Voici une contribution d’un lecteur de GADLU.INFO intitulé “Rites & Rituels maçonniques : de l’orthodoxie à l’innovation“
Rites & Rituels maçonniques : de l’orthodoxie à l’innovation.
En surfant sur le site de la GL-AMF, j’ai découvert la profession de foi de Jean-Marie DUBOIS, assistant grand maître du Rite Français de la GL-AMF, faite le 11 janvier 2015. Sa lecture m’a plongé dans une profonde perplexité d’autant qu’elle contrastait sévèrement avec les paroles de sagesse, d’ouverture et de sérénité du nouveau Grand Maître de la GL-AMF depuis le 10 janvier 2015, le VF Claude BEAU. Il y était expliqué (je cite) que ”… notre mission est d’expurger les touches de syncrétisme qui se sont imposées au cours du temps au détriment de la spécificité et de la richesse de chaque Rite et de combattre des innovations ne reposant sur aucune base historique avérée.”
Puis, après la perplexité, vint le malaise. Tout d’abord par les termes employés, comme ”mission”, ”expurger”, ”syncrétisme” ou ”combattre” résonnant comme un discours guerrier ou un prêche. Ils méritent de s’y arrêter une seconde. ”Mission”, ”Combattre”, vocabulaire de combat ou d’évangélisation le plus souvent employé par les militaires ou les religieux, ”Expurger” dont le Larousse indique qu’il s’agit ”d’éliminer d’un texte ce qui est contraire à la décence, à la morale ou à la religion”. Enfin, ”Syncrétisme”, système philosophique ou religieux qui tend à faire fusionner plusieurs doctrines différentes.
Outre les mots employés, la signification de ce message. En consultant à nouveau le dictionnaire, il est écrit qu’un rite est un ensemble de règles fixant le déroulement d’un cérémonial quelconque, action accomplie conformément à des règles. Un rituel est donc un texte qui codifie les règles à appliquer lors d’une cérémonie. Il existerait donc des rites ”sacrés” en Franc-maçonnerie qui, telles les tables de la Loi offertes à Moïse ou les sourates du Coran, révélées par Dieu, seraient immuables et intangibles. Et qu’en conséquence, toute innovation contemporaine ou toute inspiration empruntée d’un autre rite serait à combattre et à éradiquer sans relâche ?
Ce raide postulat a le mérite de poser la question de la place et de la nature des rites et des rituels en Franc-maçonnerie.
Abordons tout de suite une première hypothèse. La Franc-maçonnerie est-elle une religion avec des rites révélés par Dieu, et de facto, gravés dans le marbre sans espoir d’évolution ?
Le site de la Grande Loge Unie d’Angleterre nous apporte une réponse claire : «Freemasonry is one of the world’s oldest and largest non-religious, non-political, fraternal and charitable organisation.» (La franc-maçonnerie est l’une des organisations non religieuses, non politiques, fraternelles et charitables les plus anciennes et les plus grandes au monde.) Ce qui est confirmé par Jonathan Spence, Député Grand Maître de la Grande Loge Unie d’Angleterre, la ”loge Mère” de la Franc-maçonnerie régulière, dans son discours du 14 septembre 2011[1] : « […] nous devons être absolument clairs sur le fait que nous appartenons à une organisation laïque [secular], c’est-à-dire une organisation non-religieuse […] La Franc-Maçonnerie, comme nous le savons tous, n’est ni un substitut de religion ni une alternative à la religion. Elle ne s’occupe certainement pas de spiritualité et ne possède aucun sacrement ; […] ».
Ouf ! N’étant pas une religion, définie par Cicéron comme «le fait de s’occuper d’une nature supérieure que l’on appelle divine et de lui rendre un culte», il n’est pas à craindre la colère divine à revisiter les rituels pratiqués en maçonnerie puisque ces derniers étant non révélés par Dieu mais bel et bien écrits par des hommes. Et selon l’adage, ce qu’a fait l’homme, l’homme peut le défaire. Ainsi sur la question des Landmarks par exemple, Alain BERNHEIM[2] déclare : « Il n’y a pas de règles immuables au sein de la Franc-Maçonnerie, les règles changent ».
