X

PLANCHE : OUVERTURE DES TRAVAUX EN LOGE – CLAUDE DARCHE

PENSEE FRATERNELLE ET INOUBLIABLE A NOTRE TRES CHERE SOEUR !

Claude Darche a rejoint GADLU.INFO pour une chronique toute en beauté et symbolisme avec l’Ouverture des travaux en loge !

Pensées fraternelles et très belle année « ma » Claude !

Ouverture des travaux en loge

Quand nous sommes initiés, à quelque rite que ce soit, nous sommes acceptés dans la communauté des francs- maçons. Nous sommes initiés, c’est-à-dire que nous avons subi et vécu la cérémonie d’initiation, mais quant à être initié, c’est autre chose! Les frères ou les sœurs nous ont accepté, libres et de bonne mœurs, ils ouvrent la porte qui donne sur le long chemin escarpé, périlleux, tourbillon- nant, désespérant parfois et souvent joyeux qui mène à la sagesse ou, du moins, à ce que nous penserons être la sagesse, car ici encore, il s’agit d’être humble et de ne pas présumer de nos forces ! L’initiation qui dure toute une vie demande persévérance, assiduité, efforts et courage, elle n’est pas pour les peureux et les velléitaires, elle est pour les tenaces qui s’accrochent dans la longue traversée du tunnel et qui ont pour seul objectif la lumière.

Quand je parlais d’assiduité, il est un moment où celle du maçon se vérifie, c’est le moment de la tenue maçon- nique. Deux fois par mois pour la plupart des maçons, nous nous rendons dans notre loge et y travaillons. Durant cette tenue, il y a deux moments forts et immuables quipermettent au maçon de passer du profane au sacré, l’ou- verture des travaux, pour ensuite faire le chemin inverse et aller du sacré au profane.

Ce sont ces deux «étapes» du rituel que nous allons étu- dier pour mieux mettre en avant la force des mots utilisés et mieux comprendre ce qu’ils impliquent dans l’esprit et l’âme du maçon, ce qu’ils lui donnent à vivre, à exister, à sentir, à comprendre. Car vivre à travers l’expérience et le savoir des autres n’est pas vivre, il nous faut prendre notre vie en mains et suivre notre chemin qui n’est pas celui d’autrui.

«Prenez place! Debout et à l’ordre!»

Épictète, esclave et philosophe stoïcien de langue grecque, affranchi à Rome s’interrogeait ainsi dans ses Entretiens: «Quelle est la première affaire du philosophe? C’est de se défaire de ses prétentions et de ses habitudes; car ce qu’on prétend savoir, on ne peut se mettre ni à le découvrir ni à l’apprendre». Et, nous maçons, en loge et en dehors, nous apprenons à nous défaire de nos habitudes, de nos croyances erronées, de nos carcans, pour aller vers le bel et joyeux aujourd’hui, vers notre être profond, celui qui nous guide et que nous écoutons trop peu souvent! L’ouverture et la fermeture des travaux font partie de ces moments intenses, forts et vrais qui permettent aux êtres de se recentrer et de se retrouver, de se reconnecter à cette partie, souvent enfouie et cachée de nous-mêmes que l’initiation nous a permis de mettre à jour et qui, peu à peu, viendra inonder notre vie, l’enrichir et par là-même, celle des autres.

L’ouverture des travaux est une longue et belle ascension vers l’orient, vers la lumière, vers ce sens que nous cherchons tous au travers de nos vies, parce que humains, en quête de compréhension, en questionnement permanent sur notre condition, parce qu’au bout, nous savons tous qu’il y a la mort et que cette mort, aussi ouverts que nous soyons, tout initié que nous sommes, mène nos vies. Que ferions- nous de l’éternité? L’éternité est ailleurs, au pays de l’au- delà, de l’invisible, nous tentons cependant de l’entrevoir et de recréer le monde, un monde sacré où le vulgaire et le quotidien sont bannis, lors de l’ouverture des travaux.

Ce «Prenez place, mes sœurs ou mes frères» est une invitation de la part du vénérable maître, du président de la loge, à prendre notre place en loge, à nous asseoir tout simplement, penseront certains. En fait, c’est bien plus que cela !

