperceptible, qui s’y réfléchit en se condensant, pour devenir ainsi manifeste.

Dans son ensemble, l’arcane III se ramène au signe du Mercure renversé,qui fait allusion à une substance souverainement spiritualisée et spiritualisante.

Les artistes chrétiens se sont inspirés de l’Alchimie lorsqu’ils ont placé un croissant sous le pied de la Vierge céleste, mais ils ont souvent commis l’erreur de tracer ce croissant les pointes en haut. D’autres sont restés dans la bonne tradition, témoin le sculpteur espagnol du XVII° siècle à qui nous devons la Madone très symbolique esquissée ci-dessous, d’après l’original conservé à Paris dans la sacristie de l’église de Saint-Thomas d’Aquin.

Interprétations divinatoires

BINAH, intelligence, compréhension, la conception abstraite génératrice des idées et des formes, idéalité suprême, pensée perçue mais non encore exprimée.

Domaine de ce qui est connaissable et intelligible. Discernement, réflexion, étude, observation, science inductive. Instruction, savoir, érudition.

Affabilité, grâce, charme, puissance de l’âme, empire exercé par la douceur, influence civilisatrice. Politesse, générosité. Abondance, richesse, fécondité.

Apparat, vanité, frivolité, luxe, prodigalité, coquetterie, séduction, étalage de notions superficielles, pose, affectation.

L’EMPEREUR

A l’Impératrice blonde et lumineuse qui ne saurait s’élever trop haut, succède dans le Tarot le ténébreux souverain des enfers, car l’Empereur est un Pluton emprisonné dans le centre des choses. Il personnifie le Feu vital qui brûle aux dépens du Soufre des Alchimistes, dont le signe est un triangle surmontant la croix.

Or les jambes de l’Empereur se croisent sous un triangle que dessinent sa tête et ses bras. Son trône est un cube d’or sur lequel se détache une aigle noire contrastant singulièrement avec celle du blason de l’Impératrice. II ne s’agit plus ici de l’âme parvenue au terme de son assomption, mais de l’essence animique, obscurcie par son incarnation et retenue captive au sein de la matière qu’elle doit élaborer pour reconquérir sa liberté. Cet oiseau rapace se rapporte aussi à l’égoïsme radical, générateur de toute individualité.

L’Empereur est en effet le Prince de ce Monde ; il règne sur le concret, sur ce qui est corporisé, d’où le contraste entre son empire inférieur, donc infernal, au sens étymologique du mot, et la domination céleste de l’Impératrice, s’exerçant directement sur les âmes et les purs esprits. Par opposition, les corps restent soumis à l’Empereur qui les anime et les gouverne après les avoir construits. Il correspond au Démiurge des Platoniciens et au Grand Architecte des Francs-Maçons. Les êtres s’organisent et se développent sous son impulsion : il est leur dieu intérieur, principe de fixité, de croissance et d’action. C’est l’esprit individuel, manifestation objective de l’Esprit universel, Un en son essence créatrice, mais réparti dans la multiplicité des créatures.

La souveraineté de l’Empereur se répartit entre tous les êtres vivants; il se donne à eux par Miséricorde (C’HESED, 4ème Séphire). Son trône cubique est le seul qui ne puisse être renversé, sa stabilité résultant de sa forme géométrique attribuée par les Alchimistes à la Pierre philosophale. Cette pierre mystérieuse, qui est l’objet de la poursuite des Sages, se rapporte à la perfection réalisable par les individus. Ceux-ci doivent tendre à se conformer au type de l’espèce, figuré par la Pierre cubique des Francs-Maçons, bloc rectangulairement taillé sous le contrôle de l’équerre (norma en latin), si bien que l’idéal envisagé n’est autre que celui de l’homme strictement normal.

Si l’Empereur correspond à la fois dans le Macrocosme et le Microcosme à ce qui est immuable, c’est qu’il est assis sur le cube parfait, point de départ déterminatif de toute cristallisation constructive. Il représente en tout être le principe de fixité (Archée) qui entre en activité dans le germe pour construire l’organisme. Cette construction procède par agglomération d’éléments attirés par la première pierre correctement taillée de l’édifice vivant, pierre qui est le trône du souverain de la vie répartie aux créatures.

Archée
Soufre

Le globe du monde, que l’Empereur tient en sa main gauche, est un insigne de domination universelle. Ce globe est d’ailleurs le symbole, non de l’univers physique, mais de l’Ame du monde, entité grâce à laquelle s’opèrent tous les miracles de la Nature et de l’Art. De sa droite, l’Empereur serre un sceptre massif qui n’est pas sans analogie avec la massue d’Hercule. Il ne faut pas y voir, cependant, une arme brutale, mais l’insigne du souverain pouvoir initiatique ou magique. Le croissant lunaire inséré près de la poignée promet une irrésistible domination sur tout ce qui est instable, mouvant, capricieux ou lunatique, selon le terme consacré en Astrologie et en Hermétisme. Ce qui est fixe et immuable exerce une action déterminante sur toute substance inorganisée, dont l’état reste vague ou flottant (lunaire).

Notons aussi que le sceptre impérial se termine en fleur de lys. Cet emblème a pour base un triangle renversé qui représente l’Eau ou l’Ame. Une simple croix surmontant ce triangle en ferait le signe de l’accomplissement du Grand OEuvre (Glorification suprême de l’Ame),

…mais, dans la fleur de lys, cette croix se complique de deux rinceaux qui se greffent sur sa branche horizontale, tandis que la branche verticale s’élance au ciel comme une poussée végétale.

L’ensemble fait allusion à une force qui émane de l’âme pour s’élever en même temps qu’elle se répand, comme l’indiquent les rinceaux. Il s’agit des plus nobles aspirations, qui épanouissent l’idéalité pour lui assurer un irrésistible empire dans les hautes sphères de la pensée humaine.
L’Empereur n’est pas un despote qui impose arbitrairement sa volonté ; son règne n’a rien de brutal, car il s’inspire d’un sublime idéal de Bonté, que symbolise l’idéogramme hermétique dont les héraldistes ont tiré leur fleur de lys. Il est regrettable que cet emblème ne soit pas resté celui de la nation française qui aspire à répandre la civilisation et à donner l’exemple de sentiments fraternels à l’égard de tous les peuples. Aucun signe n’exprime mieux la noblesse d’âme, la générosité foncière, qui fait le fond de notre caractère national. Loin de tout impérialisme grossier, il nous appartient de régner par l’intelligence et par le coeur. Soyons les premiers à tout comprendre et les plus sincères dans l’affection à l’égard d’autrui ; ainsi, nous aurons droit d’arborer la fleur de lys.

Ce hiérogramme, dont l’or se détache sur l’azur céleste, est apparenté de sens avec le lys, emblème de pureté, qui est la fleur de l’Impératrice ; mais à la vertu passive et féminine, il oppose l’action expansive masculine. Il appartient à l’énergie mâle de réaliser l’idéal féminin en purifiant l’ardeur infernale du foyer d’égoïsme, générateur de l’individualité.

L’initiation enseigne à descendre en soi-même pour maîtriser le feu intérieur qui, avivé par l’art cesse de couver obscurément et flambe d’une clarté céleste, après n’avoir dégagé que fumées opaques.

Le sceptre fleurdelysé montre l’Empereur s’inspirant des sublimes aspirations de l’Impératrice, car il est sur terre le réalisateur de l’idée divine. Sa domination est légitime et sacrée, bien qu’il mette en oeuvre toutes les forces vives, si troubles soient-elles en leur source impure.

L’énergie laborieuse qui construit toutes choses agit à la manière d’un dieu caché, dissimulé à tous les regards comme les protégés de Pluton devenus invisibles sous le casque du souverain des profondeurs. Le cimier de ce heaume d’invisibilité porte quatre triangles d’or, qui se rapportent à la réalisation démiurgique par le quaternaire des Éléments. Si l’Empereur règne souverainement sur la matière, c’est qu’il agit sur sa génération, due au mariage du Feu et de l’Eau combiné avec celui de l’Air et de la Terre, comme l’indique la croix cosmogonique figurée ci-après.

La fixité qui construit la matière agit sur celle-ci sans subir, par réaction, l’influence des matériaux mis en oeuvre. Il faut qu’il en soit ainsi dans l’intérêt du travail constructif qui s’accomplit en exécution d’un plan arrêté. La nécessité d’écarter toute intervention troublante oblige l’Empereur à ne jamais renoncer à la protection de sa cuirasse, qui cependant ne le rend pas insensible, car elle porte à la hauteur des seins l’image du Soleil et de la Lune, pour indiquer que Raison et Imagination éclairent le déploiement de toute saine activité. L’esprit qui s’est individualisé pour agir reste accessible au puissant rayonnement solaire divin et aux douces clartés lunaires de la pure sentimentalité.

Par opposition à l’Impératrice qui se présente de face, l’Empereur est dessiné de profil. Ses traits sont énergiques ; son oeil profond s’abrite sous un sourcil contracté qui, de même que la barbe touffue, est d’un noir de jais. Le collier impérial est une tresse dont se pare également la justice (arc. VIII) ; c’est un emblème d’ordre rigoureux, de coordination et d’enchaînement méthodique, en même temps que de solidité. Semblable lien ne se rompt pas et ne saurait se relâcher : les engagements pris par l’Empereur sont exécutoires, tout comme les arrêts logiques et motivés de la justice.

Le rouge qui domine dans le costume de l’Empereur se rapporte au feu stimulateur, qu’il gouverne et dirige en vue d’animer et de vivifier. Ce rôle vivificateur justifie le vert qui apparaît dans les manches du costume impérial. Aux bras qui agissent en provoquant les manifestations de la vie convient, en effet, la couleur du feuillage. Aux pieds du dispensateur de l’énergie vitale s’ouvre la tulipe, qui s’annonce chez le Bateleur (arc. I) à l’état de bouton. Cette fleur aura dépassé sa phase d’épanouissement quand la Tempérance (arc. XIV) l’empêchera de s’étioler, si bien qu’elle ne sera pas morte même sur le chemin du Fou (arc. XXII).
L’arcane IV ne saurait être représenté de manière plus adéquate dans la sphère céleste que par Hercule revêtu de la peau du Lion de Némée, armé de sa massue et muni du rameau portant les pommes d’or du jardin des Hespérides.

Ces fruits sont ceux du savoir initiatique ; ils sont conquis de haute lutte et récompensent le héros qui accomplit les douze travaux, autrement dit, l’adepte voué au Grand OEuvre. Or l’Empereur n’est autre que l’Ouvrier qui s’élève au rang suprême, car il sait travailler en exécutant le plan du Grand Architecte de l’Univers, dont l’emblème est un oeil inscrit au centre d’un triangle rayonnant.

Interprétations Divinatoires

C’HESED, grâce, miséricorde, merci, ou GEDULAH, grandeur, magnificence, désignation de la quatrième branche de l’arbre des Séphiroth ou nombres kabbalistiques ; pouvoir qui donne et répand la vie, bonté créatrice appelant les êtres à l’existence, principe animateur, lumière créatrice répartie entre les créatures et condensée au centre de chaque individualité ; Archée, Soufre des Alchimistes, feu vital emprisonné dans le germe, verbe réalisateur incarné, feu agissant, époux mystique et fils de la substance animique (Vierge, Impératrice, arc. III).

Énergie, pouvoir, droit, volonté, fixité, concentration, certitude absolue par déduction mathématique, constance, fermeté, rigueur, exactitude, équité, positivisme.

Esprit dominateur influençant autrui sans se laisser influencer ; calculateur ne se fiant qu’au raisonnement et à l’observation positive ; caractère inébranlable dans ses résolutions, entêtement; manque d’idéalité ou d’intuition ; générosité sans aménité, protecteur puissant ou adversaire redoutable ; tyran ; despote subissant par choc en retour l’influence des faibles ; masculinité brutale indirectement soumise à la douceur féminine.

LE PAPE

Les artistes qui ont dessiné le Tarot se plaisaient aux contrastes. Auprès du Bateleur juvénile et blond qui se démène debout, ils ont placé la ténébreuse Papesse, assise et enveloppée de mystère; puis vient l’Impératrice radiante de clarté céleste et se montrant rigoureusement de face, pour mieux se différencier de l’Empereur au profil sévère et à la barbe noire. La mine renfrognée de ce souverain fait apprécier, à son tour, le visage jovial et plein d’aménité du Pape. Ce pontife au teint fleuri et aux joues pleines est, certes, plein d’indulgence pour les faiblesses humaines. Il comprend tout, car rien n’échappe au paisible regard de ses yeux bleus très clairs, qu’ombragent à peine d’épais sourcils blancs. Une barbe blanche courte et soigneusement taillée indique d’ailleurs l’âge où les passions apaisées laissent à l’intelligence toute sa lucidité, pour lui permettre de résoudre sans hésitation des problèmes complexes et embrouillés.

Il rentre, en effet, dans les attributions du Pape de répondre aux questions angoissantes que lui posent les croyants. En dogmatisant, il fixe les croyances et formule l’enseignement religieux qui s’adresse aux deux catégories de fidèles représentées par les deux personnages agenouillés devant la chaire pontificale. L’un étend les bras et lève la tête, comme pour dire: j’ai compris ; l’autre incline le front sur ses mains jointes et accepte le dogme avec humilité, convaincu de son incompétence en matière spirituelle.

Le premier est actif dans le domaine de la foi ; il se préoccupe de ce qui est croyable et n’accepte pas aveuglément la doctrine enseignée. Il n’ose rompre, cependant, avec la croyance générale et s’efforce de l’adapter aux lumières de son esprit. Ainsi se développe une foi plus large, dont l’autorité dogmatique devrait pouvoir tenir compte, en vue d’élargir progressivement l’enseignement traditionnel.

Ceux qui gouvernent les Églises redoutent malheureusement les croyants avides de lumière, pour leur préférer les ouailles soumises et disciplinées, disposées à s’incliner passivement, sans examen. La foi en souffre, car elle est paralysée ainsi dans son côté droit, côté actif et revivifiant, représenté par l’un des deux montants de la chaire de l’enseignement suprême.

Rattaché au seul montant de gauche, l’enseignement est boiteux.

Ces montants rigides se rapportent à une immuable tradition, mais leur couleur verte veut que cette tradition soit vivante et qu’en restant fidèle à elle-même, elle sache rester en harmonie avec la vie de la foi. Le symbolisme du binaire s’éclaire, pour l’initié, aux mystères des colonnes Jakin et Bohaz du Temple de Salomon. Leur opposition marque les limites entre lesquelles se meut l’esprit humain et c’est à juste titre qu’elles flanquent le trône de la Papesse (arc. II). Les montants de la chaire pontificale figurent, d’une manière analogue, les pôles opposés du domaine de la foi : recherche inquiète de la vérité religieuse et adhésion confiante aux croyances estimées respectables.

Assis entre ces deux colonnes et s’adressant à des auditeurs de mentalités opposées, le Pape est appelé à concilier un quaternaire d’antagonismes conjugués. Tenant le juste milieu entre la tradition de droite (théologie rationnelle) et les exigences de gauche (sentiment des âmes pieuses) le Souverain Pontife adapte la science religieuse aux besoins des humbles croyants. Il lui faut aussi rendre accessibles aux simples les vérités les plus hautes, d’où sa position centrale par rapport à Quatre (droite et gauche, haut et bas) ; il figure la rose épanouie au centre de la Croix, fleur identique à l’Étoile flamboyante des Francs-Maçons, qui est un Pentagramme où s’inscrit la lettre G, signifiant Gnose (Connaissance, instruction initiatique). Pour se conformer au programme que trace ainsi la Rose-Croix, le Pape doit entrer en communion avec tous ceux qui pensent et sentent religieusement, afin d’attirer à lui la lumière du Saint-Esprit, car la bonté divine répartit généreusement cette lumière entre les intelligences qui cherchent le Vrai et les âmes accessibles aux élans d’un amour désintéressé.

Celui qui formule l’enseignement suprême se rend réceptif aux clartés diffuses de l’ambiance, et, par le fait qu’il les concentre, il se transforme en phare rayonnant urbi et orbi. C’est alors qu’il éclaire l’Église intellectuellement et moralement, à la manière de l’étoile des Sages qui brille au centre du Temple maçonnique.

Cet astre instruit ceux qui doivent conférer l’enseignement initiatique. Son doux éclat n’éblouit pas comme celui du Soleil ou même de la Lune, mais une lumière pénétrante émane de l’Étoile connue des Initiés. Son rayonnement ne s’arrête pas à la surface des choses, car il révèle l’Ésotérisme qu’ont toujours poursuivi de subtils abstracteurs de quintessence Le Pape n’ignore rien à cet égard, puisqu’il a mission de faire connaître la réalité intelligible qui se dissimule derrière le masque des apparences sensibles. Il occupe le cinquième rang dans le Tarot afin de marquer la progression suivante :

I     Bateleur. Le point mathématique sans dimension.II    Papesse. La ligne à une dimension.III   Impératrice. La surface à deux dimensions.IIII Empereur. Le solide à trois dimensions (cube).V   Pape. Le contenu de la forme, la quintessence concevable, bien qu’imperceptible, domaine de la quatrième dimension.

Le nombre Cinq, est d’ailleurs, celui de l’Homme, envisagé comme le médiateur entre Dieu et l’Univers. C’est à ce titre que la figure humaine s’inscrit dans le pentagramme, car la tête domine les quatre membres comme l’esprit commande au quaternaire des Éléments. Ainsi se caractérise l’Étoile du Microcosme qui est le pentacle de la Volonté.

La Magie vulgaire s’illusionne sur la puissance de ce signe, qui ne confère par lui-même aucun pouvoir. La volonté individuelle n’est puissante que dans la mesure où elle concorde avec un pouvoir plus général. Plus une force est noble et moins il est licite d’en user arbitrairement. Tout est hiérarchisé : le droit de commander implique des responsabilités. Si nous prétendons l’exercer selon notre bon plaisir, il nous sera retiré : le militaire qui mésuse de son commandement est cassé ou rétrogradé. Inutile de convoiter le pouvoir magique : il se confère d’office au mérite qui peut s’ignorer lui-même, alors que l’ambitieux y aspire en vain. Ne cherchons pas à développer la volonté artificiellement et à nous transformer en athlètes volitifs. Pour disposer d’une force, il faut en être maître et savoir la retenir. S’interdire de vouloir hors de propos est le grand secret de ceux qui sont appelés à faire valoir leur influence personnelle au moment décisif. Ce qu’ils auront accumulé en volonté non dépensée rendra leur volition en quelque sorte foudroyante; encore faut-il qu’ils agissent en vertu d’un ordre venu de plus haut, car, pour être obéi, il faut obéir soi-même, puisque tout se tient dans l’Unité des choses.

Le Pape est ganté de blanc pour indiquer que ses mains restent pures et ne se souillent jamais au contact des affaires temporelles. Elles sont marquées chacune d’une croix bleue, couleur de l’âme et de la fidélité, car l’action du Souverain Pontife est exclusivement spirituelle mais elle s’exerce sur trois plans, comme le suggèrent les trois couronnes de la tiare et les trois traverses de la croix pontificale.

La tiare pèse lourdement sur la tête du Souverain Pontife qui serait écrasé sous son poids s’il ne bénéficiait d’une puissance cérébrale supérieure à l’élite des hommes. Rien de ce qui intéresse la religion et la foi ne doit lui échapper; aussi ne saurait-il porter légitimement sa première couronne, celle qui encercle son front et brille des plus chatoyantes pierres précieuses, s’il ignorait le moindre détail du culte, avec sa liturgie traditionnelle, son apparat impressionnant et ses pompes émotives; mais l’extérieur, l’expression, le corps, ne valent que par l’âme, figurée par la deuxième couronne qui se superpose à la première. Non moins riche et légèrement plus large, elle se rapporte à la connaissance intégrale de la loi divine qui permet au Pape d’apprécier exactement les actes et les sentiments humains. Quant à la dernière couronne, la plus haute mais aussi la plus petite et la plus simple, elle fait allusion, dans son austérité, moins à la théologie ordinaire qu’au discernement des vérités abstraites qui s’imposent à l’esprit humain et rendent compte des croyances universelles, bases d’une doctrine religieuse réalisant le catholicisme intégral dont le chef sera le véritable Souverain Pontife de toute l’humanité croyante.

Si en la tiare se reflète la suprême autorité du Pape, le sceptre de son pouvoir spirituel est une croix à triple traverse. Du ternaire s’engendre ici un septénaire formé par les terminaisons arrondies des traverses et du sommet de la croix. Or, sept est le nombre de l’harmonie, celui aussi des causes secondes qui régissent le monde ; ces causes correspondent aux influences planétaires ou aux sept notes de la gamme humaine.

Il appartient au Pape de gouverner en opposant les unes aux autres les tendances innées de l’homme pour les équilibrer harmoniquement, afin que nulle ne dégénère en vice. Livrés à nous-mêmes et aux énergies propulsives de notre nature, nous tombons sous le joug des sept péchés capitaux. En nous aidant à nous retenir, le pouvoir spirituel nous maintient en possession de nous-mêmes et nous fait participer à la communion des hommes libres et vertueux.

La croix pontificale rappelle aussi l’arbre des Séphiroth dont il a déjà été question.

Comme la Papesse, le Pape est vêtu de bleu et de pourpre, couleurs sacerdotales (idéalité et spiritualité). Des deux fidèles agenouillés devant lui, celui de droite est en rouge (activité) et celui de gauche en noir (soumission, réceptivité, crédulité passive).

Aucune figure de la sphère céleste ne saurait être assimilée au Pape directement, mais il fait songer au grand prêtre de Jupiter-Ammon, le dieu à tête de bélier. Nous croyons. donc pouvoir faire correspondre l’arcane V au Bélier zodiacal, qui marque l’équinoxe du printemps, signe de Feu et d’exaltation du Soleil. Le Feu dont il s’agit est celui de la vie et de l’intelligence, l’antique Agni qui descendait du ciel pour s’allumer au centre de la croix védique, dite Svastika, lorsque les rites s’accomplissaient. Agni devint Agnis, et c’est ainsi que l’agneau pascal nous reporte aux mystères d’une prodigieuse antiquité.
Le Jupiter que le Tarot de Besançon substitue au Pape est le maître du feu céleste, dispensateur de la vie tant intellectuelle et morale que physique. C’est lui qui tient en éveil la conscience, afin de faire régner sur terre l’ordre, la justice, l’affabilité, la bienveillance et la bonté. Le caractère de ce dieu concorde donc avec l’arcane V.

Interprétations divinatoires

C’HOCMAH, la Sagesse, la Pensée créatrice, le Verbe, seconde personne de la Trinité, Isis, la Nature, épouse de Dieu et mère de toutes choses. La substance qui remplit l’espace illimité ; le champ d’action de la cause active et intelligente. L’opposition féconde dont tout s’engendre. La différentiation qui permet de distinguer, de percevoir, donc de connaître et de savoir.

La Science sacrée dont l’objet ne tombe pas sous les sens. Divination, philosophie intuitive, Gnose, discernement du mystère, religion spontanée, foi contemplative.

Silence, discrétion, réserve, méditation. Modestie, patience, résignation, piété, respect des choses saintes. Dissimulation, intentions cachées, rancune, inertie, paresse, bigoterie, intolérance, fanatisme. Influence saturnienne passive.

L’AMOUREUX

Au sortir de l’adolescence, alors qu’il venait d’achever son éducation à l’école du centaure Chiron (apprentissage initiatique), Hercule éprouva le besoin de réfléchir à l’emploi qu’il ferait dans la vie de ses puissantes facultés développées à souhait. S’étant enfoncé dans la solitude afin de s’y recueillir, deux femmes d’une rare beauté lui apparurent soudain, l’incitant chacune à la suivre. La première, la Vertu, lui fit entrevoir une existence de lutte, d’efforts incessants, en vue du triomphe par le courage et l’énergie. L’autre, la Mollesse, pour ne pas dire le Vice, engagea le jeune homme à jouir paisiblement de la vie en s’abandonnant à ses douceurs et en profitant des avantages qu’elle offre à qui sait borner son ambition.

S’inspirant de cette scène mythologique, la sixième clef du Tarot nous montre un jouvenceau arrêté à l’intersection de deux routes, les bras croisés sur la poitrine, le regard baissé, incertain de la direction à suivre. Sollicité comme Hercule par une reine austère qui ne promet que des satisfactions morales, et par une bacchante dispensatrice de plaisirs faciles, l’Amoureux hésite. Son choix n’est pas arrêté d’avance, car il n’a pas le coeur du héros prédestiné à l’accomplissement des douze travaux. C’est un faible mortel, accessible à toutes les tentations et partagé dans ses sentiments, comme l’indique son costume alternativement rouge et vert, couleurs du sang (énergie, courage) et de la végétation (vitalité passive, langueur, inaction).