Par ailleurs, les rites et rituels de la Franc-maçonnerie se sont inspirés des mythes de l’Antiquité, des canons de la chrétienté, de l’esprit de la chevalerie et de l’imagerie des Templiers, de l’esprit du siècle des Lumières, du positivisme scientifique. ”Elle a puisé dans toutes les sagesses, notamment les penseurs et les mythologies antiques, qu’ils soient grecs, latins ou égyptiens” explique Roger Dachez[3]. La forme de l’étoile flamboyante, ornée d’un G (pour géométrie, gnose ou …god) en son centre, rappelle les graphismes chers aux adeptes de Pythagore, tout comme les proportions du rectangle du Temple, inspirées du nombre d’or. Ce constat est partagé par d’autres éminents Franc-maçons : ”Voilà trois siècles que nous nous enrichissons de toutes les traditions spirituelles du monde, pourvu qu’elles ne soient pas contraires à nos principes de tolérance et de libre-pensée», résume Marc Henry3, passé Grand Maître de la Grande Loge de France. Un avis aussi partagé par Pierre Mollier3, directeur du musée du Grand Orient de France à Paris: «La franc-maçonnerie est un voyage initiatique dans les civilisations, un syncrétisme étonnant, qui s’est nourri des sociétés qui l’ont vu naître, sans esprit de dogme»
Mais alors, quel est donc ce Rite Français, pour lequel tout syncrétisme serait interdit, alors même qu’il est un rite d’une entité elle-même issue d’un syncrétisme étonnant ? Le « Rite français moderne » est présenté par ses défenseurs comme le plus fidèle à celui de la Grande Loge de Londres de 1717, rite fondateur de la franc-maçonnerie spéculative, dit Rite des Modernes. Le rite de la Grande Loge de Londres, importé par des Franc-maçons britanniques implantés en France, il est traduit en français avec quelques adaptation aux spécificités françaises. C’est l’une des premières difficultés. Il semble que La Constitution de 1723 ne soit qu’une étape, à l’image du droit anglais de nature jurisprudentiel, alors que la conception française, imprégnée d’un long héritage de droit romain normatif et positif, a une tendance jacobite et immuable. Ce sont deux modes de pensées aux antipodes et toujours la source de nombreuses incompréhensions. Puis, le Grand Orient de France, nouvellement créé en 1773, pour asseoir sa légitimité, a voulu s’emparer de l’importante question des rituels. Sur la base des plus anciens textes maçonniques en français des années 1740-1750, le GODF adopte en 1785[4] une version officielle française du Rite anglais des Modernes, renommé ”Rite Français”[5].
Contrairement à une pensée parfois admise, les rites maçonniques et leurs rituels ne sont donc pas fossilisés relevant d’une espèce de paléontologie maçonnique mais relèvent de ”l’éveil de la conscience” pour paraphraser Henri Tort-Nouguès, passé Grand Maître de la Grande Loge de France. Et l’éveil de la conscience doit bien suivre évidemment l’évolution de la pensée des Frères. Refuser d’apporter des innovations d’un rite serait un peu comme si l’on refusait de considérer l’Univers autrement qu’à son instant initial, le Big Bang, ou celle d’un homme à celui de sa naissance.
D’ailleurs, les rites maçonniques n’ont cessé d’évoluer. De tous temps et en toutes circonstances, pour les raisons les plus sérieuses, comme la querelle des Anciens et des Moderns, aux plus futiles. L’étude de ces documents montre qu’ils évoluèrent assez considérablement au fil du temps. Au XVIII siècle et avant, les rituels maçonniques étaient beaucoup plus simples que ceux d’aujourd’hui, la cérémonie d’élévation au grade de maître avec l’allégorie à Hiram n’étant apparue que beaucoup plus tardivement. Ces rites n’étaient pas écrits en général et n’étaient imprimés qu’à la marge par peur des indiscrétions.
Les Rites les plus anciens en général ne sont plus connus de nos jours que grâce à un très petit nombre de notes manuscrites ainsi que par quelques anciennes divulgations. A ce titre, il est loisible de noter le cas du Rite du Mot de maçon[6], dont on retrouve mention dès 1637 notamment à la loge de Kilwinning en Écosse, qui a aujourd’hui disparu.
D’ailleurs quand un rite est imprimé, il n’est pas à l’abri de se retrouver dans le monde profane. C’est d’ailleurs sur la version d’un rite connu à cause de l’indiscrétion d’un imprimeur peu scrupuleux qui a diffusé à des fins vénales Le Régulateur du Maçon et Le Régulateur des Chevaliers Maçons en 1801[7] que les Frères de la GL-AMF travaillent au Rite Français. Et la fiabilité des imprimeurs à l’instar de la mésaventure de Johannes KEPLER[8] est loin d’être certaine…
Un bon exemple de la versatilité d’un rite serait l’évolution du rite Français au sein du GODF si cela n’était pas aussi long à décrire. Contentons nous de citer deux points antagonistes que furent la suppression de la référence au GADLU en 1877 et 1879 puis le retour à un symbolisme soutenu par Arthur GROUSSIER[9] à partir de 1938.