Ai-je une place, et si oui, laquelle? Oui, je sais que les apprentis se mettent sur la colonne du nord, que les compa- gnons se tiennent sur la colonne du midi, et que les maîtres se positionnent où ils le souhaitent, hormis les officiers qui se doivent d’être à leur plateau et de le tenir comme il se doit. Mais moi, où suis-je? Quelle place vais-je choisir d’occuper dans le monde, dans mon univers, dans celui qui m’est propre, où il n’y a que moi ? Quel est mon questionne- ment, que suis-je venu chercher au sein de cette loge, dans ce groupe qui m’entraîne vers une réflexion plus profonde : qu’est-ce que je veux faire de ma vie? Comment vais-je l’utiliser ? Est-ce que seulement je veux prendre une place dans le monde et ici il n’est point question d’honneurs et encore moins de privilèges, ou plus sommairement de gains financiers, non il est question d’âme et d’esprit. Il est aussi question d’attitudes et de comportements face à autrui et aux événements prévisibles ou imprévisibles de l’existence, il est question de se comporter comme un être d’honneur, de compassion, un être vrai qui respecte les valeurs et les vertus qu’on enseigne en loge et en maçonnerie.

Ce « Prenez place » fait écho à ce que dira plus tard dans le vénérable maître dans le rituel d’ouverture «Debout et à l’ordre!» Quand j’entends ces paroles prononcées par le vénérable maître, j’entends dans le même temps : « Debout, réveillez-vous, sortez de votre animalité, mettez-vous à l’unisson de votre humanité, l’heure du sacré et de la magie rituelle a sonné ! »

Ces deux temps forts de l’ouverture sont ponctués par un coup de maillet qui nous réveille et nous fait sortir du monde profane, il nous permet de donner le meilleur de nous-mêmes, de lâcher le monde du dehors pour rentrer dans celui du dedans, où notre cœur ne peut rien cacher, où nous aspirons au bien et au beau, où nous sommes tendus vers l’énergie qui a créé le monde, que nous allons recréer en cet instant même, comme à chaque tenue maçonnique, car s’il y a des mystères et des secrets en franc-maçon- nerie, l’alchimie qui s’opère alors fait partie de ceux-là.

Dehors règne le monde de la dualité, de la division, de la lutte, mais aussi de la complémentarité, et nous allons vers une entité unique, vers un égrégore, où les vibrations de chacun vont contribuer à mettre en place l’harmonie uni- verselle. Les esprits vont se tendre vers une même finalité : la lumière, symbole de connaissance, de joie, de pureté.

L’espace intérieur sacré

La franc-maçonnerie, par ses rites et ses rituels, ses symboles, ses paroles et ses gestes, s’accorde avec toutes les grandes traditions. Tournons-nous vers nos ancêtres dont nous ne sommes pas si éloignés.

Pour l’homme religieux, c’est-à-dire relié, qui est entre ciel et terre, qui va de l’horizontale à la verticale, l’espace n’est pas homogène. Il y a un espace sacré, et par conséquent « significatif », et d’autres espaces vides et par là sans structure, ni consistance. La cosmogonie est l’exemple type de toutes les constructions. La valorisation religieuse du monde lui donne un point fixe, un centre, et donc une orientation, ce qui revient à le créer à partir d’une immen- sité chaotique. Le monde se laisse saisir en tant que cosmos, dans la mesure où il se révèle comme espace sacré.

Le rituel est un acte magique de création qui unit les sœurs et les frères dans un espace qui, par les vibrations et l’énergie des mots prononcés et des gestes accomplis, ouvre sur un espace intérieur sacré. Le rituel d’ouverture de la loge ne contribue pas seulement à permettre aux maçons de travailler et de peaufiner leur pierre ou leurs morceaux d’architecture, il leur donne accès à leur propre temple intérieur, à leur espace sacré. C’est ici comme dans d’autres lieux où nos ancêtres pratiquaient également l’initiation, que l’être trouve sa véritable humanité. C’est ici que nous nous éveillons. Teillard de Chardin disait: «Je n’enseigne pas, j’éveille», voilà le travail du maçon: s’éveiller d’abord lui-même et éveiller autrui, éveiller non pas tout un chacun, mais celui qui demande car pour être initié, il faut frapper à la porte pour qu’on l’ouvre. La transmission ne se fait qu’à celui qui la demande et la mérite.

Si nous voulons trouver notre place dans cet espace sacré, il faut procéder non seulement à l’ouverture des travaux, mais à celui de notre être. Seul, le rite et les rituels qui le composent permettent aux chercheurs de trouver le travail qu’ils ont à faire en eux-mêmes et sur eux-mêmes d’étape en étape, de porte en porte.