Comme la Papesse et l’Impératrice, la reine qui se tient à droite (activité) est vêtue de rouge et de bleu (esprit et âme, spiritualité), alors que la bacchante se voile de gaze jaune et verte (matérialité, sève vitale).

De même que dans le costume de l’Amoureux, le rouge et le vert alternent dans les rayons du nimbe qui plane au-dessus des trois personnages. C’est un ovale lumineux sur lequel se détache un Cupidon aux ailes rouges et bleues, prêt à décocher une flèche dirigée sur la tête du jouvenceau perplexe.

L’ensemble de l’arcane VI illustre ainsi le mécanisme de l’acte volontaire de la personnalité consciente figurée par l’Amoureux, qui est l’Homme de désir de Claude de Saint-Martin.

Cette personnalité reçoit les impressions du monde physique grâce à sa sensibilité (couleur verte du costume), puis elle réagit (couleur rouge, motricité). Or comme il ne s’agit pas d’actes inconscients ou automatiques, dits réflexes, il y a délibération, choix, avant le déclenchement de l’acte décidé.

La détermination est guettée par Cupidon, qui accumule au-dessus de nous l’énergie volitive dont nous pourrons disposer. Il décoche sa flèche avec plus ou moins de force, dès que nous lui en donnons le signal, du fait même que nous voulons. Mais si nous dépensons inconsidérément notre volonté sans l’économiser comme nous l’enseigne l’arcane V, nos volitions ne sauraient être puissantes.

Pour que notre volonté nous permette de rivaliser avec Hercule (ambition qui ne nous est pas interdite) il importe de nous engager sans retour dans l’âpre sentier de la vertu, précisément afin que nos volitions ne soient pas gaspillées à poursuivre le plaisir et les menus agréments de la vie. On peut estimer sage de se laisser vivre, en dégustateur des joies qui s’offrent et sans se targuer d’héroïsme ; cette sagesse n’est pas celle des Initiés qui identifient la vie avec l’action féconde, le travail utile (herculéen). Vivre pour vivre n’est pas leur idéal, car ils se sentent artistes et considèrent que la vie leur est donnée en vue de l’oeuvre à réaliser.

Comme il s’agit du Grand OEuvre humanitaire, auquel ne peuvent se consacrer que de vaillants ouvriers de l’esprit, ceux-ci doivent avoir appris à vouloir et à aimer. L’Amoureux est, à cet égard, l’initié dont l’apprentissage est terminé. Si, en croisant les bras, il se met à l’ordre du Bon Pasteur connu des Chevaliers Rose-Croix, c’est qu’il s’applique à s’oublier lui-même ; il s’interdit de vouloir à son bénéfice personnel et ne veut plus que le bien d’autrui. C’est la réalisation de cette Beauté morale qui correspond à la 6ème Séphire – Thiphereth dont l’emblème est le Sceau de Salomon, formé par deux triangles entrelacés. Il faut y voir une allusion au mariage de l’âme humaine (Eau) et de l’Esprit divin (Feu). C’est l’Étoile du Macrocosme, signe de la suprême puissance magique, obtenue par l’individu qui, avec une abnégation sans réserve, se met au service du Tout. Aimer au point de ne plus exister que pour autrui, tel est l’objectif de l’Amoureux.

Dans le Tarot, ce personnage n’est qu’un déguisé de l’Unité active (Bateleur) destinée à se présenter sous différents aspects; l’Amoureux ramène à l’Unité par l’Amour, car l’Homme se divinise en aimant comme Dieu.

Rappelons ici les interprétations qui relient entre eux les six premiers arcanes :

I     Bateleur. Principe pensant, pensée envisagée dans son centre d’émission, donc en puissance non          encore formulée.II    Papesse. Pensée-acte, Verbe (action de penser du principe pensant).III  Impératrice. Pensée, résultat, idée pure, concept, dans son essence originelle, non altéré par                 l’expression.IV  Empereur. Réalisateur, principe voulant.V   Pape. Radiation volitive, acte de vouloir.VI  Amoureux. Désir, aspiration, volition formulée.
Si l’on envisage les différents modes d’action de la volonté, l’Empereur exerce un commandement impératif, impétueux et de caractère brutal ; le Pape émet une volonté douce et patiente qui s’impose par la force de sa modération ; quant à l’Amoureux, il se contente de désirer intensément, dans un sentiment de profonde affection. L’amour absorbe sa volonté ; il s’abstient de commander, et, tout en désirant, il prie au sens initiatique du mot.

Pour trouver la correspondance astronomique de l’arcane VI, il convient de ne retenir que l’arc et la flèche de Cupidon, armes dessinées dans le ciel par la constellation du Sagittaire. Les Chaldéens firent de l’archer céleste un centaure bicéphale, en lequel les Grecs ont voulu reconnaître Chiron, l’instructeur des héros appelés, comme Hercule, à se glorifier par leurs travaux méritoires. Assurément, l’Éros qui plane au-dessus de l’Amoureux s’accorde mal avec un homme-cheval à queue de scorpion. Cet assemblage monstrueux ne s’en prête pas moins à une interprétation applicable à l’arcane VI, car la partie humaine qui bande l’arc peut correspondre à la surconscience chargée de veiller à l’emploi de notre volonté, tandis que le cheval est notre organisme, la bête à laquelle nous sommes associés. Le scorpion, enfin, fait allusion aux mobiles très peu nobles qui nous aiguillonnent en vue de l’action.

Interprétations divinatoires

THIPHERETH, Beauté morale, Amour, lien unissant tous les êtres ; sentimentalité ; sphère animique subissant des attractions et des répulsions, sympathies et antipathies, affections pures, étrangères à l’attrait charnel.

Aspirations, désirs dont dépend la beauté de l’âme, vœux, souhaits ; Liberté, choix, sélection, libre arbitre; Tentation, épreuve, doute, incertitude, irrésolution, hésitation.

Sentimentalisme, perplexité, indécision, affaire qui reste en suspens, promesses, désirs irréalisés.

LE CHARIOT

On peut se demander si le titre d’un traité d’Alchimie, paru à Amsterdam en 1671, ne nous révèle pas la vraie désignation de la 7ème clef du Tarot. En ce cas, le Chariot deviendrait le Char triomphal de l’Antimoine, le Currus triumphalis Antimonii de Basile Valentin. Ce qui est certain, c’est que l’Antimoine est fort bien représenté par le maître du Chariot. Ce jeune homme imberbe, svelte, blond comme le Bateleur et l’Amoureux, est revêtu d’une cuirasse et armé d’un sceptre comme l’Empereur. Il incarne les principes supérieurs de la personnalité humaine pour représenter l’Ame intellectuelle (Antimoine), en laquelle se synthétisent le principe pensant (Bateleur), le centre d’énergie volitive (Empereur) et le foyer d’où rayonne l’affection (Amoureux). Mais, à l’encontre de l’Empereur qui, dans son immuable fixité, est assis sur un cube immobile, le Triomphateur parcourt le monde dans un véhicule dont la forme, il est vrai, reste cubique.

Cette forme indique toujours une réalisation corporelle. Appliquée au trône mouvant de la Spiritualité agissante, elle suggère l’idée d’un corps subtil de l’âme, grâce auquel l’esprit pur peut se manifester dynamiquement. Il s’agit d’une substance éthérée jouant le rôle dé médiateur entre l’impondérable et le pondérable, entre l’incorporel et le palpable; c’est, si l’on veut, le corps sidéral ou astral de Paracelse et des occultistes, le Corps aromal de Fourier, le Linga Sharira, ou mieux, sans doute, le Kama rupa du Bouddhisme ésotérique.

Rien de moins simple que cette entité mystérieuse. On y distingue tout d’abord la trame imperceptible sur laquelle tout organisme se construit. C’est le cadre fantomatique que remplit la matière, l’échafaudage permettant au corps de se bâtir, mais qui subsiste pour assurer la conservation de ce qui vit, car sans lui tout s’effondre. Le corps cubique du Chariot correspond à ce support invisible de ce qui est visible. Sa nature éthérée s’affirme grâce au globe ailé des Égyptiens qui décore le panneau du véhicule. Cet emblème de la sublimation de la matière y figure au-dessus du symbole oriental relatif au mystère de l’union des sexes comme pour dire que le ciel ne peut agir sur la terre qu’en s’unissant d’amour avec elle.

Le corps fantômal, l’Eidolon des Grecs, n’est pas en contact direct avec la matérialité, aussi le Chariot ne touche-t-il le sol que par l’intermédiaire de ses roues. Celles-ci ont des rayons rouges en souvenir des tourbillons de feu qui, dans la vision d’Ézéchiel, supportent le Chariot-Trône de la Divinité, la fameuse Merkabah commentée à perte de vue par les Kabbalistes. Ces roues représentent l’ardeur vitale qui s’entretient par le mouvement et surgit de la matière comme par frottement.

Les roues sont en opposition avec un baldaquin azuré qui est l’image du firmament séparant le relatif de l’absolu. Le ciel que peut atteindre notre spiritualité agissante est limité ; il nous abrite et arrête utilement l’essor trop ambitieux de notre pensée, de nos sentiments et de nos aspirations. Le triomphateur dirige son char et regarde droit devant lui, sans se perdre dans les nuages d’un stérile mysticisme. Au-dessus de sa tête brille l’emblème du Soleil au centre d’étoiles qui correspondent aux planètes.

Emblème su Soleil

Le Septenaire ainsi constitué rappelle celui du Chariot de David, désignation populaire de la Grande Ourse, constellation composée de sept étoiles principales dont les Romains firent sept boeufs, Septem triones, d’où le nom de septentrion appliqué à la région du Nord.

Des angles du Chariot s’élèvent les quatre montants du baldaquin. Ceux d’avant sont jaunes et ceux d’arrière verts. Ce sont là les couleurs chères à la bacchante de l’arcane VI ; le quaternaire dont le Triomphateur occupe le centre se rapporte donc aux attractions qu’il ne doit pas subir. Il est défendu contre elles par sa cuirasse rouge que renforce une triple équerre disposée en chevron et fixée par cinq clous d’or. Le rouge exprime l’activité déployée dans la poursuite du but proposé (route à suivre par le Chariot) ; quant à l’équerre, elle remplace sur la cuirasse l’insigne du Maître qui dirige les travaux d’un atelier maçonnique. Cet instrument contrôle la taille normale des pierres de l’édifice à construire (équerre se dit norma en latin). Pour être incorporé à l’édifice social, l’individu doit s’adapter rectangulairement au prochain. Décoré d’une triple équerre, le Maître du Chariot poursuit un idéal de perfectionnement moral qui s’applique à l’esprit, à l’âme et au corps. Il concilie les opinions opposées, amène les adversaires à se comprendre, met fin aux discordes intellectuelles et fait naître ainsi des sentiments de bienveillance fraternelle ; il impose en outre l’équité jusque dans les moindres actes, inspiré du souci de ménager toujours scrupuleusement autrui; en d’autres termes, il veille au maintien d’une exquise politesse, mère de toute réelle civilisation.

Les cinq clous d’or de l’équerre se rapportent à la domination du quaternaire des Éléments par la Quintessence, qui représente l’Ame des choses. Il faut que cinq ramène en lui quatre à l’unité de commandement pour que le Maître du Chariot entre pleinement en possession de lui-même et puisse diriger son véhicule sans se laisser distraire par des influences troublantes.

Mais si dans sa fixité solaire il n’est pas lui-même influençable, son action directrice se fait d’autant plus puissamment sentir sur ce qui est lunaire, donc capricieux et mobile. Aussi le flux et le reflux des marées émotives sont-ils aux ordres du Triomphateur, dont les épaules portent des croissants en opposition, comme pour donner au bras droit pouvoir sur ce qui croît et au bras gauche sur ce qui décroît.

En sachant tenir compte des fluctuations du coeur humain, le Maître du Chariot pratique un art de gouvernement qui lui vaut le diadème des initiés que surmontent trois pentagrammes d’or. Ces étoiles font face à trois directions : celle du milieu éclaire la route que suit le chariot, celles de droite et de gauche permettent de reconnaître les abords du chemin, car, pour se diriger dans la vie, on ne peut se contenter d’une vue trop étroitement limitée.

Aux trois pentagrammes qui brillent au-dessus de la tête s’oppose le festonnement inférieur de la cuirasse, protégeant l’abdomen où grouille ce qui est en nous de moins idéal; ce ternaire comprime les bas instincts, refoule les impulsions brutales et refrène les sourdes révoltes d’un atavisme sauvage. La maîtrise initiatique exige que tout soit dompté en l’adepte investi du sceptre de la Sagesse.

Cet insigne de commandement n’est qu’une simple baguette terminée par une série de sphères ovoïdes qui paraissent naître les unes des autres, pour indiquer que le Maître du Chariot préside à l’éclosion des vertus dont les individus contiennent les germes. Son sceptre est remplacé par le maillet entre les mains de ceux qui dirigent le travail des Maçons réunis en Loge. Le président de l’atelier siège sous un dais étoilé semblable à celui du Chariot; devant lui un autel carré complète l’analogie avec le personnage de l’arcane VII, dont la poitrine s’orne de l’équerre, bijou distinctif du Vénérable.
Mais le rapprochement entre la Loge, où s’accomplit le travail constructif, et le Chariot du Progrès achève de s’imposer si l’on considère les deux Sphinx tracteurs comme les forces que figurent les colonnes Jakin et Bohas. Ce ne sont pas deux animaux séparés, mais un seul, une sorte d’amphisbène à deux têtes.

Pareil monstre, pouvant marcher dans les deux sens, s’immobiliserait si, par le milieu du corps, il n’était attelé au Chariot. Le mérite du Triomphateur est d’avoir su l’atteler, car il utilise ainsi des énergies qui livrées à elles-mêmes ne peuvent que se neutraliser réciproquement. Il s’agit de la fixation du Mercure des Sages, opération accomplie par Hermès lorsque interposant sa baguette entre deux serpents en lutte pour se dévorer l’un l’autre, il provoqua la formation du caducée. L’intelligence directrice a mission de concilier les antagonisme vitaux. L’art de gouverner se base, comme le Grand OEuvre, sur la captation des courants opposés de l’universel agent figuré dans l‘Azoth des Philosophes de Basile Valentin sous forme d’un serpent contournant la lune et le soleil, et dont les deux extrémités sont un lion (fixité) et un aigle (volatilité) qui se rapprochent, domptés dans leur colère.

Dans l’arcane VII, le Sphinx blanc symbolise les bonnes volontés constructives qui aspirent au bien général réalisé paisiblement, sans secousses. Le Sphinx noir frémit d’impatience et tire à gauche avec véhémence; ses efforts risquent d’entraîner le Chariot dans le fossé, mais ils n’aboutissent, en réalité, qu’à stimuler le Sphinx blanc obligé de tirer plus fort de son côté. Ainsi le véhicule avance plus rapidement, selon la loi mécanique du parallélogramme des forces.

Interprétations divinatoires

NETZAH, Triomphe, victoire, fermeté, spiritualité agissante, progrès conscient, évolution intelligente, principe constructeur de l’Univers, Grand Architecte.

Maîtrise, domination absolue sur soi-même, direction, gouvernement, souveraineté de l’intelligence et du tact, discernement conciliateur, harmonisation pacificatrice et civilisatrice.

Talent, réussite grâce au mérite personnel, succès légitime, diplomatie loyale, habileté à bénéficier de l’action adverse, ambition, avancement, situation de directeur ou de chef.

Au négatif : incapacité, manque de talent, de tact, de diplomatie ou d’esprit conciliateur; inconduite, mauvais gouvernement.

LA JUSTICE

L’arcane VII ramène les deux premiers ternaires du Tarot à l’unité du premier septénaire qui correspond à l’Esprit ; l’arcane VIII inaugure donc le 2ème septénaire qui se rapporte à l’Ame comme le 3ème sera relatif au Corps. Or le premier terme d’un septénaire joue nécessairement un rôle générateur. De même que l’Esprit émane de la Cause première (arc. I), l’âme procède donc de l’arcane VIII, et le Corps de l’arcane XV.

Mais l’arcane VIII doit aussi être envisagé comme le deuxième terme du 3ème ternaire, ce qui le rend passif à l’égard de l’arcane précédent. Or puisque VII représente la spiritualité motrice, le principe moteur universel, VIII devient le mouvement générateur de vie, d’ordre et d’organisation. Ainsi s’explique la justice, qui coordonne et débrouille le Chaos. Sans elle, rien ne peut vivre, puisque les êtres n’existent qu’en vertu de la loi à laquelle ils sont soumis. Anarchie est synonyme de néant.

Dans le Tarot, Thémis rappelle l’Impératrice (arc. III) par son attitude hiératique, par le visage qu’elle montre rigoureusement de face, par sa chevelure blonde, sa tunique rouge et son manteau bleu; mais ce n’est plus la Reine du Ciel, cette Astrée éternellement jeune dans sa sublime assomption. La femme qui tient la balance et le glaive semble avoir pris de l’âge et ses traits se sont durcis; descendue dans le domaine de l’action, elle a perdu ses ailes. Son trône est massif, solide et stable comme le cube d’or de l’Empereur (arc. IV). Ce n’est pas un Chariot qui parcourt le monde, mais un siège monumental fixé au sol. Les deux pilastres qui le flanquent sont ornés de demi-disques alternativement blancs et verts. Par leur forme, ces ornements rappellent les multiples mamelles de la Diane éphésienne, dispensatrice de lait nutritif et de sève vitale. Par analogie avec les colonnes Jakin et Bohaz du Temple de Salomon, les pilastres du trône de la justice, marquent les limites de la vie physique; entre eux s’étend le champ limité de l’activité animatrice. A leur terminaison en coquille, il serait loisible de substituer des grenades entrouvertes, symboles de la fécondité, en même temps que de coordination harmonique.

L’action de la Justice-Nature s’exerce dans le double domaine du sentiment et de la vitalité, d’où le bleu et le vert des manches de Thémis.

Par rapport à l’arcane VI qui occupe le milieu de la première rangée du Tarot, IV et VIII sont homologues, donc en étroites relations de sens. De fait, que deviendrait l’Empereur sans Justice ? Le Droit resterait théorique et virtuel s’il n’était pratiquement appliqué dans le domaine positif ; il en est de même de la rigueur mathématique abstraite, qui ne devient féconde que dans ses applications. Personnifiant le principe numéral générateur de la vie, l’Empereur émettrait celle-ci en vain, si elle n’était recueillie par la Justice coordinatrice. Recevant ce que Dieu donne, la Nature se comporte en ménagère qui organise et administre la vie, en distribuant tout avec ordre, selon la loi du nombre et de la mesure.

Comme sanction des liens étroits qui rattachent IV et VIII, un insigne commun décore l’Empereur et la Justice : c’est le collier en forme de tresse, emblème de la coordination souple des fibres vitales qui s’associent en corde plus solide qu’une chaîne dont les maillons peuvent se rompre.

Le mortier judiciaire qui coiffe la Justice est marqué du signe solaire, car le soleil spirituel est le grand coordinateur qui assigne son rôle à tout être et sa place à toute chose. Le nombre huit est, d’ailleurs, celui du Soleil-Raison, lumière des hommes; comme le prouve l’emblème chaldéen de Samas, le dieu du jour. D’un point central émane un double rayonnement quaternaire figurant lumière et chaleur. Fidèles à la tradition, les Francs-Maçons décorent le F. Orateur qui est chargé de rappeler à l’observation de la loi, d’un soleil à huit faisceaux rayonnants.

Notons aussi qu’en Chine, les Qua, ou trigrammes de Fo-Hi, sous l’influence desquels le monde a pris forme, sont au nombre de huit. (Voir plus loin le chapitre relatif aux Instruments de Divination.)

N’oublions pas non plus que l’étoile formée par une double croix verticale et oblique…

…est, dans l’écriture assyro-babylonienne, le signe déterminatif des noms divins. L’étoile proprement dite, à huit rayons égaux, est, en revanche, le symbole d’Ishtar, la déesse de la vie, qui, à certains égards, se reflète dans la justice, mais s’accorde plus spécialement avec le symbolisme de l’arcane XVII.

Une couronne aux fleurons en fer de lance surmonte le mortier de Thémis. C’est une allusion aux rigueurs de la loi, qui s’appliquent avec la froide cruauté d’une pointe de javelot pénétrant dans les chairs.

En sa main droite, la déesse tient, au surplus, un formidable glaive, qui est celui de la fatalité, car aucune violation de la loi ne reste impunie. Bien que nulle vengeance ne s’exerce, l’implacable rétablissement de tout équilibre rompu provoque tôt ou tard l’inéluctable réaction de la Justice immanente, à laquelle se rapporte l’arcane VIII.

Mais l’instrument réparateur des fautes commises, c’est la Balance, dont les oscillations ramènent l’équilibre. Toute action, tout sentiment, tout désir, influent sur son fléau; il en résulte des accumulations équivalentes qui auront leur répercussion fatale en bien ou en mal. Les énergies mises en jeu se capitalisent; celles qui procèdent d’une bonté généreuse enrichissent l’âme, car celui qui aime se rend digne d’être aimé. Or les sympathies sont plus précieuses que toutes les richesses matérielles : nul n’est plus pauvre que l’égoïste qui refuse de se dépenser psychiquement. Sachons donner pour être riches !

Afin qu’il ne soit demandé à chacun que dans la mesure de ses moyens, les destinées sont pesées. Les joies et les peines sont distribuées avec équité, en ce sens qu’elles se proportionnent les unes aux autres, car nous n’apprécions qu’en raison des contrastes; si bien que, pour être heureux, il faut avoir souffert. Pesons avec minutie ce que nous éprouvons et nous constaterons que tout dans la vie se balance avec exactitude.

Il en est ainsi jusque dans le jeu des forces vitales, qui sont soumises à des alternances d’exaltation et de dépression. Pour illustrer cette loi physiologique, un bas-relief antique dont Raphaël s’est inspiré dans la décoration des stances du Vatican, met en scène deux Satyres, l’un mâle et l’autre femelle, qui jouent à la bascule près d’un ciste, corbeille sacrée que portaient les mystes d’Éleusis.

C’est une allusion au rythme de la vie et à la nécessité de s’y conformer en tout déploiement d’énergie. Toute phase de surexcitation active doit être compensée par une équivalence de passivité réparatrice. Il est avantageux de se préparer à l’effort par le repos et de préluder à une dépense cérébrale par le sommeil ou le recueillement contemplatif. S’exciter artificiellement est une erreur que la nature (arc. VIII) punit par le déséquilibrement tendant à devenir définitif.
Astronomiquement, la justice est Astrée, la Vierge zodiacale, qui tient la Balance équinoxiale d’automne. Les colonnes de son trône représentent, à cet égard, les deux solstices. Les astrologues font de la Balance un signe d’air, qu’ils assignent comme domicile diurne à Vénus. L’activité du jour astreint la déesse au calme et méthodique travail de la vie, si bien qu’elle semble inaccessible aux passions de l’amante éperdue du bel Adonis.

Interprétations divinatoires

HOD, splendeur, gloire, la divinité manifestée par l’ordre et l’harmonie de la nature, la puissance conservatrice des choses. Loi, équilibre, stabilité vivante, enchaînement logique et nécessaire des idées, des sentiments et des actes, fatalité découlant de ce qui est accompli. Justice immanente, conséquences inéluctables de toute action.

Logique, sûreté de jugement, impartialité, indépendance d’esprit, honnêteté, intégrité, régularité, discipline, respect de la hiérarchie, soumission aux convenances et aux usages. Arrêt, décision, résolution prise, ferme propos, règle de conduite.

Méthode, exactitude, minutie. Un administrateur, un ministre, un gérant, un juge, un homme de loi ou un agent chargé de maintenir l’ordre. Un dialecticien fécond en arguties, en distinctions subtiles. Routine, esprit conservateur, néophobie. Subalterne sachant obéir, mais incapable d’initiative.

L’ERMITE

Le Maître du Chariot (arc. VII), est un jeune homme impatient de réaliser le Progrès, que retarde la Justice (arc. VIII), amie de l’ordre et défavorable aux bouleversements.

L’Ermite concilie cet antagonisme en évitant la précipitation autant que l’immobilité. C’est un vieillard expérimenté qui connaît le passé, dont il s’inspire pour préparer l’avenir; son allure est prudente, car, armé d’un bambou aux sept nœuds mystiques, il sonde le terrain sur lequel il avance avec lenteur, mais sans arrêt. S’il rencontre sur son chemin le serpent des convoitises égoïstes, il ne cherche pas à imiter la femme ailée de l’Apocalypse qui pose le pied sur la tête du reptile, allusion au mysticisme ambitieux de vaincre toute animalité. Le sage préfère charmer la bête, afin qu’elle s’enroule autour de son bâton comme autour de celui d’Esculape. Il s’agit, en effet, des courants vitaux que le thaumaturge capte en vue d’exercer la médecine des initiés.