Dès les années 1740, de nouvelles divergences apparaissent à côté des rituels traditionnels, sous la forme de centaines de rituels de degrés nouveaux dit ”hauts grades”[10] ou ”side degrees”, parfois créés par des frères très fantasques et fantaisistes. Ils s’installeront pourtant peu à peu dans le paysage maçonnique. Et pour revenir à la Franc-maçonnerie régulière, les rituels de la GL-AMF datent de … 2012, ne serait-ce que pour des questions de copyright des précédents appartenant à la GLNF, avec parfois des modifications qui plongent le lecteur dans une perplexité sans fond… Par exemple, entre le Rite Français de la GLNF à celui de la GL-AMF, l’entrée en cortège du Vénérable a été supprimée… Les Frères doivent donc revêtir leur décor au sein du Temple comme on le ferait aux vestiaires avant une séance de sport.
Ce faisant les Frères sont privés de cette phase intermédiaire qu’est la préparation sur les parvis, puis passant entre les colonnes, ils puissent avoir cette sensation de passer du monde profane au monde sacré, débutant ainsi une préparation mentale indispensable à la suite. Les loges ont-elles été consultées ? Le choix a-t-il été offert aux loges ? A l’heure d’internet et des facilités de communication, il n’y plus aucune raison de ne pas consulter les loges.
Alors les tenants d’une discipline de fer, arguant que la Franc-maçonnerie est un Ordre au sein duquel on doit une obéissance aveugle à l’obédience se trompent. L’obéissance des Frères est non un dû mais un don, un cadeau fragile et précieux comme du cristal. Encore n’est-il offert que pendant la durée des travaux dans l’espace sacré !
Est-ce à dire aussi que les Frères du XVIII° siècle avaient une liberté de créer, d’innover dont les Frères du XXI° seraient privés au nom d’une prétendue spécificité ou de bases historiques qui, loin d’être avérées, demeurent floues et d’inspiration variées ?
Alors, certes, les Rites ont été mis en place afin d’uniformiser et d’harmoniser les usages des loges pratiquant les mêmes rituels au sein d’une même obédience, mais ils doivent être plus un fil conducteur qu’un oukaze.
Dès lors que les travaux se déroulent à la gloire du GADLU, que la présence des trois lumières soit effective, que le tableau ou le tapis de loge du grade est en place, que la disposition des chandeliers autour de celui-ci, la position des colonnes « J » et « B » et celles des surveillants sont conformes, que les batteries se fassent en « deux coups brefs et un plus long » ainsi que les acclamations par les ”Vivat”, que l’entame d’un déplacement se fasse du pied droit[11], ne peut-on pas parler d’une bonne pratique du Rite Français dans la franc-maçonnerie régulière dont se réclame la GL-AMF ? Est-ce si extraordinaire que les Frères de 2015 adaptent à la marge des rituels ayant pour certains plus de 300 ans et maintes fois tripatouillés ? N’est-il pas salutaire que les rites évoluent ? D’ailleurs, le port de l’épée, pourtant prévue, est de plus en plus inusité… ce qui n’est pas plus mal en ces temps de Vigipirate où se promenait avec une épée, même factice, pourrait conduire à quelques pertes de temps pour expliquer le pourquoi du comment à un agent de la force publique assez médusé…
Par essence, chaque rite est imprégné d’une personnalité propre, mettant en lumière ses forces mais aussi ses faiblesses. Et le Rite français, dit régulateur du maçon 1801, ne fait pas exception à la règle. Par exemple, depuis les temps immémoriaux, les sociétés initiatiques, mais aussi toujours aujourd’hui d’autres rites maçonniques, pratiquent une purification des profanes comportant 4 étapes : la Terre, l’Air, l’Eau et le Feu. Et bien, au rite Français, il n’y a pas de purification à l’air, il n’y a pas de purification au premier voyage, pourtant l’un des plus éprouvants avec le passage au cabinet de réflexion. Alors, omission, étourderie ou volonté délibérée ? De qui ? De quel droit ?
Dès lors, est-ce que les Frères pratiquant le rite Français régulateur du maçon 1801 et introduisant dans les secrets de leur loge, sans aucune volonté hégémonique ou de prétention universelle, une purification à l’air au premier voyage comme il y a celle de l’eau au second et celle du feu au troisième voyage, et avant cela celle de la Terre au sein du cabinet de réflexions, deviendraient-ils des ”pêcheurs” ou des ”blasphémateurs” devrant être combattus ?