Prendre sa place au sein de la loge, c’est ouvrir sa conscience et son cœur, conquérir d’étape en étape son humanité, appréhender le monde des symboles, prendre conscience de ses droits et de ses devoirs et travailler à sa transformation intérieure et par là-même, à la transforma- tion de l’univers tout entier.

Être debout et à l’ordre, c’est conquérir sa verticalité, être authentique, vrai, toujours debout, toujours espérant, obéir à ce que nous commande notre conscience, ce que j’appellerai notre intuition profonde, notre sentiment le plus vrai et le plus honnête, respecter autrui tout comme se respecter soi-même, ne point se forger d’idoles humaines, mais décider de soi-même et par soi-même de ses opinions et de ses actions, maîtriser son animalité, ses pulsions, ses instincts les plus bas, chercher toujours et avec détermination le chemin du perfectionnement et de la sagesse, et travailler sans relâche à l’amélioration de notre être et par là-même de la société.

Se mettre à l’ordre est pour le maçon un geste précis qui unit les sœurs et les frères dans une même attitude, une même posture du corps et qui signifie: je suis éveillé, prêt au travail, prêt à écouter, à comprendre, à avancer, à me remettre en question, à affronter les difficultés que me réserve ma démarche, à toujours m’élever et si je tombe, que je sache me relever en toute humilité et en toute espé- rance.

Dans la tradition indienne, cela s’appelle un mudra, un geste précis qui ouvre les chakras, les centres d’énergie spirituelle, les centres les plus élevés qui nous permettent d’accéder à un autre niveau de conscience.

L’idéal maçonnique est élevé, il tend à construire ce que l’on nomme le temple de l’humanité, c’est-à-dire le temple vivant qu’est l’être humain. Cet idéal de construction permet au franc-maçon d’apprendre, de comprendre son propre temple de vie intérieure et l’amène à pouvoir par- tager, agir et construire le temple de tous les êtres humains.

Le monde est né du chaos et nous y cherchons l’ordre, l’homme a peu évolué, contrairement aux techniques, à la technologie et aux sciences. Chaque homme qui meurt, meurt avec son expérience, et chaque homme doit accom- plir son chemin à la première personne et son expérience intérieure est intransmissible.

Le chaos contient l’ordre et l’ordre contient le chaos, et c’est parce qu’il y a chaos que l’ordre existe, ainsi en va-t-il du monde de la dualité. Et ce troisième terme que cherche et trouve parfois le maçon se trouve dans ce « Debout et à l’ordre ! »

Le temps sacré

Traditionnellement, le rituel d’ouverture/fermeture induit, quant à lui, la notion de temps sacré, ou plutôt de temporalité, car le temps sacré est en dehors du temps cyclique du monde profane. Le temps sacré est un instant défini, qui reproduit une phase de la création universelle. Le Prologue de saint Jean est fréquemment utilisé spé- cialement au Rite écossais ancien et accepté, de par son contenu, qui récapitule toutes ces phases de création. Même si le rituel est lu et non appris par cœur, il n’en demeure pas moins symboliquement une mise en œuvre du verbe. Dans d’autres rites, d’autres paroles que nous allons étu- dier serviront également à recréer pendant le temps de la tenue, hors du temps, sacré, unique, immatériel, où tous les participants de la tenue maçonnique sont frères et sœurs, travaillant ensemble, réfléchissant sur le sujet ou les sujets du jour, mettant leur cœur, leur esprit, leur intelligence au diapason, pour aller vers cet égrégore si particulier qui met en commun toutes les énergies présentes.

Quelle que soit la société traditionnelle et/ou initiatique où il se trouve, l’être veut restaurer ce temps mythique, le grand temps. En abolissant le temps profane, le temps qui coule, et en vivant dans ce temps sacré, il souhaite vivre dans l’éternité par la transfiguration de la durée en un ins- tant éternel. Cette nostalgie de l’éternité est en quelque sorte symétrique à celle du paradis. Mais qu’est-ce que le paradis? Sinon l’absolu, le grand tout, l’harmonie univer- selle que nous recherchons tous, d’où nous venons peut-être et où nous retournerons également. Poussière d’étoile dit Hubert Reeves, énergie pure, lumière qui resplendit et ouvre nos yeux sur l’infini qui nous comble et nous apaise, enfin…

Pour atteindre cet infini présent, ce midi de lumière qu’est l’ouverture des travaux, le vénérable maître aura demandé au couvreur de s’assurer que la loge était bien à couvert et que les travaux pouvaient se dérouler en sûreté, ensuite les premier et deuxième surveillants s’assureront que chacun des assistants et des participants est bien maçon authentique et régulier. La lumière ne se montre qu’à celui qui peut la voir et la recevoir, la connaissance ne se transmet qu’à celui qui en est digne, la transmission ne s’effectue que de maître à disciple.