L’Ermite ne tâte pas le sol en aveugle, car une lumière discrète éclaire sa marche infatigable et sûre. Sa droite lève, en effet, une lanterne partiellement voilée par un pan du vaste manteau de notre philosophe, qui craint d’éblouir les yeux trop faibles pour supporter l’éclat de son modeste falot.

C’est son avoir personnel qu’il ne laisse briller ainsi que dans la mesure utile pour se diriger lui-même. Il est modeste et ne se fait aucune illusion sur sa propre science, qu’il sait infime par rapport à ce qu’il ignore. Aussi, renonçant à de trop orgueilleuses ambitions intellectuelles, se contente-t-il de recueillir avec humilité les notions qui lui sont indispensables pour l’accomplissement de sa tâche terrestre.

Sa mission n’est point de fixer les croyances en formulant le dogme, l’Ermite n’étant pas le Pape (arc. V) ; il ne s’adresse pas aux foules et ne se laisse approcher que par les chercheurs de vérité qui osent s’enfoncer jusque dans sa solitude. A eux il se confie, après s’être assuré qu’ils sont capables de le comprendre, car le sage ne jette pas ses perles aux pourceaux.

La clarté dont dispose le solitaire ne se borne pas, du reste, à éclairer les surfaces : elle pénètre, fouille et démasque l’intérieur des choses. Pour reconnaître un homme véritable, Diogène a dû se servir d’une lanterne analogue à celle de l’Ermite du Tarot.

Le manteau de ce personnage est extérieurement de couleur sombre, tirant sur le brun (austérité), mais la doublure en est bleue, comme s’il s’agissait d’un vêtement de nature aérienne, doué des propriétés isolantes attribuées au fameux manteau d’Apollonius. Les Francs-Maçons savent qu’il faut être « à couvert » pour travailler utilement et l’Alchimie exige que les opérations du Grand OEuvre se poursuivent à l’intérieur d’un matras hermétiquement luté. Sans isolement, rien ne se concentre et sans concentration préalable aucune action magique ne saurait être exercée. Les énergies silencieusement accumulées avec patience, à l’abri de toute infiltration perturbatrice, déploieront une irrésistible puissance quand l’heure sera venue. Tout ce qui doit prendre corps s’élabore en secret, dans l’antre obscur des gestations où se poursuit l’oeuvre cachée de mystérieux conspirateurs.

L’Ermite conspire à l’abri d’une ambiance psychique austère qui l’isole de toute frivolité mondaine. Dans sa retraite, il mûrit ses conceptions en intensifiant sa volonté qu’il retient et en aimantant ses aspirations généreuses de tout l’amour désintéressé dont il est capable. Ainsi ce rêveur peut préparer de formidables événements, car, ignoré de ses contemporains, il devient l’artisan effectif de l’avenir. Détaché des contingences présentes, il tisse avec abnégation la trame subtile de ce qui doit s’accomplir. Maître Secret, il travaille dans l’invisible pour conditionner le devenir en gestation. Agent transformateur, il n’a nul souci des effets immédiats et ne s’attache qu’aux énergies productrices des formations futures.

Fuir le commerce des hommes pour vivre dans l’intimité de sa propre pensée, c’est entrer en union mystique avec l’Idéalité figurée dans le Tarot par la femme des arcanes III et VIII (Impératrice et Justice), dont l’Ermite devient l’époux. Le vieillard de l’arcane IX se rapproche ainsi de saint Joseph, le charpentier, auquel les Védas donnent le nom de TWASHTRI. C’est, d’après Émile Burnouf, la personnification de la force plastique répandue dans l’univers et manifestée surtout dans les êtres vivants. Il est donc permis d’y voir l’artisan mystérieux de l’échafaudage invisible sans lequel ne saurait s’exécuter aucune construction vitale. En Jésod, le fondement immatériel des êtres objectifs, se synthétisent les énergies créatrices virtuelles appliquées à une réalisation déterminée. Avant de prendre corps, tout préexiste en concept abstrait, en intention, en plan arrêté, en image vivante animée de dynamisme réalisateur.

L’arcane IX se rapporte au mystère d’une génération réelle, mais occulte, à laquelle ne participent que l’esprit et l’âme. L’Ermite est le Maître qui travaille sur la planche à tracer, où il arrête le plan précis de la construction projetée.

La figure qui apparaît communément sur cette planche est un carré aux côtés prolongés, constituant neuf divisions en lesquelles peuvent s’inscrire les neuf premiers chiffres que les adeptes disposent en carré magique.

Ainsi disposés, les nombres impairs forment une croix centrale très significative, alors que les nombres pairs sont relégués aux angles, comme s’ils devaient se rapporter au quaternaire des Éléments. Sans aborder des explications qui mèneraient trop loin, bornons-nous à indiquer que le noyau animique de l’être virtuel est représenté par 5 (quintessence), chiffre flanqué de 3 (idéalité formatrice) et de 7 (Ame dirigeante) alors qu’il est dominé par I (Esprit pur) et soutenu par 9 (Synthèse des virtualités réalisatrices).
Envisagée dans l’ordre numérique normal, l’ennéade kabbalistique constitue un losange dont 9 occupe la pointe inférieure, figurant ainsi le tronc de l’arbre des Séphiroth, base ou support de l’ensemble.

Le personnage de la Sphère Céleste qui correspond le mieux à l’Ermite est Bootès, le Bouvier, gardien des Sept Boeufs, Septem triones, ancienne désignation du septenaire de la Grande Ourse ou Chariot de David. C’est, en réalité, un moissonneur qui élève sa faucille au-dessus d’une gerbe, en laquelle les astronomes modernes voient la Chevelure de Bérénice. Quand la Vierge zodiacale se couche, Bootès s’abaisse et semble la suivre, aussi en a-t-on fait le mari, ou mieux, le père de la, virginale Érigone qui préside aux moissons. Ainsi se confirme l’affinité déjà constatée entre les arcanes III et IX.

Le Tarot de Bologne remplace l’Ermite par un patriarche ailé qui marche péniblement, courbé sur deux béquilles. A sa ceinture pend une bourse renfermant l’héritage du passé. Il part d’une colonne qui marque l’un des pôles du mouvement universel, celui dont les êtres s’éloignent en évoluant. Ce vieillard qui n’avance que lentement, en dépit de ses ailes, fait songer à Saturne, dieu du Temps, envisagé comme l’éternel continuateur toujours en marche à la conquête d’un avenir qu’il fait insensiblement éclore du passé. Notons à ce propos que le jeu de Charles VI fait tenir à l’Ermite, non une lanterne, mais un sablier.

Interprétations divinatoires

JESOD, Fondement. L’être en puissance de devenir, potentialités condensées dans le germe. Le plan vivant préexistant à l’objectivation. La trame invisible de l’organisme à construire. Modèle démiurgique imprimant aux individus les caractères de l’espèce. Corps astral des occultistes.

Tradition. Expérience. Patrimoine impérissable du passé. Savoir approfondi. Prudence. Circonspection. Recueillement. Silence. Discrétion. Réserve. Isolement. Continence. Chasteté. Célibat. Austérité.

Sage détaché de ce monde, mort aux passions et aux ambitions mesquines. Esprit profond, méditatif, étranger à toute frivolité. Médecin expérimenté de l’esprit, de l’âme et du corps. Adepte pratiquant la médecine universelle. Philosophe hermétique possédant le secret de la pierre des Sages. Initiateur. Maître capable de diriger le travail d’autrui et de discerner ce qui est en gestation dans l’ordre du devenir humain. Accoucheur.

Caractère saturnien, sérieux, taciturne, renfrogné, méfiant. Esprit craintif, méticuleux, lourd. Tristesse, misanthropie, scepticisme, découragement, avarice, pauvreté.

LA ROUE DE FORTUNE

Le premier chapitre du livre d’Ézéchiel décrit une vision sur laquelle ont disserté à perte de vue d’innombrables kabbalistes. Les cieux s’étant ouverts, le prophète y vit des animaux étranges groupés par quatre et prés d’eux un quaternaire de roues de feu, dont chacune était double. La 10ème clef du Tarot, dont le symbolisme a été fixé par Éliphas Lévi, s’inspire du texte sacré lorsqu’elle nous montre une roue à deux jantes concentriques, image du double tourbillon générateur de la vie individuelle.

Cette vie s’engendre à la façon d’un courant électrique, dès qu’un tourbillonnement restreint s’établit en sens contraire du mouvement giratoire enveloppant. L’individu résulte d’une opposition au tout dont il fait partie. Il ne se fait centre qu’en s’insurgeant contre l’universalité. Sa vie procède d’une vie plus vaste qu’il s’efforce d’accaparer. Il n’y parvient que dans une mesure limitée, d’où la brièveté de l’existence individuelle, à laquelle fait allusion la Roue de Fortune qui est aussi celle du Devenir ou de la Destinée.

Une manivelle donne le branle à cette roue fatidique, dont le mouvement est rapide au début, mais va en se ralentissant jusqu’à l’arrêt qui marque la mort. A la précipitation du rythme vital de la jeunesse succède ainsi la calme régularité de l’âge mûr, puis viennent les langueurs de la vieillesse qui aboutissent à la stagnation définitive et fatale.

La Roue du Devenir flotte sur le sombre océan de la vie chaotique, supportée par les mâts de deux barques accolées, dont l’une est rouge et l’autre verte. Leur forme rappelle le croissant d’Isis, la grande formatrice, mère de tous les êtres.

De chaque barque s’élance un serpent, dont l’un est mâle et l’autre femelle. Ils correspondent aux deux ordres de courants vitaux, qui sont positif ou négatif et se traduisent en motricité (rouge) et en sensibilité (vert).

Le mouvement de la Roue de Fortune entraîne en montant un Hermanubis qui tient le caducée de Mercure, et en descendant un monstre typhonien armé d’un trident. Ainsi sont symbolisés d’une part toutes les énergies bienfaisantes et constructives qui favorisent la croissance de l’individu et stimulent son rayonnement vital, et de l’autre l’ensemble des agents de destruction auxquels doit résister l’être vivant.

Les deux antagonistes figurent l’été, dont la chaleur est favorable à la vie, et l’hiver restrictif de toute radiation vitale. Le personnage à tête de chien correspond à la constellation caniculaire dont Sirius est l’étoile principale. Son opposé nous reporte au Capricorne, poisson-chèvre, aqueux et terrestre, donc boueux, monstre chaotique, comme l’indique le vert terreux de son corps. Si le visage et la draperie fumeuse du démon hivernal sont d’un rouge foncé, c’est qu’un feu obscurci brûle en lui : celui des passions égoïstes, car il est le génie de la matière chaotique, Hyle, à laquelle il tend à ramener ce qui est organisé, donc coordonné, soumis à une règle et discipliné. Mais le froid condensateur et corporisant n’est pas à prendre uniquement en mauvaise part. Sans lui, nulle objectivation créatrice, et, partant, ni incarnation du Verbe ni rédemption. Le Capricorne n’a donc pas été considéré comme diabolique par les chrétiens des catacombes, qui l’ont associé au trident de Neptune, sur la paroi de l’une des cryptes de l’Ardéatine. Ils y voyaient vraisemblablement le symbole de l’homme déchu, mais régénéré par la vertu des eaux baptismales.

Hermanubis, dont le corps est bleu, donc aérien, correspond à l’Azoth des Sages, substance éthérée qui pénètre toutes choses, pour exciter, entretenir et ranimer au besoin le mouvement de la vie. Cette sorte de fluide mystérieux est en même temps le véhicule de l’intelligence organisatrice, le grand Mercure, messager des dieux coordinateurs du Chaos.

Les divinités démiurgiques sont au nombre de sept; elles se traduisent par les influences planétaires de l’astrologie, qui se répercutent en tout ce qui existe. De là les sept sphères diversement colorées que traversent les sept rayons visibles de la roue du Devenir.
Au-dessus de celle-ci, sur une plate-forme immobile, un Sphinx est solidement installé. Il représente le principe d’équilibre et de fixité qui assure la stabilité transitoire des formes individuelles. Comme la justice (arc. VIII), il est armé d’un glaive, car il lui appartient de trancher et de décider, en intervenant dans le conflit des forces condensantes ou expansives, restrictivement égoïstes ou trop généreuses dans leur ardeur extériorisante. C’est l’Archée des hermétistes, le noyau fixe et déterminant de l’Individualité, au centre duquel brûle le Soufre. Ce principe d’unité domine les attractions élémentaires qu’il synthétise et convertit en énergie vitale. Ainsi s’expliquent les quatre couleurs du Sphinx qui correspondent aux éléments : tête rouge, Feu; ailes bleues, Air; poitrine et pattes de devant vertes, Eau; arrière-train noir, Terre. Le Sphinx est d’ailleurs humain par son visage et ses seins de femme, aigle par les ailes, lion par ses griffes et taureau par ses flancs. En lui se retrouvent les animaux de la vision d’Ézéchiel, qui sont devenus les symboles des quatre Évangélistes : Homme ou Ange, saint Matthieu; Taureau ou Bœuf, saint Luc; Lion, saint Marc; Aigle, saint Jean.

Par rapport au Capricorne-Typhon et au Chien-Hermanubis, qui correspondent astronomiquement aux solstices, le Sphinx occupe la place de la Balance zodiacale, que tient la justice (arc. VIII). Il est en opposition avec les serpents qui transforment le support de la Roue de Fortune en caducée. Tout comme le Bélier, auquel ils se substituent, ces reptiles symbolisent le réveil de la vitalité au printemps. Ils émergent de l’océan chaotique figuré par la région du ciel où nagent les Poissons et la Baleine, non loin de l’embouchure du fleuve Éridan. Comme il est dit dans la Genèse, l’Esprit d’Élohim plane ainsi au-dessus des eaux ténébreuses, en dominateur impénétrable du tourbillonnement de la roue cosmogonique. Sévère, placide, à jamais énigmatique, l’éternel Sphinx reste maître de son secret, qui est le grand Arcane, la Parole créatrice cachée aux créatures, le Jod initial du tétragramme divin.

Interprétations divinatoires

MALKUT, royaume. Le domaine de la souveraineté du vouloir. Le principe de l’individualité. Involution. Germe, semence, sperme. Énergie fécondante. Jod, colonne Jakin.

Initiative, sagacité, présence d’esprit, spontanéité, aptitude aux inventions. Divination d’ordre pratique. Réussite due à des occasions saisies avec à-propos.

Chance, découvertes fortuites qui enrichissent ou conduisent su succès. Destin propice qui fait réussir en dehors d’un réel mérite personnel. Avantages tirés du hasard. Situation enviée mais instable. Alternatives de hauts et de bas. Inconstance. Fortune mineure de la Géomancie. Bénéfices transitoires.

LA FORCE

L’énergie suprême, à laquelle ne résiste aucune brutalité, se présente dans le Tarot sous l’aspect d’une reine blonde et gracieuse, qui, sans effort apparent, dompte un lion furieux, dont elle maintient les mâchoires écartées. Cette conception de la Force, en tant que vertu cardinale, s’écarte des figurations banales d’un Hercule appuyé sur sa massue et revêtu de la dépouille du lion de Némée. Ce n’est point la vigueur physique, celle des muscles, que glorifie l’arcane XI; il s’agit de l’exercice d’une puissance féminine, bien plus irrésistible dans sa douceur et sa subtilité que toutes les explosions de la colère et de la force brutale. Le fauve, incarnation des fougues indisciplinées et des véhémences passionnelles, est ce Lion dévorant du Zodiaque, dont le retour annuel marque l’époque où le Soleil, devenu brûlant, dessèche et tue la végétation. Il est vaincu par la Vierge (Impératrice, arc. III) dont il a mûri les moissons.

Ce n’est pas une bête malfaisante, en dépit de sa férocité. Livré à lui-même, il accapare, dévore et détruit avec une rage égoïste; il n’en est plus de même s’il est dompté, car, tout comme le Sphinx noir du Chariot (arc. VII), il rend d’immenses services à qui sait le dominer.

Il n’y a donc pas lieu de tuer l’animal, même en notre personnalité, à la manière des ascètes. Le Sage respecte toutes les énergies, fussent-elles dangereuses, car il estime qu’elles existent en vue d’être captées, puis judicieusement utilisées.

Déjà Guilgamès, le héros chaldéen, se garde bien d’étouffer le lion qu’il presse sur son coeur, après l’avoir étourdi à l’aide d’une arme constituée par un sac de peau rempli de sable. Cet initié ne méprise rien de ce qui est inférieur; il envisage comme sacrés jusqu’aux instincts les moins nobles, car ils sont le stimulant nécessaire de toute action. La maîtrise vitale exige que les forces qui tendent au mal soient commuées en énergies salutaires. Ce qui est vil ne doit pas être détruit, mais ennobli par transmutation, à la manière du plomb qu’il faut savoir élever à la dignité de l’or.

Cette règle est applicable dans tous les domaines. II est vain d’exiger du commun des hommes la vertu, le désintéressement, l’austère accomplissement du devoir. L’égoïsme sous toutes ses formes reste le prince de ce bas monde; le Sage en prend son parti et tient compte du Diable, pour l’astreindre à collaborer malgré lui au Grand OEuvre. Tel est l’enseignement de l’arcane XI.

La Magicienne qui réalise ainsi le programme de l’initiation masculine ou dorienne se nomme Intelligence. C’est la Fée à laquelle nous devons les conquêtes de la science et les progrès de la civilisation; mais les merveilles qu’elle opère occultement sont plus admirables encore que celles qui s’imposent à la constatation. En chaque organisme elle est active. Sans elle les cellules inconscientes ne pourraient concourir au salut commun. Elle se répercute en l’âme de toute collectivité, car la vie n’est individuelle que de façon relative : l’être envisagé comme le plus simple étant complexe. Toute vie, que ce soit celle d’un individu pris isolément ou celle d’une nation, se fonde sur l’association de divergences qui s’ignorent et demandent cependant à être conciliées dans l’intérêt supérieur. Cette conciliation indispensable est partout l’oeuvre de la puissance mystérieuse représentée dans le Tarot par la Force. Sans l’irrésistible intervention de la royale dompteuse, en qui s’unissent l’Impératrice (arc. III) et la Justice (arc. VIII), les égoïsmes déchaînés s’opposeraient à toute vie collective. Si l’organisme résiste aux discordes de ses éléments constitutifs, c’est qu’il possède une âme organique, en qui réside une force supérieure à celle des accaparements mesquins. Quand les citoyens ne songent qu’à eux-mêmes, la nation devrait péricliter; si elle résiste à la ruée des appétits individuels, c’est pur miracle de l’âme nationale, symbolisée dans le Tarot par la Femme victorieuse de la Bête rapace.

La reine, qui maîtrise paisiblement les énergies en révolte, est vêtue aux couleurs de la Papesse (arc. II) : robe bleue et manteau rouge, car son action est mystérieuse comme celle de la Nature – Isis. Mais le bleu de la Force est le clair azur de l’Impératrice (arc. III). Le vert apparaît dans ses manches, comme dans celles de la justice (arc. VIII), tout en s’y associant au jaune. Car la dompteuse du lion s’inspire de l’idéalité la plus haute (arc. III) et régit la vitalité (vert) par l’entremise de la lumière coagulée (jaune), en conformité des lois de l’ordre universel (arc. VIII). Il est à remarquer que 3 + 8 = 11, chiffre qui se ramène à 2 par réduction théosophique (soit 1 + 1 = 2).

Le nombre Onze apparaît d’ailleurs comme capital en initiation, surtout dans ses multiples 22,33 et 77, de même que dans sa décomposition en 5 et 6, chiffres qui renvoient au Pentagramme et au Sceau de Salomon, c’est-à-dire aux étoiles du microcosme et du macrocosme. La réunion de ces deux étoiles constitue le pentacle de la force magique, exercée par l’esprit humain (Pentagramme), devenu centre d’action de l’âme universelle (Hexagramme).

Notre maîtrise s’affirme dans le domaine limité du microcosme, qui est englobé dans le macrocosme, dont nous émanons (arc.I) et au service duquel se dépensent nos efforts (arc. XI).

Analogue à celle du Bateleur (arc. I) la coiffure de la Force affecte la forme d’un huit couché, signe expressif d’un mouvement continu, adopté par les mathématiciens comme symbole de l’infini.

Le retour de ce signe à la fin de la rangée active des onze premiers arcanes assigne l’infini à la fois comme source et comme terme de l’activité dorienne consciente et voulue.

Le chapeau du Bateleur est plus simple que celui de la Force; il ne comporte ni couronne ni plumeté chatoyant, car le pouvoir spirituel (couronne) ne s’acquiert qu’en l’exerçant et le savoir pratique n’est pas inné. Le Bateleur a la capacité de tout acquérir, mais il ne dispose de toute sa puissance virtuelle qu’après s’être instruit et discipliné au cours de sa carrière d’initié de l’ordre masculin ou dorien. L’arcane XI marque à cet égard l’idéal qu’il est possible d’atteindre. L’homme sage peut disposer d’une force immense, s’il pense judicieusement et si son vouloir particulier s’identifie avec la Volonté Suprême. Il domptera la violence par la douceur; aucune brutalité ne lui résistera, pourvu qu’il sache exercer la puissance magique à laquelle doit aspirer tout véritable adepte. Domptons en nous-mêmes le lion des passions dominatrices et des instincts égoïstes, si nous aspirons à la Force réellement forte et supérieure à toutes les forces !

Interprétations divinatoires

Énergie psychique. Pouvoir de l’âme corporelle qui domine et coordonne les impulsions en lutte au sein de l’organisme. Raison et sentiment unis pour soumettre l’Instinct. Verbe individuel. Rayonnement de la Pensée-Volonté émise par l’individu. Triomphe de l’intelligence sur la brutalité. Sagesse et science humaines assujettissant les forces aveugles de la Nature.

Vertu, courage, calme, intrépidité. Force morale s’imposant à la force brutale et aux passions égoïstes.Maîtrise absolue de soi-même. Ame forte. Nature énergique, agissante. Travail, activité intelligente. Dompteur.

Caractère vif, emporté, bouillant. Impatience, colère, témérité. Influence martienne. Vantardise, fanfaronnade. Insensibilité, rudesse, grossièreté, cruauté, fureur.

LE PENDU

Fondée sur la culture et le déploiement des énergies que l’individu puise en lui-même, l’Initiation active, dite masculine ou dorienne, se rapporte dans le Tarot aux onze premiers arcanes. Elle part de I pour aboutir à XI. L’initiable que stimule une noble et légitime ambition personnelle dispose finalement, s’il s’en montre digne, de la suprême force magique. Il réalise alors l’idéal du Mage, maître absolu de lui-même et dominateur, par ce fait, de tout ce qui subit son ascendant. On est tenté de croire qu’il est impossible d’aller plus loin, et cependant le Tarot ne s’arrête pas à l’arcane XI; mais avec XII, il aborde un domaine entièrement différent, qui est celui de l’initiation passive ou mystique, dite aussi féminine ou ionienne. Désormais la personnalité renonce à l’exaltation des énergies propres ; loin de se comporter en centre d’action autonome, elle s’efface pour subir docilement les influences extérieures. Le Mage a foi en lui-même, en son intelligence et en sa volonté ; il se sent souverain et aspire à conquérir son royaume. Le Mystique se persuade, au contraire, qu’il n’est rien, sinon une coque vide, impuissante par elle-même. Son renoncement passif le met à la disposition de ce qui agit sur lui. Il se livre pied et bras liés, comme le Pendu, qui, dans le Tarot, semble être le même personnage que le Bateleur. Dans l’arcane XII revient, en effet, le jeune homme blond et svelte de l’arcane I; mais quel contraste entre le jongleur trop habile de ses doigts et le supplicié n’ayant de libre que la jambe droite qu’il replie derrière la gauche, pour former une croix au-dessus du triangle renversé dessiné par les bras et la tête.

L’ensemble de la figure rappelle ainsi le signe alchimique de l’Accomplissement du Grand OEuvre ,

renversement de l’idéogramme du Soufre,

auquel se rapporte la silhouette de l’Empereur (arc. IV). L’opposition ainsi mise en lumière est celle du Feu et de l’Eau, du Feu intérieur ou infernal au sens littéral du mot, et de l’Eau sublimée ou céleste. L’ardeur sulfureuse est l’Archée de l’individu, le principe de son exaltation et de sa souveraineté (Dorisme). L’Eau extériorisée représente la substance animique purifiée, en laquelle se réfractent les vertus d’en haut. Le Pendu est inactif et impuissant quant au corps, car son âme s’est dégagée pour envelopper l’organisme physique d’une atmosphère subtile, où se réfractent les radiations spirituelles les plus pures. L’Empereur est, au contraire, concentré sur lui-même; il s’est absorbé sur le centre de son individualité, en pratiquant la descente en soi-même des initiés. L’entrée en soi conduit à la réalisation du Grand OEuvre par la voie sèche du Dorisme (Feu), alors que la sortie de soi y achemine par la voie humide du Ionisme (Eau).

