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RÉFLEXIONS SUR LA POÉSIE ET L’HUMANITÉ

Voici une planche intitulée « Ma Poésie » de Jean-Claude von Laufen, Frère de la Loge Fidélité et Prudence à l’Orient de Genève.

Un texte qui nous interpelle non seulement sur la poésie mais surtout sur l’humanité… »On aime, on lit ou on écrit de la poésie parce que l’on fait partie de l’humanité ».

La langue est un instrument à penser. Les esprits que nous appelons paresseux, somnolents, inertes, sont vraisemblablement surtout incultes, en ce sens qu’ils n’ont qu’un petit nombre de mots et d’expressions ; et c’est un trait de vulgarité bien frappant que l’emploi d’un mot à tout faire.

Cette pauvreté est encore bien riche, comme les bavardages et les querelles le font voir ; toutefois la précipitation du débit et le retour des mêmes mots, montrent bien que ce mécanisme n’est nullement dominé. L’expression « ne pas savoir ce qu’on dit » prend alors tout son sens. On observera ce bavardage dans tous les genres d’ivresses et de délire.

Et je ne crois même point qu’il arrive à l’homme de déraisonner par d’autres causes. Aussi est-il vrai que le premier éclair de pensée, en tout homme et en tout enfant, est de trouver un sens à ce qu’il dit. Si étrange que cela soit, nous sommes dominés par la nécessité de parler sans savoir ce que nous allons dire ; et cet état sibyllin est originaire en chacun ; l’enfant parle naturellement avant de penser, et il est compris des autres bien avant qu’il se comprenne lui-même. Penser c’est donc parler à soi.

Certes c’est un beau moment que celui où l’homme, seul avec lui-même, se trouve à la fois architecte, avocat et juge ; c’est le moment de la réflexion ; c’est même le moment de la conscience ; sans doute ne fait-on paraître le Soi qu’en parlant à Soi.

Mais contre ce besoin de reconnaître ce qu’il y a dans le langage, comme mécanisme, il y a une exigence de changement qui est biologique et à laquelle la musique, la poésie et l’éloquence doivent donner satisfaction. Car il faut que certaines parties se reposent et que d’autres se détendent après l’inaction. Et, faute d’une mémoire ornée de belles paroles, le bavard sans culture est jeté de discours en discours, sans pouvoir même répéter exactement ce qui offre au passage comme l’éclair d’une pensée.

Par opposition à cette misère intellectuelle, considérons qu’un beau vers est un merveilleux soutien pour la réflexion. Dans la poésie on ne peut conter autrement, sans manquer au rythme ou à la rime, on ne peut dériver ; on s’arrête, on retrouve et l’on se retrouve. Mais surtout cet art de chanter sa propre pensée développe toujours dans la phrase rythmée la compensation après l’effort, soit pour les sons, soit pour les articulations, ce qui ramène le repos après un travail équilibré de l’appareil parleur ; et l’on se trouve ainsi protégé contre le discours errant, alors qu’une phrase mal faite en appelle une autre.

C’est fort de ces réflexions que j’ai finalement admis que le Cercle des Poètes n’avait pas disparu, et que chacun d’entre-nous était un poète en puissance et en devenir. Mon but ce soir est de rendre la poésie contagieuse, parce qu’elle est «l’anti-polluant de l’espace mental, le contrepoids et le contrepoison d’une existence qui tend à faire de nous des robots».

Prenons le temps de nous arrêter, prenons le temps de contempler l’animal, le végétal, le minéral, prenons le temps d’entendre le silence, prenons le temps de caresser … le temps.


A.S.:

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