Le temple, la loge à couvert des soucis du quotidien est alors un espace privilégié dans lequel tout franc-maçon se régénère. C’est ainsi qu’au fil des tenues, la rituélie imprègne le maçon, comme une musique qu’il intègre, qu’il reconnaît, qu’il retrouve et qui lui permet de se recentrer et de se mettre à l’ordre avec lui-même, pour ensuite exporter le sacré retrouvé. Si les maçons se mettent à couvert, s’ils pratiquent leur rituel, c’est également pour retrouver la voie des anciens, de la sagesse, la seule, l’unique, celle qui nous rend notre dignité d’homme, qui nous rend plus fraternels et plus justes, et nous permet d’entrevoir la lumière de la vie sans jamais perdre l’espérance.

Il est midi !

Le midi de l’ouverture des travaux sonne le vrai visage du soleil qui est celui de la lumière et de la connaissance. Le temps profane est un temps qui s’échappe et fuit, le présent n’y existe pas, à peine disons-nous quelque chose, faisons- nous une action, à peine… et déjà dans le passé. Comme le dit un rituel du Rite écossais rectifié: «Le temps fuit et s’efface à nos yeux, mais il est toujours en présence du Grand Architecte de l’univers ».

Nous serions de l’ouverture à la fermeture des travaux dans un temps immobile et sacré, un temps hors du temps, tel que le décrit Josué (10,13): «Et le soleil s’arrêta et la lune se tint immobile ».

Ce temps sacré est dynamique et créateur, puisque c’est dans ce temps sacré que s’effectue le travail initiatique. Il est une figuration d’un éternel présent dont on ne saurait dire qu’il a été ou qu’il sera, car il se recrée en permanence, du moins pour autant qu’il soit en notre vouloir et notre pouvoir de le faire se réaliser entre ouverture et fermeture par notre disponibilité, notre présence, notre attention et notre écoute. Celui qui ne peut sortir de la succession temporelle est inca- pable de la moindre conception d’ordre métaphysique et le maçon est dans une conception métaphysique, il rejoint par là ses ancêtres qui ont vécu une initiation: mystères d’Éleusis, culte de Mithra, et tant d’autres encore…

Ces deux temps forts de l’ouverture et de la fermeture, midi et minuit, ne peuvent être uniquement considérés comme ayant un rapport direct avec la course du soleil, le soleil est ici un symbole de la connaissance illuminatrice, c’est-à-dire intuitive et directe. Cependant, il est évident que ce midi et ce minuit nous renvoient aux deux sols- tices et le rapprochement avec le Janus Bifrons, chez les romains, Dieu de l’initiation et des corporations, symboli- sant les trois temps : présent, passé et futur.

Midi correspondrait au solstice d’été qui ouvre la voie ascendante (janua inferni, saint Jean Le Baptiste, qui ouvre la porte des hommes), minuit correspondrait au solstice d’hiver (januae Coeli, saint Jean l’Évangéliste, la porte de la voie céleste), chacun d’eux marquant la fin d’un cycle, le début d’un autre et l’espace entre les deux portes qui figurerait l’éternel présent, le temps sacré, le troisième visage de Janus.

Ainsi les maçons entrent par une porte à midi pour ren- trer dans un espace et un temps sacré qui leur donnent la possibilité d’œuvrer en étant dans la plus grande noblesse de leur condition humaine, c’est dans cet espace-temps qu’ils viennent puiser force, énergie et courage : le meilleur d’eux-mêmes se révèle et se met à jour. Les mêmes maçons empruntent une autre porte à minuit pour se retrouver dans le monde du quotidien et y œuvrer, forts de ce qu’ils ont trouvé, compris, reçu durant les travaux. Je ne peux m’em- pêcher de penser au verset du Cantique des Cantiques (5,2) : « Je dors, mais mon cœur veille ».

À midi, l’ombre est nulle! La lumière est pleine, midi plein dit le rituel ! Encore faut-il saisir la signification pro- fonde de ce vrai midi, de ce soleil du cœur. Pour Grégoire de Nysse, personne n’est digne du midi s’il n’est pas fils de la lumière et du jour divin. Pour Origène, midi signifie les secrets du cœur, grâce auxquels l’âme peut atteindre les secrets les plus grands, et pour Guillaume de Saint Thierry au XIIIe siècle, midi est synonyme de lumière de la connaissance et de ferveur de l’amour. Il considère le novice comme l’homme du matin, celui qui est instruit comme l’homme du soir et celui qui possède la ferveur stable et lumineuse comme l’homme du midi.