Le Pendu n’est plus, à proprement parler, un être terrestre, car la réalité matérielle lui échappe: il vit dans le rêve de son idéalité, soutenu par une mystérieuse potence, formée par deux arbres ébranchés que relie une traverse de bois mort. Cette traverse est jaune pour indiquer que sa substance est de la lumière condensée autrement dit : de la pensée fixée ou arrêtée en système. C’est la doctrine que le Pendu a fait sienne, à laquelle il adhère au point d’y être suspendu de toute sa personne. Il s’agit d’une conception religieuse très haute, trop sublime pour que le commun des mortels puisse y atteindre, idéal du reste trop élevé pour qu’il soit pratiquement réalisable. C’est la religion des âmes d’élite, tradition supérieure à l’enseignement des Églises et des confessions qui s’adaptent sur terre à la faiblesse humaine.

Le Pendu s’y est attaché, non en croyant instinctif ou aveugle, mais en sage qui a discerné la vanité des ambitions individuelles et compris la fécondité du sacrifice héroïque ; visant à l’oubli total de soi. A l’encontre du mysticisme vulgaire, cet oubli est poussé jusqu’à l’exclusion de tout souci de salut individuel, car le pur dévouement n’escompte aucun bénéfice sous forme de récompense. Ce n’est d’ailleurs pas la conquête du ciel qu’ambitionne le Pendu, dont la tête est dirigée vers la terre. C’est dire que ses préoccupations sont terrestres et qu’il se dévoue au bien d’autrui, à la rédemption des pauvres humains victimes de leur ignorance et de leurs passions égoïstes.

Les deux arbres entre lesquels se balance le Pendu correspondent aux colonnes Jakin et Bohas qui se dressent à la droite et à la gauche de tout initié. Ils figurent l’ensemble des aspirations sentimentales qui tendent à soustraire l’homme à la matérialité grossière. Leur écorce bleue qui tourne graduellement au vert, indique au départ une contemplation sereine, une piété fidèle aux usages cultuels, puis une vitalisation progressive, visant à dégager de la pratique du culte le côté moral et réellement vivant de la religion. La sève ardente, qui a fait croître les deux arbres, colore en pourpre les douze cicatrices laissées par leurs branches coupées. Si la spiritualité agissante (pourpre) se manifeste ainsi en duodénaire, c’est qu’elle anime l’universalité du domaine religieux à la face du soleil qui parcourt les douze signes du zodiaque. La religion du Pendu n’a rien d’étroit; elle déborde les confessions particulières, pour viser au catholicisme intégral, tel qu’il se dégage du pur sentiment religieux, commun à toutes les époques et à tous les peuples.

Le rouge et le blanc alternent dans la tunique du Pendu, comme le rouge et le vert dans le vêtement de l’Amoureux (arc. VI). L’activité du rouge semble en contradiction avec la passivité du personnage qui cependant ne saurait être passif à tous les égards, car il lui faut être actif pour repousser les influences nuisibles et rechercher les bonnes. Quant au blanc, il se rapporte à la pureté d’âme et d’imagination indispensable à la conception d’idées justes et à la culture de sentiments généreux. Sur les basques du vêtement deux croissants, l’un rouge et l’autre blanc, sont en opposition. Ils rappellent les croissants analogues qui protègent les épaules du Triomphateur (arc. VII). Ici, cependant, ils commandent, non aux bras, mais aux jambes, c’est-à-dire aux membres en quelque sorte aériens du Pendu. Celui-ci, en effet, ne marche pas, puisqu’il est accroché par la cheville gauche et qu’il bat l’air de la jambe droite. Dans ces conditions, la lune rouge décroissante de gauche se rapporte au sentiment d’humilité du mystique, dont l’abnégation est active, et le croissant blanc de droite aux facultés intuitives qui ont mission de recueillir, sans les déformer, les impressions imaginatives, puis de les interpréter correctement.

Des boutons de la tunique, deux sont rouges et quatre blancs. Ce détail n’est pas insignifiant, puisque 2 renvoie à la Papesse, donc à la foi qui est activé chez le mystique, alors que l’indique l’Empereur, le maître de la volonté, laquelle doit être pure et désintéressée en initiation féminine ou ionienne, puisque l’adepte renonce à vouloir par lui-même et surtout pour lui-même : il ne veut que ce qui est voulu par le pouvoir mystérieux dont il se fait le serviteur. Où le Mage prétend commander, le Mystique n’aspire qu’à obéir.

Son abandon confiant se traduit en insouciance sereine, d’où le visage calme et souriant du Pendu, étrange supplicié, dont les bras liés soutiennent des sacs d’où s’échappent des monnaies d’or et d’argent. Ce sont les trésors spirituels accumulés par l’adepte qui s’est enrichi intellectuellement. Ne tenant à rien, il sème généreusement l’or des idées justes qu’il a pu se faire et des connaissances précieuses qu’il s’est efforcé d’acquérir (Or, Esprit, Raison). Il n’est pas moins prodigue de son affection, de ses bons sentiments et de ses désirs bénéfiques symbolisés par les pièces d’argent qui s’éparpillent à sa gauche ( Argent, Ame, Sensibilité).

Le héros mythologique le mieux en concordance avec l’arcane XII semble être Persée, car le fils de Jupiter, l’animateur céleste, et de Danaé, l’âme emprisonnée dans la tour d’airain corporelle, est une personnification de la pensée agissante qui se transporte au loin, invisible, pour vaincre le mensonge et la calomnie. Méduse, dont Persée tranche la tête, c’est l’erreur et la malveillance paralysant l’esprit, d’où le pouvoir pétrifiant attribué au regard de la terrible Gorgone. Son vainqueur, a dû emprunter le bouclier-miroir de sa soeur Minerve, le casque d’invisibilité de Pluton, oeuvre de Vulcain, et les sandales ailées de Mercure. Ainsi armé, il a pu se transporter au loin pour exercer invisiblement une action d’ordre occulte ou télépathique. Après avoir triomphé de la sottise perfide et terrorisante, il délivre Andromède, l’âme enchaînée au rocher de la matière, noir récif émergeant de l’écume des flots agités du redoutable océan de la vie élémentaire.

Le personnage qui accomplit tous ces hauts faits ne semble guère correspondre au Pendu immobilisé; mais il ne faut pas se méprendre sur l’inactivité apparente du supplicié de l’arcane XII. S’il est corporellement impuissant, il n’en dispose que d’un plus grand pouvoir occulte ou spirituel. N’agissant pas musculairement, il exerce une irrésistible influence psychique, grâce à l’énergie subtile qui émane de lui : sa pensée, ses aspirations et ses sentiments se font sentir au loin, à la manière des interventions de Persée.

Interprétations divinatoires

L’âme dégagée enveloppant le corps. Mysticité. Sacerdoce. L’homme entrant en rapport avec Dieu. Collaboration au Grand OEuvre de la transmutation universelle du mal au bien. L’individu se dégageant de l’égoïsme instinctif pour s’élever jusqu’au divin. Sacrifice rédempteur. Activité de l’âme. Intervention à distance. Télépathie.

Perfection morale. Abnégation. Oubli total de soi-même. Dévouement. Désintéressement absolu. Sacrifice volontaire au bénéfice d’une cause élevée. Patriotisme.

Prêtre, prophète, illuminé. Utopiste, rêveur perdu dans les nuages et dépourvu de sens pratique. Enthousiaste nourri d’illusion. Artiste concevant le Beau, mais incapable de le traduire en oeuvres. Projets irréalisables. Voeux généreux mais stériles. Amour non partagé.

LA MORT

Les compositions du Tarot portent leur désignation tracée en toutes lettres : Bateleur, Papesse, Impératrice, etc. Seul l’arcane XIII reste intentionnellement muet, comme s’il. avait répugné aux imagiers du Moyen Âge de nommer le squelette faucheur dont la moisson se compose de têtes humaines. Auraient-ils donc refusé de ne voir que la Mort en l’universel destructeur des formes périssables? Considérant la Vie comme seule existante, il semble qu’ils n’aient cru ni à la Mort ni au Néant. Ce qui est change d’aspect, mais ne se détruit jamais tout persiste en se modifiant indéfiniment sous l’action du grand transformateur auquel les êtres individuels doivent leur origine. En dissolvant les formes usées devenues incapables de répondre à leur destination, cet agent intervient comme rajeunisseur puisqu’il libère les énergies destinées à entrer en de nouvelles combinaisons vitales. Nous devons notre existence éphémère à ce que nous appelons la Mort. Elle nous permit de naître et ne peut nous conduire qu’à une renaissance.

Il y a correspondance exacte dans le Tarot entre les premiers termes du 2ème ternaire et du 5ème, représentés par les arcanes IV et XIII. Or IV (Empereur) figure le Soufre des Alchimistes,

c’est-à-dire le feu intérieur, principe actif de la vie individuelle. Ce feu brûle aux dépens de réserves qui s’épuisent, d’où le ralentissement graduel de son ardeur et son extinction finale dans ce que nous appelons la Mort (arc. XIII), qui, en réalité, n’éteint rien, mais libère les énergies accablées sous le poids d’une matière de plus en plus inerte. Loin de tuer, la Mort revivifie en dissociant ce qui ne peut plus vivre. Sans son intervention, tout s’alanguirait, si bien que la vie ne se distinguerait plus, finalement, de l’image que le vulgaire se fait de la mort. C’est donc à juste titre que l’arcane XIII se rapporte au générateur actif de la vie universelle, vie permanente, dont la Tempérance (arc. XIV) symbolise le dynamisme circulatoire, alors que le Diable (arc. XV) en manifeste l’accumulation statique.

Le profane doit mourir pour renaître à la vie supérieure que confère l’Initiation. S’il ne meurt pas à son état d’imperfection, il s’interdit tout progrès initiatique. Savoir mourir est donc le grand secret de l’Initié, car, en mourant, il se dégage de ce qui est inférieur, pour s’élever en se sublimant. Le vrai sage s’efforce donc de mourir constamment afin de mieux vivre. Cela n’implique de sa part aucune pratique d’ascétisme stérile; mais s’il veut conquérir son autonomie intellectuelle, ne doit-il pas rompre avec les préjugés qui lui sont chers et mourir ainsi à son habituelle façon de penser? Pour naître à la liberté de la pensée, il faut s’affranchir en mourant à tout ce qui s’oppose à la stricte impartialité du jugement. Cette mort volontaire est exigée du Franc-Maçon, afin qu’il puisse se dire né libre en frappant à la porte du Temple. Le symbolisme reste malheureusement lettre morte, le récipiendaire n’ayant, le plus souvent, aucune idée de ce que signifie son passage par le caveau funèbre, dit Cabinet de réflexion.

En alchimie, le sujet destiné à fournir la matière de la pierre philosophale, autrement dit, le profane admis à l’initiation, est, lui aussi, condamné à mort. Emprisonné dans un récipient hermétiquement clos, donc isolé de toute influence vivifiante extérieure, le sujet meurt et se putréfie. C’est alors qu’apparaît la couleur noire, symbolisée par le corbeau de Saturne, qui est d’un bon augure au début des opérations du Grand OEuvre.

« Si tu ne vois pas en premier lieu cette noirceur, avant toute autre couleur déterminée, sache que tu as failli en l’oeuvre et qu’il te faut recommencer !  » D’accord avec tous les philosophes hermétiques, Nicolas Flamel engage ainsi le futur adepte à se retirer du monde et à mourir à ses frivolités, pour entrer dans la voie des transmutations progressives de soi-même qui conduisent à la véritable initiation.

Celle-ci comporte, en réalité, deux morts successives. La première implique une incubation analogue à celle que subit le poulet dans l’oeuf dont il finit par briser la coquille. Le myste doit se replier sur lui-même dans les ténèbres de l’OEuf philosophique, en vue de conquérir la lumière et la liberté. Il faut mourir dans une prison obscure pour renaître à une vie d’indépendance et de clarté.

La nouvelle vie conquise n’est pas une existence de repos triomphal : elle impose des travaux incessants, mais féconds et glorieux, dont la récompense est la seconde mort. Non content de se dégager de ses enveloppes les plus grossières, l’adepte meurt cette fois plus profondément qu’au début de son initiation, car il meurt à lui-même, à sa propre personnalité, à son égoïsme radical. Son renoncement n’est cependant pas celui de l’ascète, devenu indifférent à son propre sort et à celui d’autrui. Comment l’adepte deux fois mort dédaignerait-il les humains, alors qu’il ne ressuscite qu’afin de ne plus vivre que pour eux ? S’il s’est uni au Grand Être qui se particularise en nous, c’est pour partager son amour infini. Ce qui distingue le sage idéal, c’est qu’il sait aimer avec ferveur, jusqu’à l’oubli total de soi-même. Celui qui parvient à ce désintéressement généreux dispose d’une immense puissance et possède la pierre philosophale, mais une double mort initiatique a seule pu le conduire à l’apothéose.

Contrairement à l’usage courant, le Faucheur du Tarot fauche à gauche. Grâce à cette anomalie, le squelette et la faux dessinent un Mem hébraïque :

(Note de L.A.T. :  Dans certaines éditions du « Tarot des Imagiers », le caractère hébraïque proposé dans le texte pour signifier le Mem est, erronément, un Tet. Le Mem présenté ci-dessus est par contre bien conforme au propos  d’Oswald Wirth : pour démonstration, la lame XIII de la première version de son Tarot, datée de 1889, laisse voir le Mem « correct »; dans la version de 1927, utilisée dans cet article, – voir lame XIII ci-dessus – le Mem est visible dans le coin supérieur droit de la lame)

Lame XIII du Tarot de Wirth
Version 1889
Ajout L.A.T.

Le manche de la faux est rouge, car la Mort dispose du feu qui dévore les forces desséchées, paille en laquelle la sève vitale ne circule plus. Il est à remarquer que les os du squelette ne sont pas blancs, mais rose chair, teinte caractéristique de ce qui est humain, sensible et compatissant. La Fatalité dissolvante n’aurait-elle donc pas toute la cruauté qu’on lui prête? La faux, qui restitue les corps au sol avide de se les assimiler, semble épargner têtes, mains et pieds. Les têtes conservent leur expression, comme si elles restaient vivantes. Celle de droite porte une couronne royale, symbole de la royauté de l’intelligence et du vouloir que nul n’abdique en mourant. Les traits du visage de gauche n’ont rien perdu de leur charme féminin, car les affections ne meurent pas et l’âme aime au-delà du tombeau. Les mains qui surgissent de terre, prêtes à l’action, annoncent que l’OEuvre ne saurait être interrompu, et les pieds qui apparaissent au milieu des pousses vertes s’offrent pour faire avancer les idées en marche. La disparition des individus ne porte pas préjudice à la tâche qu’ils accomplissaient : rien ne cesse, tout se poursuit !

Shiva reprend à Vishnou la vie donnée par Brahma, non pour la détruire, mais en vue de la rajeunir. De même que Saturne émonde l’arbre de vie afin d’intensifier la vigueur de sa sève, un génie rénovateur taille l’humanité dans l’intérêt de sa persistance et de sa fécondité. L’initié reconnaît dans le grimaçant Faucheur l’indispensable agent du Progrès ; aussi n’éprouve-t-il aucune crainte à son approche. Pour vivre initiatiquement, consentons à mourir. La Mort est la suprême Libératrice. Le sage s’achemine vers la tombe sans regretter le passé; il accepte la sereine vieillesse, heureux de bénéficier du relâchement des liens qui retiennent l’esprit prisonnier dans la matière. L’apaisement des passions donne à l’intellect une plus complète liberté, pouvant se traduire en lucidité géniale et même en clairvoyance prophétique. Les privilèges de la Maîtrise sont d’ailleurs réservés au vieillard qui a su rester jeune par le coeur, car le pouvoir du Maître se fonde sur la sympathie. Il n’a plus d’autre force que celle de l’affection; mais il sait aimer avec abnégation. En vibrant de toute l’énergie de son âme, il dispose de la Force forte de toute force et détient la vraie pierre philosophale, capable d’accomplir les miracles de la Chose Unique. Heureux qui ne subit plus aucune attraction inférieure, mais n’en brûle pas moins d’une intense ardeur généreuse! Il est mort pour entrer dans une vie plus haute et plus belle. S’il est chrétien la résurrection pascale s’est accomplie en lui; s’il est Franc-Maçon, il peut se dire Fils de la Putréfaction en toute vérité, après s’être décomposé dans le tombeau d’Hiram pour y laisser tout ce qui entravait son essor spirituel.
Rien dans le ciel ne se rapporte à la Mort. Le Dragon du Pôle y figure cependant comme ennemi de la vie, ou tout au moins des formes transitoirement animées. C’est l’insatiable absorbeur de ce qui a vécu; en lui se dissout ce qui doit retourner au chaos, avant de pouvoir reprendre un nouvel aspect. Hercule (Arc. IV) rencontra ce monstre au jardin des Hespérides où il défendait les pommes d’or. Mais le terrifiant reptile n’écarte que les profanes, indignes d’approcher le trésor initiatique : il recule devant l’initié mort et ressuscité.

Interprétations divinatoires

Le Principe transformateur qui renouvelle toutes choses. L’inéluctable nécessité. La marche fatale de l’évolution. Le mouvement éternel qui s’oppose à tout arrêt, à toute fixation définitive, donc à ce qui serait réellement mort. L’esprit de Progrès (Saint-Esprit des gnostiques). Le Paraclet consolateur, qui affranchit l’esprit du joug de la matière. Libération. Spiritualisation. Dématérialisation. Shiva.

Désillusion. Pénétration intellectuelle. Perception de la réalité dépouillée de tout décor sensible. Lucidité absolue de jugement. Initiation intégrale. Mort initiatique. Détachement. Ascétisme. Inflexibilité. Incorruptibilité. Pouvoir transmutatoire capable de régénérer un milieu corrompu. Maîtrise.

Fin nécessaire. Fatalité. Échec dont la victime n’est pas responsable. Transformation radicale. Renouvellement. Héritage. Influence des morts. Atavisme. Nécromancie. Spiritisme.

Mélancolie, deuils, tristesse, vieillesse, décrépitude, décomposition, corruption, dissolution.

LA TEMPERANCE

Si l’initiation enseigne à mourir, ce n’est pas pour préconiser l’anéantissement. Ce qui, de toute certitude, n’existe pas, c’est le Néant ! Y aspirer correspond à l’idéal le plus faux qui puisse se concevoir, car rien ne se détruit, tout se transforme. Loin de supprimer la vie, la mort pourvoit à son perpétuel rajeunissement. Elle dissout le contenant, afin de libérer le contenu que l’on peut se représenter comme un liquide incessamment transvasé d’un récipient périssable en un autre, sans que jamais il s’en perde une goutte.

La XIVème clef du Tarot nous montre ce fluide vital versé d’une urne d’argent dans une urne d’or par la Tempérance, qui devient l’ange de la Vie universelle.

Les amphores de métal précieux ne correspondent pas à de grossières enveloppes corporelles ; elles font allusion à la double atmosphère psychique dont l’organisme matériel n’est que le lest terrestre. De ces ambiances concentriques, l’une, la plus proche, est solaire et agissante (Or, conscience, raison) ; elle dirige l’individu d’une manière immédiate et entretient son énergie volontaire. L’autre s’étend au-delà de la première ; elle est lunaire et sensitive (Argent). Son domaine est plus mystérieux ; c’est celui de la sentimentalité, des impressions vagues, de l’imagination et de l’inconscient d’ordre supérieur. Cette sphère éthérée capte les vibrations de la vie commune aux individus d’une même espèce, vie permanente qui est le réservoir où nous puisons la vitalité que nous individualisons. Ce qui s’est concentré dans l’urne d’argent s’écoule dans l’urne d’or, où la condensation se complète en vue de l’entretien de la vie physique.

Le mystère des deux urnes domine toute la thaumaturgie thérapeutique, dont les miracles s’accomplissent à l’aide du fluide universel. Les débutants en l’art de guérir disposent, le plus souvent, d’une urne d’or débordante. Ils transmettent alors à autrui leur fluide personnel et pratiquent le magnétisme curatif en commandant aux courants vitaux. Si l’urne d’argent ne leur est pas révélée, ils restent apprentis-guérisseurs, incapables d’action continue et plus largement efficace. Le vrai miracle, qui est à la portée de toute âme pure foncièrement généreuse, dépend de l’extension de notre sphère sentimentale.

Compatissons de tout notre être aux souffrances d’autrui, puis extériorisons notre affection, afin de nous constituer une ambiance d’amour aussi vaste que possible. Nous bénéficierons ainsi d’un milieu réfringent animique, propre à recueillir les ondes vibratoires les plus éthérées par le moyen desquelles se pratique la vraie médecine des Saints et des Sage.

Le Génie de la Tempérance est androgyne ou plus exactement gynandre ; le Diable (XV) est, lui aussi, bisexué, alors que la Mort (XIII) est sans sexe. S’il en est ainsi, c’est que l’ensemble du 5ème ternaire du Tarot (XIII, XIV et XV) se rapporte à la vie collective non individualisée, au fluide universel insexué, bien que susceptible de polarisations sexuelles.

Comme l’Impératrice (III), la Justice (VIII) et l’Ange du Jugement (XX), la Tempérance est blonde ; elle se rapproche, en outre, de ces trois personnages par la couleur de ses vêtements : robe de dessous rouge, manteau bleu avec doublure verte. Le rouge dénote l’activité spirituelle intérieure, le bleu la sérénité animique et le vert les tendances à la vitalisation.

Le Génie de la Tempérance est ailé comme l’Impératrice (III), car il est analogue à la Reine du Ciel; mais il ne se confine pas comme elle dans les hauteurs d’un inaccessible idéal et préfère s’abaisser jusqu’aux vivants, qui lui doivent de vivre physiquement et spirituellement. Il se borne cependant à entretenir la vie sans la faire naître, comme le Bateleur (I), ni à l’intensifier à la façon de l’Empereur (IV). L’échanson angélique du liquide vital ranime la fleur prête à se faner ; il l’arrose ou condense sur elle la rosée matinale, afin de lui permettre de résister aux ardeurs du jour. Dans le quaternaire des vertus cardinales, la Force déploie une activité dévorante, qui consumerait l’humidité vitale (Humide radical des hermétistes) sans l’intervention rafraîchissante de la Tempérance. Celle-ci restitue une sève nouvelle au végétal accablé par la chaleur mûrissante du Lion auquel s’oppose, dans le zodiaque, le Verseau, c’est-à-dire l’Ange de saint Matthieu ou l’Homme, associé au Taureau, au Lion et à l’Aigle dans la vision d’Ézéchiel.

Le Génie de la Tempérance

Le Verseau remplit le rôle d’Indra, le dieu des pluies fertilisantes, qui, dans le panthéon chaldéen, correspond à Ea, le maître de l’Océan surcéleste où se diffuse la Sagesse suprême. Celle-ci se répartit aux humains par le véhicule de l’eau qui tombe des hauteurs. De là le caractère sacré de l’eau lustrale et son rôle dans les purifications initiatiques. Les chrétiens se sont inspirés des antiques mystères lorsqu’ils astreignaient le catéchumène à se plonger dans l’onde baptismale, afin d’en sortir lavé de toute souillure morale et régénéré, c’est-à-dire né à la vie chrétienne, après être mort par submersion à l’existence païenne.

Le dieu Ea

En alchimie, le sujet noirci à souhait, donc mort et putréfié, est soumis à l’ablution. Cette opération utilise les pluies successives provenant de la condensation des vapeurs qui se dégagent du cadavre sous l’action d’un feu extérieur modéré, alternativement activé puis ralenti. De ces pluies réitérées résulte le lavage progressif de la matière qui du noir passe au gris et finalement au blanc. Or la blancheur marque la réussite de la première partie du Grand OEuvre. L’adepte n’y parvient qu’en purifiant son âme de tout ce qui la trouble communément. Si, après renoncement effectif à soi-même, il s’affranchit de tout désir équivoque, il peut approcher d’un idéal de candeur d’intentions qui rend possible l’action miraculeuse.

L’art de guérir à l’aide de forces mystérieuses se fonde essentiellement sur la pureté d’âme du guérisseur. Que celui-ci se sanctifie par son abnégation et son dévouement à autrui et il opérera tout naturellement de vrais miracles ; mais il doit, à cet effet, se détacher de lui-même jusqu’à l’indifférence et subir l’épreuve du froid qui éteint dans le coeur de l’homme toute passion mesquine.

Il est permis de reconnaître l’Archange Raphaël dans le Génie de la Tempérance, qui est marqué au front du signe solaire, déjà remarqué sur le mortier de la Justice (VIII) et sous le signe duquel se présentera l’Ange du Jugement (XX). Cet idéogramme est toujours un indice de discernement, soit qu’il s’applique à la raison coordinatrice des énergies constructives (VIII), à la répartition lucide des forces vitales (XIV) ou à l’action éclairée de l’Esprit régénérateur qui souffle où il veut (XX).