Ou bien encore, le fait que soient évoquées les correspondances diverses après l’appel des frères de la loge mais avant la présentation des Frères visiteurs ?
Quel est le Frère ou les Frères qui ont manqué à ce point de courtoisie et de sens de l’accueil pour placer dans les rituels du rite français l’accueil de Frères qui, par leur présence, réhaussent la qualité des travaux, après la lecture de paperasses pas toujours intéressantes ? Dès lors, toujours dans le secret de leur loge, serait-il si condamnable qu’une inversion de ces deux points du plan des travaux[12] ait lieu, afin qu’ainsi, dans la continuité de l’appel des FF de la loge, soit faite la présentation des Frères visiteurs afin qu’ils rejoignent au plus vite l’égrégore de la loge ? La courtoisie serait-elle hérétique ?
A ce titre, le Rite Opératif de Salomon, issu du rite Français, prévoit, en plus de la traditionnelle chaîne d’union à la fin des travaux, une chaîne d’union aussi à l’ouverture des travaux afin de faire naître au plus vite l’égrégore entre les Frères, assurant ainsi un cadre propice au travail. Le ressenti est très fort. N’est-ce pas une magnifique innovation, l’innovation étant le processus consistant à innover, c’est-à-dire à chercher à améliorer constamment l’existant ?
Enfin, car il y aurait d’autres exemples, la version actuelle du Rite français prévoit qu’après la lecture de l’ordre du jour, le Vénérable demande à l’Orateur de faire part des changements ou omissions qu’il aurait remarqué. Seulement après la réponse de ce dernier, le Vénérable invite les frères sur les colonnes à faire leurs propres observations. Mais comment faire une observation après que le Frère Orateur, gardien du règlement, siégeant à l’Orient, ait déclaré que la planche est conforme à l’esquisse ?
La lecture d’ouvrages relatifs au rite de 1785[13] révèle qu’originellement le Vénérable demandait à l’Orateur ses observations, puis faisait de même avec les FFMM&CC sur les colonnes avant de demander à l’Orateur ses conclusions sur lesquelles votaient les maîtres. Sans doute par souci de simplification, les interrogations ont-elles été simplifiées. Mais dans un sens qui défrise la logique ! Il serait en effet plus adéquat que le Vénérable fasse demander aux Surveillants si les FF sur les colonnes ont des observations à faire avant de demander simultanément ses observations et ses conclusions à l’orateur sur lesquelles le vote serait effectué. Le bon sens serait-il blasphématoire ?
Les Rites et les Rituels ont de tous temps évolué, allant parfois jusqu’à se scinder, créant ou inspirant de nouvelles manières de pratiquer la Franc-maçonnerie, chaque siècle ayant vu l’apparition de dizaines de rites. Et c’est heureux ! Pour ne citer que quelques déclinaisons du Rite Français : le Rite Français dit ”Murat” (1858), Rite Français dit «Amiable», Rite Français -”Groussier” (1938), Rite Français Traditionnel (ou Rite Français Moderne Rétabli)[14], le Rite Français Philosophique (1969-1970) ou le Rite Opératif de Salomon[15] (1974).
Car peu importe si les Frères empruntent le milieu du chemin, ses bas-côtés ou la lisière de la forêt, l’essentiel est qu’ils progressent sur le chemin du questionnement, à la recherche de l’Indicible ou de ce que certains appellent la Conscience cosmique, car à notre époque où l’individualisme triomphe, « tous les chemins menant au principe suprême de la transcendance comptent ».
Les rites et les rituels ont donc une vocation naturelle à évoluer, à innover, afin de prendre en compte les inévitables évolutions des mentalités, des progrès sociaux ou même de la façon de voir des Frères en fonction de leur époque.
Et puis, l’essentiel n’est-il pas que les Frères se sentent bien en pratiquant les rituels d’un rite ? Sur le base de leur rite, en respectant les caractéristiques majeures identitaires, n’est-il pas concevable qu’ils adaptent à la culture de leur loge tel ou tel point du rituel. Pour revenir sur un exemple cité, est-ce que le Rite Français serait dénaturé si la présentation des visiteurs s’inscrivait avant la lecture de la correspondance diverse ? Bien sur que non ! Cela serait d’ailleurs le travail des Inspecteurs lors de leurs visites aux loges que de s’assurer que les adaptations ne dénaturent pas les fondamentaux du Rite tout en laissant une marge de manœuvre à la culture de chaque loge.