Les trois piliers : sagesse, force et beauté

Tout temple s’appuie en prenant force et appui sur des piliers et si l’un d’eux faillit, c’est tout l’édifice qui s’ef- fondre. Il en va de même pour le temple maçonnique et pour notre temple intérieur. Le pilier est l’axe de communication entre le ciel et la terre, il participe à la verticalité de l’être et tout bon ouvrier qui veut édifier son temple doit commencer par mettre en place ses piliers.

C’est l’instant solennel où le vénérable maître et les deux surveillants allument les étoiles ou les bougies pour donner la lumière à la loge, c’est l’instant également où sont prononcées avec solennité les paroles qui donnent vie à ses petites lumières et surtout à la grande lumière qui est en train de se manifester.

Dans le Rite égyptien, il est dit : « Sagesse ineffable, ô dieu inconnu des temples de Memphis que la première lumière soit ! Toi qui as dit : je suis la source des existences et de tous les êtres, je suis hier et je connais demain, salut à toi ! Ô force toute puissante de la manifestation initiale, que la seconde lumière soit! Ô beauté éternelle qui ordonne et harmonise tout de par les mondes, que la troisième lumière soit!»

Au Rite écossais ancien et accepté, le rituel est plus sobre, mais l’esprit est le même: «Le vénérable maître: que la sagesse préside à la construction de notre édifice. Le maître des cérémonies, tout comme au Rite égyptien, ponctue à l’aide de sa canne en frappant le sol à chaque invocation. Le premier surveillant: Que la force le sou- tienne ! Le second surveillant : Que la beauté l’orne ! »

Certes le maître des cérémonies marque alors les angles mais surtout, en frappant le sol il répond à l’invocation des mots, et par ces coups frappés, appelle et interpelle la sagesse, la force et la beauté à se manifester dans le temple de façon concrète et tangible. Le rituel n’a de sens si un geste, une action, un mot, des mots ne se manifestaient concrète- ment. Le temple se met en place, l’édifice se construit tout comme il se construit dans notre espace intérieur. Nous arrivons ainsi à nous reconnecter à notre être profond dans toute notre authenticité et notre nudité. Ce moment du rituel contribue à nous éveiller, à nous mettre dans un état de conscience différent, autre, état que je ne qualifierai pas de supérieur car cela serait bien prétentieux, mais dans un état de pureté et d’oubli du monde du dehors pour n’être plus que dans le monde du dedans, celui où nous savons ce qui est sage, bon, beau et qui nous rend fort et confiant en la vie, enfin heureux, bien avec nous et avec les autres.

Ce qui unit les francs-maçons, c’est leur recherche, leur désir de se dépasser, leur force pour défendre humanisme et fraternité, leur désir de concilier l’homme terrestre et l’homme céleste, la reconnaissance consciente d’un ordre terrestre et d’un ordre céleste qui, loin de se combattre, se reconnaissent et s’éclairent.

Sagesse, force et beauté

«On ne reçoit pas la sagesse. Il faut la découvrir soi- même, après un trajet que personne ne peut faire pour nous, ne peut nous épargner », nous dit Marcel Proust.

Et j’ajouterai, à vouloir être un autre ou être comme tout le monde, on n’est jamais personne.

La sagesse, c’est sans doute de découvrir qui nous sommes, de l’accepter, de changer ce que nous pouvons changer, d’avoir le courage d’accepter ce que nous ne pouvons pas changer et de vivre en meilleure harmonie avec soi-même et par là-même, avec autrui. Tout cela demande du temps, de l’ouverture, une capacité à se remettre en question, à œuvrer en soi-même et sur soi- même tout comme le maçon taille sa pierre, l’épure, la cisèle, la sculpte, la polit pour mieux l’insérer dans l’édifice commun qui devient alors le temple vivant de l’humanité.

