X

PLANCHE : LA FRATERNITÉ…

Planche de  Nicolàs Muñoz de la Mata sur LA FRATERNITE (merci à toi pour ce partage)

Nous, F :. M :., sommes des femmes et des hommes qui invoquons, répétitivement, lors de nos tenues, les trois valeurs fondamentales que sont pour nous la « Liberté », l’« égalité » et la « fraternité ».

Ceci m’a fait analyser avec un vif intérêt l’un des multiples ouvrages qui portent la signature de Jacques Attali. Je me réfère à celui dont la page de couverture se réclame de la Fraternité.

Comme chacun sait, ce terme annonce le lien qui existe entre des humains qui considèrent appartenir à une même famille.

Notons, au passage que seule une infime minorité de nos FF :. –voire de nos S :.- connaît l’existence du terme « sororité », équivalent féminin de  « fraternité ».

Il n’est pas inutile de rappeler le sens des trois mots évoqués dès ma première phrase. Car ils constituent autant de vecteurs idéologiques: La liberté est souvent invoquée par ceux-là même qui la refusent à autrui. Passons au second de ces termes, l’Egalité.  Il suggère une équivalence de possibilités pour les personnes qui s’en réclament ensemble. Cet idéal paraissait tellement essentiel aux « égaux », les partisans de Babeuf, que leur devise proclamait qu’ils n’avaient pas d’autre alternative que « l’égalité ou la mort ».

De son côté, Jean Jaurès a relevé que, « A mesure que l’égalité politique devenait un fait plus certain, c’est l’inégalité sociale qui heurtait le plus les esprits ». Si l’on peut constater, dans ce domaine, une évolution positive en occident, ce n’est pas le cas de l’immense majorité de nos contemporains.

Paradoxalement les pères de l’utopie Thomas More  et Tommaso Campanella ne se sont pas emparés de ce puissant levier idéologique. Comme je l’ai souligné dans une précédente planche, Emmanuel Kant*, est un des rares philosophes à ne pas tenir la Fraternité pour plus éloignée de la réalité que la Liberté ou l’Egalité.

Maintenant, il serait souhaitable de déterminer quelles sont les implications et les interactions entre la « liberté », l’ « égalité » et la Fraternité. J’essayerai dans un instant de vous proposer des pistes allant dans ce sens. Quelle place ces utopies ont-elles parmi celles que les humains ont conçues ? Mais l’inventaire des utopies me paraît impossible à réaliser. Elles ont des origines si différentes, émanent de systèmes de valeurs tellement dissemblables, qu’il paraît illusoire d’en établir une classification exhaustive, claire et convaincante.

Cependant Jacques Attali opte pour une typologie regroupant les utopies autour de quatre objectifs essentiels. C’est là que nous retrouvons les trois invocations qui nous sont familières et une quatrième qui est « Eternité ». Ces quatre sortes d’utopie visent toutes au bonheur : Celui de chacun ou celui de tous ; ici, maintenant ou jamais. Elles sont cependant différentes dans leur implication. L’Eternité, la Liberté et l’Egalité relèvent du droit, alors que la morale implique des comportements concrets et semblables pour soi et pour autrui. L’Eternité et la Liberté sont des statuts individuels ; l’Egalité et la Fraternité sont des relations entre les membres d’une société déterminée.

La Liberté et l’Egalité sont des utopies de la rareté ; l’Eternité et la Fraternité sont des utopies de l’abondance. La Liberté est définie négativement (ne pas être soumis) ; la Fraternité associe le bonheur individuel à celui des autres, elle est donc la seule utopie altruiste.

Attali a retenu la classification que je viens de vous exposer en considérant que toute utopie imaginable est réductible à l’une ou l’autre de ces quatre catégories fondatrices. Par exemple, l’utopie du savoir, où l’homme atteint à la connaissance absolue, rejoint celle de l’Eternité, où l’homme est Dieu. L’utopie de la Pureté, où seraient éliminés le sale, l’impur, l’impudique, le nuisible, le coloré, l’étranger, peut se ramener à une utopie égalitariste dans laquelle le différent est considéré comme impur (de fait, l’obsession hygiéniste va toujours de pair avec la xénophobie). Les utopies de l’Abondance –qu’elles promettent la fin de l’insécurité ou de l’effort- se ramènent à celle de la Liberté, s’il s’agit de l’abondance pour soi, ou à celle de l’Egalité s’il s’agit d’un pays de cocagne promis à tous. La fin de la souffrance renvoie à l’Eternité ; le plaisir, le marché et la démocratie à la Liberté. Les utopies de la Responsabilité, de l’Altruisme et de la non-violence procèdent de la Fraternité.

Enfin, ce qui sans doute essentiel, chacune de ces quatre utopies crée les conditions de l’avènement des autres. Elles s’enchaînent historiquement selon un ordre implacable qui n’exclut ni retours en arrière ni interférences.

Aujourd’hui, c’est de la faillite des trois premières que naît la nécessité de la Fraternité, à la fois inéluctable…et impossible, comme toutes les utopies.

Depuis la nuit des temps, les hommes ont été convaincus que leur passage sur la Terre n’est qu’un labyrinthe de douleur au bout duquel s’ouvre, via la mort, sur l’Eternité, en compagnie des dieux.

Avec  les Hébreux puis avec les Grecs, des hommes ont osé se libérer des exigences théologiques et rêver d’une Cité idéale où s’épanouirait la Liberté.

D’autres, en observant l’évolution de la société marchande, ont compris que la liberté des uns entraînerait l’aliénation des autres, ce qui les a conduits à chercher l’Egalité.

Nous sommes arrivés aujourd’hui à un moment où ces trois sortes d’utopies achoppent sur leurs contradictions. C’est ainsi que le modus vivendi, tel que le fixent les religions pour que ses ouailles accèdent à l’Eternité, implique une restriction patente de la Liberté de conscience (Statut de la femme ; usage des moyens anticonceptionnels, etc.). Là où elles détiennent le pouvoir temporel, celles-ci n’ont pas réussi à empêcher l’aggravation des inégalités et de la précarité matérielle. La liste des Etats où règne ce type de climat social est, hélas, très longue. Depuis l’Iran et la Chine jusqu’à Cuba et autres Tchétchénie.  Inversement, l’Egalité n’a su s’ébaucher que sur les ruines des libertés, comme naguère en Union Soviétique. De toute façon, aucune de ces utopies n’a réussi à atteindre l’objectif qu’elle se fixait

Demain, certains prophétiseront un retour du religieux ; d’autres chercheront des voies nouvelles vers l’Egalité ou vers la Liberté. D’autres, enfin, oseront transcender les unes et les autres pour imaginer un monde où l’utopie ne serait plus fondée sur la peur, l’égoïsme ou la jalousie, comme dans les trois premières, mais où chacun trouverait son bonheur à faire celui des autres ; cela aura nom Fraternité.

Enfin, voici, repérées par Jacques Attali, quelques interactions susceptibles de retenir votre attention.

La Fraternité réconcilie Liberté et Egalité. Mieux, alors que ces trois utopies ne sont pas compatibles deux à deux, chacune rend les deux autres compatibles.

La Fraternité résout ainsi la plus ancienne contradiction de l’histoire des idées politiques, celle sur laquelle tous les théoriciens ont achoppé depuis des siècles, entre la Liberté et l’Egalité.

Pour vous rendre vraiment compte de l’ouvrage « Fraternités », de Jacques Attali, il faudrait encore évoquer les évolutions qu’il envisage pour notre humanité. Il passe en revue les guerres susceptibles d’éclater ici et là dans notre monde, les irruptions de technologies qui bouleverseront non seulement notre cadre de vie mais encore nos attitudes les plus intimes, la famille telle que nous la connaissons et une foule d’autres aspects que son ouvrage, dense, sérieux, documenté propose à notre réflexion.

Faisant la prédiction que de nouvelles formes d’utopies vont apparaître, Jacques Attali annonce que « Certains lanceront des pierres pour détruire ; d’autres les rassembleront pour construire ». C’est, je crois, le dessein des SS :. & des FF :. qui prendront connaissance de ma planche.

* La Fraternité pourrait favoriser l’éradication des conflits armés qui affectent notre humanité et nous permettrait d’aller « Vers la paix permanente », ainsi que le prônait Kant.

Nicolàs Muñoz de la Mata

A.S.:

View Comments (3)

  • "Les chrétiens sont « frères » parce qu'ils croient avoir le même « père ». Ils appartiennent à la même « famille » et seuls ceux qui partagent cette vision du monde peuvent en faire partie. Les francs-maçons, eux, ont choisi d'être « frères » librement, en dehors de tout lien préétabli.

    Les chrétiens veulent croire que la fraternité est synonyme d'amour. Elle peut l’être, c’est l’idéal, mais la fraternité signifie surtout l’interdépendance viscérale. Tous ceux qui ont des frères et/ou des sœurs savent à quel point ils sont liés, malgré l‘infinie variété de caractères, de comportements et d'intérêts qui peuvent être totalement opposés.

    Il est possible que grâce aux découvertes scientifiques accumulées depuis la Renaissance, les membres de l'Académie Royale des Sciences de Londres se doutaient de l’interdépendance des humains et de toutes les autres formes de vie. Dans ce cas le « centre d’union » peut être considéré comme celui de l’ensemble du règne du vivant. Cela correspond aux idées de l’écologie humaniste d’aujourd’hui." (Extrait d'une réflexion sur mon site web " Les francs-maçons se sont arrêtés à mi-chemin")

  • Sur terre, comme des petites fourmis
    Où nous dépensons nos vies.
    S'il est un nom qui nous dépasse en totalité
    C'est bien la FRATERNITE.