N’oublions pas que l’arcane XIV synthétise le 2ème septenaire du Tarot, dont il occupe le centre. Or puisque les trois septenaires, chacun dans son ensemble, se rapportent à l’Esprit, à l’Ame et au Corps, le second est animique ; son terme synthétique (XIV) fait donc allusion aux mystères de l’Ame universelle, mystères qu’il faut pénétrer pour pratiquer la haute médecine des initiés.

Lorsque les arcanes du Tarot sont alignés sur deux rangs, l’Ermite (IX), qui personnifie la Prudence, devient le compagnon de file de la Tempérance (XIV). Celle-ci transporte dans le passif ce que le philosophe solitaire manifeste dans l’actif Homme d’expérience et d’étude, notre sage se tient à l’écart des suggestions que subit la foule ; il cherche la vérité sans hâte, en limitant le domaine de ses explorations, soucieux de se maintenir dans le champ étroit du savoir humain. Sa réserve se traduit pour la Tempérance en modération, vertu négative, qui répugne aux extravagances et aux exagérations. Il s’agit d’ailleurs de vie pratique plutôt que de spéculation abstraite. L’adepte qui s’est baigné dans le fluide que transvase l’Ange solaire n’est plus agité par la fièvre qui secoue le commun des hommes. Mort aux ambitions mesquines, aux passions égoïstes, indifférent aux misères qui le menacent, il vit calme dans la belle sérénité d’une douce sagesse, indulgente aux faiblesses d’autrui.

Interprétations divinatoires

La Vie universelle; son mouvement incessant, sa circulation à travers les êtres. Le fluide animateur qui restitue les forces dépensées. L’agent réparateur et reconstituant de ce qui s’use et décline. L’énergie médiatrice de la Nature. Thaumaturgie curative fondée sur la captation et le gouvernement des courants vitaux. Transfusion de force vitale, magnétisme curatif, médecine occulte ou mystique. Transmutations d’ordre vital. Alchimie psychique. Régénération. Mystères de l’eau et du froid. Miracles. Fontaine de Jouvence.

Insouciance philosophique, sérénité d’esprit qui élève au-dessus des misères humaines. Indifférence aux mesquineries de la vie. Égalité d’humeur, calme apaisant, santé, bonne circulation, régularité des échanges, conditions favorables à la prolongation de la vie, désintéressement, impassibilité, résignation.

Facilités d’adaptation, souplesse, docilité. Sensibilité aux influences extérieures. Impressionnabilité réceptive. Froideur, apathie, mobilité, nature instable et changeante. Repos, vacances, alternances, changement, laisser-aller, abandon, écoulement, manque de retenue. Passivité, paresse, imprévoyance, dépenses inconsidérées, prodigalité.

LE DIABLE

Envisagée dans son essence commune à tous les êtres, la vie universelle circule sans arrêt, toujours identique à elle-même, en s’écoulant avec indifférence d’un récipient dans l’autre. Si rien ne venait troubler la régularité de cet écoulement paisible, la vie serait restée conforme à l’idéal paradisiaque; mais le Serpent intervint, et, sous son inspiration, chaque être voulut accaparer le bien commun pour condenser la vie autour de lui à son bénéfice individuel. Il y eut ainsi révolte contre l’ordre universel des choses. Des tourbillons particuliers prirent naissance au sein de la circulation générale troublée par l’égoïsme radical que personnifie le Diable. Cet adversaire (Satan en hébreu) est le Prince du Monde matériel, qui, sans lui, ne saurait exister, car il est à la base de toute différentiation particularisante. C’est lui qui pousse l’atome à se constituer aux dépens de la substance uniformément éthérée. Il est le différentiateur, l’ennemi de l’unité ; il oppose les mondes au Monde et tous les êtres les uns aux autres. Les ayant incités à vouloir être semblables à Dieu, il leur suggère l’instinct de ramener tout à eux, comme s’ils étaient le centre autour duquel tout doit graviter.

Le Diable nous apparaît dans le Tarot sous l’aspect du Baphomet des Templiers, bouc par la tête et les jambes, femme par les seins et les bras. Cette idole monstrueuse dérive du Bouc de Mendès et du Grand Pan androgyne des Gnostiques. Comme le Sphinx grec, elle réunit en elle les quatre Éléments dont le Diable est le principe animique. Ses jambes noires correspondent à la Terre et aux esprits des profondeurs obscures que représentent les Gnomes du Moyen Âge et les Anounnaki redoutés des Chaldéens. Les Ondins, animateurs de l’Eau, sont rappelés par les écailles vertes qui couvrent les flancs du monstre dont les ailes bleues se rapportent aux Sylphes, puissances de l’Air. Quant à la tête rouge, elle figure la fournaise où se complaisent les Salamandres, génies du Feu.

Les occultistes sont persuadés de l’existence des Esprits élémentaires. La magie enseigne à les subjuguer, sans dissimuler les dangers des relations qui peuvent s’établir entre eux et l’homme. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils se montrent serviteurs exigeants à l’égard de celui qui les dompte, tout en réduisant à la pire servitude le prétendu Mage ambitieux de les soumettre au pouvoir de ses conjurations fallacieuses.

Soucieux de se gouverner modestement lui-même en réprimant ses penchants inférieurs, le sage abandonne la domination de l’invisible aux sorciers et aux faux adeptes, occultistes prétentieux qui s’affublent de titres dénonciateurs de leur puérile vanité. Ne commandons qu’à notre corps et ne pactisons avec aucune diablerie prometteuse de petits profits. Laissons les Gnomes garder jalousement les trésors enfouis et rapportons-nous à la géologie pour découvrir les gisements métalliques. Ne nous fions pas aux Salamandres pour surveiller notre cuisine, ni aux Ondins pour arroser notre jardin, et, si nous attendons un vent propice pour nous embarquer, ne nous évertuons pas trop à siffler les Sylphes, selon l’usage des marins de jadis.

Le désintéressement est de rigueur en thaumaturgie, car si la Nature se laisse deviner, c’est de préférence par les âmes simples, qui entrent en communion avec elle candidement et sans malice. Elle aime à faire bénéficier de ses secrets les « pauvres d’esprit » totalement incapables d’imaginer une théorie savante fondée sur les résultats qu’ils obtiennent. Loin de s’attribuer un pouvoir personnel, ces modestes thaumaturges se considèrent comme de très humbles instruments au service de puissances supérieures. Ils exercent un sacerdoce et se distinguent par leurs sentiments de piété charitable. Qu’ils arborent les plumes multicolores du prêtre médecin peau-rouge ou l’accoutrement du féticheur africain, s’ils sont honnêtes et sincères, ces enfants de la Nature, qui n’ont été instruits que par elle, sont les respectables confrères du digne adepte qui refuse de se solidariser avec les mages charlatans.

L’adepte sérieux n’ignore pas que le Diable est le grand agent magique, grâce auquel les miracles s’effectuent, à moins qu’ils ne soient d’ordre purement spirituel ; car tant que l’esprit pur agit directement sur l’esprit, le Diable n’a pas à intervenir. Mais dès que le corps est en cause, rien ne peut se faire sans le Diable. Nous lui devons notre existence matérielle, car si le désir d’être et l’instinct de conservation, qui proviennent de lui, ne nous avaient pas dominés lors de notre naissance, nous n’aurions pu nous accrocher à la vie avec l’égoïsme exclusif, caractéristique de la première enfance.

Le Diable nous possède bel et bien quand nous venons au monde, et il faut qu’il en soit ainsi. Mais cette possession n’est pas définitive, car nous sommes destinés à nous affranchir progressivement de la tyrannie de nos instincts innés. Tant que nous sommes liés à notre organisme animal, il nous est impossible cependant de faire abstraction de l’esprit qui régit notre corps. Tout comme le cavalier soigne sa monture, nous devons tenir compte de la bête, qui, sous nous, réclame ses droits. Le Diable n’est pas aussi noir qu’on le dépeint, il est notre inéluctable associé dans la vie de ce bas monde. Sachons donc le traiter équitablement, non en ennemi systématique et irréconciliable, mais en inférieur, dont les services sont précieux.

N’oublions pas que c’est le Diable qui nous fait vivre matériellement. Il nous arme pour les besoins de cette vie de lutte perpétuelle, d’où les impulsivités qui ne sont pas mauvaises en elles-mêmes, mais entre lesquelles l’harmonie doit être maintenue, si nous ne voulons pas tomber sous le joug des péchés capitaux qui se partagent ce que l’on peut appeler les départements ministériels du gouvernement infernal. Modérons-nous en toutes choses, et nous nous opposerons aux discordances qui, seules, deviennent diaboliques. Retenons notre orgueil, afin qu’il se traduise en dignité, en cette noble fierté qui inspire l’horreur de tout avilissement. Domptons notre colère, pour la transmuer en courage et en énergie agissante. Ne nous abandonnons pas à la paresse, mais accordons-nous le repos nécessaire à la réparation des forces dépensées. Ne craignons même pas de nous reposer préventivement, en vue d’un effort à fournir. Les artistes et les poètes peuvent être fructueusement paresseux. Évitons la gourmandise : il est dégradant de ne vivre que pour manger, mais pour vivre en bonne santé choisissons nos aliments et apprécions leurs qualités gustatives. Repoussons l’odieux démon de l’envie, qui nous fait souffrir du bien d’autrui, mais opposons-nous, dans l’intérêt général, aux accaparements illicites et aux abus des puissants. Ne tombons pas dans l’avarice, mais soyons prévoyants et pratiquons l’économie sans dédaigner l’honnête amour du gain, stimulant efficace du travail. Quant à la luxure, par laquelle s’exerce le plus puissamment la domination du Diable, il faut lui opposer le respect religieux de l’auguste mystère du rapprochement des sexes. Cessons de profaner ce qui est sacré.

Le Septenaire astrologique des Vices et des Vertus

Si l’exercice du pouvoir magique impose la chasteté, c’est que l’instinct génésique joue un rôle capital dans le jeu des influences occultes. Le mâle qui convoite la femelle s’exalte pour dégager une électricité physiologique propre à exercer son action dès que les conditions propices se rencontrent. La fille sûre d’elle-même, qui fait la coquette avec son amoureux, peut succomber au moment où elle s’y attend le moins. Elle est alors victime de l’envoûtement naturel auquel elle s’est prêtée en jouant avec une force perfide. Gagnée par une ivresse mystérieuse, elle a perdu momentanément la tête, et l’acte auquel elle était décidée à ne pas consentir s’est accompli. Les séducteurs pratiquent une magie élémentaire d’autant plus efficace qu’elle est instinctive. Ils ont le talent de faire intervenir le Diable sans grimoire et hors de toute invocation consciente. L’instinct suffit, comme dans quantité d’autres actes de la vie courante où des réactions similaires se produisent : les sorciers sont légion qui font de la sorcellerie comme M. Jourdain faisait de la prose !

Ayez une volonté ferme et vous agirez sur le Diable sans la moindre difficulté ; le pentagramme blanc dont se décore le front du Baphomet vous y convie. Tout est hiérarchisé dans la Nature, où les forces inconscientes se soumettent à la direction de ce qui leur est supérieur. Mais il est dangereux de s’attribuer une supériorité fictive pour exercer un commandement injustifié : le Malin ne s’y trompe pas et se charge de mystifier cruellement les présomptueux qui ont très bonne opinion d’eux-mêmes. Il exige, pour obéir, que le pentagramme soit d’une blancheur parfaite, en d’autres termes, que la volonté soit pure, non teintée d’égoïsme et que les ordres donnés soient légitimes. C’est qu’en dernière analyse le Diable est au service de Dieu et ne se laisse pas employer à tort et à travers. S’il provoque du trouble, ce n’est jamais à titre définitif : son désordre est dans l’ordre et ramène l’ordre, car le Diable est soumis à la loi universelle dont la Justice (VIII) assure l’application; or VIII domine XV quand les 22 arcanes sont disposés sur deux rangs.

Rien ne le fait mieux comprendre que le triple pentagramme qui est le schéma du personnage principal de l’arcane XV (3 x 5 = 15). L’énergie intelligente humaine, représentée par le petit pentagramme central blanc, n’est enfermée dans le pentagramme renversé noir, figurant la tête du bouc avec ses cornes, ses oreilles et sa barbe, que pour extérioriser par son action le grand pentagramme, symbole de la puissance magique bienfaisante, dont peut disposer l’homme qui sait dompter en lui la bête. L’étincelle divine qui est en nous doit vaincre l’instinct grossier et de cette victoire résulte une « gloire», c’est-à-dire une ambiance, une auréole (aura), instrument de notre puissance occulte.

La tension vibratoire de cette aura dépend de la véhémence du feu infernal qui brûle en nous (tête rouge du Baphomet, pentagramme noir du schéma). Sans ardeur diabolique, nous restons froids et impuissants : il nous faut avoir le diable au corps pour influencer autrui et agir ainsi hors de nous-mêmes.

Cette action s’exerce par les membres du grand fantôme fluidique et plus spécialement par ses bras, qui ne sont pas en vain tatoués des mots : COAGULA, SOLVE.

Le procédé magique consiste, en effet, à coaguler la lumière astrale, c’est-à-dire l’atmosphère phosphorescente qui enveloppe la planète grâce à l’action de son feu central. Les vivants grouillent au sein de cette clarté diffuse qui éclaire leur instinctivité. En empruntant le bras gauche du Baphomet, nous pouvons attirer à nous la vitalité ambiante vaporisée invisiblement et la condenser en brouillard plus ou moins opaque dans sa fluorescence. C’est la coagulation qui s’opère à la faveur du pôle génital, comme l’indique le symbole hindou de l’union des sexes, que le diable soulève de sa main gauche.

Le fluide coagulé charge l’opérateur à la manière d’une pile électrique ; mais aucun effet ne se produit tant qu’il n’y a pas décharge autrement dit solution. Ici intervient le bras droit porteur de la torche incendiaire du Baphomet, image des déflagrations véhémentes qui sont à redouter. Pour éviter l’explosion qui bouleverse, affole, ahurit et risque de déchaîner la démence, il convient de capter le courant que détermine l’écoulement graduel du fluide accumulé. Un habile magnétiseur utilise ce courant par une intelligente mise en pratique de la formule : Coagula, Solve.

Il utilise alternativement le diablotin rouge et la diablotine verte, qu’une corde relie à l’anneau d’or fixé à l’autel cubique sur lequel se dresse le Baphomet.

Le petit satyre et la jeune faunesse représentent les polarisations positive et négative du fluide universel neutre, ou plus exactement androgyne, comme l’indique le signe de l’hermaphrodisme qui caractérise la sexualité du grand Pan. Celui-ci se dédouble selon les sexes en un fils et une fille qui font tous les deux le signe de l’ésotérisme en repliant les deux derniers doigts de la main qu’ils étendent. Le diablotin de droite lève ainsi la main gauche, en effleurant la cuisse droite de Satan-Panthée pour lui soutirer du fluide positif, qu’il transmet à la diablotine de gauche par le lien qui les relie. Cette faunesse verte (couleur de Vénus) touche de la droite le sabot gauche paternel, afin de restituer le fluide reçu en excès. Ce contact établit le circuit de l’esclavage magique dont les agents sont, d’une part, l’orgueil et l’éréthisme mâle sous toutes ses formes et, de l’autre, la lascivité féminine.
Le piédestal de l’idole templière n’est pas, comme le trône de l’Empereur (Arc. IV), un cube parfait d’or pur. Son aplatissement rappelle le signe du Tartre des Alchimistes, substance qui mérite d’être mise en oeuvre, comme la pierre brute des Francs-Maçons, bien qu’elle ne soit qu’une crasse inconsistante. La couleur bleue indique une matière aérienne résultant de la tension de deux dynamismes similaires mais opposés, représentés par la base et le plateau du piédestal. La couleur rouge des trois gradins du bas et de leur exacte contrepartie du haut dénote une activité ignée, comme si la polarisation inférieure provoquée par le feu central faisait appel à une équivalente accumulation d’électricité atmosphérique. L’autel du sabbat est construit selon les lois occultes sur lesquelles nous aurions intérêt à être renseignés avec plus de précision.

Les cornes et les sabots fourchus du Bouc des sorciers sont dorés, car ce qui émane du Diable est précieux. De la Chèvre Amalthée, nourrice de Jupiter, provenait la fameuse corne d’abondance, qui procurait aux nymphes tout ce qu’elles désiraient. Celui qui posséderait une corne du Diable en tirerait de même ce qu’il voudrait. Quelles sont, d’autre part, les vertus du lait puisé aux mamelles de femme du Baphomet ? La tradition ne le dit pas ; mais la chèvre jupitérienne, qui, accompagnée de ses deux chevreaux, figure dans le ciel sur le dos du Cocher, est en exacte correspondance avec le ternaire de l’arcane XV. Le Cocher céleste tient le fouet et les rênes qui lui permettent de conduire l’animalité ; c’est Pan, le protecteur des êtres soumis à la vie instinctive.

La quinzième lettre de l’alphabet sémitique est le Samek, dont la forme est circulaire en calligraphie hébraïque usuelle. Certains ont cru y reconnaître l’Ouroboros, le Serpent Cosmogonique qui se mord la queue ; d’autres ont songé plutôt au tentateur, cause de la chute adamique. Ces rapprochements ne se justifieraient aucunement, si le Tarot était aussi vieux que les caractères alphabétiques. Le Samek primitif est, en effet, une triple croix, comme celle que tient le Pape dans l’arcane V. Si l’on voulait exploiter l’ironie du symbolisme, on pourrait suggérer que la crainte du Diable confère seule au gouvernement de l’Eglise le sceptre de son pouvoir exécutif. Concluons d’une manière générale que nul ne règne sur terre sans faire alliance avec le Prince de ce Monde.

Interprétations divinatoires

L’Ame du Monde, envisagée comme le réservoir de la vitalité de tous les êtres. La lumière astrale des occultistes. L’électricité vitale à l’état statique dans sa double polarisation active et passive. Forces occultes rattachées à l’animalité. Instinct, inconscient inférieur, subconscience, impulsivité.

Arts magiques, sorcellerie, envoûtement, fascination, pratique du magnétisme humain. Suggestion, influence exercée occultement. Action sur l’inconscient d’autrui. Domination des masses. Incantations, éloquence troublante. Excitation des appétits, des instincts grossiers et des passions viles. Démagogie, révolution, bouleversement.

Trouble, déséquilibre, désordre. Surexcitation, affolement. Rut, concupiscence, luxure, lubricité, hystérie. Intrigues, machinations, emploi de moyens illicites. Perversion. Abus, cupidité, immodération sous toutes ses formes.

LA MAISON-DIEU

La Tour de l’arcane XVI est le premier édifice qui se rencontre dans le Tarot, où des constructions analogues ne figurent plus que sous la Lune (XVIII). Or XVI, XVII et XVIII constituent le 6ème ternaire, qui correspond au corps de l’Adam terrestre, c’est-à-dire à l’organisme construit de l’individualité humaine ou à celui de l’humanité envisagée dans son ensemble. Nous avons en XVI, premier terme de ce ternaire, ce que l’on peut appeler l’esprit corporisant, et en XVIII, dernier terme de la même triade, le résultat de la corporisation effectuée. Comme rien ne se corporise sans qu’il y ait condensation tout d’abord éthérique ou fluidique, sous une influence restrictive et particularisante que l’on est convenu d’attribuer au Diable, celui-ci devient le père spirituel du moindre atome, non moins que du plus incommensurable système cosmique, car, à la racine de l’un comme de l’autre se conçoit un tourbillonnement éperdu autour d’un centre d’attraction nécessairement égoïste et accapareur. En petit, comme en grand, tout se concrétise à la faveur d’un obscur instinct d’individualisation qui se manifeste sous l’apparence d’une révolte contre l’ordre universel des choses, d’où la légende de Lucifer et celle de la chute originelle, qui sont à revoir, car Dieu n’est pas le vieil Apsou des Chaldéens, l’abîme sans fond, l’Infini endormi dans son infinité, dont il refuse de sortir pour créer. Nous avons renoncé à cette divinité fainéante, mais métaphysiquement conséquente avec elle-même, pour adorer la Cause créatrice qui procède par différenciation et ne prend pas ombrage de l’insubordination matérialisante, indispensable à la réalisation de son plan. N’introduisons pas dans l’Unité nécessaire un dualisme illogique. Tout reste Un et notre Dieu unique assume seul l’ultime responsabilité de ce qui est. Il nous interdit de blasphémer contre sa création, qui est bonne et parfaite en son idéal, dont la réalisation se poursuit : le Grand OEuvre est en cours d’exécution et ne saurait être jugé tant qu’il n’est pas achevé. La beauté d’un édifice ne se manifeste qu’après retrait des échafaudages qui ont permis de le construire. Nous ne pouvons admirer notre monde imparfait et lui rendre justice qu’en concevant la perfection à laquelle il tend.

Puisque tout se construit, demandons aux constructeurs les secrets de leur art. Ils nous conduiront auprès des deux colonnes dressées devant le Temple qu’ils édifient à la gloire du Grand Architecte de l’Univers. La première de ces colonnes, celle de droite, porte un nom hébreu dont l’initiale est un Jod et qui signifie : il établit, il fonde. Cette colonne est consacrée au feu intérieur qui anime les êtres pour les faire agir par eux-mêmes en prenant toutes les initiatives, à commencer par celle d’exister. C’est donc le pouvoir créateur individualisé, qui est représenté sous un aspect phallique dans les monuments que les anciens aimaient à ériger sur les hauteurs.

L’arcane XVI nous présente l’image d’une semblable tour dans la Maison-Dieu, désignation typique, car il s’agit moins d’un temple, demeure de Dieu, que d’un édifice divinisé, d’un corps identifié abusivement avec Dieu.

Cette identification est la conséquence de la chute originelle, qui obscurcit l’esprit descendu dans la matière en vue d’élaborer celle-ci. La déchéance est consécutive à l’incarnation, qui n’est pas forcément le résultat d’une faute primordiale. Le péché d’Adam est très relatif et n’existe que par rapport aux humains aveuglés, qui geignent de se voir condamnés au travail, sans comprendre qu’ils se divinisent en s’associant de leur plein gré à l’oeuvre éternelle de la création.

Mais leur aveuglement transitoire est conforme au programme divin. Dans l’intérêt du travail transmutatoire qui nous incombe, il nous faut oublier Dieu pour nous identifier avec la matière. Dieu nous l’ordonne quand nous nous incarnons ; il ne veut pas que nous soyons distraits de notre tâche initiale par la nostalgie du Ciel. L’enfant n’est au début qu’un pur animal. Il construit son organisme en ne se préoccupant que de lui-même, avec l’égoïsme inconscient le plus absolu. Son édifice corporel s’érige dans l’esprit qui animait les constructeurs de la Tour de Babel, bâtisse dont l’arcane XVI présente une image symboliquement correcte.

Les briques qui la composent sont dans l’ensemble de couleur chair, pour indiquer qu’il s’agit d’une construction vivante, douée de sensibilité. C’est bien, en grand, la société humaine, et, en petit, le corps individuel de chacun de nous, c’est-à-dire un composé de cellules nées les unes des autres pour s’agréger en organes, comme les pierres d’un édifice qui seraient capables de se former et de s’ajuster elles-mêmes en obéissant à de mystérieuses attractions. Ceux des matériaux de la Tour qui bordent les ouvertures sont d’un rouge vif, comme si l’activité devait dominer dans ce qui demande le plus de résistance et de solidité. Ces ouvertures sont au nombre de quatre : une porte et trois fenêtres, deux éclairant l’étage moyen de la demeure de l’esprit, et la troisième la chambre supérieure, le rez-de-chaussée se trouvant suffisamment éclairé par la porte qui reste ouverte.

Cette partie inférieure, accessible sans effort, correspond aux notions banales qui s’imposent à la constatation passive. Du premier étage, la vue est plus étendue et l’observation, par la fenêtre de gauche, y devient consciente : c’est la science qui se constitue par l’accumulation des fruits de l’expérience. Par la fenêtre de droite entre la lumière du raisonnement, qui coordonne les notions acquises et en tire une philosophie. Mais il est possible de monter plus haut pour atteindre le sanctuaire que n’éclaire plus qu’une seule fenêtre, celle de la foi ou de la spéculation abstraite, ambitieuse de synthèse.

Ce n’est pas tout. La Tour se termine en terrasse crénelée d’or, d’où se contemple le Ciel. Une double architrave composée de deux assises, d’abord de pierres vertes, puis de briques rouges, soutient le couronnement de la Maison-Dieu. Le vert vénusien fait allusion à la sentimentalité mystique et le rouge aux ardeurs généreuses qui conduisent à la vision béatifique et aux contemplations transcendantales.