En loge, c’est le vénérable maître qui symbolise la sagesse, c’est lui qui conçoit, élabore les plans, trace les lignes, il représente l’architecte, le maître de loge, celui qui insuffle la vie, mène la rituélie, autorise les interventions, sait calmer les esprits, élever les consciences et faire sortir les participants, tous frères et sœurs, du monde de la matière et de la dualité, pour aller vers une harmonie, un absolu, un infini pour aller plus simplement vers ce que beaucoup d’entre nous cherchent et trouvent en loge, l’amour. Le maçon en loge et dans la vie, sa propre vie, doit se rappeler qu’il est en quête de dépassement, et qu’à chaque instant, il meurt et renaît, et si dans le temple, à l’ouverture des travaux, il cherche réellement à se perfectionner, à devenir non pas sage mais un sage parmi d’autres, alors il doit descendre en lui-même pour s’unir à la lumière qui monte dans la loge et s’unir à elle.

La vie pour celui qui cherche la sagesse est une ascension: il vaut mieux être que de ne pas être et mieux, il est toujours possible et uniquement intéressant de devenir plus. Pour nous, maçons, l’être est inépuisable, et c’est dans son être qu’il cherche ce foyer de chaleur et de lumière dont il veut toujours plus se rapprocher.

Comme le dit Teihard de Chardin, s’agit-il d’être heureux ou d’être sage ? Les deux sans doute pour un maçon, car le bonheur, le vrai, est une plénitude, et il se conquiert, il donne la joie pure qui sait dire merci et accepter. Ajouter un seul point, si petit soit-il, à la magnifique broderie de la vie, discerner l’immense qui se fait et qui nous attire au cœur et au terme de nos activités infimes, le discerner et y adhérer, tel est au bout du compte le secret de la sagesse et du bonheur. Comme le reconnaît Bertrand Russell : « C’est dans une profonde et instinctive union avec le courant total de la vie que gît la plus grande de toutes les joies et de toutes les sagesses ».

Lors de l’ouverture des travaux, c’est avec sagesse que le vénérable maître qui représente Salomon, le sage entre les sages, conçoit le temple, recrée l’univers magique et sacré, extrait l’ordre du chaos et fait émerger des ténèbres la lumière, c’est avec la force qu’il réalise concrètement et avec l’aide des deux surveillants cette sagesse, qu’il la matérialise et enfin, c’est par la beauté de l’esprit, du verbe, et par l’union de tous ces cœurs tendus vers la même énergie que le temple vit et existe.

Et ce quatrième pilier invisible à l’œil, virtuel, qui émanerait des trois autres, que symbolise-t-il ? Si l’on est tenu lorsque l’on déambule dans le temple de marquer les piliers, une fois les travaux ouverts, il est d’usage, dans certains rites, de marquer ce quatrième pilier. Que représente-t-il ? Il symbolise l’homme nouveau, libre, le maçon qui, en lui, a intégré la sagesse, la force et la beauté.

«Frère ou sœur, second surveillant, quel âge avez-vous?
J’ai trois ans, vénérable maître».

Le nombre trois en maçonnerie est essentiel, c’est par le trois que se fait le retour à l’unité et que la maçon dépasse le monde du binaire dans lequel tout être humain est emprisonné.

Au milieu du temple, se tient le pavé mosaïque comprenant une alternance de cases noires et blanches dont le nombre est identique. Alternance de la vie et de la mort, du masculin et du féminin, mais aussi dualité et altérité. Nous voilà dans le binaire qui nous plonge dans le monde matériel: pour que le monde existe, il faut être deux, car si nous ne sommes pas deux, nous ne pourrons pas savoir qui nous sommes. C’est la découverte de l’altérité, car c’est l’autre qui nous fait. Ainsi, comment connaître le beau si je ne connais pas le laid et inversement, comment connaître le bien si je ne connais pas le mal ? L’unité est absolue, l’un est le signe du Créateur, du Grand Architecte ou comme le disent certains rituels, du Dieu qui géométrise.

Ainsi l’être humain vit dans un monde matériel et binaire. Pour en sortir et s’élever, pour grandir vers l’universel et ne plus être enfermé dans un égo étroit, il passera à l’impair et plus spécifiquement pour lui, au ternaire qui le ramènera à l’unité, au un, au Créateur. Ce ternaire exprime l’œuvre de création de l’homme et de la femme : en fusion- nant, ils créent un autre être, un impair, le troisième terme de leur amour, de leur intimité profonde. Et ainsi, dans son inconscient, l’être humain sera porteur de ce nombre trois, n’y a-t-il pas naissance, croissance, mort ? N’y a-t-il pas les apprentis, les compagnons et les maîtres ?