La liberté intérieure – et le Franc-maçon est un homme libre – est aussi un refus : celui d’accepter n’importe quelle vérité révélée par d’autres hommes qui s’attribueront ensuite pour eux-mêmes ou leurs disciples, le droit d’en vouloir tirer des règles impératives de conduite sans adaptation ni innovation à imposer à leurs Frères.
Et le fait que les Frères se sentent bien est primordial pour ce que nous venons faire en loge. Il me semble que nous ne venons pas en loge pour ânonner un rituel. Comme dirait ma mère, belle-fille, femme et mère de Franc-maçons, autant dans ce cas aller à la messe !
La pratique d’un rite avec ses rituels a pour vocation à permettre à l’esprit des Frères de quitter le monde profane. Comme une rampe de lancement ou un tremplin permettant de s’arracher de la pesanteur du profane pour s’élever à la recherche du subtil, de l’indicible sur le chemin de la connaissance. Ainsi désenglué des préoccupations du quotidien, l’esprit des Frères se met en condition pour travailler ensemble et être réceptifs à eux-mêmes et aux autres. La pratique d’un rituel invite les Frères à une ouverture de conscience, à faire naître l’égrégore de la Loge qui en retour nourrira la conscience éveillée des présents. La pratique du rituel demande une présence consciente et une participation spirituelle absolue à tous les Frères présents et une intériorisation de leurs fonctions respectives aux officiers. De la même manière que le corps passe entre les deux colonnes pour entrer dans le temple, limite symbolique entre le monde profane et le monde mystérieux de la loge, le rituel permet cette translation.
Toutes les sociétés initiatiques ont cette préparation spirituelle avant le travail en commun que cela soit la danse, l’extase apollinienne, le chant, le son du tambour, la consommation de potions ou fumer un calumet. Les Franc-maçons ont les rituels.
Nous venons en loge pour travailler, sur soi et sur le monde, à la recherche de la connaissance de son être intérieur et des mystères de l’Univers. La Franc-maçonnerie a pour but de lutter contre l’ignorance sous toutes ces formes. Le rituel doit conduire tous les assistants sur le chemin de la connaissance.
Jung disait : «Les plus belles vérités du monde ne servent de rien tant que leur teneur n’est pas devenue pour chacun une expérience intérieure originale.». Le travail maçonnique en loge a pour but de permettre à chaque Frère de vivre cette expérience. Le travail et la recherche de connaissances – cheminement sans fin, mais le cheminement n’est-il pas plus intéressant que l’arrivée elle-même ? – sont le cœur du travail maçonnique.
Si la pratique du rituel est une première étape, il convient aussi de nourrir l’éveil de nos consciences. D’où l’importance aussi d’écouter des Frères ”plancher” afin de ressentir ce que l’orateur du moment partage avec les présents et que nous n’aurions pas été capables de soupçonner en étant seul. Il nous faut acquérir des connaissances qui seront comme autant de béquilles sur le long – et infini – chemin maçonnique.
Quelle que soit la planche prévue au plan de travail, quelle que soit la nature de ce travail et des discussions et analyses qui en découlent, nous ne sommes réunis que pour nous enrichir de nouvelles connaissances, d’une autre manière de ressentir et de percevoir présentée par le frère orateur de circonstance , mais contrairement à un cadre universitaire, non pour décrocher quelques diplômes que cela soit ou encore plus de métaux, mais une connaissance désintéressée, profonde et partagée afin de mieux sentir le subtil, les mystères de l’existence, l’énergie cosmique à la recherche de ce Un qui est Tout.
Ce faisant, peu à peu, le Franc-maçon transforme ainsi son être intérieur, s’ouvrant à plus de tolérance, plus d’écoute des autres et du monde, et sentir ainsi, le rythme du cosmos[16] et être à l’unisson avec l’univers dessiné par le Grand Architecte de l’Univers.
Comme disait René Guénon : «Au point de vue de la Tradition, l’être est complètement ce qu’il transmet, il n’existe que par ce qu’il transmet et dans la mesure où il transmet.».
Dans le cas contraire, si les Franc-maçons se contentent d’ânonner un rituel immuable et sacralisé, ils s’exposent à de féroces critiques telles celles de Serge Abad-Gallardo[17] qui a répondu dans un interview à la question de ce qu’il retenait des rituels maçonnique : ”Je retiens le vide, le vide spirituel ! Les rites et symboles servent avant tout à attirer la curiosité des adeptes. La franc-maçonnerie copie ou parodie de nombreux rituels religieux.”. Alors certes, la position de Serge Abad-Gallardo est loin d’être objective puisqu’il plaide pour une incompatibilité entre le Franc-maçonnerie et la religion catholique. Mais ayons l’humilité de prendre en compte ce ressenti d’un ancien Vénérable…
Retenons simplement de sa vindicte que les rituels de nos différents rites, ont pour nature intrinsèque et profonde d’évoluer et de s’adapter localement pour le plus grand bien être des Frères, leur permettant ainsi, comme un fil guide ou un tremplin, d’ouvrir leur conscience au travail qui va suivre. Mais en tout état de cause, les rites et rituels ne constituent aucunement une fin en soi au risque d’incarner un ”vide spirituel”.