Il y a danger à s’élever trop haut, nous en sommes avertis par le trait de foudre parti du Soleil qui décapite la Tour. Le Soleil est ici le symbole de la Raison qui gouverne les hommes et s’oppose à leurs extravagances. Quand nous poursuivons une entreprise chimérique, la catastrophe est fatale, provoquée par notre faute mais déterminée dans son accomplissement par l’action de la lumière qui éclaire les intelligences. Ce qui est déraisonnable se condamne soi-même à effondrement. Tant pis pour l’ambitieux qui se donne beaucoup de peine pour s’élever bien haut, sans se douter que les sommets attirent la foudre.

Les deux personnages de l’arcane XVI subissent le châtiment de leur présomption; ils sont précipités en même temps que des matériaux détachés de la Tour. Le premier est un roi, qui reste couronné dans sa chute; il figure l’esprit immortel pour qui fut bâtie la Maison-Dieu. La silhouette qu’il dessine en tombant rappelle l’Ayn, 16ème lettre de l’alphabet sacré; mais ici s’impose la remarque déjà faite à propos du Samek. L’Ayn primitif était un cercle, d’où dérive, par une série d’altérations révélées par l’épigraphie sémitique, le caractère actuel de l’hébreu carré.

Le Maître de la Tour porte un costume aux couleurs discordantes, auxquelles il est difficile d’assigner une signification. Le bleu y domine en signe d’idéalité; il s’y associe du rouge, attribuant l’activité au bras droit, et du vert, réservé à la région du coeur, sensible au charme féminin. Si enfin la jambe gauche est jaune, en opposition avec la droite, qui est bleue, cela peut indiquer une marche partagée entre la piété, la fidélité (bleu) et l’envie convoitant les biens matériels (jaune).

Le second personnage est vêtu de rouge, car il est l’Architecte de la Tour, le constructeur du corps qui meurt avec lui, aussi reçoit-il sur la nuque un choc mortel. Ce constructeur de l’organisme s’identifie avec son oeuvre qui est transitoire; mais s’il disparaît il n’en agit pas moins d’après une tradition durable, car chaque individu se construit, non à sa fantaisie, mais selon le plan permanent de l’espèce. Celle-ci persiste grâce à l’architecture vitale qui lui est propre. Lorsqu’un germe se développe, l’organisation progressive s’effectue en s’inspirant d’abord du type général du genre, puis des particularités de la race, du style ancestral et enfin du caractère individuel. Nous sommes ainsi corporellement construits par un agent démiurgique, l’architecte de notre tour charnelle, qui se met au service de notre royauté spirituelle.

Il reste à faire mention des sphères multicolores que l’explosion de la Maison-Dieu semble avoir projetées dans son ambiance, ce sont les énergies accumulées par la vie, condensations que le rouge désigne comme sulfureuses ou ignées, le vert comme vitalisées passivement dans l’ordre mercuriel et le jaune comme mortes à la façon de la paille, en tant que coques astrales salines.

Ces formes fantomatiques, dont la vie active s’est retirée, sont des ruines qui subsistent en tant que témoins du passé. Nous sommes assiégés par ces larves que nous pouvons animer, si nous nous y attachons à la façon des imprudents qui se laissent vampiriser astralement.

Malheur à l’occultiste vaniteux qui s’imagine être servi par d’invisibles entités ! Ses serviteurs équivoques vivent à ses dépens et le tiennent dans la mesure où il les tient lui-même. Il leur appartient au même titre qu’ils lui appartiennent. Il y a donc deux aliénations de sa part : il s’est aliéné au sens propre du mot, et s’expose en plus à perdre la raison, catastrophe dont le menace l’arcane XVI.

Le sens néfaste de la Maison-Dieu trouve sa correspondance céleste dans le Scorpion, constellation qui précipite la chute du Soleil vers les régions astrales et joue dans la mythologie le rôle d’un perfide empoisonneur. Cet animal venimeux n’en est pas moins le support d’Ophiucus, le Serpentaire, manieur du fluide guérisseur, puisqu’il soulève le serpent d’Esculape, qui refuse de ramper dans la boue terrestre, allusion au grand agent magique, c’est-à-dire au fluide vital sublimé par son dégagement de l’empire égoïste des vivants. Lorsque nous disposons en faveur d’autrui de notre dynamisme physiologique, nous pratiquons l’antique médecine sacrée. Nous élevons alors au-dessus du Scorpion de l’instinctivité le Serpent générateur de toute énergie animale.

Dans son ensemble, l’arcane XVI se rapporte au principe déterminatif de toute matérialisation et à la tendance qui porte à matérialiser. Ce penchant incline à épaissir les formes qui servent de véhicule à l’esprit. Ainsi naissent les dogmes autoritaires, croûtes opaques qui emprisonnent et défigurent la vérité vivante. De là aussi la rapacité humaine, source de tous les despotismes, qu’ils se manifestent en petit ou en grand, fût-ce sous le rapport de cette exploitation intensive de la terre et des forces humaines dont se targue notre époque. Comment ne pas comprendre que le dédain systématique de toute modération nous achemine vers un terrifiant cataclysme social ? Puisse notre orgueil s’humilier devant la Sagesse du Tarot !

La Maison-Dieu est remplacée dans certains Tarots par l’Enfer, figuré par un monstre au groin de porc, qui dévore les damnés que le Diable attire en battant le rappel.

Interprétations divinatoires

Matérialisation. Attrait condensateur. Égoïsme radical en action. Accaparement restrictif. Esprit emprisonné dans la matière. Construction vitale dont résulte tout l’organisme.

Orgueil, présomption, poursuite de chimères. Matérialisme qui s’attache aux apparences grossières, avidité d’acquérir, manie des richesses matérielles. Mégalomanie, extension abusive de ce que l’on possède. Ambitions et appétits insatiables. Conquêtes immodérées. Exploitation déraisonnable. Excès et abus poussant à la révolte et aux bouleversements. Dogmatisme étroit, source d’incrédulité.

Alchimie ignorante des souffleurs avides d’or vulgaire. Échec mérité de toute entreprise insensée. Punition résultant d’excès commis. Maladie, désorganisation, encrassement, durcissement, pétrification de ce qui était souple et vivant. Ruine des empires constitués et maintenus par la force brutale. Effondrement des Églises intolérantes qui se proclament infaillibles. Erreur du présomptueux qui entreprend au-dessus de ses forces et ne sait s’arrêter opportunément.

Lorsque cet arcane cesse d’être défavorable, il met en garde contre ce dont il menace. Crainte salutaire, réserve, timidité préservatrice de risques inconsidérés ; simplicité d’esprit détournant de sottises savantes, bon sens vulgaire, sagesse de Sancho Pança.

LES ETOILES

Dans notre soif d’existence et d’autonomie individuelles, nous nous sommes retranchés de la vie universelle du Grand Être dont nous continuons à faire partie. Nous vivons en lui, mais non de la vie qui lui est propre, puisque nous nous contentons de notre vie étroite, limitée au domaine de nos sensations. Ce que celles-ci nous révèlent est infime par rapport à l’insondable inconnu qui nous enveloppe. Nous sommes plongés dans une nuit profonde, mais lorsque nous dirigeons nos regards vers le ciel, nous voyons scintiller les Étoiles.

Ces lumières d’en haut nous encouragent et nous font sentir que nous ne sommes pas abandonnés, puisque les dieux, appelés primitivement les brillants, veillent sur nous. Ils nous dirigent, en vue de l’accomplissement de notre destinée, car nous avons une tâche dans notre vie limitée, nul ne s’incarnant sans que son programme, dans ses grandes lignes, ne soit tracé, sans qu’un objectif ne soit assigné au voyageur terrestre. Une mystérieuse feuille de route désigne les étapes essentielles de notre pérégrination, comme si le tribunal des Anounnakii avait statué sur notre compte en fixant notre destin.

Si nous exécutions fidèlement notre programme, la vie serait pour nous ce qu’elle doit être. Nous la compliquons par notre indocilité, qui nous vaut les duretés dont nous nous plaignons, car la vie n’est pas cruelle en son principe, mais son but n’est pas notre agrément : elle a sa tâche et nous demande d’accomplir la nôtre. C’est une déesse douce et belle, comme la jeune fille nue de l’arcane XVII, qui, agenouillée au bord d’un étang, y déverse le contenu d’une urne d’or, dont s’écoule un liquide brûlant, vivificateur de l’eau stagnante. A cette amphore tenue de la main droite en correspond une autre qu’incline la main gauche, pour épancher sur la terre aride une eau fraîche et fertilisante. Ce second récipient est d’argent ; de même que le premier, il est intarissable. L’arrosage constant entretient la végétation, plus particulièrement représentée par un rameau d’acacia et une rose épanouie.

Mimosa du désert, l’acacia résiste à la dessication ; sa verdure persistante manifeste une vie qui refuse de s’éteindre, d’où son caractère d’emblème d’espoir en l’immortalité. Dans la légende d’Hiram, cette plante fait découvrir le tombeau du Maître, détenteur de la tradition perdue. Elle correspond au rameau d’or des initiations antiques. Connaître l’acacia, c’est posséder les notions initiatiques conduisant à la découverte du secret de la Maîtrise. Pour s’assimiler ce secret, l’adepte doit faire revivre en lui la Sagesse morte. A cet effet, il doit imiter Isis, qui parcourut toute la terre à la recherche des débris du corps de son époux. Ces vestiges précieux sont recueillis par le penseur qui sait discerner la vérité cachée sous l’amas des superstitions que nous lègue le passé. Le cadavre spirituel d’un dieu qui jadis éclaira le monde subsiste, réparti entre les foules ignorantes, sous forme de croyances persistantes en dépit de leur opposition aux orthodoxies admises. Loin de dédaigner ces restes défigurés d’une sapience perdue, l’initié les rassemble pieusement, afin de reconstituer dans son ensemble le corps de la doctrine morte. Rétablie dans sa synthèse, cette doctrine devient revivifiable, comme Hiram ou Osiris. Mais, sans l’acacia révélateur, comment savoir où fouiller le sol ?

La discrète verdure, qui, en Orient, pare les tombes abandonnées, contraste avec la rose qui s’épanouit joyeuse dans nos jardins. Symbole de tout ce qui embellit la vie terrestre, cette fleur d’amour et de beauté se reflète dans l’étang, réservoir des fluides vitaux. Le papillon de Psyché s’est posé sur la corolle au suave parfum des sentiments délicats, qu’éclaire une intelligence affinée parvenue à se dégager de toute grossièreté. La rose de l’arcane XVII est celle des chevaliers de l’esprit, fleur qui sera posée sur la croix dont l’acacia fournit le bois. Alors la foi cessera d’être aveugle, la sentimentalité religieuse et la méditation philosophique s’harmoniseront à la satisfaction des âmes anxieuses de croire avec discernement.

La Rose et le Pélican

Mais l’aube de la compréhension réservée aux initiés ne dissipe pas encore les ténèbres de l’intellectualité humaine, bien que nous puissions voir pâlir les étoiles de notre ciel nocturne devant l’éclat de l’une d’elles, Lucifer, le Porte-Lumière, autrement dit Vénus en tant qu’étoile du matin.
Cet astre est la grande étoile de l’arcane XVII,

qui projette des feux verts entre ses huit rayons d’or. La couleur de Vénus s’allie ainsi à l’octoade d’Ishtar, la déesse par excellence des Chaldéens. Ceux-ci divinisaient les étoiles, si bien que dans leur écriture primitive l’idéogramme

se lit dieu. Ce signe fut maintenu par les Assyriens en tant que déterminatif des noms divins qu’il précède, mais l’étoile à huit rayons resta l’emblème sacré d’Ishtar, divinité populaire accapareuse de la plus fervente dévotion des mortels. Comment en eut-il été autrement, puisque les humains croyaient devoir la vie à la tendre et généreuse Ishtar ? Enchanteresse, elle inspire aux âmes le désir de prendre corps. Ses séductions nous induisent à nous incarner pour goûter les charmes de la vie terrestre, en acceptant d’affronter les épreuves qu’elle impose, car Ishtar exige de ses fidèles le courage de vivre; elle veut qu’ils abordent avec vaillance la lutte pour l’existence. Ses récompenses vont à ceux qui les méritent, aux énergiques, non aux indolents avides de jouir sans s’être donné de peine. Elle dispense d’ailleurs à chacun les joies qu’il est capable d’apprécier; au vulgaire, les jouissances animales passagères, aux êtres affinés les satisfactions durables les plus exquises et les plus élevées. L’élu d’Ishtar se divinise en s’élevant au-dessus de la matière pour aimer divinement !

Ishtar

Notons qu’Ishtar est double : guerrière le matin et langoureuse le soir. Matinale, elle réveille les dormeurs, secoue les esprits dans leur torpeur et incite à la révolte luciférienne contre la tyrannie des dogmes régnants. Au déclin du jour, l’astre d’Ishtar réapparaît dans la pourpre du couchant. Sa lumière est alors d’une douce blancheur apaisante. L’homme fatigué la contemple avec gratitude; il lui semble que la déesse le convie au repos mérité, aux effusions de tendresse et à la méditation sereine. N’est-elle point la révélatrice de la beauté des choses ? Les poètes ne voient plus en elle, à cette heure, l’amante fougueuse, terrifiante par la véhémence de sa passion, cette Ishtar dont le sage Guilgamès repousse les avances; non, la déesse est devenue Sidouri, la chaste gardienne d’un paradis fermé qui domine la mer d’Occident, dont la brise y caresse des arbres ne portant d’autres fruits que des pierres précieuses. La jeune fille de l’arcane XVII semble être, elle aussi, une incarnation de la grande divinité féminine qu’ont adorée nos lointains ancêtres. C’est la personnification de la vie terrestre dans ce qu’elle a de séducteur et d’attachant ; c’est la nature aimable, clémente et belle, mère éternellement jeune qui devient la tendre amante des vivants.

Cette vie terrestre, que nous aimons plus que tout malgré l’esclavage matériel qu’elle nous impose, nous laisse plongés dans une nuit qui serait complète sans les lumières du firmament. Les étoiles symbolisent l’obscure clarté dont bénéficient les humbles en leurs aspirations spirituelles. Les enfants de la nature se tournent vers l’idéal avec une piété spontanée, qui les réconforte en vue de l’accomplissement de leur tâche terrestre. Sanctifiant ce qui tient à la vie, ils divinisent celle-ci. Puissions-nous apprécier la saine beauté de leur conception religieuse, plus vraie dans sa simplicité que nos systèmes ambitieux, compliqués d’une inquiétante métaphysique.

Les étoiles de l’arcane XVII sont au nombre de huit, ce qui nous ramène à l’arcane VIII (la Justice), autrement dit à l’Intelligence coordinatrice des actions et réactions naturelles. Mais ici huit ramène à l’unité de la grande étoile un septenaire d’astres plus modeste, parmi lesquels quatre disposés en carré sont jaunes et les trois autres bleus. L’ensemble se rapporte aux influences que notre personnalité subit de la part des corps célestes ; mais les imagiers du Moyen Âge ne se sont pas embarrassés des notions actuellement classiques en astrologie. Le septenaire qu’ils subordonnent à Vénus n’est pas nécessairement celui des planètes dont tient compte l’horoscope. Vénus est en exaltation dans la partie du ciel où les Poissons voisinent avec Andromède et le carré de Pégase. Les étoiles fixes de ce carré, jointes au brillant ternaire d’Andromède, constituent donc un septenaire ishtaréen méritant d’être pris ici en considération.

Andromède, les Poissons et Pégase

Abstraction faite d’interprétations astrologiques trop savantes, ne nous inspirons que des suggestions immédiates du symbolisme et n’envisageons en premier lieu que deux étoiles la plus grande et la plus petite. Celle-ci brille au centre de la composition, sous la grande étoile et très exactement au-dessus de la tête blonde de la jeune fille nue, en laquelle il est permis de voir Ève, personnifiant l’humanité incarnée. Cet astre minuscule et rapproché représente l’étoile particulière à chaque personnalité, car nous avons chacun notre étoile, qui est le réceptacle à travers lequel les influences sidérales se filtrent pour se concentrer sur nous.

Cette étoile personnelle est bleue, de même que les deux astres plus grands, placés un peu plus haut, à droite et à gauche. Ce sont les condensateurs des influences qui s’exercent sur l’âme, qu’ils illuminent mystérieusement, l’étoile bleue de droite recueillant ce qui s’adresse à la conscience et à la raison (Soleil) et celle de gauche les intuitions du sentiment et de l’imagination (Lune).

Les étoiles jaunes se partagent les inclinaisons attribuées à Mercure, Mars, Jupiter et Saturne; mais la prédominance de Vénus reste aussi marquée dans l’arcane XVII qu’elle l’est en chiromancie, où le mont de Vénus est beaucoup plus important comme volume que les autres.

Comme les Poissons du zodiaque nagent dans l’océan céleste d’Ea, le dieu chaldéen de la Sagesse suprême, ces habitants des espaces stellaires sont d’autant moins étrangers à l’arcane XVII que la constellation d’Andromède leur est contiguë. Or cette princesse, fille de Céphée et de Cassiopée, fut enchaînée nue au rocher battu par les flots, où un monstre marin l’eut dévorée sans l’intervention de Persée. Il s’agit de l’âme vivante liée à la matière, donc de l’Ève juvénile du Tarot, dont la mère, reine d’Éthiopie selon la mythologie, est en réalité la Nature naturante, figurée par la Papesse (arc. II). Son père, le roi noir qui règne sur l’abîme insondable de l’Infini, devient le Fou, dont le domaine échappe à la raison humaine. Persée, qui épouse Andromède, correspond à l’âme spirituelle (NESHAMAH) dont l’union avec la vie de l’âme corporelle (NEPHESH HAIAH) enlève celle-ci à travers les airs de la spiritualité.

L’arcane XVII occupe le milieu de la seconde rangée du Tarot, où il marque, tout comme l’arcane VI qui lui est superposé, le passage d’une phase de l’initiation à une autre. Or si l’Amoureux, dans le domaine actif, passe de la théorie à la pratique, l’âme du mystique, guidée par les Étoiles, aboutit au discernement théorique après être entrée pratiquement en relation avec le non-moi. De XII à XVI, l’oubli de soi n’est pas simplement préconisé ou enseigné, mais imposé dans sa réalisation pratique. Parvenu à XVII, l’adepte n’a plus à choisir délibérément entre deux routes, comme le jeune Hercule de l’arcane VI, car il est prédestiné: les astres lui tracent un sort auquel il ne songe pas à se soustraire, puisqu’il s’abandonne docilement aux influences célestes qui doivent le conduire à l’illumination mystique. Celle-ci est la récompense d’oeuvres accomplies selon l’impulsion du coeur et non le résultat d’une étude méthodique, telle qu’elle s’impose à l’initié dorien, dont les actes s’inspirent d’un savoir préalablement acquis. Le Bateleur (I) s’instruit théoriquement (II, III, IV, V), puis subit l’épreuve morale (VI), avant d’appliquer sa science (VII, VIII, IX, X), pour atteindre à la plénitude de son pouvoir (XI). A l’encontre du Dorisme, fondé sur la possession consciente de soi et le développement intégral de la personnalité, l’Ionisme procède du renoncement total au moi. Le Pendu (XII) pousse le sacrifice jusqu’à l’anéantissement de l’initiative individuelle (XIII) afin de communier avec ce qui est extérieur à lui-même XIV, XV, XVI); il parvient ainsi à XVII, qui figure l’état de réceptivité des enfants de la Nature, la simplicité d’âme et d’esprit hors de laquelle nul n’est admis dans le Royaume de Dieu. L’illumination mystique, dont les étapes sont marquées par XVIII, XIX, XX, XXI, éclaire cette sainte ignorance que ne trouble aucune notion d’un savoir vaniteux. Le Ciel instruira la jeune fille nue, parce qu’elle est vierge de tout enseignement humain.

Les mystères de l’arcane XVII sont ceux du sommeil et de la nuit. Quand nous dormons, notre âme spirituelle s’évade du corps, qui repose, abandonné au fonctionnement automatique de ses organes.

Quelles sont, au cours de la nuit, les occupations du moi dégagé ? Ne vivons-nous pas en partie double, incarnés, puis périodiquement émancipés des liens de la chair ? Est-il un besoin plus impérieux que celui du sommeil ? Nous ne pouvons vivre sans dormir. Nous nous partageons entre deux existences, dont l’une nous est inconnue. Chaque matin nous revenons d’un voyage dont nous ignorons les péripéties. Un écho nous en reste, tout au plus, sous forme de rêve, quand notre cerveau enregistre des images, témoins de notre activité nocturne inconsciente. Nous ne prenons garde à ces réminiscences, révélatrices cependant pour le moins d’émotions provoquées par des troubles fonctionnels. Ce qu’un malade avait rêvé guidait jadis le diagnostic du médecin : dans les temples d’Esculape, où les suppliants venaient dormir, le dieu aimait à montrer en songe aux intéressés le remède propre à les guérir. De nos jours, les sujets endormis se montrent plus particulièrement lucides quant aux soins médicaux qui leur sont nécessaires. Le sommeil est donc une source d’information qui ne doit pas être négligée. Par lui le rideau du mystère s’écarte, pour autoriser quelques furtifs aperçus donnant corps aux trop vagues pressentiments qui nous font deviner un autre monde.

Les rêves ont été les premiers initiateurs de l’humanité.

Que se passe-t-il quand, fermant les yeux le soir à ce qui nous entoure, nous partons dans l’inconnu ? Comparons-nous au plongeur, qui, sa tâche terminée, remonte à la surface où il se dépouille de son scaphandre. Quel contraste entre l’opposition du fond de l’eau, où la vue du scaphandrier ne porte qu’à une infime distance, et le vaste horizon lumineux qui se découvre à lui dès qu’il respire à l’air libre ! Mais supposons que tout souvenir d’en haut s’éteigne pour le plongeur revenu à son travail pénible dans la profondeur des eaux. Nous nous représenterons ainsi notre enténèbrement à l’état de veille, comparativement à l’émancipation lumineuse que nous vaut le sommeil. Notre esprit ne s’engourdit pas comme notre corps ; tandis que celui-ci repose, notre intelligence reste incorporellement active. Il en résulte que la nuit porte conseil, en raison de la clairvoyance acquise au dormeur dégagé de la carapace obscurcissante à travers laquelle s’exerce son activité terrestre. Lorsque nous nous endormons préoccupés d’une résolution à prendre ou d’un problème ardu à résoudre, il nous arrive de nous trouver au réveil en présence d’une détermination arrêtée ou de concevoir comme évidente la réponse à la question qui nous tracassait la veille. Tout s’explique par l’intervention de notre petite étoile bleue qui a su interroger ses sueurs plus grandes.

Interprétations divinatoires 

La Femme consolatrice qui relève l’homme accablé par les luttes de l’existence. Ève à qui le Rédempteur est promis. La vie répartie aux créatures. L’âme reliant la Matière à l’Esprit. La Nature en activité. La nuit et ses mystères. Le sommeil et ses révélations. Immortalité. Destinée, prédestination. Idéal que la vie tend à réaliser. Beauté objective. Esthétique. Culte du Beau. Religion de la Vie, sanctifiant ce qui s’y rapporte. Isthar.

Espérance,- entrain, bonne humeur, vaillance supportant allègrement les misères de la vie. Idéalisation de la réalité. Poésie, beaux-arts, musique, sensibilité, affinement, tendresse, compassion. Adaptation aux nécessités. Caractère facile.

Innocence, candeur, naïveté, ignorance. Jeunesse, charme, séduction, attirance. Épicurisme, sensualité, rêverie, abandon, négligence. Confiance, résignation, fatalisme.

Astrologie, influences astrales, protection occulte, intuitions, prémonitions, pressentiments. Curiosité indiscrète. Pandore et son coffret fatal.

LA LUNE

Pour déployer les splendeurs du ciel, la Nuit plonge la terre dans les ténèbres, car les choses d’en haut ne se révèlent à notre vue qu’au détriment de celles d’en bas. Nous aspirons cependant à rattacher le céleste au terrestre par une contemplation simultanée, rendue possible quand la Lune répand sa pâle clarté. Cet astre, qui s’associe aux étoiles sans amortir totalement leur éclat, n’éclaire qu’à demi les objets que baigne son incertaine lumière d’emprunt. La Lune ne permet pas de distinguer les couleurs; elle teinte de gris argenté ou de nuances bleutées indécises ce que frappent ses rayons, en laissant subsister ailleurs le noir opaque des ombres de la nuit.

Comment, en observant les effets du clair de lune, ne pas songer à l’imagination dont le mode illuminatif se traduit de manière analogue dans notre intellect ? Le visionnaire imaginatif voit les choses sous un faux jour. Fasciné par Hécate, il se détourne du scintillement poétique des étoiles, pour concentrer son attention sur les contrastes du fallacieux clair-obscur lunaire. En métaphysique, il se forge des théories erronées, fondées sur les oppositions irréelles, effets illusoires d’un jeu d’optique mentale : du bien et du mal, de l’Être et du Néant, il fait des entités objectives et tombe dans le piège d’un dualisme fatal à toute appréciation saine de la réalité. Dupe des contrastes apparents, il imagine la matière dense, solide, lourde et indestructible, alors qu’elle se réduit, en dernière analyse, à des tourbillons infimes d’une impondérable substance éthérique. Les erreurs capitales de l’esprit humain dérivent de l’imagination qui ne peut s’empêcher d’objectiver le subjectif. Or comme cette faculté féminine se réveille avant la raison masculine, nous imaginons d’abord, puis tâchons de raisonner ensuite, quittes à nous efforcer ainsi de bâtir logiquement avec des représentations équivoques. Le résultat n’est pas brillant.

Il nous faut cependant conquérir la pleine lumière, en explorant à nos risques et périls l’immense espace que la Lune n’éclaire qu’en partie et très imparfaitement. Le champ qui s’offre à nous est un terrain accidenté où les faux pas sont inévitables. Attendons-nous à des chutes fréquentes, en nous méfiant de chausse-trappes et de pièges dissimulés.

D’autres, heureusement, nous ont précédé en cette dangereuse exploration. Leurs pas ont tracé un sentier où se relèvent des gouttes de sang. Cette piste douloureuse conduit au but celui qui persévère en dépit des obstacles et des menaces.

Le téméraire qui s’y engage longe tout d’abord un marais où coassent les grenouilles. Leur vacarme attire le voyageur curieux de contempler le miroitement de la lune; il avance sur un sol devenant de plus en plus humide, jusqu’au moment où ses pieds s’enfoncent. Craignant de s’enliser, il recule alors pour gagner un tertre d’où il admire en sécurité le jeu de la lumière nocturne à la surface de l’eau stagnante.

Il est fait allusion ici aux productions imaginatives. Leur attirance risque d’arrêter notre marche en nous retenant dans la vase des conceptions inconsistantes; aussi convient-il de goûter le charme des fictions en prenant soin de se maintenir en terrain solide. Ce qu’imaginent les poètes leur est suggéré par une mystérieuse réalité, car si puissante que soit la fantaisie, il lui est impossible de créer ex nihilo. Rien n’est radicalement fictif, une très subtile matière première, analogue à celle des alchimistes, étant mise en oeuvre par l’esprit qui invente. Mythes, fables et contes populaires procèdent de vérités trop profondes pour être exposées en langage direct. Le penseur s’y délecte, s’il discerne l’ésotérisme sous des dehors d’apparence naïve et grossière. Rejeter les superstitions, à la manière des prétendus« esprits forts», est une faiblesse, car la crédulité n’est jamais entièrement aveugle : une lucidité d’instinct l’attache à des vérités puissantes, mais trop diffuses pour que les raisonneurs puissent les saisir.

Loin de se détourner, dédaigneux, du marais de la foi instinctive, le sage s’efforce donc d’en pénétrer le mystère. Même en plein jour, il ne percevrait rien de ce qui s’agite dans les profondeurs de l’eau trouble, mais à la clarté de la Lune, il distingue une immense écrevisse émergeant immobile de l’onde croupissante. Ce crustacé dévore tout ce qui est corrompu. Grâce à lui, le marais ne dégage aucune vapeur méphitique, car il en assure la police. Il serait funeste de laisser subsister des croyances mortes entraînant à des pratiques répréhensibles : le crabe féroce y met bon ordre. S’il marche à reculons, c’est que son domaine est le passé, non l’avenir qu’il fuit. Ce qu’il s’assimile lui forme une carapace prétrifiée, mais temporaire, car l’animal la rejette quand elle devient trop lourde. Puisse-t-il enseigner aux croyances corporisées à se renouveler quand elles ont fait leur temps ! L’Écrevisse du Tarot est rouge, non parce qu’elle est cuite, mais, au contraire, en raison du feu intérieur qui lui fait déployer une incessante activité pour remplir sa mission de salubrité.

Il convient de rappeler ici l’analogie des contraires qui, dans la double rangée du Tarot, superpose l’arcane V à l’arcane XVIII. Le Pape (V) recueille les croyances pour les synthétiser sous forme de dogmes positifs, alors que l’Écrevisse (XVIII), procède par sélection négative, en dévorant ce qui se décompose et ne tient plus debout devant le bon sens des croyants. Le crustacé respecte ce qui a sa raison d’être, mais il ne tient pas école et ne s’érige point en docteur.

Les astrologues y reconnaissent le Cancer, domicile de la Lune. Quand, dans son circuit annuel, le Soleil atteint cette division du zodiaque, il commence à décliner, comme s’il s’était soudain converti de ses ambitions ascensionnelles. La période du Cancer favorise par analogie le retour sur soi-même, l’examen de conscience, et la conversion du pécheur, comme si, dans les eaux bourbeuses de l’âme, s’agitait alors un crabe purificateur. A cet animal, les Égyptiens substituaient leur scarabée zodiacal, symbole de régénération morale et psychique.

Près du marais où règne le Cancer, deux chiens gardent la route qui est astronomiquement celle du Soleil. Ce sont les aboyeurs de la Canicule, le Grand et le Petit Chien de la sphère céleste. Ils aboient à la Lune pour l’empêcher de franchir la limite des tropiques, car cet astre fantaisiste s’écarte constamment de la ligne de l’écliptique tracée par l’immuable marche du Soleil.

Les Chiens deviennent les Cerbères préposés à la défense des régions interdites où l’imagination s’égare. Leurs hurlements redoublent à l’approche de l’audacieux qui s’est détourné du marais pour reprendre sa pérégrination interrompue. Ils veillent au maintien de ce qui est admis, tant sous le rapport de la foi et du sentiment, qu’en matière d’institutions sociales ou politiques. Le petit chien blanc de gauche glapit avec rage contre les impies, qui refusent de croire à ce qui est admis comme vrai. Il se dresse haut sur pattes, car il se sent au service d’intérêts spirituels. Le gros chien noir de droite reste couché, en raison de son positivisme qui l’attache à la terre. Anxieux du bon ordre et des droits intangibles de la propriété, il hurle contre les révolutionnaires aux projets subversifs. Celui qui, d’un pas ferme, s’avance dédaigneux entre les deux chiens, leur impose la crainte et n’est pas mordu par eux.

Mais voici deux massives forteresses, deux tours carrées dissemblables par leur forme de la tour ronde de l’arcane XVI. Les murs de couleur chair en font des édifices vivants et leur couronnement d’or, dressé sur une assise rouge, les assimile aux êtres intelligents, capables d’agir avec discernement. Ce sont des corps, ou mieux des corporations, placées en sentinelles pour avertir l’imprudent des dangers qui le menacent, si, après avoir dépassé les chiens, il prétend s’élancer dans la steppe perfide où l’attire la Lune.

De la tour de droite, qui est éclairée, viennent des avertissements raisonnables sur le triste sort des victimes d’Hécate, exposées à perdre leur équilibre mental, leur raison, leur santé physique et morale, même leur vie.

Le corps de garde obscur de gauche n’est pas plus rassurant il retentit d’objurgations mystiques sur l’impiété de céder à une curiosité tentatrice. Restons ignorants, plutôt que de compromettre le salut de notre âme. Songeons au paradis perdu et ne désirons pas le fruit de l’arbre d’une science maudite !

Si l’irrésistible attrait du mystère l’emporte sur la voix des deux tours, rien n’arrêtera plus le prédestiné. Appelé à subir les redoutables épreuves de l’initiation, il entrera dans le noir d’une épaisse forêt, où le frôleront des fantômes; puis il lui faudra gravir péniblement une hauteur d’où sa vue s’étendra au loin sur la plaine argentée. Mais un précipice le guette, il y glisse et tombe meurtri dans un bas-fond, dont la vase amortit la chute de l’ascensionniste qui se relève souillé, pour gagner en boitant un cours d’eau purificateur. C’est une rivière aux flots rapides qu’il est contraint de franchir à la nage, car il lui faut gagner la rive opposée qui est aride et brûlée. C’est en cette solitude qu’il doit errer jusqu’à l’aube qui lui permettra de se reconnaître dans les dunes, derrière lesquelles se lèvera le jour. L’arcane XVIII représente la Lune par un disque d’argent sur lequel se détache de profil un visage féminin aux traits bouffis. De ce disque partent de longs rayons jaunes, entre lesquels apparaissent de courtes lueurs rouges. Ces couleurs n’attribuent .à la Lune qu’une faible activité spirituelle (rouge) mais un grand, pouvoir dans le domaine de la matérialité (jaune). Cela signifie que l’imagination, faculté lunaire, favorise le visionnarisme en objectivant les formes-pensées; mais elle n’aide guère à comprendre et à saisir l’essence réelle des choses. Bien qu’Hécate soit trompeuse, il nous faut passer par son école pour apprendre à ne plus être dupe de ses fantasmagories. Les gouttes renversées, rouges, vertes et jaunes, que la Lune semble attirer, correspondent aux globes de même couleur de l’arcane XVI, mais les émanations terrestres vont au satellite, qui prend sans rien donner. La lumière froide et l’astre nocturne tendent à résorber la vitalité qu’octroie le Soleil, d’où la recommandation populaire de ne jamais s’endormir exposé aux rayons de la Lune.

Un ancien Tarot met en scène un harpiste qui, au clair de la lune, chante une jeune beauté demi-nue, penchée au bord de sa fenêtre pour dénouer sa chevelure; une porte solidement barricadée protège la coquette contre les entreprises du soupirant.

Interprétations divinatoires

L’objectivité. Les apparences extérieures. La forme visible. Ce qui tombe sous les sens. Le contingent, le relatif, le théâtre où se joue la vie humaine. Illusions de la matérialité. Maya.

Imagination, caprices, lubies, fantaisies, extravagances, erreurs et préjugés, paresse d’esprit, crédulité, superstition. Curiosités indiscrètes, faux-savoir, visionnarisme. Passivité intellectuelle, impressionnabilité imaginative, voyance, lucidité somnanbulesque. Retour sur soi-même, conversion.

Voyages sur eau, navigation, recherches longues et difficiles. Travail imposé. Esclavage matériel. Situation équivoque. Fausse sécurité, périls, embûches. Flatterie, tromperie, menaces vaines. La lune rousse et ses effets désastreux. Tempérament lymphatique, hydropisie.

LE SOLEIL

Les vicissitudes que nous vaut la Lune sont les épreuves indispensables qui nous conduisent à la clarté solaire. Nous ne parvenons à la lumière qu’après avoir langui dans les ténèbres et nous être démenés à travers l’erreur. Il est nécessaire que nous nous trompions douloureusement afin d’apprendre à nos dépens l’art de discerner le faux du vrai et de nous orienter vers le point de l’horizon d’où jaillira la lumière. Les épreuves de la vie terrestre n’ont d’autre but que notre instruction; sachons profiter de leurs leçons et l’Initiation sera notre récompense.

Pour y parvenir, les purifications traditionnelles s’imposent. Elles visent à rendre transparentes nos écorces opaques; afin que la vraie lumière de notre monde, celle du Soleil, puisse nous pénétrer. Dans son rayonnement, cet astre est d’une immuable fixité. Toujours identique à lui-même, il luit pour tous avec impartialité. Si les uns profitent plus que d’autres de ses bienfaits, c’est qu’ils ont su écarter les obstacles interposés entre eux et la pure lumière qui éclaire les esprits.

Il ne s’agit plus ici d’une clarté trompeuse, comme celle de la Lune, qui se prête aux méprises et ne permet pas de distinguer les objets en toute certitude. Le Soleil révèle la réalité des choses qu’il montre telles qu’elles sont, dépouillées du voile de toute illusion. Devant lui le brouillard se dissipe et les fantômes s’évanouissent. C’est en ce sens que l’âme incarnée trouve en lui le Rédempteur promis. Elle n’est condamnée à la lutte au sein de la matière qu’en vue d’épurer celle-ci, jusqu’à rendre possible l’union du spirituel emprisonné dans la chair avec l’universelle spiritualité.

Considérons maintenant l’arcane XIX, dont le symbolisme est limpide.

Le couple juvénile, qui se tient tendrement enlacé au centre d’un cercle de verdure émaillé de fleurs, c’est l’âme individuelle unie à l’esprit, le sentiment épousant la raison; c’est l’accord et l’harmonie se réalisant en petit dans l’orbe de la personnalité humaine, pour tendre à se réaliser en grand dans l’ensemble de l’humanité régénérée.

Quand les hommes seront raisonnables, quand la lumière rédemptrice du Soleil des esprits les aura délivrés de leurs erreurs, alors ils retrouveront le paradis, non celui de l’innocent abandon primitif, mais l’Éden laborieux de la civilisation réelle, où régnera la paix totale de l’entraide qui allégera toutes les tâches.

Cet idéal ne sera pas atteint d’emblée, du fait d’un miracle ou d’une proclamation. Sa réalisation doit se poursuivre d’abord individuellement. Que chacun de nous commence par se régénérer lui-même, avant de rêver de régénération sociale et humanitaire. Tant que les pierres ne sont pas taillées d’équerre, aucun mur solide ne saurait se construire. Or, avant d’édifier le grand Temple où communieront tous les humains, il nous faut ériger des remparts contre la barbarie restée brutale et rebelle à la fraternité. L’élite que représentent les Enfants du Soleil ne peut fraterniser qu’à l’abri d’une enceinte maçonnée, composée, selon l’arcane XIX, de deux assises médianes bleues qui relient entre elles trois autres assises dont les pierres sont alternativement rouges et jaunes. Ces couleurs attribuent la cohésion sociale à l’idéalité sentimentale (bleu), à la religion constructive qui se traduit en morale pratique, appliquée aux actes de la vie. Il appartient au sentiment de concilier l’antagonisme du rouge et du jaune, en apaisant les conflits de l’énergie agissante (travail – rouge), et du savoir acquis ont des richesses accumulées (capital – jaune). L’esprit de fraternité, qui est le ciment de toute construction humanitaire, peut seul préparer aux concessions réciproques sur lesquelles se fonde une civilisation nécessairement arbitrale et conciliatrice; la force et l’intelligence ne sauraient y parvenir livrées à leurs uniques tendances.

Puisse le Tarot ramener à la Sagesse les égarés qui escomptent un âge d’or conquis par la violence ! Les haines aveugles entretenues par les fanatiques de la lutte des classes ne peuvent qu’aggraver la misère humaine. Seul l’esprit solaire d’intelligence et de fraternité réalisera le bonheur terrestre par la coopération harmonieuse des antagonismes sociaux, conciliés avec le discernement de la compréhension réciproque. Mais les arguments qui ne s’adressent qu’à l’intelligence n’ont pas le don d’émouvoir les âmes pour les rapprocher jusqu’à la fusion. Ce qui relie est religieux et part du coeur beaucoup plus que du cerveau, d’où l’importance des assises bleues dans le rempart de la civilisation. Elles se rapportent à la religion du Soleil que professent les sages, qui, non contents d’être froidement éclairés, se pénètrent de chaleur généreuse, stimulatrice d’actes d’une constante beauté morale.

La double action lumineuse et calorique du rayonnement solaire est indiquée par les rayons alternativement rigides ou flamboyants, dorés ou rouges, du grand astre animateur. Le nombre de ces rayons les rattache au duodénaire zodiacal, donc à l’oeuvre cyclique régulatrice des saisons et de toute la vie terrestre.

Mais le Soleil ne se contente pas d’illuminer les esprits et de vivifier les corps tout en réchauffant les âmes, car il est par surcroît le distributeur des suprêmes richesses. Une fine pluie d’or ne cesse de tomber sur le couple fraternel du jardin pacifique. Plus favorisé que Danaé, il reçoit librement les dons solaires, car l’or, dont Jupiter prit la forme pour féconder la mère de Persée, ne rencontre aucun obstacle pour pleuvoir en abondance dans le paradis solaire, alors qu’il ne put pénétrer dans le cachot de la princesse mythologique qu’en s’infiltrant à travers l’épaisseur de murs d’airain.

Le Soleil enrichit ses enfants spirituellement. L’or qu’il leur prodigue n’est pas le métal qui tente les avares, c’est l’or philosophique des vrais disciples d’Hermès. Ces initiés ne se font aucune illusion sur la valeur des choses et possèdent tout parce qu’ils ne convoitent rien. Ils ne désirent que ce qui leur est nécessaire en vue de l’accomplissement de leur tâche, et ils reçoivent à cet égard plus qu’ils ne songeraient à demander. Leur plus grande richesse est d’ailleurs celle du coeur : aimant tous les êtres, ils se sentent aimés par ce qui les entoure. Tout s’embellit ainsi pour eux et ils sont heureux sur terre.

Le bonheur dont ils jouissent ne saurait leur être ravi car c’est eux qui le créent. Loin de toute béatitude égoïste, ils admirent en artistes l’oeuvre de Dieu et s’y associent de tout leur être, en vibrant de tout ce qui est capable de vibrer en eux. Discernant le Beau, ils portent la lumière rédemptrice au sein de la confusion tumultueuse née du choc aveugle des passions humaines. Participant au Grand OEuvre de l’universelle Rédemption, ils contribuent à relever l’homme de sa chute originelle (arc. XVI) et travaillent à le réintégrer dans sa dignité d’être divin.

Les enfants qui fraternisent sous le Soleil correspondent d’autant mieux aux Gémeaux que cette constellation zodiacale nous vaut les jours les plus longs. Il est vrai que Castor et Pollux étaient du même sexe, alors qu’un garçon et une fillette les remplacent dans le Tarot. Le symbolisme n’en est pas affecté, car le nouvel Adam et la nouvelle Ève de l’arcane XIX pourraient fort bien s’accommoder de la lyre qui est le principal attribut des fils de Léda, issus du même oeuf que leur soeur Hélène. On peut se demander si celle-ci, reine de beauté, n’a pas été substituée par les imagiers à l’un de ses frères; toujours est-il que pareille substitution se justifie symboliquement.

Quant à la lyre, son absence est à regretter, car c’est aux accords d’harmonie qu’en tire un puissant artiste que les pierres s’animent et s’assemblent d’elles-mêmes, comme lors de la construction des remparts de Thèbes, la ville sainte, par l’effet des incantations d’Amphion. Le mur d’enceinte de la cité de paix se reconstruira de même, à l’aide de matériaux animés, dociles aux sollicitations musicales du Grand Art, dont la magie réveille l’Homme-Ouvrier endormi en l’Homme-Matière. Pierres vivantes, les hommes se conforment aux accords de la lyre pour s’unir harmonieusement ; de leur union naît l’édifice sacré de la civilisation définitive de l’ensemble des humains.

Travaillant sur l’humaine substance, matière première effective du Grand OEuvre, les Enfants de la Lumière transmuent le plomb vil des bas instincts en pur or moral et intellectuel. D’un ignorant sottement égoïste, ils s’efforcent de faire un sage soucieux d’entrer en harmonie avec la vie, afin de vivre en beauté. Artistes amoureux de l’Art, ils peinent avec joie, heureux de produire. Ils ont reconquis le Paradis, car ils aiment le travail divin, auquel ils se sont librement associés afin de contribuer à débrouiller le chaos humanitaire, conformément aux intentions créatrices. Nous retrouvons l’Éden perdu dès que nous acceptons notre tâche de créatures condamnées au travail, non par punition, mais par nécessité d’avancement; car nous ne pouvons nous relever de la déchéance animale qu’en consentant à travailler de notre plein gré, par goût et par amour. D’esclaves contraints ou d’âpres mercenaires, nous devenons Libres-Artistes, Libres-Constructeurs ou Francs-Maçons réalisateurs du plan de l’Architecte Suprême, du fait de notre compréhension de l’inéluctable loi de la vie, qui est celle du Travail.

Le Tarot de Charles VI et d’autres à sa suite, placent sous le Soleil une gracieuse jeune fille, debout ou assise, qui tient une quenouille et semble filer aux hommes une destinée moins sombre que celle dont les Parques nous gratifient. D’autres variantes offrent l’image d’un cavalier apocalyptique lancé à travers une pluie de flammes, sous l’abri de l’étendard déployé de la foi solaire.

Interprétations divinatoires

La lumière primordiale coordinatrice du chaos. Le verbe qui éclaire tout homme venant en ce monde. La raison surhumaine illuminative de tous les esprits. La clarté spirituelle qui dissipe l’obscurité au sein de laquelle nous nous débattons. Apollon victorieux du Serpent Python. Le vrai savoir devant lequel s’évanouissent les fantasmagories du visionarisme. Illumination géniale. Poésie, Beaux-Arts.

Fraternité, harmonie, paix, amitié, bonne entente, arbitrage. Noblesse, générosité, affection, grandeur d’âme. Éden retrouvé, bonheur calme et durable, mariage, joies conjugales, clarté de jugement. Goûts et talents artistiques.

Gloire, honneurs, célébrité. Attachement à ce qui brille, vanité, besoin de se faire admirer, désir de paraître, frivolité, affectation, pose, manque de sens pratique. Idéalisme douloureux, incompatible avec le sens de la réalité brutale. Artiste ou poète condamné à vivre dans la misère et dont le mérite ne sera reconnu qu’après sa mort. Irritabilité, susceptibilité.

LE JUGEMENT

Si resplendissante que soit la lumière solaire, elle s’arrête à la superficie des choses, sans parvenir à nous en révéler l’essence intime qui ne tombe pas sous les sens. Or les oeuvres de pure beauté, qu’elles soient produites par la Nature ou par l’Art, traduisent en leur forme extérieure un ésotérisme, ou esprit intérieur caché, qu’il appartient à l’intelligence de discerner.

Le Jugement intervient à cet effet pour distinguer le spirituel du matériel, le fond signifié de la forme expressive, le verbe vivant de la lettre morte. Tout est symbole, car tout procède d’une idée génératrice qui se rattache à des conceptions transcendantes. Pénétrons dans la profondeur des choses, où sommeille une pensée qui attend que notre esprit la réveille et se l’assimile. Le gracieux conte de la Belle au bois dormant développe ce thème, dont s’inspire à son tour le tableau du Jugement dernier, tel que l’ont tracé les auteurs du Tarot.

Loin de toute idylle, nous voici transportés dans la vallée de Josaphat, qu’un ange apocalyptique fait retentir du fracas qui réveille les morts. Ceux-ci ressuscitent, non en corps, mais en esprit, car la résurrection générale n’est pas celle de la chair, à moins que ce terme ne soit entendu allégoriquement, pour signifier ce qui est revivifiable. Le passé ne mérite de revivre que dans sa spiritualité, en tant que celle-ci reste incomprise des générations présentes. De précieuses vérités dorment dans le tombeau de 1’oubli : elles sont mortes pour les siècles qui les ignorent. Mais rien ne se perd dans le domaine de l’esprit; une mémoire fidèle retient en secret ce que surent les anciens sages, afin qu’en soient instruits tous les hommes au jour de l’universelle compréhension.

Alors l’humanité connaîtra le règne du Saint-Esprit, qui réalisera son unité religieuse, fondée sur l’ésotérisme commun à toutes les religions. Celles-ci ne s’opposent les unes aux autres que par leur extérieur (culte et dogmatisme), lettre morte dont il convient de faire abstraction au bénéfice de l’esprit vivifiant, seul universel, donc catholique au sens grec du mot. Le Catholicisme effectif s’adresse aux esprits éclairés qui s’ouvrent à tout ce qui est foncièrement religieux. C’est la religion de la pieuse famille qui, les mains jointes, écoute sans terreur la sentence suprême que prononce l’Ange du Jugement.

Le ternaire humain qui ressuscite représente l’humanité régénérée. Père et mère font face au fils, en qui se reconnaît le personnage principal du Tarot, le jeune homme blond déjà rencontré dans ses rôles successifs du Bateleur (I), de l’Amoureux (VI), du Triomphateur (VII) et du Pendu (XII). C’est le sujet du Grand OEuvre, l’initiable subissant les épreuves initiatiques pour conquérir finalement la Maîtrise.

Pour posséder en esprit et vérité ce grade suprême, il faut être deux fois mort et trois fois né. En renonçant à la vie profane, l’initié meurt et renaît une première fois. Il entre alors dans la carrière initiatique comme en une nouvelle vie, qu’inaugure sa seconde naissance. Mais, tout en étant supérieure à celle de la foule profane, cette vie des initiés du premier et du second degré ne réalise pas encore l’idéal définitif. Le bon ouvrier travaille avec une intelligente docilité sous une direction qui est hors de sa portée, car il n’a pas été admis au conseil des Maîtres. Il exécute fidèlement des instructions dont il apprécie la sagesse, sans se juger capable de les formuler lui-même.

La construction du Temple humanitaire se poursuit, en effet, de générations en générations, selon des lumières qui ne sont pas simplement celles du jour où nous vivons. L’avenir ne l’improvise pas arbitrairement; il n’est solide que s’il réalise de vieilles aspirations, en donnant corps aux désirs fervents de ceux qui, durant des siècles et sans se décourager, ont rêvé le mieux.