L’apprenti a trois ans, il rentre dans la loge par trois pas, l’acclamation tout comme la batterie, se font par le nombre trois, il explore le monde de l’impair qui est un monde de résolution, un monde passerelle vers le sacré et le divin, vers la transcendance que l’initiation est à même de lui donner. Si le binaire et le carré sont enfermement, le ter- naire et l’impair sont élévation. Terminées les oppositions du binaire, même si ces oppositions, ces différences ne sont en fait que des complémentaires, des différences qui se retrouvent et se reconnaissent. Le nombre trois n’est pas un choix entre deux possibilités, c’est une réalité englobant toutes les lois de l’univers, c’est une dynamique qui nous relie à ce qu’il y a de plus évident et de plus lumineux en nous. La source lumineuse descend du haut, du ciel, c’est le un, la source obscure et matérielle jaillit de la terre, du limon, et l’union de ces deux énergies ascendante et descendante éclaire la femme ou l’homme que nous sommes devenus par l’initiation qui nous apporte conscience nouvelle et connaissance.

Cette alternance de noir et de blanc représente notre existence, nos défauts, nos qualités, nos talents, nos erreurs, mais aussi notre capacité d’évolution pour voir le monde et les hommes dans leur complexité. Plus tard, une fois devenu maître, l’apprenti apprendra à marcher sur le fil du rasoir, entre le noir et le blanc. Il aura appris la mesure, la tolérance, le juste milieu, une certaine forme de sagesse, il saura que son devoir est de vivre, de tra- vailler, d’aimer avant tout et de transmettre avant de passer à l’orient éternel, de mourir comme les autres hommes, un peu plus confiant et serein.

C’est sur le pavé mosaïque, qu’à l’ouverture des travaux, on étend le tapis de loge dit aussi tableau de loge, variable selon les trois premiers degrés, apprenti, compagnon, maître. Le travail maçonnique vise à dominer les oppositions terrestres en les utilisant au mieux pour le travail à accomplir.

Les travaux sont ouverts

Et nous sommes maintenant dans la lumière, midi plein a sonné, l’heure du travail pour les maçons.

Toute cette rituélie d’ouverture ne nous amène-t-elle pas aux quelques mots du tout début de la cérémonie « Laissons nos métaux à la porte du temple » ? Laisser les métaux, c’est se dépouiller de tout ce à quoi nous sommes attachés dans le monde matériel et qui du fait de notre peur de les perdre nous empêche d’avancer sur la voie de la libération. Les métaux représentent tout ce que l’être abandonne à sa mort et qu’il doit apprendre à abandonner à sa mort symbolique pour se diriger vers la lumière et la sagesse. Laisser ses métaux à la porte du temple, c’est aussi se donner la capacité d’être nu, neuf, sans passion ni préjugé, avoir un cœur et un esprit sereins pour se laisser pénétrer par la rituélie et retrouver un peu de cette énergie primordiale à l’œuvre dans l’univers.

C’est à ce moment que le vénérable maître prononce les paroles suivantes qui ouvrent véritablement la loge: «À la gloire du Grand Architecte de l’univers, au nom de la maçonnerie universelle, sous les auspices de la grande loge (et l’on cite le nom de l’obédience), je déclare ouvert et selon le Rite du premier degré (ou Rite d’apprenti) cette respectable loge (on cite le nom de la loge). À moi, mes sœurs et mes frères par le signe, le nombre et l’acclamation ».

Le signe est le signe d’ordre qui change selon le grade où travaille la loge: apprenti, compagnon et maître tout comme changera le nombre

Ce signe d’ordre est comme un mudra indien, il favorise le silence intérieur, la concentration, l’accueil des mots qui vont être dits, il incite à une soudaine mise en respect devant les valeurs essentielles de vie, il nous rappelle à l’ordre. Le maçon est en loge pour travailler, progresser, apprendre, découvrir, questionner et se questionner. Il est également là pour combattre ses passions et donner le meilleur de lui-même. C’est une femme ou un homme de courage, il construit sans trêve et sans relâche le monde d’aujourd’hui, tout en construisant le monde de demain sans négliger les leçons du passé. Le signe d’ordre est la marque concrète, la manifestation tangible et extérieure de ce qui se passe à l’intérieur. Extérieur et intérieur doivent être en parfaite correspondance, au fil du temps et de l’imprégnation des symboles. À un moment donné de sa vie de maçon, l’être s’apercevra qu’extérieur et intérieur se parlent et se répondent. Le signe d’ordre devient l’esprit du maçon, il est ce que le maçon vit en son être intérieur et dans sa conscience.