Louis Neveu
Août 2015
[1] – Cité par Roger Dachez dans son article « Régularité et reconnaissance : réflexions historiques sur une équivoque maçonnique ».
[2] – Pianiste de renommée internationale, il abandonne sa carrière en 1980 pour des raisons de santé et se consacre alors à la recherche et à l’histoire de la franc-maçonnerie. II est membre de la Grande Loge Suisse Alpina et de la Grande Loge Régulière de Belgique après avoir été initié au GODF en 1963. De 2010 à 2014, il a appartenu à la Grande Loge Unie d’Angleterre en tant que premier Français élu membre actif de la loge Quatuor Coronati No. 2076, dont il a été Premier Surveillant. Auteur de plusieurs livres et de très nombreux articles en français, en anglais et en allemand, il a participé aux plus prestigieuses revues maçonniques.
[3] – Cité dans un article de Vincent NOUZILLE, ”Les secrets des Franc-maçons”, Le Figaro du 19 juillet 2015.
[4] – Sur la base des travaux du Grand Chapitre Général de France de 1784.
[5] – Sous l’impulsion notamment d’Alexandre Roëttiers de Montaleau (1748-1808), orfèvre du Roi, conseiller à la Chambre des Comptes puis directeur à la Monnaie de Paris. Il fut un acteur majeur du GODF qui lui doit sa survie durant la Révolution (emprisonné pendant la Terreur après avoir caché les archives de l’obédience).
[6] – Voir les différents ouvrages de Patrick NEGRIER qui fut vénérable à la GLDF et rédacteur en chef de la revue Points de vue initiatique.
[7] – Les fac-similés des cahiers officiels du GODF étaient uniquement délivrés aux loges qui en faisaient la demande par écrit, contre rémunération.
[8] – Joahnnes KEPLER (1571-1630), astronome impérial, est l’auteur des Lois de Kepler qui régissent les mouvements des planètes sur leur orbite. Ce pionnier de l’astrophysique a vu un de ses principaux ouvrages ”déformé” par l’imprimeur.
[9] – Élu président du Conseil de l’ordre du Grand Orient de France en 1925, son mandat est interrompu en 1940 par le gouvernement de Vichy, puis renouvelé en 1944-45.
[10] – Pour le Rite Français, le « Grand Chapitre général de France » créé en février 1784 a agrégé et codifié les «Ordres de Sagesse ».
[11] – Toutes choses que la Grande Loge des « Anciens » changea par la suite à partir de 1751.
[12] – Ordre du jour.
[13] – ”Le Rit Primordial de France dit Rite Français ou Moderne” de Jean VAN WIN, Jean-Pierre DUHAL, Hervé BODEZ et Hervé VIGIER, éditions Télètes (2014) ou
‘Rit Français d’origine 1785 : dit Rit Primordial de France” de Maurice BOUCHARD, Philippe MICHEL ou Pierre MOLLIER, éditions Dervy (2014).
[14] – Mis en usage dans les années 1960 sous l’impulsion de René GUILLY.
[15] – Pratiqué par les loges de l’Ordre Initiatique et Traditionnel de l’Art Royal (OITAR).
[16] – De nombreux faits tendent à montrer qu’il existe un rythme du cosmos. D’ailleurs, le communiqué de presse de l’Académie Royale des Sciences de Suède à l’occasion de la remise du prix Nobel de physique 2001 à Eric A. Cornell, Wolfgang Ketterie et Carl E. Wieman a joliment exprimé que les lauréts avaient réussi à faire ”chanter les atomes à l’unisson”.
[17] – Serge Abad-Gallardo, haut fonctionnaire et ancien Vénérable Maître, a passé 24 ans au sein d’une des obédiences les plus importantes de France, celle du Droit Humain avant de quitter le Franc-maçonnerie. Auteur de l’ouvrage ‘ J’ai frappé à la porte du Temple…’ – Pierre Téqui éditeur.
Très bon texte, plein d’intérêt, mesuré, riche en contenu et (pas trop) directif. Pourquoi cependant affirmer ceci, qui ne peut recevoir mon agrément : ” … pour que les FF puissent avoir cette sensation de passer du monde profane au monde sacré” ? J’ai le sentiment, et non la sensation, de passer du monde profane au monde initiatique.
Sinon, après première lecture, j’approuve et je diffuse.
Je suis surpris de lire que le Rite Opératif de Salomon, créé par ceux allaient créer ensuite l’OITAR, serait proche du Rite Français. J’y vois, quant à moi, justement un syncrétisme dans lequel on retrouve des traces de tous les Rites connus.
Et il faudrait, par ailleurs, rappeler que les Obédiences ne devraient que gérer les Degrés bleus et n’ont pas à s’occuper des Hauts grades.
Depuis son origine il y a plusieurs centaines de millions d’années, la nécessité biologique pour l’animal humain s’est limitée à 3 impératifs : se nourrir, se désaltérer, se reproduire (cf. travaux du professeur neurobiologiste Henri Laborit).
L’être humain est toujours soumis à ces impératifs et le principe de Liberté que quelques esprits éclairés, révolutionnaires français et pour certains franc-maçons, ont établi avec la déclaration des droits de l’homme, ne date que de moins de 3 siècles.
Ce principe n’est devenu universel qu’en 1948 (moins d’un siècle) au regard des droits de l’homme en oubliant toutefois d’associer les femmes et les enfants.
Lorsque le principe de Liberté, ainsi que ceux d’Egalité et de Fraternité, seront proclamés universellement pour les Êtres Humains (et non les Avoirs Humains) alors nous pourrons concevoir que l’humanité s’est élevé au-dessus de la nature animale.
Quelques siècles, voire encore quelques millénaires seront peut-être encore nécessaires pour y parvenir pour tous les humains.
Peut-être moins pour les franc-maçons qui paraissent pour certains d’entre eux s’être libérés des chaînes de la soumission, de l’allégeance, de l’esclavage aux diktats établis par l’ego démesuré de bien-pensants dictatoriaux pensant sérieusement penser bien, en lieu et place d’autrui, en oubliant d’être sérieux.
Tant que toutes les Grandes Loges se définiront comme étant des obédiences (d’obéir), la liberté de penser ne pourra être qu’un vœu et toute innovation pour un ou des rites au sein d’une Loge sensément être libre ne sera qu’une vue de l’esprit.
Pour le moment, la liberté de chaque humain est seulement de pouvoir parfois, ou croire souvent, choisir les chaînes qui l’entravent.
Mais je rigole bien sûr.
Pleinement d’accord avec la mise au point apportée par François Masson. La Maçonnerie anglaise et écossaise ayant été abondamment citée par l’auteur, je souhaite lui préciser qu’en Ecosse – et ce de temps immémoriaux – l’obligation prêtée par les vénérables intallés fait clairement référence au caractère immuable des pratiques en vigueur puisqu’ils reconnaissent qu’il n’est dans le pouvoir d’aucun homme d’apporter quelque modification ou innovation d’aucune sorte en matière de FM. Il va sans dire que ceci inclut et concerne en premier lieu le rite et les rituels. Une belle leçon de modestie en somme très éloignée de tout esprit de vanité.
Article intéressant et sincère, mais l’emploi, parfois mal à propos, du mot donc risque d’en fausser le sens. Ainsi « Un rituel est donc un texte qui codifie les règles à appliquer lors d’une cérémonie », oui. Mais « Il existerait donc des rites “sacrés” en Franc-maçonnerie… », non. Le postulat est dans l’esprit de l’auteur, non dans l’esprit de celui qu’il cite.
Par ailleurs, la GLU d’Angleterre n’est pas la « [grande] “loge Mère” de la Franc-maçonnerie régulière » (elle n’a créé ni celle d’Irlande, ni celle d’Écosse).
Erreur regrettable mais fréquemment répétée, « la suppression de la référence au GADLU en 1877 et 1879 ». Le Convent du Grand Orient de 1877 a modifié le premier article de sa Constitution, cet article ne mentionnait pas le Grand Architecte, Desmons n’a pas cité une seule fois cette expression dans son discours célèbre.
Enfin à propos de l’idée de « consulter les loges » en ce qui concerne le rituel, je ne me lasserai jamais de citer Lantoine (Hiram Couronné d’Epines pp. 269 & 287):
« En 1922, la Grande Loge de France a soumis à l’étude de ses loges la révision du Rituel — nous disons bien : à l’étude de ses loges. Cela rappelle l’anecdote précieuse, gardée par l’Histoire, du général romain menaçant ses porteurs de les obliger à refaire les oeuvres d’art conquises s’ils venaient à les briser. Si un livre existait auquel la décence ordonnait de ne pas toucher, c’était le Rituel maçonnique. Si pourtant ! Il y avait eu au cours du XIXe siècle, par la manie des rapetasseurs de choses anciennes, des suppressions malheureuses et des adjonctions plus malheureuses encore. Le besoin de voir clair dans des symboles incompris avait fait substituer à des phrases profondes des âneries trop évidentes. Il est impossible, par exemple, que la partie consacrée au Compagnonnage ait été conçue par les ouvriers de la première heure ; on y reconnaît la main imprudente d’un sous-primaire servi par une intelligence débile. Il y a là un invraisemblable magma de puérilités sur les philosophes, sur les cinq sens et sur les arts libéraux ; l’éloge qui s’y trouve fait de l’architecture, de ses maîtres et de ses manifestations à travers les âges est du pompiérisme le mieux averti. Par cela même d’ailleurs que ce cours du 2e degré est le plus accessible au cerveau des maçons, ceux-ci généralement ne le critiquent pas. Ils s’y trouvent à l’aise. […]
Le Rituel est le jardin enchanté qui mène au portique sévère, l’eau lustrale qui doit débarrasser le maçon des impuretés du dehors. Le Beau porte en lui sa force magique, sa « sorcellerie » ; même si sa signification ésotérique n’apparaît pas, les maçons en subissent l’enchantement. Et nous pouvons appliquer au Rituel ce mot que Villiers de l’Isle-Adam prête dans Axel à l’un de ses personnages : « Nul ne peut être initié que par lui-même… je n’instruis pas, j’éveille »
Selon l’adage … L’enfer est pavé de bonnes intentions !
Libre à chacun de modifier les rituels comme il l’entend, mais liberté aussi à celui qui fait le choix d’une obédience qui souhaite rester au plus près du rituel officialisé en 1785.
Liberté également de choisir une obédience qui modifié les rituels avec le temps en fonction des modes de vie ou autres du moment.
Mais la plus parfaite honnêteté intellectuelle aurait été de ne pas occulter que la GLUA, née en 1813 de la fusion des 2 grandes obédiences existant à l’époque, s’est retrouvée autour d’un rituel qui n’a pas varié depuis.
De plus, écrire “Les Frères doivent donc revêtir leur décor au sein du Temple comme on le ferait aux vestiaires avant une séance de sport” est délibérément orienté car la comparaison avec les pratiques de l’époque (XVIIIe) des tenues qui se déroulaient dans les tavernes, et donc nécessitaient de se revêtir dans la salle de travail et non pas dans la salle commune, aurait été une écriture plus objective.
Mais le parti pris est difficilement compatible avec l’objectivité.
L’enfer ? Pavé de bonnes intentions ? Bigre, rien de tout cela ! Un simple ressenti à partager qui ne se veut aucunement universel ou impératif. Et je comprends que l’on ne soit pas d’accord avec moi. Surement pas que l’on mette mon objectivité en cause. L’argument de l’obédience est intéressant quoiqu’un peu binaire. En effet, des FF peuvent faire partie d’une obédience par les hasards de l’histoire et arriver à penser différemment au cours de leur cheminement maçonnique sans pour autant vouloir perdre les FF de leur loge. Par ailleurs, le propos est centré sur le Rite Français et non celui de la GLUA de 1813 directement issu des Antiens. D’autant que l’article évoquait qu’en 2012, les FF de la GLNF passé à la GL-AMF sont passés d’une entrée rituelle à un ”rhabillage” sur le Temple, ce qui est un fait objectif. Ce qui démontre, si besoin était, que certains FF ”sachants” tripotent les rites comme ils l’entendent. Ce qui est un autre fait objectif. Enfin, comme vous l’évoquez vous mêmes, les FF se réunissaient dans une taverne. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Dieu merci, nul besoin aujourd’hui de sentir le fumet de l’Oie ou l’odeur du grill durant les tenues. Ce qui est encore un fait objectif. Dès lors, il est inutile de copier un usage qui n’était du qu’à la particularité du lieu, dès lors que cette particularité a disparu d’autant que l’entrée en cortège participe à la mise en condition ”spirituelle” des FF et cela n’est en rien contraire à l’esprit du Rite français. Sinon, autant continuer à s’habiller d’un juste au corps, de culottes courtes, d’une longue veste avec jabot blanc, de bas de soie et d’une perruque pour rester dans l’ambiance. C’est précisément ce que l’on appelle l’innovation tellement haïe des Salafistes d’ici ou d’ailleurs…