Les ancêtres constructeurs d’une humanité meilleure sont figurés dans le Tarot par les parents du jeune ressuscité de l’arcane XX. Placé à droite, le Père incarne toute la philosophie constructive du passé, tout ce que la raison humaine a conçu de profond et de sage, concernant le Grand Art, qui est celui de la Vie vécue en pleine intelligence de ses lois. A gauche, la Mère correspond au coeur, au sentiment religieux d’amour que les âmes vraiment pieuses ont toujours éprouvé.

Héritier de ses parents, le Fils recueille ce qui lui vient de droite et de gauche, pour agir en fidèle exécuteur testamentaire du passé resté vivant. Il s’affirme Maître dans la mesure où l’éternelle tradition constructive, le légendaire Hiram des Francs-Maçons, trouve en lui son interprète.

Est-il possible qu’un corps puisse changer d’esprit ? Pouvons-nous mourir à nous-mêmes au point d’abandonner notre organisme, pour qu’un esprit plus élevé que le nôtre en prenne possession ? Ces questions posent le formidable problème de l’Esprit, souffle animateur infiniment multiple en ses manifestations, mais un en son essence. En se rapprochant de l’unité, notre esprit, tout en restant identique à lui-même, se transfigure pour se déifier en proportion de la noblesse à laquelle il s’élève.

Tel est l’idéal que propose l’initiation; se diviniser en approchant, autant que la nature humaine le permet, de la perfection divine. « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » On ne peut dire mieux que l’Évangile. Tout le problème initiatique implique une spiritualisation progressive de plus en plus complète, mais n’aspirant jamais à se soustraire aux obligations du travail terrestre.

L’initié meurt, non pour déserter le champ de bataille, mais afin de pouvoir plus efficacement contribuer à la lutte en faveur du bien. S’il échappe à la mêlée brutale pour planer à la façon des aviateurs, c’est en vue de diriger sûrement ceux qui risqueraient de combattre à trop courte vue.

Mais l’initiation préfère les images pacifiques. La victoire à remporter est celle de l’esprit, qui, par un travail intelligent et sans violence cruelle, surmonte les obstacles que la matière lui oppose. Celle-ci n’est pas à traiter en ennemie qu’il faut détruire, mais en substance à mettre en oeuvre ; elle emprisonne l’esprit, non pour le retenir indéfiniment, mais pour l’astreindre à l’effort libérateur.

Tant que nous restons concentrés sur nous-mêmes, confinés en l’étroitesse de notre vie individuelle, nous ne participons pas à la grande vie véritable et nous nous comportons comme des morts isolés dans leur tombeau corporel. Réveillons-nous et, debout dans notre sépulcre ouvert, aspirons le souffle de l’esprit universel; vivons, dès cette vie, de la vie éternelle !

L’Ange du réveil des esprits déploie dans le Tarot des ailes vertes, car son domaine est celui de la vie spirituelle. Sa tunique bleue, bordée de blanc, se rapporte à la pure idéalité céleste, inspiratrice d’une action incessante, comme l’indiquent les bras rouges de l’annonciateur du Jugement.

Le rouge est aussi la couleur du fanion que porte la trompette d’or du messager du réveil. Une croix d’or en partage le champ en quatre carrés qui attribuent à la suprême spiritualité le pouvoir réalisateur d’une quadruple pierre philosophale.

Une alternance de pourpre et d’or caractérise d’ailleurs les émanations de l’Ange du Jugement, dont la chevelure dorée s’irradie sous une coiffure hémisphérique d’un rouge vif, analogue à la calotte du chapeau à larges bords, à l’abri duquel s’exerce l’incessante activité mentale du Bateleur (I). Il s’agit ici du foyer où se condense à l’état vivant la pensée inspiratrice qui extériorise l’or des vérités immuables. Les cheveux de l’Ange correspondent aux principes transcendants dont découlent des notions inaccessibles à l’intelligence humaine, notions figurées par la gloire lumineuse enfermée dans le cercle des nuages d’où partent des rayons rouges et dorés. Notre vue intellectuelle est arrêtée par cette nuée circulaire, où l’abstrait se concrétise en notre faveur, afin de se manifester sous forme de protections inspiratrices, dont les unes se traduisent, pour notre intelligence, en idées géniales (rayons d’or), tandis que les autres (rayons rouges) encouragent aux grandes et belles actions.

Des langues de feu, analogues à celles de la Pentecôte, procèdent des rayons inspirateurs permanents. Ces flammèches sont rouges, vertes et jaunes, car elles octroient individuellement les dons de l’esprit aux héros de l’action généreuse (rouge), aux âmes tendres qui se dévouent au service de la vie (vert) et aux instructeurs chargés de répartir les trésors du pur savoir (or).

Au front de l’ange brille le signe solaire (marque de discernement déjà rencontrée comme emblème d’illumination de la Justice (VIII) et de la Tempérance (XIV). Cette triple apparition de l’idéogramme du verbe coordinateur se rapporte en premier lieu à la coordination du chaos physique, au sein duquel la loi d’équilibre (VIII) réalise la stabilité relative qui se prête à la constitution des organismes. La lumière constructive est ensuite inhérente aux manifestations vitales, car la vie ne se répand pas aveuglément : elle s’écoule avec intention, en vue d’un but déterminé, d’où l’illumination du Génie aux deux urnes (XIV). Mais l’ordre et la clarté ne s’imposent pas moins dans le domaine spirituel, où la pleine lumière ne se fait qu’à la faveur de l’entrée en communion de l’intellect individuel avec l’Intelligence collective du genre humain (XX).

Pour découvrir la constellation présentant le plus d’affinité avec l’arcane XX, il convient d’envisager le Cygne de Léda comme l’équivalent païen de la Colombe du Saint-Esprit. La spiritualité surhumaine, figurée par le Maître de l’Olympe, se métamorphose en un grand oiseau blanc pour féconder une mortelle, qui enfantera les Gémeaux et leur sueur Hélène, autrement dit la Fraternité (XIX) et la Beauté (XVII). Jupiter personnifie, de plus, le feu céleste animateur qui se marie aux pluies fertilisantes que répand le Verseau (Ea, Indra, Jupiter pluvius), et dont la terre est abreuvée sous le signe des Poissons (XVII). Or le Cygne céleste annonce le printemps, le réveil de la végétation, donc la résurrection annuelle, conforme au symbolisme de l’arcane XX. Il est à remarquer aussi que le Cygne déploie ses ailes sur la Voie Lactée, chemin des âmes attirées par le palais de Jupiter, où elles jouiront de l’immortalité.

Interprétations divinatoires

Le Saint-Esprit. Le souffle inspirateur qui féconde l’intelligence pour lui faire discerner la vérité. Pénétration spirituelle, compréhension, assimilation de la pensée intérieure, ésotérisme, spiritualisation de la matière. Dégagement des liens corporels. Sublimation alchimique. Réveil à la vie spirituelle et participation à cette vie, qui est celle du grand être humain collectif et permanent.

Inspiration. L’homme en communication avec l’esprit divin. Divination, prophétisme, clairvoyance spirituelle, prévision de l’avenir, génie littéraire ou artistique. Enthousiasme, piété, religion spirituelle, élévation de l’esprit et de l’âme. Pouvoir d’évocation qui fait revivre le passé spirituel. Résurrection des morts dignes d’être rappelés à la vie. Retour aux traditions oubliées. Renaissance d’Hiram, rajeuni en la personne du nouveau Maître. Seconde mort, porte de l’initiation intégrale.

Relèvement, guérison, rétablissement de la santé physique, morale, intellectuelle. Libération, dégagement, réparation de torts subis. Jugement équitable de la postérité. Réputation, renommée, retentissement, bruit, publicité, réclame, tapage étourdissant.

Prédication, apostolat, propagande.

Exaltation, enivrement, surexcitation naturelle ou artificielle, manque de pondération. Extase dionysiaque.

LE MONDE

La construction du Tarot par ternaires et septenaires donne au nombre 21 une valeur de synthèse suprême; il correspond à l’ensemble de ce qui est manifesté, donc au Monde, résultat de l’action créatrice permanente. La Réalité que crée cette action ne se borne pas à ce qui tombe sous nos sens, instruments adaptés, non au vrai Monde réel, mais uniquement à la fictive matérialité du pauvre monde sublunaire dans la pénombre hallucinante duquel nous nous débattons. De ce qui existe, nous ne percevons que la face mourante, composée de scories en voie de se figer et de s’immobiliser relativement dans une apparente et illusoire matérialisation. Nous ignorons l’essence vivante des choses et nos conceptions en souffrent.

Mieux instruits, nous envisagerions le Réel moins grossièrement. Le Monde est un tourbillonnement, une danse perpétuelle où rien ne s’arrête; tout y tourne sans discontinuer, car le mouvement est le générateur des choses. Ce concept, que ne renie pas la science la plus moderne, remonte aux âges préhistoriques, autant que permet d’en juger la vénération qui s’est attachée au Svastika. Ainsi se nomme la croix gammée, aux branches pliées en équerre ou courbées en crochet.

Cet emblème, accaparé de nos jours par les pangermanistes, se rencontre partout sur des monuments et des objets d’une prestigieuse antiquité. Il se rapporte au mouvement de la voûte céleste, mouvement qui, aux yeux de nos lointains ancêtres, se communiquait aux êtres et aux choses, animant les uns et mouvant les autres. De ce mouvement découlait la vie, qui primitivement était considérée comme divine.

Le Tarot s’inspire de ces idées dix fois millénaires lorsqu’il nous montre la déesse de la vie courant dans une guirlande de verdure à la façon d’un écureuil qui fait tourner sa cage. Nous reconnaissons en cette aimable divinité la jeune fille nue de l’arcane XVII, qui, cette fois, s’est pudiquement voilée d’une légère draperie rouge, couleur d’activité. Par l’effet de sa course incessante, cette infatigable Atalante reste fixe au sein de la giration vertigineuse qu’elle entretient, d’où son attitude qui, moins distinctement, il est vrai, que celle, de l’empereur (arc. IV), rappelle le signe du soufre , car sa tête et ses bras esquissent un triangle, sous lequel la jambe gauche relevée derrière la droite indique la croix. Ainsi l’agile divinité animatrice du Monde s’apparente au feu central qui flamboie sans repos dans sa fixité. Pluton (arc. XV) pourrait être son père, bien qu’elle n’ait rien d’infernal dans son aspect. C’est l’Ame corporelle de l’Univers, vestale du foyer de vie qui brûle en tout être. Ce rôle explique les deux baguettes que la sulfureuse jeune fille tient en sa main gauche. Elles se terminent en boules, dont l’une est rouge et l’autre bleue. Par la première se captent les énergies ignées, destinées à s’associer au feu vital qui languirait s’il n’était constamment ranimé par le souffle aérien qu’attire la boule bleue. Les forces captées sont transmises par la main droite au voile rouge qu’elle retient.

Le Tarot italien préfère placer en chaque main une baguette analogue à celle du Bateleur (I), ce qu’Éliphas Lévi rapporte à l’action magnétique alternée dans sa polarisation, alors que, selon lui, les baguettes réunies en une seule main marqueraient une action simultanée par opposition et transmission.

La jeune fille qui manie les baguettes magiques représentent la Fortune majeure des géomanciens. A ce titre, elle promet mieux que les petits succès éphémères de la Fortune mineure dont la roue est celle de l’arcane X. Ici la roue n’est plus le circuit de la vie individuelle que domine le Sphinx; elle se confond avec l’orbe du Monde, à l’extérieur duquel s’exerce l’opposition croisée des attractions élémentaires, représentées par le quaternaire kabbalistique dont le Sphinx est la synthèse.

Le circuit vital englobant toutes choses se traduit dans l’arcane XXI en une guirlande ovale au triple rang de feuilles vertes, retenues dans le haut et dans le bas par des rubans d’or croisés. Les Italiens agrémentent cette couronne de quatre roses disposées en croix. Ces fleurs embellissent et spiritualisent la vie, grâce au souffle de l’Esprit régénérateur (arc. XX) qui se manifeste à travers elle (4 x 5 = 20). Leur suave parfum charme les âmes, dont il exalte l’ardeur généreuse, tout en les détournant de la violence et de la férocité. La rose convient aux chevaliers qui mettent leur vigueur et leur indomptable courage au service d’un idéal de pur amour.

Le quaternaire cosmogonique de la tradition religieuse reçoit en l’arcane XXI la figuration consacrée. Le Boeuf de saint Luc, qui représente la Terre printanière, y est noir, mais ses cornes sont rouges en considération des énergies ignées inhérentes à la matière d’apparence passive. A l’animal domestique lourd et patient qui laboure le sol succède l’impétueux Lion de saint Marc, dont la crinière teintée de jaune et de rouge flamboie comme le Feu dévorant, symbolisé par le fauve, qui, en tant que constellation zodiacale, nous vaut la chaleur torride de l’été, fatale aux plantes vertes qu’elle dessèche, mais indispensable à la maturation des céréales. En diagonale avec le Taureau terrestre, l’Aigle de saint ,Jean s’apprête à déployer ses ailes qui sont extérieurement dorées, de même que son bec et ses serres, alors que le reste de l’oiseau est bleu, couleur de l’Air. Entre l’Aigle et le Boeuf, constellations de l’automne et du printemps, se place l’Ange de saint Matthieu, qui est astronomiquement le Verseau, signe opposé au Lion; c’est aussi le Génie de la Tempérance (arc. XIV). Vêtu de rouge, cet Ange s’enveloppe de nuages, au-dessus desquels il étend ses ailes d’or. Celles-ci l’élèvent à la plus pure intellectualité, dont s’imprègnent les vapeurs sublimées qui se condensent autour de lui, en attendant qu’elles se résolvent en pluies spirituellement fécondantes.

L’Ange et les trois animaux sacrés sont représentés dans le ciel par des étoiles de première grandeur situées aux quatre points cardinaux : Aldélbaran ou l’Oeil du Taureau, Régulus ou le Coeur du Lion, Altaïr Lumière de l’Aigle, et Fomalhaut du Poisson austral, qui absorbe l’eau que répand le Verseau. Ces astres marquent les extrémités d’une croix dont le centre est l’étoile polaire, qui, par son immobilité au milieu de la giration céleste, correspond dans l’arcane XXI à la jeune fille qu’encadre un ovale de verdure figurant la zone de l’écliptique.

Dans un Tarot imprimé à Paris en 1500, le Monde est représenté par un globe, analogue à celui que l’Empereur (arc. IV) tient en sa main gauche. Les branches de la croix penchée qui surmonte ce globe sont autant de sceptres promettant domination sur le quaternaire des Éléments. La double opposition des puissances génératrices de la matière n’est pas figurée par les symboles zodiacaux des équinoxes et des solstices :

Ange – Lion, Aigle – Taureau, car le Monde est ici soutenu par le souffle des quatre vents de l’Esprit, comme s’il résultait de la rencontre d’actions éthérées s’exerçant en sens contraire. Au-dessus de la sphère mondiale se dresse une grande femme entièrement nue, qui soulève de la main droite un immense rideau, dont elle rassemble l’extrémité dans sa main gauche.
C’est la Vérité se manifestant sans réserve, en écartant le voile des apparences, pour communiquer le secret de l’essence des choses. Posséder ce secret, c’est disposer de la science universelle et de la puissance illimitée qui en découle ; c’est réaliser l’idéal de l’adepte accompli.

Ce qui distingue le Sage, c’est qu’il ne se fait aucune illusion sur la fausse réalité qui tombe sous les sens. Devant. sa vue spirituelle tout devient esprit. Le Monde lui apparaît comme le miracle de la Chose unique des Hermétistes. En conservant l’Unité radicale de ce qui est, nous nous élevons à la Gnose, récompense suprême des efforts consacrés à la recherche du Vrai. Cette connaissance directe (Gnosis) se traduit en extase intellectuelle, provoquée par la contemplation du sanctuaire dont la Papesse (II) tient les clefs. Nul ne pénètre dans le Temple où resplendit la pure lumière de l’Esprit; mais lorsque la matière s’évanouit devant notre perception mentale, aucun obstacle ne s’oppose plus à notre complète illumination. Pénétré par la Lumière divine, l’homme, définitivement relevé de sa chute, devient lumineux et achève ainsi le cycle de sa réintégration.

La 21ème lettre de l’alphabet hébraïque est le Shin et non le Tau; c’est cependant cette dernière qui convient à l’arcane marqué du chiffre XXI, car elle correspond au Tout complet et achevé auquel aboutissent logiquement les sept ternaires et les trois septenaires du Tarot. Le Tau primitif est une simple croix verticale ou oblique.

Interprétations divinatoires

Cosmos. Univers coordonné. Règne de Dieu. Temple idéal achevé. Totalité. Réintégration. Perfection.

Science intégrale. Souveraine puissance spirituelle. Extase, Apothéose, Récompense. Incorruptibilité. Intégrité absolue.

Réussite complète. Achèvement. Couronnement de l’oeuvre entreprise. Ambiance. Milieu favorable au résultat décisif : tout ou rien, entourage. Bénéfice tiré de la collectivité. Homme d’État, ministre, fonctionnaire supérieur hostile. Obstacle extérieur insurmontable.

LE FOU

L’ordre des arcanes des anciens Tarots est marqué en chiffres romains de I à XXI ; puis vient une dernière composition qui se distingue, des autres par l’omission de toute indication numérale. Son rang est le vingt-deuxième, mais sa valeur symbolique équivaut à zéro, car le Fou est le personnage qui ne compte pas, vu son inexistence intellectuelle et morale. Inconscient et irresponsable, il se traîne à travers la vie en être passif, qui ne sait où il va et se laisse mener par les impulsions irraisonnées. Ne s’appartenant pas à lui-même, il est possédé : c’est un aliéné dans toute la force du terme. Son costume est bariolé, pour indiquer les influences multiples et incohérentes constamment subies. Le turban gonflé de lubies, est rouge, vert, blanc et jaune, mais le rouge est orangé, couleur du feu destructeur qui suggère des idées dangereuses. Cette teinte est aussi celle du bâton que le Fou tient de la main droite et dont il s’encombre inutilement, car il ne s’en fait ni une canne en marchant, ni un appui et s’en sert encore moins a la façon de l’Ermite (IX), pour sonder le terrain sur lequel il s’avance. Les yeux perdus dans le vague des nuages, l’insensé poursuit sa route au hasard de ses impulsions, sans se demander où il va.

De sa main gauche, le Fou maintient sur son épaule droite une courte trique grossièrement équarrie à laquelle pend une besace renfermant son trésor de sottises et d’insanités, que soutient une extravagante idéalité, d’où la couleur bleue du second bâton.

Les chausses jaunes du Fou pendent et découvrent ce qu’elles devraient cacher. Cette inconvenante exhibition fait songer à ce qui advint à Moïse désireux de contempler Javeh face à face. Comme l’ineffable nous échappe, l’indiscret dut se contenter du spectacle de la création, qui correspond à l’envers de la divinité. Nous devons être assez raisonnables pour ne pas sortir du domaine limité de la raison. L’Infini n’est pas de notre compétence, et quand nous essayons de l’aborder, fatalement nous déraisonnons. Gardons-nous donc de suivre le Fou, qui, mordu au mollet gauche par un lynx blanc, est contraint de marcher sans s’arrêter, car la course de ce juif errant est sans but ni objectif. Elle se poursuit indéfiniment en pure perte.

Le lynx, dont la vue est perçante, chasse l’inconscient vers un obélisque renversé, derrière lequel guette un crocodile, prêt à dévorer ce qui doit retourner au chaos, c’est-à-dire à la substance primordiale dont est issu le monde coordonné. Symbole de lucidité consciente et du remords qui s’attache aux fautes commises, le lynx retiendrait un être capable de discernement; mais, loin d’arrêter le Fou, la morsure hâte son acheminement vers son inéluctable destinée.

Il n’est cependant pas dit que l’insensé ne puisse recouvrer son bon sens, car une tulipe d’un rouge pourpre, suggestif de spiritualité agissante, penche à ses pieds une corolle qui n’est pas fanée. Si cette fleur n’est pas morte, c’est que l’esprit n’abandonne pas entièrement les irresponsables, qui sont des innocents. Le Fou porte en outre une précieuse ceinture d’or, qui jure avec la misère de son accoutrement.

Cette ceinture se compose de plaques, sans doute au nombre de douze, par analogie avec le zodiaque, car elle encercle le corps d’un personnage cosmogonique d’extrême importance. Le Fou représente, en effet, tout ce qui est au-delà du domaine intelligible, donc l’Infini extérieur au fini, l’absolu enveloppant le relatif. Il est Apsou, l’abîme sans fond, l’ancêtre des dieux, que ceux-ci reléguèrent hors du Monde, lorsqu’ils résolurent de se créer un empire. Car Apsou se complaisait dans son infinité, s’y étalait avec délices et refusait d’en sortir. Il n’eût jamais créé quoi que ce fût, si son union avec la substance primordiale non différenciée ne l’avait rendu père inconsciemment du premier couple divin. Ces premiers nés, se tenant l’un l’autre, se mirent à danser en rond, autrement dit à évoluer circulairement dans l’éther en y déterminant le mouvement générateur de toutes choses. Mais abstenons-nous de tout anthropomorphisme pour nous figurer le fils et la fille d’Apsou, car leur forme nuageuse se rattache à celle des ophidiens, et sans doute plus spécialement à celle de l’Ouroboros, le serpent qui se mord la queue, auquel la ceinture du Fou fait fort vraisemblablement allusion. Le cercle formé par la ceinture peut d’ailleurs se rapporter plus simplement à l’Alun des Alchimistes, dont le signe est un zéro exactement circulaire. Or, l’Alun est le sel principe des autres sels, en d’autres termes le substratum immatériel de toute matérialité.

C’est le prétendu néant qui remplit le vide primordial dont tout provient, substance passive que personnifie le Fou.

Cet insensé met en garde contre la divagation qui guette l’esprit dès qu’il prétend dépasser les limites du Réel, dont I et XXI, Aleph et Tau, marquent le commencement et la fin. L’arcane privé de nombre se rapporte à ce qui ne compte pas, au fantôme irréel que nous évoquons sous le nom de Néant, par opposition su Tout-Un, en dehors duquel aucune existence n’est concevable. Le sage ne saurait être dupe des mots ; loin d’objectiver extérieurement la négation verbale de l’Être, il cherche le Fou en lui-même, en prenant conscience du vide de l’étroite personnalité humaine, qui tient tant de place dans nos pauvres préoccupations. Apprenons que nous ne sommes rien et le Tarot nous aura confié son dernier secret !

La constellation qui répond le mieux au symbolisme du dernier arcane du Tarot est celle de Céphée, roi d’Éthiopie, mari de Cassiopée (arc. II, la Papesse) et père d’Andromède, la jeune fille nue de l’arcane XVII. Ce monarque africain est noir, couleur que nous donnons au Fou bien que les imagiers n’aient pas songé à en faire un nègre, pas plus qu’ils n’ont noirci la Papesse, gardienne des ténèbres qui planent sur l’abîme où se perd l’intelligence Fille d’un père noir et d’une mère qui, à la rigueur, pourrait être blanche, l’Andromède de l’arcane XVII devrait être pour le moins brune et non blonde. Mais les rapprochements astronomiques, qui nous sont faciles, n’étaient guère à la portée des auteurs du Tarot, dont l’oeuvre est restée perfectible sur certains points. Dans la sphère céleste, Céphée pose les pieds sur l’extrémité de la queue et l’arrière-train de la Petite Ourse, qui ne saurait ainsi le mordre, à l’encontre du lynx acharné sur le mollet du Fou.

Interprétations divinatoires

Parabrahm, Apsou, l’abîme sans fond, l’Absolu, l’Infini, Ensoph. Ce qui dépasse notre compréhension. L’Irrationnel, l’absurde. Le vide, le Néant, la Nuit cosmogonique. La substance primordiale. Désintégration, anéantissement spirituel. Nirvâna.

Passivité, impulsivité, abandon aux instincts aveugles, aux appétits et aux passions. Irresponsabilité, aliénation, folie. Inaptitude à se diriger, incapacité de résister aux influences subies. Médiumnité, sujétion, perte du libre-arbitre. Esclavage.

Nullité. Jouet des forces occultes. Déséquilibré influençable. Sujet hypnotique. Instrument d’autrui. Inconscience. Profane non initiable. Aveugle entraîné à sa perte. Insensé s’abandonnant à ses lubies. Insensibilité, indifférence, nonchalance. Incapacité de reconnaître ses torts et d’en éprouver du remords.

A.S.:

View Comments (1)

  • Je n'ai jamais eu l'idée de relever le SYMBOLISME des cartes en général, mais pourquoi pas! Félicitations pour cette tirade.