Dans le Sceau rompu ou la loge ouverte aux profanes par un franc-maçon (1745) réédité en 1974 par les Éditions Rouyat, il est dit :

« D À quoi connaîtrai-je que vous êtes maçon ?

R À mes signes et mes marques et au point parfait de mon entrée

D Quels sont les signes des maçons ?

R L’équerre, le niveau, la perpendiculaire


D Quelles sont les marques ?


R Certains attouchements réguliers que l’on se donne en frères


D Donnez-moi le point parfait de votre entrée ?

R Donnez-moi le premier, je vous donnerai le second

D Je garde

R Je cache

D Que cachez-vous ?


R Les signes des maçons et de la maçonnerie ».

Le nombre lui aussi changera, car le nombre qui devient également selon le grade, le nombre de la batterie et des lumières sur les piliers émet des ondes vibratoires, des décharges émotionnelles, des correspondances qui mettent l’initié en relation avec la tradition qui se perpétue depuis des siècles.

La batterie permettra aux maçons de s’unir en bâtant des mains à l’unisson, ils manifestent ainsi l’attachement à leur rite, à la maçonnerie, à leur loge et marquent solen- nellement l’ouverture ou la fermeture des travaux. Un peu comme les tambours, le claquement des mains émet aussi des vibrations particulières qui résonnent dans le temple et dans le cœur de l’être.

Enfin, toute cette énergie contenue, toute cette émotion, émergeront dans l’acclamation écossaise «houzé, houzé, houzé » ou dans d’autres rites « liberté, égalité, fraternité ». L’acclamation écossaise viendrait de l’anglais houzza qui signifie «vive le roi» ou dans d’autres témoignages hourrah, elle se rapproche dans tous les cas de vivat ou d’Allelouhia.

Liberté, égalité, fraternité, c’est le triptyque républicain qui inscrit le maçon dans la société, ainsi déclare- t-il à l’ouverture et à la fermeture des travaux son désir profond d’évoluer en lui-même et de se perfectionner, mais également de faire évoluer la société et de la faire progresser dans le sens de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, sans oublier que ceci inclut la notion de droits et de devoirs.

Claude DARCHE


Claude Darche, née le 15 juillet 1958 à Saint-Cloud, est une auteur d’ouvrages concernant l’ésotérisme et la franc-maçonnerie. Elle fut grand maître de la Grande Loge féminine de Memphis-Misraïm de 2002 à 2006. Aujourd’hui, elle se consacre à ses domaines de prédilection : le symbolisme du tarot, l’intelligence, intuitive, les phénomènes de synchronicité, le coaching. Elle est membre du comité scientifique du Musée de la franc-maçonnerie.

Sites de Claude Darche

Bibliographie de Claude Darche :

  • Les poèmes de l’île, éditions Saint Germain des Près, 1973
  • Ouvertures, poèmes publiés aux éditions Saint Germain des Prés, 1978
  • Initiation Pratique au Tarot, éditions Dangles, 1992
  • Le Grand Livre des Tarots, éditions Solar, 1993
  • La Pratique du Tarot de Marseille, Éditions du Rocher, 1994
  • Le Grand Livre de l’Astrologie, Éditions Solar, 1995
  • Libérez votre intuition, Éditions du Rocher, 1995
  • La Maîtrise du Tarot de Marseille, Éditions du Rocher, 1997
  • Le Tarot, Voie de l’Amour, Éditions du Rocher, 2000
  • Initiation Pratique au Tarot Égyptien, Éditions Dangles, 2002
  • Le Tarot de Mademoiselle Lenormand, Éditions Dangles, 2003
  • L’Oracle de Belline, Éditions Dangles, 2004
  • Images du Patrimoine Maçonnique, Tome II, Les Hommes, Detrad, 2004
  • Le vade-mecum de l’Apprenti, Dervy, 2006
  • Le vade-mecum du Compagnon, Dervy 2007
  • Le vade-mecum du Maître, Dervy 2008
  • Tarot, outil de développement intérieur, Éditions Dangles, 2008
  • Le vade-mecum des Hauts Grades, Éditions Dervy, 2009
  • Le Tarot divinatoire, Éditions Eyrolles, 2009
  • Développer son intuition, Éditions Eyrolles, 2009
  • Le vade-mecum des Ordres de Sagesse du Rite Français, Dervy, 2011
  • Méditations dans le Temple, Dervy, 2012
  • Femme de Lumière, roman initiatique, Ed du Désir, novembre 2014
  • Le vade-mecum du Second Surveillant, Dervy, 2014

A.S.: